HOT FUZZ, d'Edgar Wright (UK, 2007) et 2 DAYS IN PARIS de Julie Delpy (France-2007) : Douceur, Horreur et Questions de mise en scène...

Publié le par Dr Devo

[Photo : "En direct de chez la Baronne" par Dr Devo, d'après une photo tirée du MUPPET SHOW]

 

 

Chers Focaliens,

On continue les séances de rattrapage, et accessoirement le rattrapage de films français avec 2 DAYS IN PARIS, le nouveau et deuxième film de Julie Delpy, actrice française appréciable et bonne valeur à l'exportation. Elle avait déjà signé LOOKING FOR JIMMY, film quasi unanimement descendu, mais très apprécié par notre ami Bernard RAPP. Et figurez-vous qu'un jour, notre ami RAPP rencontre Julie Delpy dans les coulisses de la Cérémonie des Felix (Hilarant les Felix ! Je ne sais pas encore si ça existe : c'était la cérémonie des "oscars européens" ! Hihi !). Il s'approche d'elle, et lui dit en quelques mots, et peut-être même une phrase, que son film était passionnant, et là, Julie Delpy le regarde pendant 30 secondes avec visiblement le moteur de son cerveau en train de turbiner sur le mode "il se fout de ma gueule, ce con, ou il est sincère ?". Très gênée de ne pas trouver la solution, Delpy fit un timide merci et partit très vite. Fin de l'anecdote. [Ça faisait longtemps que je n'avais pas fait une petit crise de jeanclaudebrialisme, maladie dûment répertoriée par le docteur Chapman Graham sous le nom de "davidnivenism" : "Il se trouve que je connais ces gens-là"].

Julie Delpy, française exilée aux USA, débarque à Paris après un séjour en Italie, accompagnée par son petit-ami (enfin, son mec !) Adam Goldberg, avec qui elle vit depuis deux ans. Julie a encore un pied à terre à Paris, sous la forme d'un tout petit appartement (enfin, c'est quand même plus grand que chez moi !) dans un immeuble où vivent à l'étage au dessous sa mère et son père (joués d'ailleurs par Marie Pillet et Albert Delpy, les vrais parents de Julie Delpy dans la vie réelle). C'est la première fois qu’Adam rencontre ses beaux-parents. Et ça va être sans doute assez rock'n'roll, ou du moins pas triste du tout. Les parents Delpy sont un couple très nature, et ils n’ont pas leur langue dans leur poche. Très sympathiques et accueillants, ils sont aussi bruts de décoffrage, très francs et, par exemple, s'ils ont envie de s'engueuler l'un l'autre, ils s'engueulent à pleins poumons devant tout le monde. Et individuellement, ce sont de sacrés numéros : Madame est assez possessive et plutôt marrante, et Monsieur est une sorte de joyeux obsédé loufoque. Les deux parlent 3 mots d'anglais, et encore, ce qui ne va pas faciliter les échanges avec Adam. Bref, chez les Delpy, on passe les dialogues au gueuloir et ça bouge pas mal. C'est un énorme dépaysement pour Adam, qui découvre là les étranges mœurs culinaires, sociales, parentales des français ! C’est dur à suivre pour lui. La situation se complique encore lorsque Julie croise des anciens amis à droite et à gauche et bien sûr quelques "ex". Adam, un peu secoué par cette masse d'informations contradictoires, et lui-même personnage haut en couleur à l'esprit vif et ironique, commence à avoir du mal à suivre et se demande s'il n'est pas tout simplement en train de découvrir un autre visage de July et si son couple ne prend pas l'eau... Ces deux jours parisiens vont servir de test...

