LE PRESTIGE, de Christopher Nolan (USA / Angleterre-2006) : Is There Any Escape From Noise ?

Publié le par Dr Devo

[Photo : "Blockhead" par Dr Devo, d'après une photo de Gérard Majax]

 

Chers Focaliens,

C'est si bon de se retrouver, même s'il y a du pain sur la planche. C'est la pleine saison, la chasse est ouverte. Pour l'art et essai comme le commercial, c'est le temps des grosses sorties ou des placements stratégiques qui commence. Et ça défile à bonne grosse vitesse. L'avantage dans ces conditions de navigation, c'est qu'on retrouve sur ce site des films plutôt "grand public", chacun dans leur ligue, et que ça permet de mettre un peu les compteurs à zéro, ou du moins de saisir la "vigueur du marché". C'est toujours un exercice rigolo. Pour l'instant, si vous me permettez de résumer les épisodes précédents, c'est plutôt calme. On a vu un seul très bon film, LE DAHLIA NOIR, machine absurde et abstraite tout à fait roborative, avec un DePalma en forme sur la paillasse. Je n'ai pas encore parlé du LABYRINTHE DE PAN, mais je ne vais pas tarder en principe. En tout cas, c'est un bon film, et occasionnellement pas trop ma tasse de thé, il faut être honnête. Mais c'est du cinéma. Le reste des films vus s'oublie dix minutes après la séance dans le meilleur des cas (SCOOP) ou s'inscrivent dans les annales du Grand N'importe Quoi ou de la Grande Arnaque (SHORTBUS dont nous parlions hier, et qui ne semble pas vous avoir marqué non plus. Si seulement nous avions plus de sang-froid et de mémoire, nous pourrions dire merdre aux dealers plus facilement. Cher Peuple, refuse (refusons, donc) de suivre les diktats de professionnels corrompus. Vous savez, LE DAHLIA NOIR raconte exactement votre histoire, bienveillant lecteur, douce lectrice. Ça raconte l'histoire d'un focalien (Josh Hartnett) qui explore le monde du cinéma et qui s'aperçoit qu'il est le Vertueux dans un monde totalement corrompu. Pour ceux qui ne l'auraient pas vu, allez-y, ça pourrait vous toucher.

Bah, le cinéma est un art bizarre et les frontières tracées au sol qui délimitent son territoire et celui des autres expressions sur support audiovisuel ne sont pas forcément les vraies frontières. Un peu comme les frontières du gouvernement fédéral américain, et les frontières orales, ancestrales et symboliques du territoire indien. Les deux cartes ne se superposent pas exactement, et je vous invite à venir faire un tour vers ces zones floues avec LE PRESTIGE, nouveau film d'un des petits chouchous de Hollywood et du public (ce qui est assez logique du reste d'ailleurs, n'y voyez aucune critique) : Christopher Nolan.

Bon. Nous avions laissé l'ami Nolan dans une bien mauvaise posture. Rappelez-vous. Matière Focale était une jeune start-up, et moi aussi j'étais complètement fringuant ! Nous allions voir toi et moi, beau lecteur, sublime lectrice, BATMAN BEGINS, et nous nous arrachions les cheveux. Grande machine bodybuildée, gros truc lourd, BATMAN BEGINS était bougrement mal réalisé. Le montage notamment était complètement affreux et même drôle, quasiment, dans les scènes d'action, où le spectateur était dans l'incapacité de lire la moindre action, scènes où en général on pouvait dire : "Tiens, une forme marron vient de passer dans l'écran" ou encore "Oh, du jaune !". Sur le plan du scénario, non seulement ça sentait la réécriture incessante, mais de plus, les rares bonnes idées étaient souvent survolées. Mal réalisé, mal écrit... Brrrrr... On en frissonne encore, surtout de la part du réalisateur du bon THE FOLLOWING (qu'on peut trouver en DVD pour une bouchée de pain) et du très agréable MEMENTO. Le verdict était clair : ça allait être dur pour Nolan de remonter la pente...

