L'AUTRE RIVE de ROBERT GORDON GREEN: Le Syndrome du Papier qui Colle au Bonbon

Publié le par Dr Devo

Française, Français,

 

Ouvrons le bal des films de l'année 2005 vus en salle. Il est jeune, il n’est pas connu en France, il s'appelle Robert Gordon Green. Et je voulais aller jeter un oeil à "L'Autre Rive", son dernier film, sorti ce mercredi, car Green doit réaliser (ou devait réaliser selon le journal Libération), l'adaptation de la "Conspiration des Imbéciles", le livre chouettement culte de John Kennedy Toole sur un scénario de Steven Soderbergh, qui ferait bien d'ailleurs de tourner lui-même de beaux projets ambitieux et risqués comme celui-là, au lieu de nous balancer des oeuvrettes sans âme. Or donc, il se trouve que je viens de lire ce bouquin-là (tiens, un petit jeanclaudebrialisme, ça faisait longtemps).

 

L'année commence bien. Sublime séquence d'introduction en campagne verte sous ciel dense et été légèrement orageux. Un jeune homme, Josh Brolin, le petit acteur  énervant de l'infâme "Billy Elliot" qui a heureusement grandi (...et qui a eu de la chance que je n'ai pas repéré son nom avant la séance, sans quoi...), embrasse sa petit copine. Il a 17 ans et elle, elle est un peu plus jeune. Elle a le temps de prononcer une phrase crypto-mystérieuse (quelque chose du genre: "Donne-moi ton couteau pour que je puisse graver ton front"), et les images déboulent à toutes vitesse. Un baiser. Puis le même Josh Brolin, devant une luxueuse propriété. Il lance un caillou à une fenêtre. L'image se répète, puis l'image se répète encore, puis encore avec un autre gamme de couleur, puis encore avec un zoom dans l'image en post-production (zoom effectué au montage en agrandissant un détail de l'image, ce qui donne une image plus sombre avec beaucoup de grain). Dernière répétition de cette pierre lancée mais cette fois en négatif. Plan suivant : sa copine, enfermée dans sa chambre devant le carreau cassé, l'air triste. Le père de la jeune fille sort de la maison. Josh Brolin se met à courir. Le père a deux revolvers, style guerre de Sécession, il tire en l'air, et se met en chasse du jeune homme en proférant des menaces. La musique de Philip Glass déboule, légèrement sous-mixée, comme le reste d'ailleurs. S'ensuit la poursuite. Sons gentiment décalés, travelling assez ample, arrivée de voitures de police, arrêts sur image, changement d'étalonnage... Ça décape. Le jeune garçon passe entre les maisons, fait un crochet par la forêt, puis monte, toujours poursuivi par le père de sa copine, sur le toit d'un garage, saute... Et se plante le pied sur une planche dont le clou dépasse. Du coup, c'est son pied que le clou dépasse. Josh trouve quand même l'énergie de tordre le clou (pour pas que la planche bouge) et continue son échappée la planche à un pieds et sautillant de l'autre. Brutalement, en pleine poursuite, arrêt du son et de l'image et carton avec le titre original du film (Undertow) qui apparaît. On est à bout de souffle face à cette pose. La figure assez douloureuse même pour le spectateur devant le début de crucifixion. Belle musique, montage alerte, fantaisie dans le découpage et dans le son. Ça démarre très très fort.

 

Malheureusement, tout se calme très vite. Les séquences à suivre présentent gentiment les personnages. Un père, Josh Brolin (qui s'en tire pas mal d'ailleurs), et le petit frère au comportement alimentaire étrange, bien amené (mais sans conséquence). Famille de gentils ploucs éleveurs de cochon. On se demande bien si on aura l'argent pour faire soigner le petit. Il fait chaud. C'est le sud des USA. Les vêtements sont moites et à quoi bon se raser. Famille isolée aussi dans cette maison gentiment crasse. La maman est morte, apprend-on, et le père contemple toujours le tableau des jours plus heureux où toute la petite famille avait posé pendant deux jours et deux nuits. Mark Twain. Carson Mac Cullers. Et sans doute aussi, les premiers Terence Malick, par ailleurs ici producteur. Sans aucun doute, on dirait le Sud. L'oncle sorti de prison, avec son faux air de Benoit Poelvoorde, en plus musclé quand même, c'est le sud, débarque dans la maisonnée. Il a besoin de ce deuxième acte dont parlait Tennesse Williams (tu la sens la sueur, camarade?). Il a besoin de se refaire. On l'héberge et on pardonne les passés réciproques. Puis, drame, puis fugue des gamins. Feu de bois, couple de noirs stériles et hospitaliers, remplis de bonnes intentions, rivières, course vers le train de marchandise, de nuit, qui nous mènera dans une autre ville et une autre journée.

