INLAND EMPIRE, de David Lynch (USA/Pologne/France-2006) : La Fin Absolue de l'Immonde

Publié le par Dr Devo

[Photo : "Rien n'ira Plus" par Dr Devo d'après une photo de TWIN PEAKS (FIRE WALK WITH ME) de David Lynch]

 

Splendeurs et Misère de l'Occident ont toujours fait bon ménage. Je me revois encore dans le salon de la Comtesse pour ces énièmes discussions mondaines à n’en plus finir, où j’étais invité, un peu malgré moi, pour donner la météo non pas du bon goût, mais de la "tendance". Si tant est qu'il y ait une différence. En échange, je pouvais rafler les petits fours !

Comme on ne sait pas où se passe l’histoire, elle peut tout à fait bien prendre place dans un hôtel, à équidistance entre chez Nous et chez Nous. Puisqu’on ne sait pas très bien ce qu’il est advenu de notre héroïne, elle peut avoir disparu dans cet hôtel. Pour la retrouver, construisons-le.
(Quelques mois plus tard).
Il est tard. Dans une chambre d’hôtel, notre hôtel donc, celui à équidistance de chez Nous et chez Nous, dans une très luxueuse chambre (si, si), une femme regarde la télé. Il est déjà très tard. Un film démarre vaguement.
Une vieille dame, nouvelle dans le quartier, fait le tour de ses voisins afin de se présenter. Elle arrive dans la luxueuse demeure de Laura Dern, qui est actrice. La vieille dame (Grace Zabriskie) se révèle excentrique et prononce des histoires inquiétantes où il s’agira, dans une autre histoire notamment (mais avec Laura Dern, suivez un peu !), de meurtre. Non, ça, ce n’est pas terrible, on recommence. Il s’agit d’une actrice, Laura Dern, qui accepte un rôle important avec un acteur coté. À leur propre détriment, le réalisateur, l’acteur principal et sa partenaire Laura Dern apprennent que le film qu’ils sont sur le point de tourner n’est pas un script original mais un remake en quelque sorte. Le tournage de ce script a déjà eu lieu il y a quelques années, mais fut interrompu. Et on raconte que l’acteur et l’actrice qui devaient jouer les deux principaux rôles seraient morts ! Le scénario serait maudit…
Non, pas du tout. C’est un soap-opera rigolo et acide.
Non. Années 40, en Pologne. Une jeune femme fort belle, dévorée par la jalousie constante de son mari (un peu comme dans le script dont Laura Dern tourne le remake, dans le film précédent) sombre de plus en plus dans la dépression, et suite à une altercation à l’issue de laquelle son mari la frappe violemment, elle décide dans un geste autodestructeur de tapiner avec les prostituées près du Parc.
USA de nos jours. Une femme raconte à un homme mystérieux (son psychanalyste ?) une série de récits glauques et sentimentaux où elle apparaît, elle, ainsi que des gens de sa connaissance. Ces histoires révèlent sa nature violente, toujours sur la défensive qui…
Ça se passe de nos jours dans un talk-show populaire et à l’humour acide (où les répliques de l’animateur sont écrites à l’avance, contrairement à ce qu’on nous a dit au Festival de Venise). Un couple d’acteurs (Justin Theroux et Laura Dern) est en pleine promo pour leur prochain film dont le tournage débute bientôt. La conversation de cette émission de cinéma tourne autour de leur (virtuelle) idylle (possiblement) naissante. Curieusement, c’est une sorte de France Roche qui présente. (Comme toujours chez Lynch, Ang Lee n’est pas loin, dans les coulisses, et se cache toujours un peu sous France Roche, comme vous le savez bien si vous lisez régulièrement ce site).
Non. En fait, il s’agit d’une émission de télé-réalité où une dizaine de jeunes femmes sont enfermées dans un appartement. Petit à petit, l’ambiance se dégrade jusqu’à ce que, quelquefois, le désespoir, et plus souvent encore l’ennui envahissent tout, avec leur cortège de spleens divers. La production organise des jeux afin de les distraire. C’est à ce moment précis que Laura Dern, participante au jeu, se remémore une histoire…
Europe, de nos jours. M6 rediffuse en pleine nuit un des téléfilms qu’elle diffusait autrefois l’après-midi pour la ménagère esseulée. Il s’agit cette fois d’une femme (Laura Dern), un peu laissée de côté par son mari éteint, qui apprend lors d’une petite fête dans le jardin que ce dernier (son mari, suivez un peu !) préfère la quitter pour rejoindre une troupe de cirque… Enceinte et abandonnée, elle décide de s’avorter toute seule avec une aiguille à tricoter…
Un nain (joué par un acteur de taille normale et rappelant vaguement Michael Anderson) dirige une troupe de cirque itinérante. Son fameux numéro d’hypnotisme fascine les foules (il hypnotise tous les spectateurs en même temps !). La troupe tombe dans le désarroi le plus total lorsqu’elle apprend sa disparition. Ils se mettent à sa recherche…
Un célèbre réalisateur américain dénonce dans un documentaire très pointu la fascination du public et des artistes pour l’artisanat qui lui semble être très clairement l’ennemi de l’Art, du moins de nos jours. À travers l’exemple des saltimbanques et des artistes de rue, il montre grâce à un dispositif de tournage précis mais léger que l’esthétique n’est pas affaire de savoir-faire et de Beau, mais de recherche et d'expérimentation du support. Il montre que la Beauté Classique est une théorie propagée par les Ministères de la Culture et les artistes de rue (comme par hasard !), contre lesquels il s’engage de manière féroce. Il propose au long de son enquête une contre-proposition esthétique, déclarant notamment que la télévision est la forme d’art audiovisuelle la plus aboutie. Il déclenche la colère de quelques-uns. Une des actrices de son dernier film est alors abattue en pleine rue par une détraquée (une artiste de rue ?) qui ne supporte pas de tels propos et trouve que c’est inacceptable. Très vite, la communauté de ses ex-fans se lie contre lui et crie au scandale, tandis que, paradoxalement, une nouvelle frange du public qui ne connaissait pas du tout son œuvre se met à adorer ce documentaire complexe. Avec son brûlot, le cinéaste devient paradoxalement à la mode.
De nos jours. Dans cette comédie acide, un artiste décide, à la demande de ses producteurs, de reproduire un remake caché de son dernier film qui a bien marché. En route, il s’aperçoit qu’il fait un remake de tous ses films ou presque, en un seul ! Il décide de pousser plus loin l’humour splastick en chargeant la mule au maximum, et en s’arrangeant pour que son film soit le plus représentatif possible de son œuvre complète (dont il reprend tous les symboles les plus visibles et les plus grossiers, mais détachés bien sûr de leur contexte de signification, c'est-à-dire du film original). En même temps, il propose dans sa mise en scène tout ce que le public, y compris le sien, déteste. Curieusement, l’accueil est très favorable, et les fans de plus en plus nombreux décident que c’est là son meilleur film. Le réalisateur rit, reprend deux fois de la viande en apprenant la nouvelle, et en vient à la conclusion magistrale selon laquelle "on a toujours du succès ou de l’insuccès pour de mauvaises raisons". Dans un rire, et pendant le dessert, il décide de prendre sa retraite. Il reçoit dans la minute un coup de fil de ses producteurs qui exigent par contrat qu’il réalise tout de suite la suite son film…
Dans une émission de télévision, des jeunes filles fort jolies (ce sont des spectatrices qui se sont inscrites sur Internet) boivent des cocktails près de l’immense piscine d’un grand hôtel de Floride. On passe alors sur des gros haut-parleurs des tubes du moment et les jeunes filles se mettent à danser en bikini sur le bord de la piscine ou même dedans, à condition qu’elles aient pied.
Dans ce documentaire, le célèbre réalisateur américain évoque les pressions du métier, le niveau déplorable des exigences de stars, qu’il oppose à une vision triste et sans appel des quelques actrices géniales avec lesquelles il a pu travailler, et qui depuis n’ont rien fait du tout. Il décide que le cinéma n’a pas commencé encore, malgré ce que l’on a dit, notamment lors du centenaire, en 1996. Pour lui, le cinéma ne sert qu’à broyer le talent et notamment ces actrices. Curieusement, puisque ceci est un documentaire, il demande à Nastassja Kinski de jouer le rôle de son actrice fétiche, qui a refusé d’apparaître dans cette enquête. Lassé finalement par les conclusions de son propre film en train de se faire, le réalisateur décide d’organiser un karaoké géant pour la télé, où seraient rejouées les plus grandes scènes de ses films. Il décide de refaire un remake en court-métrage de son meilleur film, réalisé il y a quinze ans, pendant l’émission de karaoké, en refaisant à l’identique (un peu comme Gus Van Sant dans PSYCHO) cet ancien film. Le résultat, parfaitement grotesque, est un énorme succès.

