LA FERME EN FOLIE, de Steve Oedekerk (USA-2006) : bilan de l'exercice comptable...

Publié le par Dr Devo

[Photo : "Les Nouveaux Chiens de Démocratie" par Dr Devo]

 

Chers Focaliens,
 
Essayons de remettre de l'ordre dans nos affaires et de rattraper quelque peu le temps perdu qui me tint éloigné loin de vous...
On avait dit ici tout le "bien à trois minutes près" que nous pensions de l'acteur-scénariste-producteur Steve Oederkerk, à l'occasion d'un article consacré  à son beau et drôlissime film KUNG POW (ENTER THE FIST), projet original et réjouissant intégrant, et ce n'est pas tous les jours le cas, les effets spéciaux à la mise en scène d'une manière vraiment belle... et invisible ! Malgré le peu d'affinités que j'entretiens avec le cinéma d'animation en général, et avec les films en synthèse (j'aime ce mot désuet) en particulier, je suis donc allé jeter un œil à cette FERME EN FOLIE.

Dès qu'on a le dos tourné, les animaux arrêtent de faire des choses stupides comme beugler, faire des "grouiiiiii grouiiii" et manger de l'herbe, se redressent sur leurs pattes, et se mettent à causer comme vous et moi. Les animaux de la ferme forment donc une société cachée et organisée comme une petite communauté indépendante autour de Ben, la vache qui sert de chef du village et qui garde notamment les animaux des attaques des coyotes. Son fils, Otis, est bien moins prévoyant. Il n'en perd pas une pour s'amuser, et faire toutes les bêtises que font les vaches adolescentes de son âge. Il fait notamment énormément la fête, au grand désarroi de son père. Lorsque ce dernier meurt des suites d'une attaque des méchants coyotes, Otis est élu chef de la Ferme, mais très vite la communauté sombre dans la pire insouciance et dans la pire naïveté.  Un premier contact avec les coyotes montre à Otis qu'il n'est pas prêt à gérer ses semblables et encore moins à les protéger. Coincé entre l'enclume de l'adolescence et le marteau de la vie adulte (merci, merci, arrêtez d'applaudir...), Otis choisit lâchement l'exil...

Moins richement dotée que la concurrence peut-être, LA FERME EN FOLIE révélera sans doute aux yeux des spécialistes des choses de l’animation, et peut-être aussi aux autres, une conception technico-artisanale moins brillante, moins définie, plus cheap. Les techni-cinéphiles hardcores de la discipline, eux, seront encore plus formels et viendront à la conclusion que le taux d’aboutissement technique du film d’Oedekerk est de 28.43% inférieur à CARS ! Pour l’œil avide de belles choses et de sensations artistiques, les choses seront nettement plus claires : LA FERME EN FOLIE est d’une effroyable laideur, et à la rigueur on préférera les aventures de LA VÉRITABLE HISTOIRE DU PETIT CHAPERON ROUGE, encore plus cheap, mais qui avait su plus ou moins en jouer, et qui surtout n’essayait pas de venir chercher sur leur terrain la concurrence des Pixar et autres, notamment par l’écriture, plutôt rigolote, et bien tirée par les cheveux, avec un petit sens du non-sensique justement, toujours bienvenu.
Las, Las, Las ! Trois fois, et ce n’est pas de trop ; Oedekerk, lui, nous ressert la soupe immonde du "film pour enfants". Donc, d’un point de vue esthétique, c’est la misère. Le film est découpé et cadré sans aucune recherche particulière, et dans l’anonymat le plus complet, la norme quoi, serait-on tenté de dire, en matière de mise en scène populaire. Moi, je dirais même un poil en dessous. [Le moindre film de  college américain est quand même un peu plus vif et expressif.] Les couleurs et la création des personnages sont par contre une atteinte constante au bon goût. On rejoint là, en quelque sorte, les valeurs colorimétriques d’un SHREK de sinistre mémoire : plus il y a de couleurs qui ne vont pas ensemble, plus on s’en contrefout, et mieux c’est. Alors, oui, pour ça, c’est chatoyant, ça pète de partout. En ce qui me concerne, les scènes de nuit, assez nombreuses, rattrapent un peu la chose, ou disons, reposent un peu l’œil ! Les personnages sont très moches et attendus, le clou étant les vaches et leur pis "débouche-chiottes", le petit poussin ami du héros et à propos duquel notre premier réflexe serait de le passer immédiatement à la broyeuse de bûches et de voir son affreux corps se décomposer pixel par pixel dans une gerbe de sang, et aussi les coyotes, ignoblissimes et dont le design des têtes arrive quand même à rappeler le coyote du fameux BIP-BIP, ce qui prouve que les créateurs de ce film n’ont pas été chercher bien loin. Bref, c’est peu mis en scène, les personnages sont laids pour la plupart et le décor fait mal aux yeux. Bien.
Enfin, mal je veux dire…

