7 ANS, de Jean-Pascal Hattu (France-2006) : Prison Berck (C'est le Touquet !)
[Photo : "Le syndrome Guy Degrenne" par Dr Devo]
Chers Focaliens,
On continue le voyage... Tranquillement, en se disant que demain, le monde enchanté de nos rêves sera peut-être à notre portée.
Valérie Donzelli est une jeune femme mariée à un homme, Bruno Todeschini, qui purge une peine de prison de 7 ans. La vie se déroule tranquillement. Elle s'occupe du fils d'une amie, qui est pour elle presque son propre fils, et ce qui lui permet de se faire un peu d'argent. Sinon, les semaines sont ponctuées par les visites hebdomadaires au parloir. Là, sous la surveillance quasi-constante des gardiens, elle se recueille un peu avec son mari, à qui elle ramène du linge propre et récupère son linge sale. Les deux sont fortement liés. Malgré ce qu'on lui dit ici et là, Donzelli attend patiemment la sortie de son mari et se refuse à "prendre un amant" comme on le lui conseille. Puis un jour, à la sortie d'un parloir, elle se fait aborder par un jeune homme, Cyril Troley, qu’elle ne connaît ni d'Eve ni d'Adam, et qui prétend avoir là un frère qui purge également une peine. Quelques jours plus tard, à l'issue d'un autre parloir, Valérie et Cyril entament une vague liaison sexuelle, à la vite, dans la voiture du jeune homme. Une liaison froide et déroutante s'engage...
7 ANS est le premier long-métrage de Jean-Pascal Hattu, réalisateur ayant œuvré de nombreuses années pour le magazine télévisé de bon aloi STRIP-TEASE... Il est ici, évidemment, question de la prison et de ses rapports avec, peut-être pas la sexualité, mais au moins la conjugalité. Et dans un dispositif plutôt inattendu. La prison elle-même est représentée au minimum, dans des décors qui sont tout sauf hollywoodiens, d'accord, mais qui semblent même chercher à se faire plus que discrets dans le sens où chaque plan dans la prison elle-même se limite au minimum signifiant dans les décors, mais aussi dans les cadrages et les échelles de plans. C'est une vision rêche, basée sur l'ellipse ou plutôt sur l'évocation, qui semble l'option choisie. Voilà qui influence directement les personnages qui seront montrés sur le même mode quasiment : par moments courts, sans vraiment de justification, au moins au départ. L’ambiance est froide et sèche comme un coup de trique. Il fait froid, et c'est l'hiver de la société et des cœurs en quelque sorte. Le jeu des acteurs semble plus ou moins suivre la même tendance. On n'est pas du tout chez Bresson, mais on sent bien qu'on essaye ici d'atteindre une certaine forme d'épure.
Le film se déroule et semble laisser la part belle aux "petits symboles" qui en disent long : parfum sur les vêtements, choix des tenues de parloir (sexy dans un premier temps puis cols roulés par la suite..), reniflage des odeurs, omniprésence des petits sons qui viennent à peine troubler le silence, scène chez les pompiers, etc. Une fois ce symbolisme direct et sans chichi, en quelque sorte, mis en place, l'intrigue peut alors se déployer dans un sens moins ordinaire. La réalité documentaire stricte cédant le pas sur quelque chose de plus tordu qui, dans ce contexte, atteindrait presque des allures de surenchère fantastique (je grossis le trait). Les sentiments se troublent, les choses sont moins lisses. L'ambiance ne se réchauffera pas, bien au contraire. Les malaises sont palpables. On étouffe à l'intérieur comme à l'extérieur. Les solitudes finissent par se superposer et se découvrir les unes les autres. Et c'est pas joli-joli... Rien n'est bien, tout se dégrade au ralenti. La prison est un trou, une absence qui parcourt tout...
Voilà ce à quoi on pense pendant le film, voilà ce à quoi le film aspire. 7 ANS commence lentement et semble même être un film d’une langueur assez difficile et douloureuse. Voilà pour ce qui est des intentions, clairement affichées.
