PATTON de Franklin J. Schaffner (USA 1970) & NEW YORK, N.Y. de Raymond Depardon (France 1986): Depardon valent mieux qu'un !

Publié le par LJ Ghost










[Photo : "Débat autour de Clint Eastwood" par Norman Bates.]









George C. Scott

is

the General George S. Patton Jr. !

Beware !

 

 

Grande figure de l'armée américaine lors de la Seconde Guerre Mondiale, à laquelle il a activement participé et grâce à qui (notamment) elle a été gagnée, le garçon avait aussi une grande gueule. Un peu à la R. Lee Ermey dans FULL METAL JACKET, l'empathie en plus, le militaire vocifère (c'était juste pour la rime finale, je l'avoue). Belligérant érudit, il s'inspirait des grandes batailles qu'a connu l'humanité pour fomenter ses brillantes stratégies, citant autant Jules César qu'Alexandre le Grand en passant par notre petit Napoléon national. Il est en état de grâce au moment où les US of A entrent dans le conflit contre l'opposant nazi, étant à la tête d'une grande division de l'armée, et ses méthodes fermes mais justes sont adulées par l'état-major. Mais le caractère de mister Patton ne plaît pas à tout le monde, et entre le sommet de la montagne et les rochers pointus en contre-bas, il n'y a qu'un pas...

 

 

Attention, parpaing ! Film de guerre fleuve de deux heures et quarante-cinq minutes, bardé de récompenses (huit Oscars dont celui du meilleur film et du meilleur acteur), metteur en scène adulé qui sortait tout juste de LA PLANETE DES SINGES version huilée avec Ben-Hur à l'intérieur, scénario du jeunot Francis Ford Coppola entre PARIS BRULE-T-IL et LE PARRAIN qui adaptait un livre parlant de la vraie vie du général Patton, acteur venant de chez Kubrick dans DR FOLAMOUR,  je n'irai pas jusqu'à dire que ça ne sent pas très bon, mais presque ! Mais faisant fi des obstacles et n'écoutant que mon indicible courage (forcé toutefois), la galette fraîchement acquise pénètre langoureusement dans le monolithe noir placé sous la télévision. Bande de cochons.

 

 

Et ça démarre fort, ou pas ! Plan moyen sur le drapeau américain, resplendissant et qui trône majestueusement, terrible et effrayant. Une silhouette se place devant, et elle est minuscule ! Ce plan moyen est en fait un bon vieux demi-ensemble des familles, qui nous indique d'entrée de jeu à quelle sauce on va être mangé ! Ce ne sera bien sûr pas aussi simple, et le cheveu sur la soupe va à son rythme, prend son temps, mais arrive finalement, peut-être, on ne sait pas trop. Le métrage se déploie dans une structure tout à fait classique, sans à-coups, sans saillies, sans jamais véritablement surprendre, ça ellipse un peu de-ci de-là mais au final on a droit au Maxi Best Of de la vie de Patton, avec de très longues séquences explicatives sur sa personnalité, et le moins que l'on puisse dire c'est que tout cela est absolument rébarbatif. Pensez donc, Patton nous raconte tout par le menu, rien n'est omis, c'est en fait un catalogue, non, c'est une caractérisation de personnage pendant pratiquement trois heures. Le film est complètement dirigé par son scénario, très écrit, probablement trop écrit, qui manque non seulement de relief mais aussi de distance sur ce sujet très américano-américain, et on a l'impression d'assister plus ou moins à un film de propagande, tant les travers de la personnalité du personnage sont balayées d'un revers de la main et n'ont droit qu'à la portion congrue du film, et quand il « faute » (les guillemets ont totalement leur place ici) il est complètement avalisé par sa hiérarchie, dans un espèce d'élan patriotique de préservation de la nation. C'est peu dire que c'est un peu puant, mais attendez la suite. Dans l'avant-dernière ou la dernière bobine, je ne sais plus, je vais essayer de coder au maximum, Patton veut tenter une manoeuvre militaire particulière et complètement casse-gueule, mais la météo n'est pas de son côté, alors il demande à l'aumônier de prier Dieu pour que le temps soit plus clément. Le lendemain, bien sûr, le climat s'était arrangé et un soleil jaune et rond trônait dans les cieux azur. J'ai vu le film en excellente compagnie, et à ce moment-là ma réaction instantanée à l'intention de mes camarades fut « Dieu est américain ! ».