(bruit du vent)
Je me comprends.
Et puis, il y a Frida qui est belle comme un soleil et qui m’aime autant que moi j’aime Fridaaaaaaa ! Ha la belle pépée, la poule du cinéma, qu’on espère aux œufs d’or, c’est l’Histoire, et son démon Scénario. LA FERME EN FOLIE, comme 99,85% des films que nous pouvons voir, est un film de scénario. Là aussi, on a pas été chercher bien loin. Moralisme insupportable de la "lignée" qui ici réfute les liens du sang toujours glorifiés über alles dans les films pour la jeunesse (Otis, le héros est adopté !) pour mieux ensuite installer le népotisme. Si Otis n’est pas prêt pour être le Président de la Ferme, il est incontestable que tous les autres animaux sont complètement débiles et incapables de faire quoi que ce soit. À peine peuvent-ils voter, et encore, en masse. C’est donc encore une fois LA FAMILLE qui nous est vantée ici. Le schéma est donc bien américain, et à l’heure où le cinéma américain devient de plus en plus réactionnaire et politique (voir le récent BOBBY), on notera ici que LA FERME… est bien un pur film de propagande américaine, ou devrais-je dire occidentale (car l’Amérique, c’est chez nous). On nous vante la destinée des dynasties de façon immonde. L’ignoble clan Kennedy a su exploiter sa triste histoire (et non pas leur tragédie, comme dit la légende) et faire de John et de ses frangins les seuls saints que les USA aient portés ! Ces Kennedy étaient des gens sublimes et dévoués, ce n’est pas comme maintenant ma petite dame ! Ensuite, ils ont mangé du Bush père, puis fils. Et là, ils s’apprêtent sans rire à reprendre une tranche de Clinton ! LA FERME… montre bien que le népotisme est bien la règle électorale aux USA, et mieux, à droite comme à gauche, que c’est une bonne chose ! C’est bien ! On voit ici que le "lien du sang" réel ou symbolique, de la nouvelle trilogie STAR WARS (où l’on mesure le taux d’hémoglobine jedi avant de recruter un héros !) à cette FERME…, en passant par JAMAIS SANS MA FILLE, innerve tout le cinéma américain, et que le XXIe siècle est fin prêt pour se soumettre avec violence à toutes les mamans et les petits Juju du monde ! Cool !
Outre cet affreux catéchisme, d’obédience aristocratique en fait, le film vante bien sûr l’esprit de "communauté", le "peuple uni" (où tous sont interchangeables bien sûr, et donc ne sont pas prêts à prendre des responsabilités artistiques ou politiques), et, horreur des horreurs, le régime végétarien, le fermier étant le seul fermier qui élève des vaches mais soit végétarien, et donc absout de tous péchés. [Je note aussi le passage avec le chien, seul moment drôle du film, mais qui idéologiquement fait froid dans le dos : certaines personnes seraient interdites de volonté, d’indépendance et d’intelligence, et déchus de leurs droits, à cause de leurs gènes ! La classe ! Franchement, vous voulez que vos enfants voient ça ?] Amen. L’adoption, la tolérance. L’adolescent skatter qui devient papa, procrée sans coucher, et tond le gazon tous les dimanches. Et puis, au-dessus de tous ça, l’épouvantable marque de la Manipulation par l’émotion la plus basse, et ce dans quasiment toutes les séquences ! La mort du père sur fond de Peter Gabriel, la laborieuse métaphore des étoiles, la naissance du petit veau, et l’ignoblissime petit poussin (qui dans la vie réelle doit être un ignoble dépravé avide de sexe et  d’alcool !), etc. N’en jetez plus, la cour est pleine. Les personnages sont tous des poncifs, comme dans tous les films d’animations de synthèse ou presque : le gros rigolo, le petit psychopathe, le petit mignon avec des yeux de Bambi et une voix en guimauve, le comique troupier, l’imbécile marrant, etc. Que du scoop !
Loin de la verve iconoclaste de KUNG POW, Oedekerk trahit la cause, vénère le Divin Tiroir-Caisse Doré de l’Amérique Toute Puissante, et surtout lèche le drapeau et l’idéologie ambiante avec tellement de zèle que le film devient au fur et à mesure un pensum dégoûtant en plus d’être dépourvu de toute espèce de rythme. Si encore il y avait là un petit quelque chose qui soit original et non balisé, on en pleurerait de joie. Devant l’opportunisme ici déployé, on ne peut qu’être triste, voire n’avoir que nos yeux pour pleurer : Oedekerk va sans doute engranger la thune, mais il aura tout perdu, notamment son sens de la mise en scène. LA FERME EN FOLIE est loin d’être fou, c’est même un film de comptable, de bureaucrate. Ce n’est aussi, et c’est encore ça le plus désespérant, qu’un film d’animation de plus, un film pour enfants de plus, et comme la plupart de ses concurrents, c’est une fois de plus médiocrissime. Peut-on espérer revoir un jour des films pour enfants originaux, et non pas ces comptes-rendus de brainstorming "créatifs" ? Pour un GÉANT DE FER ou un INDESTRUCTIBLES réussis, combien de SHREK, de FERME EN FOLIE, et autres disneyries faut-il manger ? Disney, c’est encore la norme.