Le dispositif de LOOKING FOR JIMMY était bigrement intéressant. Le film avait été tourné en vidéo en 24 heures, à l'arrachée comme on dit, et selon un dispositif tout à fait passionnant et rigolo, puisque Delpy avait convoqué ses amis (pas tous acteurs) de Los Angeles à venir apparaître dans le film. Delpy avait une trame, mais pas de script détaillé, et ses amis devaient être à tel endroit à tel heure, et là Julie débarquait et tournait ses scènes vraiment sur le vif. Les acteurs jouaient quasiment leur propre rôle, et géraient les grandes ligne conductrices de l'histoire en improvisant. Le tout était tourné en une journée ! Ça, c'est rock'n'roll. Vraiment intéressant.
Je ne sais pas si 2 DAYS IN PARIS est tourné en deux jours, et après tout on s'en fout un peu. En tout cas, Delpy pousse quelque peu dans la même direction. Dispositif de tournage assez léger (mais pas inexistant), tournage in vivo dans la rue (mais pas tout le temps), usage de la vidéo, beaucoup de plans à l'épaule, légèreté du dispositif autant que faire se peut, et surtout tout le monde met la main à la patte pour faire la popote. Les parents Delpy y vont à fond et ont l'air de bien s'amuser, Goldberg tourne même des plans lui-même, Delpy aussi (qui signe aussi la musique et le montage d'ailleurs !), etc. Bref, ça bouillonne de partout, et on retrouve un peu cette attitude rock du premier film de Madame. Tant mieux. Si j'ai horreur des films français de couple à la sauce sauce "art-sans-essai" française, et surtout sans mise en scène, ici c'est quand même assez sympathique et largement au-dessus. Malgré une intrigue classique, on est vite emmené par une intro vive, avec voix-off, et son jeu de diapos/photos plutôt rigolo. Une fois ceci réglé, on rentre vite dans le vif, avec des personnages hauts en couleur quasiment tout le temps. On comprend vite l'enjeu : une quasi-comédie franche du collier, drôle, mais aussi très sentimentale sur le couple. Le tout est vraiment vif. Les dialogues sont assez chouettes et mine de rien, sans en avoir l'air, avec un beau mélange de naturel et de fabriqué (un des vrais plaisirs du film), ils emmènent le spectateur sur des nuances très sympathiques : Goldberg, un peu noyé sous les clichés français sur les américains, et qui a du mal à interpréter Paris et ses habitants en s'appuyant sur les idées théoriques qu'il a lui-même (c'est bien normal), a vraiment du mal à tenir l'équilibre et commence à voir le mal partout, ou plutôt à se sentir esseulé dans un monde bien étrange, où il se sent s'éloigner de Delpy sans vraiment comprendre pourquoi, ou du moins pas totalement. C'est assez enivrant, assez vif que ce propos mature dans un couple qui ne l'est pas moins, mais qui se retrouve confronté à un brouillage de lecture assez fort. Delpy utilise sans exagérer mais sur le ton de la comédie ces clichés réciproques, et surtout décrit les parisiens sur un mode assez corrosif qui les montre plutôt agressifs et/ou très sûrs d'eux. Là aussi c'est bien senti. Clichés ou vrais traits de caractère, caricature légère ou description plus "naturaliste", la frontière est floue et du coup le film va vite, nous noie un peu aussi sous les perceptions, et surtout aborde le sujet de manière très adulte, sans gnangnanterie de quelque sorte, ce qui n'arrive jamais dans les films français de chambre, et sans romantisme excessif. C'est assez drôle, vif, et donne l'impression tout à fait correcte d'être juste ! Alors évidemment, dès qu'un film est une comédie un peu rock mais adulte, dés qu'on sent que les personnages sont des gens censés et intelligents, ayant de la répartie et du caractère (et non pas des archétypes creux, cucul et romantiques comme le veut le genre), et comme personne n'utilise ce mode, on fait du davidlynchisme à