LA FELINE, de Jacques Tourneur + LA MALEDICTION DES HOMMES CHATS de Robert Wise + LA FELINE de Paul Schrader (USA, 1942/1944/1982) : miaou !
(photo: "Le Carafon" par Dr Devo)
LA FELINE, de Jacques Tourneur (USA - 1942) / LA MALEDICTION DES HOMMES CHATS de Robert Wise (USA - 1944), LA FELINE, de Paul Schrader (USA - 1982) : goûté et approuvé.
Une jeune femme perturbée par les légendes de son pays d'origine et une ancienne malédiction supposée peser sur sa famille, est persuadée qu'elle ne peut aimer (comprenez "coucher", nous sommes en 1942), car elle se transformerait alors en panthère. On dit souvent de LA FELINE qu’il a sauvé la RKO du naufrage suite au bide de l’onéreux CITIZEN KANE d’Orson Welles. Rien ne nous oblige pour autant à comparer les deux métrages, mais j’avance malgré tout qu’à mes yeux, le film de Jacques Tourneur n’a pas à rougir face au classique de Welles. LA FELINE est le chef-d’œuvre de Tourneur, et l’un des plus beaux fantastiques produits par la RKO avec KING KONG. Par manque de moyen (d’abord) et par volonté de se démarquer des studios Universal (qui enchainaient à l'époque les Frankenstein, Dracula et consorts), la RKO avait choisi de mettre en scène un cycle de films fantastiques se distinguant par leur originalité et surtout par leur sens de la suggestion, suggestion ici portée à son plus haut niveau. LA FELINE est l’un de ces films parfaits, qui n’a jamais su vieillir malgré la désuétude de certains dialogues, par la grâce d’une mise en scène profondément fascinante (l’arrêt de bus, la piscine), la rigueur de son écriture, la richesse sonore, la beauté de sa photographie, et l’intelligence de son sous-texte, éminemment sexuel. Et malgré mon affection pour le loup-garou en goguettes campé par Lon Chaney Jr à la même époque, force est de constater que la lycanthrope campée par Simone Simon, pour être moins démonstrative, n’en est que plus classieuse et troublante. Troublante comme l’éphémère apparition de l’actrice Elizabeth Russell ("moia sistra…"), au visage toujours aussi étrange, beau et inquiétant.
La méthode RKO était ce qu’elle était – et elle a d’ailleurs admirablement fonctionné pendant quelques années. Le producteur Val Lewton commandait un scénario sur la seule base d’un titre attrayant, type « faîtes moi un film s’intitulant I WALKED WITH A ZOMBIE ». Le splendide LA FELINE (CAT PEOPLE) ayant rencontré un énorme succès, il n’en fallut pas plus pour que Lewton passe commande d’un film intitulé CURSE OF THE CAT PEOPLE. Une suite a donc été rédigée et tournée dans la foulée du succès de l’original. On y retrouve le fantôme de Simone Simon, errant autour de la maison familiale de Kent Smith et Jane Randolph, mariés suite au dénouement de LA FELINE, et parents d’une petite fille à l’imagination débordante. Bien évidemment, le fantôme d’Irena va très vite s’intéresser à la petite Alice… En réalité, cette MALEDICTION DES HOMMES-CHATS a ceci de particulier que le film ne présente ni malédiction, ni hommes-chats !!! Et ce n’est sans doute pas plus mal. Exit la lycanthropie mélancolique et l’épouvante suggestive, place à une forme de conte merveilleux aux contours sombres, mêlant magie et mélancolie, instants de poésie et séquences d’angoisse lorsqu’apparaît le personnage superbement campé par la mystérieuse Elizabeth Russell, qui revient ici dans un rôle plus conséquent. Plus rien à voir avec l’original, le film ne constitue une suite qu’en apparence. Entamé par le cinéaste allemand Gunther von Fritsch (viré parce qu'il travaillait trop lentement) et bouclé par un Robert Wise débutant qui n'avait pas encore réalisé LE JOUR OU LA TERRE S'ARRETA ou LA MAISON DU DIABLE, le film n’en est pas moins une petite merveille visuellement superbe et à l’écriture extrêmement riche et nuancée.
Le remake, par Paul Schrader, du chef d’œuvre de Jacques Tourneur, pour sa part, ne parvient pas à l’égaler, c’est vrai, mais n’en demeure pas moins un film original et respectable. Exit la puissance de suggestion du film original, le remake se montre très explicite dans les séquences gore comme dans les métamorphoses (d'ailleurs assez belles). Le film y perd en évocation ce qu’il gagne en spectaculaire – et allez, enfonçons des portes ouvertes. Mais il se distingue surtout par la noirceur de son récit, et par son érotisme assez subversif (inceste, sang virginal…). Le résultat est dans l’ensemble très intéressant, quelques séquences sont superbes (la ballade nocturne dans le bayou), d’autres un peu plus kitsch(l’arbre aux panthères). Les panthères justement sont plus présentes que dans la version des années 40, elles sont admirablement filmées et fascinantes. En essayant de moderniser le récit original écrit par DeWitt Bodeen, Paul Schrader s'en tire avec les honneurs. Il reproduit certaines séquences de l'original (dont la panthère rôdant autour d'une piscine plongée dans le noir), restitue au film ses aspects les plus dérangeants qui n'avaient pas pu être tournés dans les années 40 (un peu comme le ferait plus tard John Carpenter avec LE VILLAGE DES DAMNES), propose un dénouement plus ouvert, moins noir que l'original, et rate, quand même, le coche à plusieurs reprises, principalement à cause de concessions au style toc des années 80. A ce titre, on est en droit d’émettre de grosses réserves sur la partition de Giorgio «Bontanpi » Moroder, dont les synthétiseurs détruisent littéralement la poésie de certaines séquences. On se console avec un casting soigné et parfois tout nu, dominé par la très belle Nastassja Kinski, convaincante et moins "nunuche" que Simone Simon. Je ne suis pas un anti-remake primaire, je prends toujours beaucoup de plaisir à en voir, et je ne déteste pas celui-ci; je précise par contre qu'il serait dommage de déflorer (miaooouu!) les belles surprises du film de Jacques Tourneur, et qu'il est préférable de voir les trois films dans leur ordre chronologique.
Le Marquis.
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