 

 

Mais il y a peut-être autre chose, finalement. Le rapprochement que je vais faire est absolument sans filet, vous n'avez jamais vu cela mesdames et messieurs c'est extraordinaire, attention, il saute ! En fait, plus le film se déroule, plus une notion assez inattendue saute aux yeux : PATTON serait-il un film sur le sacré ? Oui, ça peut surprendre, mais attendez un peu. Ce que Schaffner nous montre, c'est un type qui a une qualité (enfin, « qualité »...), qui ne sait faire qu'une seule chose, qui ne peut absolument rien faire d'autre. Sans la guerre, il s'étiole, comme disait le poète, et finit par ne devenir qu'un vieux biscornu qui s'aide d'une canne. La guerre le fait vivre paradoxalement, mais ce n'est pas vraiment ça non plus, en fait c'est faire la guerre qui le fait vivre. C'est une grosse différence. L'action elle-même est le moteur de l'homme, mais l'action unique et unilatérale. Le garçon a une destinée, peut-être divine (relire la séquence de prière à la fin du paragraphe précédent), en tout cas il est guidé par quelque chose. Il a foi en ce qu'il fait. Même si tout le monde est contre lui, il continue, se relève. Il n'y a pas d'embruns pour le général. C'est même plutôt flagrant dans le dîner dansant à la fin, où il insulte sciemment ce dignitaire d'un pays allié dans le but que celui-ci finisse par déclarer la guerre, et ainsi remplir la destinée de Patton ! En fait, j'ai presqu'envie de dire que le fait qu'il soit américain passe peut-être au second plan, la nationalité importe peu finalement, le garçon aurait été ouzbek qu'il aurait agi de la même manière. C'est la foi dans ce qu'il fait qui le pousse à agir. Alors certes, sa destinée est de tuer des gens, mais ce n'est pas ce qui compte non plus. C'est étrange, en deux paragraphes je me contredis, mais le film m'a semblé ambivalent, jonglant avec ces deux idées mais penchant souvent vers la première. Je n'ai donc pas cité le rapprochement, mais ça c'était pour le suspense, je pensais à l'indispensablissime LA VIE AQUATIQUE, et à la foi de Bill Murray dans la recherche du requin et dans son métier. Il ne sait faire que cela, Patton aussi.

 

 

Il y a quelques sursauts dans la mise en scène, mais ce sont majoritairement des bonnes idées avortées, même si parfois ça ne compose pas mal du tout, surtout dans la deuxième moitié du film. Au début du métrage, Patton décide d'envahir la Sicile. L'image coupe, et nous avons droit à une séquence en noir et blanc, probablement tournée en 16mm, d'un film militaire où le général et ses hommes posent au moment de débarquer sur l'île, complètement pas naturels, on sent qu'ils posent, bref, ça sent la rupture, la joliesse, la loufoquerie, le sursaut, enfin ! Mais la caméra recule et offre à voir l'état-major nazi qui regarde la bande et commente ce que l'on voit à l'écran, gâchant par là-même tout le potentiel émotionnel de la scène ! C'était très beau avant ce recul ! Après qu'ils aient récupéré la Sicile, Patton et ses hommes vont voir, triomphants, l'archevêque de l'île, devant une foule en liesse. Il embrasse la bague de l'homme d'église, puis nous voyons trois femmes extatiques, presque hystériques, qui s'agitent dans tous les sens. Cut brutal, et plan sur une fontaine dont les jets d'eau ascendants ne permettent aucun doute quant à l'idée qui a voulu être exprimée (oui, là c'est sexuel). Et c'est à peu près tout, le film s'avérant bien trop didactique pour émouvoir : il suffit de remarquer les multiples incursions de statues représentant César, ou les colonnes romaines placées un peu partout, Patton qui tourne en rond sur son cheval à la fin de la guerre ou les moulins bien trop ostensibles pour ne pas appuyer la référence à Don Quichotte, bref, ce n'est pas du subtil, c'est du panzer !

