GOD BLESS AMERICA de Bob Goldthwait (USA 2011), BLANK CITY de Celine Dahnier (USA 2011), LES HABITANTS de Alex van Varmerdam (Hollande 1992) et BERBERIAN SOUND STUDIO de Peter Strickland (UK 2012)

Publié le par Norman Bates

 

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[Photo tirée de BERBERIAN SOUND STUDIO]

 

Si les journées précédentes avaient été décevante, si le moral n’étaient plus vraiment au rendez-vous, ce sixième jour devait sonner le glas des réjouissances, le baume revenir au cœur des focaliens esseulés et la Révélation avoir lieu. Mais commençons par le commencement.


GOD BLESS AMERICA me pose un énorme problème. Pour commencer le film s’apparente plus ou moins à des films comme KICK-ASS et SUPER, deux films que l’on n’a pas aimés à la rédaction, pour différentes raisons, je ne vais pas revenir là-dessus, y’a des artik’. GOD BLESS AMERICA est bien plus violent et intéressant dans son scénario que ses deux prédécesseurs. On pourrait presque même dire qu’il est salutaire, qu’il pose les bonnes questions tout en flinguant (et c’est le cas de le dire) les figures établies du cinéma indépendant américain. J’avais rêvé de voir un film commencer par un plan douche suivi du meurtre d’un bébé à bout portant au fusil à pompe, et le film commence comme ca ! Comment être déçu par un film qui pourrait être une sorte d’adaptation de LA CONJURATION DES IMBECILES avec un Ignatius qui passe à l’action et décide de flinguer tous ces gens qui ont sacrifié leur vie sur l’autel de la connerie ambiante, ces gens brutaux, impolis, irrespectueux, incultes qui sont vos collègues de bureaux, vos élus, vos voisins de palier...  Un homme comme un autre, employé de bureau, qui doit supporter tous les jours la télé réalité, le culte du corps, les émissions de sociétés, les débats politique, l’opinion du quidam moyen sur des sujets qui le dépasse, etc... Impossible de ne pas s’identifier au héros (interprété par le frère de Bill Murray) quand on est un focalien moyen épris de beauté et d'intelligence, et doté d’un esprit critique digne de ce nom. Sauf que le héros en question est un serial-killer aux penchants pédophiles ! C’est toi cher lecteur ! C’est moi ! C’est un mec qui n’a que de bonnes raisons parfaitement justifiées de prendre un flingue et d’aller buter son voisin qui est un con fini. Là, vous allez vous dire qu’ils ont osés faire un film qui fait l’apologie de la violence gratuite et de la pédophilie ? Et bien non malheureusement, c’est là ou le bas blesse méchamment. GOD BLESS AMERICA se voudrait une version politiquement incorrecte de SUPER ou de KICK ASS, un film dont les protagonistes décident d’aller tuer la scénariste de JUNO “car c’est une pute (sic)”, un film qui fustige la connerie ambiante et le servilisme volontaire que les sociétés occidentales ont engendrées mais n’est au final (et c’est le plus triste) qu’un pétard mouillé de plus, une comédie “cool” agrémentée de pop music dans la bande-son et de segment en animation comme dans SUPER, un gros truc indépendant ambiance sundance de plus ! On ne fait pas un film punk en répétant ad nauséam qu’on est punk ! Il n’y a rien de subversif dans GOD BLESS AMERICA, car la mise en scène est indigente, car la gamine est la même que dans JUNO, KICK ASS et SUPER, car le ton du film est celui de la comédie, que chaque fois que le malaise pourrait naitre d’une situation, il est aussitôt désamorcé par un gag ou coupé avant de devenir gênant (le montage est complètement raté ; il n’y a aucune respiration, ce qui ne permet aucune remise en question, pas le temps de réfléchir ou de digérer ce qu’il se passe). Le but du réalisateur apparait alors clairement : ne surtout pas provoquer la gêne, le spectateur est la pour rigoler. A ce moment là, toute tentatives de nuire à cette société de l’Entertainment et du plaisir permanent est réduit à néant, car le film est un pur produit de cette société. On rigole ! On n’est pas là pour se prendre la tête ! LOL ! Comment proposer un courant alternatif, un autre mode de pensée, un mouvement subversif sans avoir une esthétique propre, un langage intelligent et surtout une éthique irréprochable ? Ce n’est pas possible. Il faut incarner une différence, pas créer une nouvelle mode. Etre raisonnable, c’est ne pas avoir de raisons valables, de raisons qui nécessitent un engagement fort. Le reste c’est pour rigoler…


Et justement, on parle de subversion et de transgression, il n’y a pas de meilleure transition pour aborder BLANK CITY, un documentaire sur New York dans les années 70, quand la ville à été désertée suite à la crise, à la drogue et au grand black out. C’est à cette période que la ville est peuplée d’artistes fauchés qui s’appellent Amos Poe, Jim Jarmusch, Nick Zedd, Lydia Lunch, John Waters, John Lurie, Jean Michel Basquiat, Richard Kern, Sonic Youth ou Steve Buscemi. BLANK CITY regroupe des témoignages et des extraits de films et de musique qui ont été tournés et composées dans ce New York à moitié en ruine, rempli de squats et de drogués, vidé par le SIDA et la violence. C’est dans cette atmosphère qu’est né le courant No Wave et le cinéma de la transgression nous dit-on, et c’est parti pour faire le tour du propriétaire.

