ULTRA-PULPE de Bertrand Mandico (France-2018): Figurants Pour La Lune

Publié le par Nonobstant2000

[Photo: "I Know It's You" par Nonobstant2000 et Dr Devo.]

[Photo: "I Know It's You" par Nonobstant2000 et Dr Devo.]

 

Le tournage de son dernier film à peine bouclé, la réalisatrice Joy d’Amato se fait plaquer par sa dernière muse en date, que nous ne connaîtrons que par le prénom de son rôle, Apocalypse. Mais malheureusement pour cette dernière, l’artiste en a vu d’autres… peut-être bien même trop.

 

C’est en 2011 que Bertrand Mandico se fait connaître du grand-public avec le court-métrage BORO IN THE BOX, à vrai dire la partie émergée de déjà deux décennies d’expérimentations cinématographiques. En 2015, la sélection  HORMONA  (regroupant les trois courts-métrages PREHISTORIC CABINET, Y-A-T-IL-UNE VIERGE ENCORE VIVANTE ? et NOTRE-DAME DES HORMONES) fera elle aussi sensation avant que son 1er long-métrage, LES GARCONS SAUVAGES (datant de l’année dernière) ne soit auréolé de prix un peu partout à l’internationale. Hormis le fait que notre auteur puisse dores et déjà être considéré comme l’un des réalisateurs les plus prometteurs de sa génération - aux côtés tout du moins de quelqu’un comme Benoît Forgeard (évoluant certes dans un tout autre registre, mais que nous n’oublions pas) ce qui se dégage d’emblée de ce prestigieux palmarès, c’est avant tout la singularité implacable d’une démarche.

 

"Le sommeil de la raison engendre des monstres" nous disait le peintre Goya. Avec Bertrand Mandico ils ne demandent qu’à entrer et réveiller tout le monde. Ils sont même déjà là, en bas, en train de sonner à la porte. Le cinéaste se revendique de tous les intervalles, de toutes les hybridations, et déploie une galerie assez ahurissante d’organismes nouveaux, d’environnements inter-interzones, qui seront explorés ou auscultés sous toutes les coutures. N’allez cependant pas croire que là où il y a mutation il y a forcément déviance, il se pourrait peut-être (disons, quelques fois) que ce soit les conditions d’expertise qui s’avèrent en réalité le reflet de notre propre Nature - autant que le miroir de nos pulsions exacerbées - bien davantage que l’élément observé. Et cette passion manifeste pour le monstrueux se fait impunément vecteur et réceptacle de toutes les obsessions, y compris les plus hautes aspirations esthétiques. Ainsi en plus d’une certaine propension au "rapport à la matière". Il y a une fascination pour la matière elle-même dans tout le travail de Mandico, une véritable "pulsion plastique" que l’on voit s’imprimer dans chacun des éléments de sa grammaire visuelle. Il s’empare et se réapproprie résolument d’ à peu près toutes les iconographies possibles pour ensuite délivrer de multiples saynètes-tableaux qui sont autant de fantasmes picturaux que cinéphiliques - et vraiment, quel réalisateur contemporain à part lui peut venir se targuer d’avoir des costumes autant travaillés que ses décors ? Vous l’aurez sûrement déjà lu ou entendu un peu partout, on murmure que les films de Bertrand Mandico seraient dotés de la même texture que possèdent les rêves éveillés.