Malheureusement, l’expérience sur le terrain est tout autre. Bien loin du film en mode mineur sur l’expression des sentiments qu’on voudrait ici feutrés et non-dits, 7 ANS échoue douloureusement sur le simple plan pratique et cinématographique. À force d’épure dans les détails scénaristiques, les personnages et les événements, forcément trop chargés de silence, en deviendraient presque symboliques là où le but semble d’incarner une expérience lambda. La sécheresse non pas des justifications (ça, je suis vraiment pour) mais des éléments signifiants est telle qu’au moindre événement, celui-ci prend de dantesques proportions, forcément. Et en général, ces événements sont d’une grande banalité ou d’une grande prévisibilité. On imagine par exemple le réalisateur très documenté. Mais à l’écran sont exploitées bien souvent des idées qu’on aurait pu trouver tranquillement à sa table de travail (peut-être avec une voie d’expression différente, ceci dit). Ainsi, c’est le complexe documentaire qui s’installe : peut-être tout cela est-il nourri au sein du Réel, en tout cas, à l’écran, ça n’a strictement aucune importance. Il aurait pu être intéressant d’ailleurs de confronter la situation des personnages, un peu "énorme" et extraordinaire, même dans le contexte carcéral, à des éléments effectivement issus du Réel, et obtenir quelque chose d’alors intrinsèquement baroque.
De toute façon, le film chute spectaculairement dans sa simple expression cinématographique. Rien n’est vraiment possible. Je me souviens lors de ma critique du film AVRIL il y a quelques mois avoir été assez conciliant avec le film qui me semblait quand même attendu dans l’expression esthétique et scénaristique, ça et là du moins. Il n’empêche que dans 7 ANS c’est par exemple, à peu près, le contraire du point de vue strictement cinématographique (les deux sujets n’ont bien sûr rien à voir). 7 ANS est à peu près décevant sur tous les plans. La photo est très grisouille, avec de grandes nuances marronâtres certes, mais sans expression. Elle induit dans le film un net sentiment de malaise que je pense être largement plus cinématographique que véritablement esthétique. La faute sans doute à un cadre médiocre, souvent laid au possible (la scène du bal des pompiers qui cumule énormément de défauts du film, également sur le plan scénaristique), ou alors à la simplicité presque naïve (Valérie Donzelli qui mange un yaourt seule chez elle, Donzelli allongée et offerte sur son lit devant son amant dont on voit les jambes et le caleçon à l’arrière-plan, ce qui donnera l’affiche du film), et encore une fois bien trop symbolique. De ces deux points de vue, photo et cadre, le film est déjà bien triste, mais malheureusement, le montage n’arrange rien. Il est quasiment strictement illustratif, et bien sûr, n’exprime pas grand-chose en dehors du jeu des acteurs, ce qui est assez normal car il n’existe pas de jeu d’échelle de plans, quasiment aucun jeu d’axe. Hattu n’a dans ces conditions qu’une chose à faire : couper le dialogue. La spatialisation est quasiment impossible, du moins en intérieur. Le rythme du montage lui-même est aussi un des grands vecteurs de malaise du film : rien ne surgit, la plaine est morne. Aucune saillie, aucun décrochage si l’on omet l’apparition d’une chanson de Daho (le fameux lieu commun de la chanson populaire en art-et-essai, que je dénonçais déjà dans mon article sur AVRIL) et une bien maigre et ultra-symbolique scène onirique (qui démarre pourtant comme une espèce d'utopie d'espace conjugal carcéral). C’est une langueur certes, mais plate.
Le dernier clou est enfoncé avec les acteurs. Valérie Donzelli m’avait laissé une plutôt bonne impression dans le film MARTHA MARTHA, plutôt intriguant (avec un petit Klaus Kinski de 6 ans, brrr….). Ici, ça passe sur le mode mutique et renfermé. Sur toutes les autres nuances (douceur, décontraction, certaines scènes de colère), on la sent bizarrement beaucoup moins à l’aise, engoncée peut-être dans quelque chose de plus attendu. Là aussi, par défaut d’un certain lyrisme, fût-il noir, ça ne décolle pas. Quant à Bruno Todeschini et Cyril Troley, je ne sais pas comment dire. Je pense que leur rôle ne leur offre qu’une seule possibilité : l’expression monotone, dans le sens où c’est souvent la même tonalité de jeu qui est utilisée, ce qui finit, bizarrement par rapprocher le jeu des acteurs (en général) dans ce film, du mode bipolaire qu’on retrouve par exemple dans les blockbusters : un monde éteint/allumé, déchiré/triste, jour/nuit, doux/furieux… C’est je crois ce que Hattu a absolument cherché à éviter. Mais dans un spectre de nuances générales plus feutrées et volontairement moins étendues, moins exagérées ici, on rejoint par une autre bande un même résultat, ou plutôt un même mode de courant alternatif du jeu. C’est aussi un des points les plus douloureux pour le film : l’épure, et Hattu a pris ce risque après tout (on peut le lui reconnaître), devient désincarnation complète et concept ambulatoire si le jeu des acteurs n’est pas vraiment efficient. Todeschini et Troley n’arrivent jamais à incarner les enjeux de toute façon diaphanes de leurs personnages respectifs. Et malheureusement la boucle se boucle.