On ne parle pas beaucoup de documentaire sur Matière Focale, il y a plusieurs raisons à cela, une des plus importante est que 90% des documentaires ne sont pas mis en scène et l’autre est qu’il y a très peu de documentaires qui sortent en salle. Difficile de donner par conséquent un avis sur le fond mais aussi sur la forme, quand la forme est systématiquement pensée en terme de pédagogie ou d’information (ce qui est une fausse piste, en tout cas une piste très peu intéressante dans l’absolu) (on est plus à l’école bordel). J’ai envie de dire qu’ici c’est pareil, BLANK CITY ressemble à n’importe quel documentaire sur la musique ou sur le cinéma que vous voyez à la télé, à savoir une compilation d’interview et d’image d’époque. Pas vraiment d’intérêt donc. On peut découvrir des extraits de films très rare, ou apprendre que Nick Zedd à fait un film avec la cassette de rupture que Lydia Lunch lui avait faite, ce qui, vous en conviendrez, ne provoquera pas de remous majeur dans vos existences. Ca fait juste un peu mal au cul de voir que Kern en 75 voulait faire de l’anti-pornographie et qu’aujourd’hui il fait dans le porno-chic dans son 600 m² au cœur de New York... Sinon bah le film n’a rien de la subversion de l’époque, et les personnes interviewées sont sagement installées dans leur canapé en évoquant le bon vieux temps, sans que jamais rien dans la forme ne prenne l’audace de sortir du cadre un peu figé de l’interview souvenir. J’encourage plutôt les curieux de cette époque à regarder les films qu’ils pourront dégoter ici ou là, notamment pour se rendre compte que Jarmusch n’a pas fait que de la merde...

L’après midi s’écoulait plutôt tranquillement jusqu’a maintenant, c’est à l’heure de l’apéro que les choses sérieuses commencent, avec le subliiiime LES HABITANTS, distribué par nos potes de Ed (peut être bientôt en BCMG donc), film inclassable et difficile à résumer. Pour essayer de donner un aperçu de l’ambiance du film, je dirai que c’est un scénario proche de celui de la série TWIN PEAKS mais qui serait réalisé par Jacques Tati en Hollande. On est dans un quartier excentré d’une petite bourgade, lotissement tranquillou situé à coté d’une forêt obscure. Matez le quotidien des habitants du quartier, qu’une suite d’événement imprévus va chambouler... La caractéristique des villes hollandaises, c’est que les maisons possèdent d’immenses baies vitrées donnant sur la rue, ce qui rend la notion de vie privée un peu délicate en envisager, et donne toute sa saveur au film. En effet, ce qui se passe à l’intérieur des maisons prend vite des proportions démesurées en dehors de ces maisons, et c’est bien souvent dans la forêt que se règlent les différents et que les vices les plus inavouables s’opèrent. LES HABITANTS est d’une richesse incroyable, à l’humour constant, proche de celui de Tati, absurde et poétique et à la mise en scène sublime. Des chagrins d’enfance comme des désillusions de l’âge adulte, chaque personnage va se voir éprouvé dans ses convictions profondes, dans ce qu’il a de plus intime et alors le film se fait touchant en plus d’être drôle. Il se passe énormément de choses dans le plan et en dehors, grâce à l’utilisation d’ellipses sublimes (notamment autour du garde chasse, de sa disparition comme de son hospitalisation), de trouvailles visuelles géniales (le jeu avec les fenêtres) et d’effets spéciaux inventifs (le Saint). L’écriture n’est pas en reste, la description et l’introduction des personnages est d’une finesse et d’une concision sublime (le personnage d’Agnes qu’on voit en fin de compte très peu et qui est central dans le film), sans jamais tomber dans la “psychologie” lourdingue ou les dialogues interminables. Le film joue avec la musique et les silences comme ponctuation des drames de la vie quotidienne, on sent l’influence du muet parfois, quand tout à une signification mais que rien n’est foncièrement utile, les petits travers personnels devenant le rempart contre la normalisation sociale, comme cette forêt nécessaire et sublime où apparaissent et disparaissent les raisons de vivre, nécessaire jardin secret. On pourrait aller loin dans l’interprétation, on pourrait trouver au film milles raisons, aucune n’est vraiment importante, ce qui reste c’est les échecs de l’enfance, la nécessité de l’imagination, et le drame de son extinction. Sublime.