Il est très difficile de résumer LE PRESTIGE sans rien vous dévoiler. Disons que ça part sur la rivalité, un peu idiote (et tant mieux), entre deux apprentis prestidigitateurs, mais moi, pour des raisons de frappe de texte, je préfère dire "magiciens" et on va s'en contenter. La Magie est un art difficile et exigeant, et les deux passionnés et ex-amis vont tout emmêler, le personnel comme le professionnel. Au fil des années, les vengeances s'accumulent. Hugh Jackman (vu dans SCOOP, mais n'y allez pas pour lui...) est devenu un magicien célébrissime, et Christian Bale a moins de succès. Par contre, Christian Bale présente un tour absolument époustouflant : « L'Homme Transporté », et tout Londres en parle, car nous sommes à Londres au XIXème! Si si... Bale a fabriqué là le tour du siècle, mais il ne sait pas aussi bien vendre ses performances aux yeux des spectateurs, et malgré ses efforts, malgré cet Homme Transporté, il a moins de succès. Qu'importe, la bataille fait rage. Et Jackman n'aura de cesse de trouver, notamment (mais à force, nous ne sommes plus sûrs de ses motivations) le truc de L'Homme Transporté, dont Bale affirme haut et fort que ce n'est pas un truc, mais pour une fois, de la vraie magie surnaturelle ! Les années passent, les malheurs s'accumulent, la rivalité est constante et réciproque... Ce n'est pas gagné !
 
Bon, dit comme ça, ça ne paye pas de mine. Il faut rajouter que cette rivalité va très loin et sera très sombre dans tous les domaines de la vie, et que, plus important encore, l'histoire nous est racontée de fort brillante façon. Le récit s'articule autour de la double lecture d'un journal intime et d'un carnet de notes. De nos jours (façon de parler), Christian Bale lit les notes de Jackman, et, il y a quelques temps, Jackman lit les notes de Bale. Récit à double voix, donc, qui a un avantage lui aussi double. D'abord le décalage temporel, qui permet de faire avancer l'histoire de manière à la fois visible et énigmatique (nous lisons de mieux en mieux l'histoire globale, mais nous ne comprenons toujours pas les motivations profondes de chaque personnage et ce qui se cache vraiment derrière leurs actes). Deuxièmement, le dispositif devient gourmand et terriblement subjectif car... Tout d'abord, chacun des deux personnages lit les notes de l'autre avec une avidité et une attention extraordinaires, tant ils veulent enfin savoir. Donc, il y a de l'enjeu. Et tous deux, tellement absorbés, ont tendance à présenter ou plutôt à lire les événements comme étant véridiques, alors qu'au contraire, chez ces deux magiciens qui ont passé leur vie à se construire des pièges en forme de faux semblants, la moindre allégation devraient être sujette à caution. Mais les deux magiciens y croient toujours, à la lecture première, dur comme fer, et nous avec (troisième niveau) qui assistons à la mise en image, qu'on a tendance à manger comme du pain béni et sacré !
Il s'agit donc d'une écriture fort astucieuse et enchâssée, et d'autant plus maligne que la lecture des deux carnets de note fait avancer et même changer le présent du récit. C'est quasiment une intrigue quantique que nous propose Nolan. Et ça a du charme, car le fond rejoint la forme en quelque sorte : il s'agit quand même de parler du monde de l'Illusion ! Ajoutez à cela un personnage réel (vous verrez !) mais énigmatique comme un personnage de roman, et hop, on se retrouve à la fois spectateur de ce tour de magie et aussi prestidigitateur ! Malin, non ? On se fait happer donc très facilement par le récit, même si on est un peu ralenti par la reconstitution ça et là, car c'est aussi, notons-le, un film à costumes. [D'ailleurs, ça marche pas mal, de nombreuses fois, tout ce décorum...]