Le dernier clou est enfoncé avec les acteurs. Valérie Donzelli m’avait laissé une plutôt bonne impression dans le film MARTHA MARTHA, plutôt intriguant (avec un petit Klaus Kinski de 6 ans, brrr….). Ici, ça passe sur le mode mutique et renfermé. Sur toutes les autres nuances (douceur, décontraction, certaines scènes de colère), on la sent bizarrement beaucoup moins à l’aise, engoncée peut-être dans quelque chose de plus attendu. Là aussi, par défaut d’un certain lyrisme, fût-il noir, ça ne décolle pas. Quant à Bruno Todeschini et Cyril Troley, je ne sais pas comment dire. Je pense que leur rôle ne leur offre qu’une seule possibilité : l’expression monotone, dans le sens où c’est souvent la même tonalité de jeu qui est utilisée, ce qui finit, bizarrement par rapprocher le jeu des acteurs (en général) dans ce film, du mode bipolaire qu’on retrouve par exemple dans les blockbusters : un monde éteint/allumé, déchiré/triste, jour/nuit, doux/furieux… C’est je crois ce que Hattu a absolument cherché à éviter. Mais dans un spectre de nuances générales plus feutrées et volontairement moins étendues, moins exagérées ici, on rejoint par une autre bande un même résultat, ou plutôt un même mode de courant alternatif du jeu. C’est aussi un des points les plus douloureux pour le film : l’épure, et Hattu a pris ce risque après tout (on peut le lui reconnaître), devient désincarnation complète et concept ambulatoire si le jeu des acteurs n’est pas vraiment efficient. Todeschini et Troley n’arrivent jamais à incarner les enjeux de toute façon diaphanes de leurs personnages respectifs. Et malheureusement la boucle se boucle.
L’absence d’expression, et peut-être de point de vue lyrique, de 7 ANS n’est pas forcément liée d’avantage à tel ou tel poste de l’expression cinématographique, mais à l’ensemble des leviers de mise en scène, de la photo aux acteurs. La seule chose qui paraisse plus expressive est (de peu) le son, assez narratif mais plutôt bien mixé, et qui assure quelques transitions, voire de légers décalages qui font office, dans le contexte, de véritables bouées d’oxygène. Construire un film fragile est toujours une expérience délicate et passionnante. Malgré tout, quelle que soit l’ampleur de la réussite ou non, on voit bien mal ici ce qu’aurait pu être le projet réussi. L’ensemble parait maladroit et semble résulter de choix plutôt conscients. Qu’importe. Ce n’est pas toujours facile de faire un article. Quelquefois, on peut être bien estomaqué de la façon dont tel ou tel film utilise l’expression cinématographique de manière naïve, manipulatrice ou grossière. Et parfois, malgré toute notre bonne volonté, rien à faire, il n’y a rien qui va. C’est le cas de 7 ANS, dont il est triste de constater l’échec sur tous les tableaux. Le film finit par être, en plus d’une expression artistique plate, d’un anonymat étonnant, d’autant plus étonnant que Hattu est un des réalisateurs de STRIP-TEASE, émission très personnelle, dont il semble que chaque réalisateur n’en fait qu’à sa tête. Ce qui est étonnant n’est pas que Hattu fasse autre chose que du STRIP-TEASE justement, mais qu’il nous propose un film si anonyme. 7 ANS est une expérience de cinéma qui est assez triste. Et qui pose, à mon avis, la question de la production : car au-delà de tel ou tel défaut du film, il m’est impossible de seulement imaginer ce qui peut pousser dans un premier temps à aider un projet si ténu, et dont les contours cinématographiques sont si minces (et ça doit être encore plus vrai sur le papier, en lisant le scénario !). Quels sont les éléments concrets qui poussent à financer ce film plutôt qu’un autre, et encore plus, comment considère-t-on l’expression possible de la future mise en scène. En un mot, quels sont les critères de lecture et de choix de tels producteurs ? L’histoire ? Le C.V. du réalisant ? Il y a là un énorme mystère. Et c’est vraiment là le plus triste. Et sur ce dernier point, je trouve ça presque énervant, chose que le film n’est pas d’ailleurs. C’est triste.
Le film sort le 21 février prochain, en France.
Déceptivement Vôtre,
Dr Devo.
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