 

 

Si vous avez trois heures à perdre, vous pouvez vous jeter sur PATTON. Sinon regardez, je ne sais pas, DE BEAUX LENDEMAINS d'Atom Egoyan, ERASERHEAD de David Lynch ou RUSHMORE de Wes Anderson. Oui, c'est arbitraire. Mais c'est militaire.

 

 

Ne rompez pas tout de suite !

 

 

Vous n'aimez pas les films trop longs. Je vous comprends. C'est d'un court métrage dont je vais dire un mot maintenant, et il n'est pas signé de n'importe qui mais de Raymond Depardon, vénéré parmi les vénérés, pas forcément pour les bonnes raisons. Dans LA VIE MODERNE, les gens sont émouvants, le film l'est beaucoup moins, la faute en particulier à un montage que je ne trouve pas très bien mené et bien trop paresseux, mais dont la mise au point est très très étrange, pensez donc, à un moment il filme un couple attablé, de face, et tout est flou sauf eux ! Devant eux, derrière eux, tout est flou, sauf les corps de ces deux vieux paysans. C'est très bizarre et plutôt joli, mais c'est à peu près tout. Bref.

 

 

Non, ici le format est court, dix minutes, et la forme est minimaliste : trois plans tournés. Mais quels plans ! C'est de toute beauté, c'est à couper le souffle. D'entrée de jeu, Depardon expose en voix off ce qui fut son problème : il a essayé de montrer New York, mais la ville se dérobait sous ses pieds, elle était trop grande et trop magique pour lui, et il a décidé de ranger sa caméra et de rentrer chez lui au bout de quelques jours à peine ! Ce sera la seule voix du film, elle dure, allez quarante secondes, et c'est tout. Ca commence avec un très long travelling gauche-droite en téléférique au-dessus de New York, avec sa trajectoire non pas rectiligne mais tournante, serpentaire, avec des virages et des montées et des descentes. Il clôture son film par le même travelling, cette fois-ci dans l'autre sens, mais n'arrête pas sa caméra là où la majorité des réalisateurs l'aurait arrêté, c'est-à-dire dès que le gros de la ville a disparu, lui il nous montre le terminal du téléférique, avec sa tôle blanche, il montre l'architecture, il montre l'échafaudage du film ! L'étalonnage est absolument bouleversant, très sombre et désaturé, on ne voit rien du tout, on distingue à peine la ville, seulement grâce à ses lumières, c'est sombre et bleuté, un peu flou, un peu sale, ça ressemble un peu aux films de l'Institut Drahomira, en tout cas c'est à ça que j'ai pensé en premier. Le plan du milieu du film est un plan fixe sur une rue newyorkaise, où les gens passent sans s'arrêter, cadré très haut pour que les passants soient le plus petit possible. La sensation est merveilleuse et d'une très grande tristesse, on sent la résignation en son for intérieur, on sent la douleur et on ressent notre condition de fourmi à l'échelle de l'univers ! Depardon y a mis sa vision et sa subjectivité, et j'ai presqu'envie de dire que c'était la seule façon possible de filmer New York. J'ai aussi pensé à NOSTALGHIA, et à la façon dont Andreï Tarkovski a dépeint l'Italie, brumeuse et mélancolique, d'une tristesse insondable. Ici, c'est à peu près le même geste.

 

 

Il n'y a pas de surprise, pas de rebondissement. Pas un témoignage. Juste de l'émotion brute, comme ça, qui avait besoin d'un écrin pour se cristalliser. Je pourrais vous parler du son, simplement magnifique, mais j'en ai déjà beaucoup trop dit. Essayez de voir ce film.

 

 

 

 

LJ Ghost.

 

 

 

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Publié dans Corpus Filmi

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