Donc, une écriture remarquable et un scénario sans doute bien adapté, ou du moins une adaptation astucieuse du livre de Christopher Priest. Bien. Le dispositif lui-même nous baigne dans une atmosphère assez calme, mais brûlante de suspense ! Et surtout, nous sommes à la frontières de deux territoires là aussi : le réaliste et le fantastique ! Impossible de dire sur quel pied danse le film, ce qui est bien la moindre des choses vu le sujet, me diriez-vous, mais ce que je permets de souligner car cela fonctionne plutôt bien.
Et ce qui est encore mieux que tout cela, c'est que cette petite histoire, assez vite tragique, mais au départ quand même mineure, devient au fil des vengeances et des stratagèmes un immense complot, une énorme machine de guerre complètement impitoyable, et on a l'impression que le film est un simple morceau de bois, une branche avec laquelle au fur et à mesure on construit une cathédrale immense et totalement baroque (sur le papier du moins, comme on va le voir). La boule de neige grossit et devient quelque chose de fantastiquement ouvragé, de prodigieusement énorme. Et plus on avance, plus on subodore (car le récit l'annonce et les règles du jeu de cette rivalité sont très strictes finalement) que le fond de l'affaire tient sur pas grand chose, sur un petit truc, essentiel sans doute, mais petit et humain. La pyramide est-elle construite sur une allumette ?
On le voit avec un dispositif comme ça, les opposés se mélangent et s'inversent. Le grand est le petit, le vrai est le faux, le bon est l'ignoble, le réel est le fantastique, et les deux images dans le miroir n'arrêtent pas de se mentir, voire de s'inverser et de changer de face ! Miam Miam ! On sent très bien que le film finira à Saint-Tropez avec un vieux twist des familles, mais on sait qu'il y aura quelque chose au-dessous sans doute.

LE PRESTIGE, outre sa fabuleuse affiche, est donc un film vraiment brillant et étonnant. C'est très bien écrit, et enfin, sans se baser uniquement sur le twist (quoique ça pose problème, on le verra plus bas), le film s'articule sur un contenu, une logique spécieuse (humainement) et déviante (rationnellement) tout à fait remarquable, qui ose envoyer la linéarité un peu balader, ou qui du moins la bouscule. Ne vous attendez pas à ce que ce soit du Greenaway non plus ! Mais saluons tout de même l'effort.

Dans le même mouvement, LE PRESTIGE est pourtant un film qui rend triste. Et sans ironie, en toute amitié pourrait-on dire. J'avais le cœur brisé en sortant de la salle ; et parce que le film a quelques défauts tout à fait notables (et qui auraient pu être corrigés facilement), parce que curieusement, le film n'est peut-être pas complètement ce qu'il aurait pu être. Je m'explique.
 