propos de ce film. Nouveau concept ! Je m'explique : vous avez remarqué que quand un film ose sortir un petit peu d'une narration classique, tente vaguement le dis-narratif et le manque de repères, on dit, critiques comme spectateurs, "Ohlalalaa, ça rappelle David Lynch !". Lisez une BD de Daniel Clowes, c'est tellement lynchéen ! Ben non ! Le truc, c'est qu'il y a tellement peu de films osant des choses dans le domaine du narratif , et les gens allant voir des films tellement balisés (surtout en art-sans-essai) que du coup, tout ce qui est "bizarre" est lynchéen, même ce qui n'a strictement rien à voir ! Bref... Ici, c'est pareil, j'entends déjà les commentaires : "2 DAYS IN PARIS, c'est tellement Woody Allen !". Ben non, pas vraiment ! Et là aussi, c'est sans doute parce que les films un peu matures, terre à terre et drôles sur le couple, il n'y en a quasiment pas ! Passons !
Tout cela semble donc très agréable et fort bien écrit, notamment parce que les acteurs sont vraiment très chouettes, et insufflent une énergie et une personnalité réelles au projet. Delpy est vraiment impeccable comme d'habitude, avec un jeu précis et direct à l'anglo-saxonne. Elle a mille fois raison, et voilà qui lui permet de faire dans la nuance. CQFD. Goldberg est très chouette également et arrive facilement à donner du relief à son personnage. Notons la présence dans un petit rôle d’Adan Jodorowski (fils du poète-cinéaste de génie) dont les focaliens se rappelleront la présence, tout bambino, dans le sublimissime SANTA SANGRE de son père ! Aleskia Landeau (qui n'est sans doute pas la fille de Martin Landau !), dans le rôle de la sœur, est vraiment très bien et donne beaucoup d'énergie dans ses scènes. Ses petits moments avec Goldberg marchent très bien. Elle a du chien.
Si le film me paraît très sympathique, je serai quand même plus réservé sur la mise en scène. Je n'aime pas trop la photo (ceci dit, je crois que la copie, vraiment médiocre une fois encore, était vraiment tirée à la va-vite, si j'en crois les variations assez surréalistes de l'étalonnage), même si certains intérieurs sont assez jolis (je pense au champ sur Delpy, à la fin, après la "grosse explication"). Ce qui ne me plaît pas en revanche, c'est le cadre, très approximatif et pas spécialement beau en général, et l'échelle de plans très réduite qui empêche un peu toute tentative de montage signifiant, et cloisonne bien le film dans une perspective narrative passant par le dialogue. On pourrait dire que la mise en scène est beaucoup moins rock'n'roll que l'ensemble du film. C'est bien dommage ! Car le reste fonctionne bien. Mais il manque sans aucun doute, une vision esthétique, plus artistiquement personnelle au film. Bien qu'ayant passé un moment plutôt sympathique, et même un peu plus, il n'y a là vraiment pas assez à manger dans la réalisation, pour que je m'emballe vraiment dans le sillage du film. On reste un peu à l'extérieur, ce qui est vraiment dommage. Quand Delpy va régler le problème, je pense que son cinéma devrait largement décoller et surprendre beaucoup. Pour l'heure, voilà qui gâche un peu le plaisir, et même pas mal, quelle que soit l'aura de sympathie (et c'est le cas) que je peux avoir pour les projets de Delpy. Notre meilleure actrice (inter-)nationale (avec une ou deux autres), prépare actuellement un troisième film, un remake du film fantastique anglais COUNTESS DRACULA de Peter Sasdy avec un joli casting : Radha Mitchell, Vincent Gallo et Ethan Hawk ! C'est plutôt une bonne nouvelle que ce nouveau changement de registre, et je suis sûr que Delpy gardera son esprit purement rock'n'roll et personnel. Ça donne envie en tout cas. Mais pour l'heure, j'ai encore faim. [À noter que ça rigole énormément dans la salle, ce qui est assez normal !]