Et comme si ca ne suffisait pas, pour finir la journée en beauté, on finit avec un film absolument incroyable, un véritable choc de 1h30, BERBERIAN SOUND STUDIO de l’anglais Peter Strickland (qui est d’ailleurs issu de BLANK CITY, il n’y a jamais de hasard), ovni quasi impossible à décrire sur le papier qui propose au spectateur de rentrer à l’intérieur d’un film. Disons que, pour essayer de donner un petit aperçu de l’ambiance, BERBERIAN SOUND STUDIO est au giallo ce que PONTYPOOL est au film de zombie : un huis clos sidérant bourré d’idées de mises en scène. On suit l’arrivée de l’excellent Toby Jones, un ingénieur du son réputé, dans un studio italien pour lequel il sera chargé d’enregistrer la bande son d’un giallo (une histoire de sorcière équestre). Enfermé nuit et jours dans le studio, travaillant sans relâche dans une ambiance de plus en plus malsaine, Toby se met à confondre le film et la réalité. Ou peut être que ce n’est pas un film ?

A aucun moment du film on ne verra autre chose que le studio, jamais on ne verra le film en question, le fruit des travaux de Toby. On verra les responsables du studio, les secrétaires, les doubleurs ou les techniciens. Tout l’univers déployé par le film, est purement imaginaire, et fait appel au spectateur en le plaçant au cœur de la création. Le son est la pièce maitresse de la construction, c’est fascinant: je n’ai jamais entendu ça au cinéma auparavant ! Le travail sur le son est tout simplement prodigieux, c’est 75% de la mise en scène, et c’est pour cela que je doute que le film soit visible dans d’autres conditions que dans une salle avec du matériel sonore digne de ce nom. Pour autant le film ne lésine pas sur les images, et le jeu de lumière est un superbe hommage au baroque du Giallo, avec les couleurs vives qui ont fait la grandeur du cinéma d’Argento par exemple. Tout est pensé comme un giallo dans la construction et la forme, alors que le fond n’a basiquement rien à voir (le travail dans un studio de doublage). Par conséquent la peur, l’angoisse, toutes les émotions sont des constructions factices, un jeu sur la représentation. Aujourd’hui on parle de 3D, d’effets spéciaux, de technologies de pointe, mais Strickland montre qu’avec un décor et le strict nécessaire pour faire du cinéma, à savoir une caméra, des acteurs, le nécessaire pour la prise de son et le montage le spectateur va être pris en étau, enfermé dans un studio effrayant et condamné à imaginer le pire. En le plaçant au cœur du dispositif de création, en montrant l’abnégation nécessaire à la création et sa nécessaire solitude, Strickland prend le pari de rendre le spectateur aveugle pour mieux lui faire voir à quel point la perception que l’on a du cinéma est une projection intérieure, que le vrai film se situe dans la tête. Train fantôme dans la mémoire et les souvenirs, plaidoyer pour l’imagination et le cinéma de genre, BERBERIAN... déroule dans un baroque giallesque une atmosphère onirique inquiétante, fait jaillir la peur des visages, cache des tueurs dans l’obscurité et substitue aux hurlements des femmes les bruits de la nuit. Tout est là et pourtant à l’image il n’y a rien, pas de grandes maisons italiennes en ruine, pas de messes noires au cœur de manoirs inquiétants, pas de forêts grinçantes ou de cadavres dépeucés. Le cinéma est une incantation magique jouant sur les peurs primales, une fresque baroque pleine de têtes coupées et de femmes en robe noire hurlant au fond des nuits sans lune. Le cinéma est une magie, jouer avec c’est de la sorcellerie. Aller trop loin, défier la sorcière, substituer à sa propre vie la création, faire passer avant l’individu son travail, c’est le risque du métier. Toby en fera les frais, dans un final émouvant ou il rejoint l’écran, condamné à revivre dans les bobines pour l’éternité.  Loin d’être un exercice de style, BERBERIAN est bourré d’humour, baroque à souhait, fou et sensoriel plus que narratif, certes, mais qui, si on accepte le voyage, vous fera découvrir bien plus que de simples images macabres...

Dans BERBERIAN SOUND STUDIO on ne voit jamais le projectionniste, ni même ce qu’il projette.

 




Norman Bates.

 

 

 

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Publié dans Corpus Filmi

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R
<br /> On n'a pas vu le même film ("God Bless America". Le personnage principal se livre très clairement à un réquisitoire contre la provocation dans l'art, et en particulier l'usage qui y est fait des<br /> jeunes filles nubiles ("Fuck Vladimir Nabokov"). D'après moi, le film est beaucoup plus subtil que vous ne le pensez.<br />
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