Une pyramide de Gizeh construite avec une seule allumette. C'est quelque chose de superbe, une chose que seul l'Art permet. Et c'est quand même le projet du PRESTIGE. Je dois signaler, et ça peut avoir son importance, que je me suis trompé de salle en allant voir le film (bravo !) et que du coup j'ai loupé les quelques minutes (trois ou quatre je pense) de l'introduction. On me l'a racontée du coup, et j'ai bien peur qu'elle balise un peu le récit, cette introduction,  et qu'elle tue légèrement le mystère. Je ne le saurais jamais. En tout cas, avec quatre minutes en moins, la narration marche bien !
Ouvrons le moteur. Du côté des acteurs, ça assure tranquillement. Je ne m'étalerai pas sur tout le casting éternellement, histoire de vous laisser découvrir la chose en salles. Jackman n'est ni bon ni mauvais. Un poil fade pour moi, mais ça ne m'a pas dérangé. Même chose pour la Scarlett Johannson, fidèle à elle-même et donc sans éclat. Je commence, par contre, à me demander si Christian Bale, très bon acteur, ne serait pas en train de nous balancer à chaque fois les mêmes schémas tactiques, si j'ose dire. En tout cas, il oscille ici entre le conventionnel et le plus touchant par instants très brefs. Côté seconds rôles, c'est très bien. Michael Caine est décidément au top de sa forme, ici en Monsieur Loyal, rôle qu'il remplit les doigts dans le nez. Balaise, Blaise comme on disait dans ma cour d'école. [Si vous voulez vraiment devenir critique de cinéma, ne faites pas ça !] J'ai bien aimé également Rebecca Hall, qui joue le rôle de la femme de Christian Bale, et donc qui a la partie de loin la plus ingrate... Le reste, vous le découvrirez vous-même. Quoi qu'il en soit, les acteurs passent largement.
La photographie est toujours signée Wally Pfister, photographe fidèle de Nolan. Et il s'en sort vraiment bien. Il y en a un peu pour tous les goûts. J'ai assez aimé les brouillards en montagne. Le reste est bougrement propre. L'impression de luxe est totale. Pas de soucis. La production est richissime semble-t-il, ou en tout cas, ça donne cette impression.
Côté cadrage et échelle de plans, c'est tellement plus agréable que BATMAN BEGINS ! On a l'impression de voir un vrai film. Bon, ça cadre encore un peu près pour moi, et il y a énormément de plans rapprochés, mais pour une fois, ce n'est pas toujours le cas et globalement c'est construit. Le montage son et le son lui-même me paraissent plus dynamiques, plus imaginatifs, avec pas mal de nuances notamment en terme de volume. On y trouve des redondances de voix-off qui nous rappellent les contraintes des récits, des bouts de dialogues qui forment de belles transitions entre différentes scènes (ce qui nous vaudra des décalages temporels momentanés assez réussis, et contribue à nous faire douter de l'intelligibilité du récit ou de sa vraisemblance, nous laissant plus dans le noir que dans la lumière). Bon, il y a bien deux ou trois trucs que je n'aime pas trop ou qui me paraissent plus convenus (comme la sortie théâtrale de Bale lors d'un de ses coups de Jarnac, qui me paraît très conventionnelle), mais ne chipotons pas, tout cela ressemble bougrement à du cinéma...

Seul bémol et gros bémol, le montage. Alors là, j'ai un peu de mal à comprendre. N'allez pas vous imaginer que c'est si immonde que cela rappelle BATMAN BEGINS... Non, rassurons-nous, c'est beaucoup plus tenu. Par contre, il y a des scories. En général et dans 93,54% du film, le montage, sans faire aucune prouesse, est soigné, même s'il joue avec le cadrage (c'est déjà ça) dans une volonté de mouvements fréquents. Nolan a peur du plan fixe, comme tous ces collègues, et c'est une erreur. Du coup, sur certains plans, la caméra est en mouvement alors que ça serait bien mieux sans (ça éviterait quelquefois le sentiment de vacuité). Par contre, à certains endroits, plutôt dans la première moitié du film, et curieusement par intermittence, c'est-à-dire pas tout le temps (que c'est bizarre !), le montage est complètement tarte et d'une très grande laideur. Et cela concerne de tout bêtes champs/contrechamps ! Et là, quand Nolan les rate, ça fait très mal, ça fait mal et aux yeux et au cerveau. Qu'est-ce qui lui passe par la tête quand tout d'un coup (et quelquefois de manière abrupte en plein milieu d'un dialogue), il se met à couper les plans grâce au texte ! Imaginez... Jackman balance un truc à Bale pendant 10 phrases (assez longuement donc, c'est une tirade quasiment). Bale répond : "Euh... je sais pas !", puis immédiatement après, Jackman repart dans une tirade... Et bien Nolan, il va faire un insert d’une seconde sur Bale ! Que c'est laid ! C'est d'une naïveté fabuleuse et c'est esthétiquement ignoble. [Cet exemple est construit, mais ainsi vous comprenez bien ce que je veux dire. Vous verrez très bien de quoi je parle en salles de toute manière]. Et donc, à de nombreux endroits, de manière passagère, le film semble monté par Kevin Nolan, petit cousin de Christopher ! C'est un peu inexplicable, et ça plombe un peu le film quand même. C'est de loin son plus gros défaut. Et c'est étonnant qu'il ne soit pas constant, ce défaut, justement.
 