Traversons la Manche, mais sans effet. HOT FUZZ est le nouveau film de la paire Edgar Wright et Simon Pegg, couple réalisateur/acteur et aussi paire de scénaristes, dont on avait déjà apprécié le drôlissime et complètement désespérant SHAUN OF THE DEAD, beau succès populaire, et totalement mérité en plus, film qui m'avait déprimé et enthousiasmé au plus haut point !
Simon Pegg a la vocation. Depuis tout petit, il veut être policier ! Et maintenant adulte, c'est LE policier. Brillant physiquement, extrêmement entraîné et sportif, c'est aussi un remarquable cerveau, un esprit intellectuel étonnant et un sens de l'éthique irréprochable qui fait de lui le flic parfait. Il est compétent, apprécié par les citoyens, et son boulot, c'est sa passion. Malheureusement, il bosse avec des gens moins honnêtes ! Parce qu'il surclasse tout le monde au niveau professionnel et que ses résultats sont fabuleux, ses chefs le mutent à Sandford, petite ville connue pour son classement au palmarès "Village Fleuris d'Angleterre" et pour son taux de criminalité le plus bas dans le pays ! Bref, c'est un placard, mais Pegg n'a pas le choix, et il part en exil dans la ville qui a le moins besoin de policier dans toute l'Angleterre ! Sur place, il découvre des collègues complètement à l'opposé de lui-même : ils se la coulent douce, sont je-m'en-foutistes, ne se posent aucune question, voire même, sont assez stupides ! Très vite, Pegg détonne avec son sens rigoureux de la morale et du respect scrupuleux de la loi, mais le village est tellement tranquille que personne n'en prend ombrage. On lui donne pour partenaire Nick Frost (déjà copain de Pegg dans SHAUN...), un gros flic, complètement gamin sans être mauvaise pâte, et fils du chef de la police ! Bizarrement, une série d'accidents se déclenche dans le village, accidents qui finissent par la mort spectaculaire de quelques personnes sans histoire du village. Pegg est persuadé qu'il y a anguille sous roche, bien entendu, et que toutes ces morts sont des plus suspectes. Mais sa hiérarchie, habituée à une petite vie tranquille, ne veut pas se poser de questions, et refuse la thèse de Pegg selon laquelle un tueur rôde ! Et comme ils sont tous incompétents, Pegg passe pour un illuminé et se voit refuser la possibilité d'ouvrir une enquête ! Les morts stupides et accidentelles continuent cependant dans le village...