 

Et alors, est-ce grave? Et bien non, loin de là. Toute la populace joue tranquillement. On a bien repéré les lieux les plus gentiment délabrés. On croise même une très bonne caissière de station-service, grande actrice malgré son rôle de semi-débile mentale, un peu limite. Leigh Hill, que c'est son nom. La révélation du film, dont je ne sais rien, sinon qu'elle a joué dans un film inconnu au titre superbe: "Ghost of Needle" (quelle titre! c'est sublime). Rien de grave. Champ, contre-champ, échelle de plans réduite. De temps en temps un cadrage maladroit. Finis les sons décalés ou les sons off. On déroule l'histoire, et on laisse la place aux acteurs. De toute façon, le drame est lancé. Et il fait si chaud. J'irais bien me baigner en slip dans la rivière. Après, on ira chiper des marshmallows dans le drugstore pourri, parce qu'on n'a pas de sous. Emballé, c'est pesé.

 

Pas infâmant tout ça, loin de là, mais quand même gentiment ennuyeux. Le syndrome MAGNOLIA frappe encore. Une très belle intro, très iconoclaste, après la roue libre tranquillement. On suit simplement son sillon de film indépendant sudiste qui serpente jusqu'à Sundance. L'avantage de Magnolia, c'est sa production de major, et donc la permission d'être un peu plus baroque. Mais curieusement, les mêmes effets sont là. Et les mêmes questions, essentiellement, de savoir pourquoi s'être cassé la tête pour construire une si puissante introduction et ne rien faire de transcendant ensuite. Classique, classique, classique et grosse contradiction. J’ai l'impression de m'être fait gentiment avoir. Mais, en même temps, ils sont pauvres dans le Sud. C'est bien de les aider.

 

On retrouve le froid à l'extérieur de la salle. Remonte ton cache-nez. Souviens-toi... Au début du film, un carton annonçait que tout cela était tiré d'une histoire vraie, et était basé sur les témoignages "des survivants" et de la "police". On avait oublié ce gâchis d'infos, parce que balayé très vite par la fameuse séquence d'intro. Et en sortant du cinéma, on se dit : c'est comme le maïs, que tu en manges "à mêm' le champ", mais qui est un peu trop mûr. Le goût lointainement acide te fait dire que tu t'es fait tranquillement arnaquer. Mais gentiment.

 

 

 

Obligatoirement Vôtre.

 

 

 

Dr Devo.

 

 

 

Publié dans Corpus Filmi

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M
Heu non, ça devait être une erreur dans la précipitation je pense ; mais si tu as l'occasion de voir son "Georges Washington" ça vaut vraiment le coup !Il en a fait d'autres, plus estampillés Sundance je pense (feat Sigourney Weaver, de la glace et des fanfares si je me souviens bien) qui ne sont pas sortis en France mais qui doivent mériter d'être vus...
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D
Ohla, Martin! Là tu en connais plus que moi...Salutations!Dr devo.
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M
Et le réal est un David (celui du sublime "Georges Washington" et du récent surestimé "Pineapple Express")
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Z
Juste pour corriger une erreur. Il y a des Josh Brolin partout dans l'article mais pas dans le film.-2e paragraphe, le gosse, c'est Jamie Bell.-3e paragrape, le père, c'est Dermot Mulroney.Le Josh c'est un Lucas, voilà.Mais je suis d'accord avec l'avis exposé, le film glisse mollement vers l'auteurisme chiant après une exposition prometteuse.
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D
Mr Fab,<br /> J'adore tout ce qui brille et tout ce qui glisse!<br /> dr Devo
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