Je remarque aussi ça et là quelques cadrages ou découpages dans l'espace complètement foireux. Pas laids comme les points de montage dont je viens de parler, mais notables par endroits. Je pense notamment à la fin. Dans la dernière scène, après le dialogue, quasiment entièrement en plans rapprochés et gros plans, ce qui n'est pas très élégant, Nolan fait un plan plus large. Je l'ai vu, mais ça ne m'a rien fait et je me suis dit qu'il finissait sa scène, ce qui était le cas (tic qu'ont tous les metteurs en scène ou presque : mettre un plan large au début et à la fin de la scène ! Je passe...). Puis le film continue... Deux plans plus tard, mon cerveau comprend ce qui s'est passé ! Et je reviens mentalement sur ce plan plus large avec lequel Nolan finissait son explication finale. En fait, il a agi de manière très maligne. Là, oui, le dialogue en plan serré pouvait se justifier, car en fait, il (Nolan) se réservait pour le plan plus large qui devait, on peut le supposer, éclater à la gueule des spectateurs. Car dans ce plan, on découvre une enfilade de Bidules-Machins (que je ne dévoilerai pas ici pour des raisons de suspense). Ces bidules-machins, on les connaît puisqu'on vient de nous dévoiler le principe du film que je vais vous cacher aussi. On sait ce que c'est. Mais voilà ce que Nolan a essayé de faire dans cette courte scène. Il a conservé minutieusement son plan large, nous cachant ainsi volontairement une partie du décor. Il explique le nœud humain du film. Et bing, il balance le plan où l’on voit le décor en entier (et où l’on voit ce que l'on sait déjà par le dialogue précédent, et aussi par le fait qu'un détail du décor a déjà été montré !). Sur ce plan, on devrait se dire un peu ce qu'on se dit sur le dernier plan de LA PLANÈTE DES SINGES (les deux plans n'ont rien à voir, mais ce plan est connu, et comme dans LE PRESTIGE, c'est un plan large lyrique) : « Mon dieu !!!! Qu'avez-vous fait, pauvres humains ? Comment avez-vous pu en arriver là ? Nous sommes maudits !!!!!!!! ». Voilà ce qu'on devrait ressentir : un écrasement, un effarement. Au final, c'est exactement le contraire, et on comprend vingt secondes plus tard (dans mon cas) ce qu'il a voulu faire, mais a raté ! Le plan en fait est mal cadré, sans aucune perspective et sans lyrisme. Étonnant, non ? Pour une fois, le montage suivait (puisque Nolan a précieusement gardé le dernier plan), mais cette belle idée de mise en scène et de scénario n'a pas bien été servie par le cadrage ! C'est un détail, mais ça m'a fait drôle et voilà qui va me permettre d'embrayer subtilement sur la dernière partie...
 