 

Avec ce nouveau moyen-métrage ULTRA-PULPE, le jeune réalisateur convoque cette fois-ci en terme de thématique la dynamique-même de l’acte créateur, en solo ou à plusieurs. Des relations tortueuses entre l’artiste-pygmalion délaissé(e) deux secondes à peine après la conception de sa nouvelle étoile aux comédiennes qui donneraient tout pour rester sur le devant de la scène. Mandico n’oublie personne et particulièrement ces inconnues météoriques et incandescentes finissant par se perdre dans les coulisses pour s’être justement trouvées elles-mêmes au cours de leur performance (évoquant par-là les trajectoires de certaines héroïnes de Fassbinder ou Zulawski) donnant à voir les parcours ignorés des "petites mains" (assistantes/ doublures/ figurantes) , ces anonymes porteuses de vérités que la postérité (la "Grande Faucheuse" de chaque époque) ne peut pas toujours entendre (nous y reviendrons) tandis qu’elles sont elles-mêmes occupées à surnager dans ces espaces interlopes que certaines instances se font une joie de reluquer sur grand écran, alors qu’elles ne les toléreraient peut-être pas en vrai.

 

On a souvent évoqué Léo Carax comme éventuelle "influence déterminante" à propos du dispositif narratif des films de Bertrand Mandico, car on retrouve en effet la même virtuosité discursive faisant office de liant entre tous les tableaux, tout en se distanciant non sans ironie des schémas habituels de déroulement. Le rapprochement est trompeur et bizarrement, s’inscrit toujours dans le cadre d’un "maniérisme vain" que d’aucun s’acharnent à attribuer à l’auteur. Pourtant à chaque fois que Mandico invoque un certain type de scénographie connotée, c’est aussi bien souvent (en plus de souligner sa thématique évidemment) pour convoquer les enjeux d’une certaine époque. Et si les discours peuvent paraître légers, c’est un peu à l’image des Anciens de l’Antiquité qui étaient "superficiels par profondeur". Ne vous méprenez pas, avec ULTRA-PULPE, il n’est question que d’entre-dévoration: l’auteur vis-à-vis de sa muse  (et donc, parfois réciproquement), l’auteur vis-à-vis du public - qui arrive non sans brio, à systématiquement  dénicher des apologies là où il y a des dénonciations – et enfin l’auteur vis-à-vis de l’Histoire, lorsque certaines provocations se rapprochent un peu trop d’autres coulisses, celles de la Mémoire Enfouie d’une Nation. Pensons à l’avant-dernier chapitre où un poète communique avec la Grande Muse Ultime (Nathalie Richard, ça ne s’invente pas) depuis l’Outre- Tombe, évoquant l’atmosphère quasiment crépusculaire de la fameuse pièce d’Enzo Cormann BERLIN, TON DANSEUR EST LA MORT, et où le réalisateur signe dans la foulée un très bel hommage à Jean Cocteau en orientant (magnifiquement) ("mais sans prévenir") sa syntaxe visuelle vers les terres du subliminal.

 

Le fil conducteur du récit dissipe par ailleurs toutes les méprises et vient trouver son effroyable conclusion au moment du dénouement,  au cours de la conversation entre la réalisatrice d’Amato (Elina Löwensohn) et son médium de prédilection incarné par un Mandrill aux yeux jaunes. Quand au malentendu évoqué plus haut entre l’artiste et son audience, certes générateur de beaucoup de confusion  - mais qui arrange également pas mal de monde sur le chemin, hormis peut-être ceux qui sont tombés en 1ère ligne pour la bonne véracité de la Parade - trouve lui aussi une forme de résolution au travers de l’échange entre l’artiste et sa toute dernière Muse, un peu arriviste donc, mais que justement elle avait un peu  vue venir. "Nos opinions n’iront pas sur Mars",  ritournelle qui parcoure le récit de bout en bout,  vient sceller cet étrange rapport que tout le métrage entretenait jusque-là d’avec la Postérité - un peu comme ceux qui pensent que citer René Guénon pointant fameusement à André Breton que "si ça continue il va rentrer dans les manuels d’Histoire" allait justement les dédouaner de TOUT FAIRE pour chercher à rentrer dans les manuels d’histoire.  Il y a la Passion, ainsi que l’Incarnation de la Passion, et toutes deux ne laissent pas le même genre de traces aux mêmes endroits.

 

 

Nonobstant2000.

 

 

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Publié dans Corpus Filmi

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