On décrit HOT FUZZ comme une parodie des films américains à la Bruce Willis/Michael Bay. Ce n'est pas vraiment exact, voire pas du tout, même si la dernière partie du film y fait, bien sûr, référence. Par contre, c'est une parodie policière sans aucun doute. On reprend ici la même bande, la même écriture et les acteurs de SHAUN... Le scénario est toujours bien troussé et totalement brillant. Il s'agit toujours d'introduire Simon Pegg, personnage sérieux et concerné, dans une société européenne contemporaine complètement décérébrée, très cruelle sur le plan personnel, et violentissime sur le plan social mais attention, avec les meilleurs intentions du monde et sans même s'en rendre compte, ne serait-ce qu'un tout petit peu. Le duo Wright/Pegg (et non pas Wright-Penn, ce n'est pas la même ambiance ici !) reproduit ici le modusse opérandaille (ouiiiiiiiii !) du film précédent, et semble même avoir chargé la barque comique encore plus. Et que ce soit du côté de l'interprétation ou de l'écriture, il faut bien le dire, c'est brillant ! L'humour pleut à grosses gouttes. Avec une base caricaturale, les deux compères plongent le spectateur dans un océan de drôlerie d'une densité étonnante, et sur à peu près tous les plans. Une belle direction artistique (quelques beaux décors) donne de l'épaisseur à l'ensemble. Du point de vue de l'écriture, le film est donc riche et rythmé, et ne sombre pas, justement, dans la parodie. Car si HOT FUZZ décalque le film hollywoodien, c'est surtout dans la structure de l'écriture, où rien ne se perd et où tout détail aura son utilité (voir la distinction Europe/USA que je faisais dans mon article sur le film REEKER), jusqu'à l'absurde, ce qui permet de critiquer avec force et subtilité les conventions d'écriture du genre, et aussi de développer un humour riche et à plusieurs couches privilégiant aussi bien le gag immédiat que le rire structuré, ou le running gag à peine visible (j'ai beaucoup ri avec le talkie-walkie dans la boutique où Nick Frost achète ses glaces ; le "look at this ass" qui devient "look at this horse"...mais 60 minutes plus tard !). Tous les personnages sont merveilleusement écrits. On trouve beaucoup de soin même dans les personnages les plus accessoires (j'adore la seule femme flic du commissariat, servie par une superbe comédienne en plus ; j'étais tout seul dans la salle à rire au gag avec le cochon : "Ça, c'est moi après deux pintes !"). Comme dans SHAUN..., nos deux compères arrivent à développer un univers cohérent, délirant, qui mêle l'humour tranché et "larger than life" à un contexte social complètement crédible et très proche de notre ignoble société contemporaine !
Je suis très étonné que personne n'ait vu la référence principale du film, qui n'a rien à voir avec Bruce Willis ou le réalisateur de ARMAGEDDON ! Quand Pegg arrive au village (une des plus belles séquences), il y a non pas référence, mais carrément citation. L'hôtel, le plan fixe sur le lobby, la tenancière et sa réplique ("Tu as toujours été là"), ça ne vous dit rien ? C'est carrément un hommage et une référence à L'ANTRE DE LA FOLIE de John Carpenter ! C'est la référence la plus explicite de HOT FUZZ, et bizarrement la plus invisible aux yeux du public ! Etonnant. La référence n'est d'ailleurs pas si loufoque qu'elle le semble au premier abord, et permet à Pegg et Wright de définir avec grande classe l'objectif premier du film. Je m'explique. Comme dans SHAUN OF THE DEAD, le duo développe une même obsession, la seule qui semble les intéresser : décrire une société violentissime sur le plan social, infecte sur le plan humain, bref, une société ignoble qui ne fait qu'une seule chose : broyer l'individu ! De ce point de vue, c'est quasiment LES CHIENS DE PAILLE (sur un autre mode, je vous l'accorde !) film d'ailleurs cité de manière subtile et presque géniale (un des personnages parmi les seconds rôles n'arrête pas de rappeler qu'il était figurant sur le film de Peckinpah, et si vous réfléchissez, vous verrez que la réplique récurrente se lit à deux niveaux, et que sur le plan symbolique ça veut dire énormément de choses !). Pegg est un gars vertueux, plongé dans une société débile digne de IDIOCRACY, et où le groupe ne cherche qu'à tuer les individus. Que ce soit sur le plan personnel (la scène très belle et très drôle avec Jeannine, la copine de Pegg, enfin, son ex (!), jouée par Cate Blanchett, paraît-il, ce qui m'a complètement échappé !) ou professionnel, le personnage vertueux de Pegg est bien le seul, noyé dans un pays composé uniquement quasi-psychopathes qui ont inversé toutes les valeurs, sans doute au nom de la tranquillité et de la tolérance, et qui ont donc créé une société communautaire atroce ! La vie au village s'ouvre d'ailleurs sur cette phrase : "le bien de tous" ("le bien du plus grand nombre" devrais-je traduire pour respecter la réplique anglaise). Là aussi, les révélations finales démontrent la subtilité de l'écriture sur le plan cinématographique (moquerie du twist qui cache le complot, ici dérisoire mais imprévisible ; les explications de Timothy Dalton sont d'ailleurs très claires !) et sur le plan social, et sur ce dernier plan la dénonciation est sans appel : le petit-bourgeoisisme (car l'intérêt du plus grand nombre amène fatalement à servir la violence totalitaire du groupe, et aussi, et le paradoxe n'est qu'apparent, les intérêts des individus) est le ferment du fascisme le plus larvé et mène inévitablement à une société totalitaire, sur un mode par ailleurs complètement courtois ! C'est l'horreur absolue, c'est déchirant, comme dans SHAUN..., et la référence à Carpenter est d'une justesse absolue, et même d'une grande finesse qui en fait une référence essentielle, et même la référence principale. Le village de Sandford n'existe pas, comme le dit le personnage de Pegg, c'est une fiction, et cette communauté presque infantile mène le vertueux à la paranoïa, et à l'isolement le plus total ! En suivant les aventures du héros qui sont drôlissimes, on a aussi l'impression de se cogner sans cesse la tête contre les murs ! C’est assez impressionnant.
Le casting est sans faille, tout est excellemment joué, et on notera la soin maniaque autour des personnages secondaires, tous magnifiques et bien interprétés. Ce casting est luxueux et très bien vu, même dans les rôles les plus courts : superbe duo (très bien géré, qui montre que l'écriture se fait aussi sur le tournage) entre Steve Coogan et Bill Nighy (qui jouait l'architecte dans H2G2), et pléthore de pointures dont Billie Whitelaw, Jim Braodbent, ainsi qu'un Timothy Dalton moustachu et gras, vraiment très bon.