En fait, le PRESTIGE m'a rendu triste. La photo est belle, les acteurs passent, le sujet est bien écrit, il y a du fric, il y a une volonté de bien faire, il y a des chose qui marchent facilement, et encore une fois, voir un récit comme ça, un peu fragmenté, un peu obscur, ça fait drôlement plaisir. Ça et là, quelques défauts cependant, et ce sentiment de tristesse. Une minute après le début du générique de fin, c'est très clair. Et je vous livre là mon intime conviction, la plus subjective (ce que sont tous mes articles en principe, héhé !), le juge de paix qu'est mon goût, ma sensibilité la plus enfouie. Voici ce qui me rend triste. Malgré ses qualités indéniables et son soin, LE PRESTIGE...
Ce n'est jamais totalement un vrai film de mise en scène. C'est un film de scénario à mes yeux... De très peu, il me semble qu'on reste dans l'artisanat et que Nolan ne fait jamais complètement œuvre d'Artiste (quitte à signer un très mauvais film d'ailleurs ; un artiste n'est pas obligatoirement un bon artiste !). Malgré tout, malgré une certaine abstraction humaine du film, LE PRESTIGE ne fait jamais Mystère. Il reste une narration. Il manque cette part de hasard, cette part d'accident, cette part d'injustifiable, cette part de choix. Cette part d'ombre, comme dirait l'autre, qui tient dans deux choses : l'Ouverture et l'Abstraction. LE PRESTIGE ne sort jamais des clous, ne contient aucun trou de noir (aussi dans ce plan mal cadré dont je viens de parler), ne vise pas les cieux. La gratuité n'est pas de ce monde, n'est pas de ce film. L'injustifiable et le parti-pris ne sont jamais complètement intégrés dans LE PRESTIGE, qui reste un film globalement brillant, et qui, de peu, à mes yeux (et ça n'engage que moi, ne vous privez pas d'aller le voir, au fond), a loupé sa cible : faire du Cinématographe. L'art est un cheval fou, finalement, même si la métaphore est laide. Et une part du travail est de choisir entre le lâcher de la bride et de féroces coups d'éperons pour contrôler la chose. LE PRESTIGE vise complètement la glissade, la gestion du lâcher de bride. C'est ça que Nolan veut sans doute. Mais dans les faits, et de très peu encore une fois, c'est l'éperon qui l'emporte.

On prend du plaisir à voir LE PRESTIGE. C'est un film assez sincère. Mais il y a cette fêlure dans l'œil du critique. Et elle n'est pas, malheureusement, dans le film. C'est un cas d'école, et je le dis avec une certaine tendresse : LE PRESTIGE n'est sans doute pas complètement du Cinéma !
 
Je plaide non-coupable.
 
Sincèrement Vôtre,
 
Dr Devo.


PS : Bien entendu, LE PRESTIGE est bien meilleur que de nombreux films vus récemment. Je précise ceci : tous les artistes sont des artisans, mais la réciproque ne me semble pas pertinente.
Il reste que le film est un superbe jeu de chausse-trappes et de construction subtil et dans le détail sur le thème du double et de l'identité. Sur le plan affectif, on effleure quelques belles choses du bout du doigt.
Il est assez ironique que l'élément tropézien du film (pourquoi pas au fond...) soit éventé et un peu stérilisé par un problème de montage et de cadrage justement (et sans doute par la peur de tout foutre par terre, la peur de risquer trop gros ; sur ce point, et contrairement à ses personnages, Nolan n'a pas fait confiance à son artifice). Mais là dessus, je ne peux pas m'étendre pour ne pas mettre sur la voie les lecteurs qui n'ont pas encore vu le film. 
 