Dans une suite de l’hôtel George V, un distributeur-producteur indépendant mais fortuné décide de sortir enfin le premier long-métrage de Jean-Christophe Sanchez : KILOMÈTRE, sous-titré "the distance between you and it".

Au Danemark, un réalisateur en milieu de carrière se dit que ça y est, il s’est enfin décidé à comprendre et à faire comme lui. Il prend son téléphone…
 
France, de nos jours. Un jeune critique drôle et visionnaire se rend compte que la scène la plus importante de toute l’œuvre de David Lynch est celle de TWIN PEAKS (FIRE WALK WITH ME) où les deux agents du FBI regardent la femme en robe rouge danser dans un mouvement grotesque. Dans cette seule scène (et son explication), il lui semble que le but ultime et unique du réalisateur est représenté avec force, et contient toute son oeuvre.  Il comprend alors que le public s’est largement fourvoyé, aidé en cela par la promotion et l’organisation du DVD de MULHOLLAND DRIVE dont la présentation, pourtant de David Lynch (c’est ce que dit la légende), induit l’idée désastreuse d’un parcours initiatique qui relève de l’artisanat. Il comprend alors que la population cinéphile est une sorte d’Église de l’Image (ce qui est d’ailleurs le titre d’un de ses courts-métrages), une sorte de secte où les membres interchangeables veulent des rites d’initiation, et devenir un des gardiens du système ésotérique qui prévaut dans la secte. Pour ce faire, ils mettent en place un strict système hiérarchique, basé sur le système de classement franc-maçon.