Malheureusement; il y a un gros problème. La photo est plutôt léchée (pas trop mon style, mais bon...), et j'aime assez les nuances orangées dans le pub ou dans l'hôtel. Par contre, Wright a privilégié le montage épileptique. Si ça marche à quelques endroits (des ellipses ici ou là dans la première partie, l'arrivée au village sous patronage carpenterien, l'introduction en partie), le résultat est globalement d'une effroyable laideur esthétique ; et c'est vraiment dommage, notamment dans la dernière partie, très portée sur l'action, et où, à l'évidence, les plans tournés était plutôt soignés voire assez nerveux. Malheureusement le montage bousille tout ça, quasiment tout au long du film, et les scènes d'action finales sont complètement ratées. On sent très bien que les rushes étaient bons. Mais, c'est, en fait, de la bouillabaisse qui alourdit le récit, désamorce beaucoup de belles idées comiques, et réduit à néant les réels efforts de direction artistique ! La spatialisation est nulle, l'échelle de plans vole en éclat, l'action est difficilement lisible et c'est d'une laideur épouvantable. C’est un défaut qui court tout le long du film mais qui anéantit tout dans la dernière partie. Dommage, notamment parce que dans les 4 premiers 5e du film, il n'y avait pas que des cadres hideux. Mais malheureusement, cette ignorance vraiment impressionnante de l'échelle des plans est due au montage. Il y a quelques plans moyens ou plus larges, mais les couloirs de plans serrés sont interminables, et les coupes tombent presque toujours mal à propos. Wright s'est vraiment mis le doigt dans l'œil, et c'est très étonnant de voir comment le réalisateur a fait preuve d'un soin maniaque et d'un sens du détail exacerbé dans tous les autres domaines du film, de l'écriture à la direction artistique, pour sombrer et chuter dans la potacherie la plus bête ensuite, c'est-à-dire dans le montage ! Quelle erreur stratégique ! Le type qui a écrit cette superbe mécanique de précision, qui s'est cassé la tête avec un bel entêtement pour faire vivre pleinement, et sur plusieurs niveaux, une comédie des plus subtiles, se vautre dans le n'importe quoi quand il s'agit de prendre les ciseaux et la scotch ! Et l'erreur est stratégique, disais-je, car au final, Wright fait un film qui, bien qu'étant formidablement réussi sur les autres points (dont de belles choses sur le plan artistique, je pense notamment aux techniques de suggestion qui innervent les diverses citations du film et qui passent souvent par la reprise de plans existant dans d'autres longs-métrages ; ou encore sur la relation très belle entre les deux héros, parodie romantique vraiment subtile qui donne beaucoup au film), est aussi laid qu'un film de Michael Bay ou qu'un Jean-Marie Poiret, justement ! Quelle manque de classe et de clairvoyance de la part justement du réalisateur qui a démontré sur tous les autres leviers de son film qu'il était justement étonnement lucide. C'est quand même dur à avaler et difficilement pardonnable. Wright va devoir sérieusement se remettre en question sur la question du montage dans ses prochains films !
Malgré cette bêtise (au sens strict) et ce manque de jugeote, le film reste très agréable et réussi sur bien des points. Je n'ose qu'à peine imaginer quel bonheur sans fond nous aurions connu avec un montage normal. On aurait pu avoir ici un film esthétiquement valable. Si on arrive à prendre beaucoup de plaisir à HOT FUZZ, c'est que le reste, l'écriture notamment, est de grande qualité, mais sans conteste, Wright manque largement la cible, et c'est quasiment un cas d'école : on rigole déjà énormément mais sans commune mesure avec le grand film que HOT FUZZ aurait pu être.