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Publié dans Corpus Filmi

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D
Oui effectivement! C'est un peu too much le maquillage!<br /> Merci pour ces precisions.<br /> Dr devo
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R
en fait, la scène d'intro qui explique la terminologie est présente dans le bouquin, au début même du récit (dans le journal de borden, aka christian bale): cela ne donne pas toutes les clés dès le début, je ne dirais même pas que c'est une clé, mais c'est au contraire un moyen de comprendre le film uniquement rétrospéctivement, et de comprendre le titre (parce que c'est pas juste le prestige du casting!)<br /> le récit est dans le roman de priest alterné entre les journaux des deux magiciens et des témoignages extérieurs (méthode que priest emploiera dans le très bon "la séparation", un livre qui serait comme le mariage de "mulholland drive" avec le "maître du haut-château" pour son intrigue"),mais à part le journal qu'utilise à un moment borden pour mystifier angier, les deux magiciens n'ont pas connaissance des écrits de l'autre: par contre, il y a une mise en abîme aujourd'hui avec les descendants des magiciens rivaux qui sont ceux qui découvrent tout ces documents; et ça donne lieu à un beau finale, même si cette partie ne représente qu'un cinquième du tout. donc priest a un récit très construit, et on retrouve cette complexité mise en place de façon différente par nolan (jonathan).<br /> la scène avec l'acteur double de jackman était nécessaire (elle sort d'ailleurs du livre,mais elle est plus anecdotique), c'est juste que jackman fait n'importe quoi à ce moment:l'idée de transformer un soûlard en un quart de seconde en beau gosse classieux est drôle, mais la prothèse nasale pour déguiser jackman lui donne l'air con et comme il a pas envie de la jouer subtile...<br />  
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D
Oui, apres verifiation j'ai loupé huit minutes ou quelque chose comme ça. Le film, pour moi, dans mon devo's cut, commence avec l'arrivée de l'avocat en prison et la donation du carnet de Jackman. ca a énormément d'avantage car ainsi le recit est un poil plus opaque et on est plus surpris sans doute par certains elements du film (le chapeau, la machine electrique (drole d'idée que de la montrer des le depart... Ca sent l'idée de productuer ça!), etc...)<br /> On evite aussi ainsi une scène de procés inutile, et surtout la scène de vous savez quoi qui vaut à Bale son emprisonnement! Ca, ca me parait enlever plus de mystère mais comme je le dis moi-même: je ne saurais jamais.<br /> le double de jackman est effectivement assez carricatural et ouvertment hollywoodien. il nuit. <br />  <br /> Le recit etait-il deja en quinquonce dans le livre?<br />  <br /> Dr Devo
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R
oui, je comprends votre sentiment dr devo, et j'ai ressenti cette impression que le film était plus un film de scénario qu'un film de cinéma pur, que ça manquait encore un peu de lâcher de mou. c'est vrai. mais putain, quel scénario nom de dieu! c'est un des meilleurs que j'aie jamais vus, avec sa construction en abîme très bien foutue. j'ai lu le roman de priest (pour info, j'ai travaillé chez l'éditeur français de priest, j'ai d'ailleurs même été embauché parce que j'adorais ce type) et je suis proprement sidéré: bien sûr, si la construction est très différente et quand même bien pensée pour un film, c'est une adaptation très fidèle du bouquin, le roman de priest n'a vraiment pas été traité comme de la merde, et ça, ça fait plaisir (nolan a juste viré la fin très horrifique du roman, mais même si c'était une très belle fin, il aurait fallu ajouter une autre époque et ça n'aurait plus collé avec le film) -<br /> un truc m'a fait énormément marrer, c'est l'acteur censé jouer le double d'angier, soit hugh jackman avec un nez tordu postiche, retroussant ses lèvres sur ses dents tel un lapin sous acide (bec de lièvre)! le ridicule est voulu mais je crois qu'il marche simplement parce que jackman a joué comme un pied ce personnage (alors qu'il reste correct le long du film - et je ne l'ai pas trouvé infâme non plus dns scoop)
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V
Moi, ce n'est pas tellement la tristesse qui m'a envahie, c'est l'ennui... Et ce n'est pas le début que j'ai raté, c'est la fin : dix minutes avant la fin, une vieille cinglée s'est précipitée sur moi en hurlant qu'elle voulait s'asseoir et elle s'était en fait trompé de salle! Je crois que que ce qui dérange, c'est l'hypercontrôle, le type est un matheux, il ne laisse rien au hasard, ceci dit, je préférais nettement "Memento", c'est plus mon truc... Quant aux acteurs, quel catalogue de fades et cie... (sauf les seconds rôles mais quand même...).
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