Avez-vous vraiment envie que vos enfants voient un film avec un tel contenu ? Plutôt que de chercher des films non-violents, non-malpolis et "prônant la tolérance", offrez à vos têtes blondes des films corrects artistiquement un peu. Histoire de ne pas être le géniteur d’êtres humains malheureux, bêtes et/ou infects dans 20 ans !

Salut Steven, et par pitié, pas de KUNG POW 2 ! Ne nous enlève pas ça !


Tranquillement Vôtre,

Dr Devo.



Retrouvez d'autres articles sur d'autres films, en accédant à l'Index des Films Abordés :
cliquez ici !

Publié dans Corpus Filmi

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
I
Docteur,Je promet au nom de la PAROLE INCONTOURNABLE ET INDISSOLUBLE DE L'HONNÊTÉ APOÉTIQUE TRANSCENDANTALE que quand je serais riche, je serais généreux mécène à vie de Matière Focale.D'ailleurs, moi aussi j'aime beaucoup le génocide d'animaux.
Répondre
D
Parce que simplement on a que 24 heures dans une journée et que nous ne sommses que deux à réguliérement écrire dans ces pages!<br /> Et puis, c'est aussi le hasard. J'ai vu trois Godard cette année dont le magnifique SOIGNE? TA DROITE, mais à chaque fois, c'est tombé dans une période où le temps me manquait pour faire un article.<br /> ceci dit, je remarque que les sites où ces cinéastes sont glorifiés, parfois à juste titre, ne parlent jamaais ou peu des autres cinéastes... comme Oedekerke (même s'il faitd e mauvais film) ou Doris Wishman, ou Ken Russel, ou Greenaway apr exemple, alrgement abandonné par la critique ces dernireès anénes alors que sont ravail n'a jamais été plus beau que maintenant.<br /> <br /> Si on parle moins de Kubrick que j'aime enormément, que Cimino cinéaste par lequel je suis venu au cinéma, ou Godar dont j'aime enormement certains films et pas du tout certains autres (PIERROT LE FOU par exemple), nous avons parlé énormément de: Greenaway, Von Trier, Nicolas Roeg,José Majica Marins, Salvador Dali, Hal Hartley,Les époux Straub, Guy Maddin, et nous avons largement evoqués Russel, Marguerite Duras, Robbe-Grillet (ces deux derniers étant sans doute les cineastes les plus importants de tous les temps), JC Sanchez, Bernard Rose, Richard stanley,Syberberg, Schroeter, etc...<br /> <br /> Ainsi cher Wanko, le site n'est pas le dictionnaire du cinéma, et contre l'exhausivité, impossible sans un travail salarié, ce qui n'est pas le cas de ce site, on mise aussi, sur le hasard des rencontres, sur les difficultés de trouver les films malheureusement, et sur l'ecclectisme.<br /> En fait, si tu veux, nous cherchons le cinéma partout, et pas seulement dans les cinéphilies de cinéphiles! ici on parle avec le même sérieux, et le même soin du dernier film de BRICE DE NICE que du dernier Straub, mais aussi par exemple, de films de collége américain. ce qui ne veut pas dire que nous aimions tout, et que nous mettions tout sur le même niveau. mais il semble qu'on puisse trouver ici, un spectre bien plus large que chez nos confrères professionnels (souvent méprisant apr rapport aux cineastes et ax films dit mineurs, et directement responsables à nos yeux de la disparition des éacrans de grands cineastes: Roeg, Hartley, Rose, Stanley, Percy Adlon, Greenaway qui n'est plus distribué en France et bientôt ferrara ou Von Trier, vous verrez; ces gens là on du sang sur les mains,et nous privent, nous spectateurs, de ces cinéastes importants qu'ils ont pourtant défendus en leur temps) . On ne se retrouvait pas dans la la^cheté des Chaiers ou de Positif. On ne se retrouve pas dans le reste de la presse. On ne se retrouve pas dans les sites ou journeaux specialisés dans les films de genre. Et on en avait marre de l'esprit de chapelle. Alors on a créé ce site, où Max Pecas est traité avec autant dégard que Welles.<br /> <br /> ceci dit nul n'est faillible et l'enemi c'est le Temps. par exemple, alors qu'on l'évoquait à tout bout de champs, on a mis un an et demi à consacrer un article à Carpenter! Godard, Welles, Kubrick vont sûrement finir par tomber! [peckinpah c'est déjà fait d'ailleurs!]<br /> <br /> <br /> <br /> On travaile, on travaille mais on manque de temps! Si un généreux mécène passe par là...<br /> <br /> Dr Devo<br />
Répondre
W
Une humble question : MF, le site qui parle de tous les cinémas. Soit.Pourtant des cinéastes majeurs ne sont pas évoqués. Godard, Welles, Cimino, Leone, Kubrick, Lang, Pialat, Eustache, Peckinpah, Hawks, Preminger ?
Répondre