Paisiblement Vôtre,

Dr Devo.
 
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Publié dans Corpus Filmi

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N
Oui, j'en suis arrivé aux même conclusions. Ils ont surement voulus parodier une mise en scéne style "Les Experts", avec 90% de gros plans et d'inserts. Le resultat est hélas catastrophique. J'ai toutefois beaucoup aimé la scéne dans le village miniature.
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G
Totalement d'accord avec votre critique cher Docteur. Toutefois cette erreur de jugement de la part de Pegg quand au montage et la spatialisation ouvertement je-m'en-foutiste semble tout de même volontaire. Certes le materiau compte toujours plus que les intentions de l'auteur (peut-être les intentions de Pitof pour Catwoman étaient elles trés bonnes... bon, vous voyez ce que je veux dire alors laissez cet exemple disparaitre dans l'oubli), mais au risque de parraitre simpliste, je pense vraiment que ce "bâclage" à été pensé en état de cause, prolongeant la demarche de l'auteur jusqu'au bout. Quelquefois, relever les erreurs qui auraient pu être corrigées pour arriver au "Better good" nous fais fantasmer un film qui "aurait pu être", mais nous detourne d'un propos qui a le merite d'exister.<br /> Le symptome de l'explosion des echelles de plans n'essaye pas de parodier les films du sous-sur-estimé Michael Bay (comprène qui pourra), tout comme Shaun of the dead n'essayait pas de parodier le film de zombie, mais lui rendre un homage potache. On pourrait raprocher Hot Fuzz des 3 derniers films de Tarantino (et Kill Bill vol.1 en particulier) dans cette sorte de fourre-tout divisé en pièces de puzzles et univers bien differents (auquel on ajoute la pièce Tarantino, presente depuis le premier plan du premier film de monsieur T). A la difference que, dans ce cas precis, Simon Pegg tape là où ça fait mal. L'univers mis en place, deprimant et frustrant au possible (par ailleurs rejouissant pour les fans de Lynch, Carpenter et autres) doit, pour trouver sa voie, tout exploser naivement, quitte à y laisser la grammaire cinematographique sur le champ d'honneur. La petite scène clichée du mini-twist dans le cimetierre itou. A ce moment là, c'est un fan du spectacle naif et regressif made-in Brukheimer qui parle, quitte à se moquer plus ou moins ferocement, comme un fan de nanar persiste à revoir "l'executeur defie l'empire du kung-fu" de Geodfrey Ho(damned, je me suis decouvert).<br /> Je trouve que la sequence (ou les sequences) finale(s) laisse s'exprimer la laideur en gestation le long du film, et donne même un effet cheap desagréable absent de Shaun of the dead. Mais elle a a son credit une cohérence dans la demarche artistique de Pegg.<br /> Et c'est vrai que l'on rit beaucoup. Personnellement le "That 'eally hu'ts" de Thimoty Dalton remporte la palme et me fais furieusement penser aux catharsis monstrueuse des deux Bad Boys. Génial !
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