USA, chez Nous, de nos jours, en France. Une jeune femme crie dans une salle de cinéma quand elle s’aperçoit que le réalisateur fait un fondu enchaîné.
France de nos jours, un jeune critique drôle et iconoclaste dit du film à propos duquel il est en train d’écrire : « 1.85. Tournage en vidéo, puis kinescopage assez brut. Echelle et axes issus de la télévision (notamment gros plans). Récit gigogne et annulatoire (si je veux), un peu à la Robbe-Grillet. Bien préciser que le film est un comédie. Le plus beau geste et le plus proche du réalisateur est celui du dernier plan de Julia Ormond (la vraie révélation du film, choisie grâce à sa prestation dans BABY OF MACON de Peter Greenaway). Parler de film-testament, ce qui ne fera rire que moi, mais bon, il faut bien se faire plaisir. Gros grain. Tonalités proches de KILOMÈTRE parfois, malheureusement en moins heurté. Quelques points de montage très beaux, dont des coupes au son. Jeremy Irons utilisé comme chez Lelouch, c’est intéressant (à développer). [Se demander si dans la charte Devo de la critique il faut inclure un point qui dise qu’il est interdit de donner son avis sur le film de manière autre qu’artistique, c'est-à-dire littéraire.] Le film porte le deuil amer de Sheryl Lee comme KILOMÈTRE portait le deuil de C.Jérôme. Insister sur la grande vulgarité de l’ensemble. Insister : c’est une comédie. Le pathétique de l’ensemble est une façade. L’actrice regarde le personnage. Le réalisateur regarde ses films. Mais surtout, insister sur le 1.85 et sur le beau point du film : le jardin pour le barbecue est exactement à équidistance de l’Amérique et de l’Europe. C’est là que j’ai construit l’hôtel. Le reste est moins important. C’est le jardin, le plus important. Insister sur l’extrême putasserie autodestructrice du film, notamment le générique. La caméra est quelquefois en mode automatique, en point automatique et c'est le plus beau. Dire que c’est un gros doigt aux spectateurs ! Dire que c’est une lecture marxiste du cinéma, et que le message est : "Tout est dans tout. Et réciproquement". Comme le film finir sur quelque chose de graveleux et vulgaire. Rajouter un mot en PS pour dire que c’est un cours sur les axes et le contrechamp (et sur l’annulation de ce dernier par le zapping).

Dans un hôtel. Dans une très luxueuse chambre (si, si), une femme regarde la télé. Il est déjà très tard. Un film démarre vaguement. Elle n’arrête pas de zapper et s’aperçoit avec horreur que tout l’émeut aux larmes. Elle n’arrête pas de zapper, toute la nuit. Un film démarre vaguement. Elle s’aperçoit que le cinéma a le cancer.

INLAND EMPIRE est le film le plus important depuis LES CENTS ET UNE NUIT DE SIMON CINEMA de Agnès Varda.

Dr Devo.
 

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Publié dans Corpus Filmi

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D
La saison 2 arrive à l fin de cette anné ou au ddébut de l'anné prochaine et à un prix tout à fait exorbitant!Dr DEvo
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L
Les VHS éditées à l'époque par Sony étaient d'une qualité franchement désastreuse, le son étant étouffé, les dialogues parfois à peine audibles. Le DVD semble avoir corrigé le tir, c'est une excellente nouvelle. Espérons maitenant que la saison 2 ne se fera pas trop longtemps attendre !
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N
Bon, il ne me reste plus qu'a investir...
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D
J'ai vu le pilote dans la version coffret, et... ça fait drole! L'image parait tres bien (je lai vu sur un ecran tres grand, ce ui doit un peu enlaidir l'image), et le son... LE SON! C'est le jour et la nuit, on retrouve les sons originaux absents de la VF, et c'est tellement bizarre d'avoir un son si propre après des anénes avec ce son LA 5éme et sa soufflerie industrielle, encore détériorée sur les vhs. Si tu as connu le son VHS, ça va te faire très drole! Et c'est un enorme plaisir!Dr Devo
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N
Ca n'a pas vraiment de rapport, mais est ce que l'un de vous a mis la main sur le coffret DVD de Twin Peaks qui sort en ce moment ? Si oui, est ce que ca vaut le coup, niveau qualité d'image et du son ?
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