21 GRAMMES, d'Alejandro Gonzalez Inarritu (USA-Mexique, 2003) : tant va le cachalot...

Publié le par Bill Yeleuze


(Photo : "And guess... Me Too !" par Dr Devo)



Hello les Mercenaires !

Le docteur a disparu. Je remets donc ma ceinture et mon colt. Et c'est reparti pour une chevauchée sauvage.

Il y a des jours comme ça, quand ça veut pas, ça veut pas, ça rebondit toujours sur la barre transversale, si vous me permettez l'opportuniste métaphore. [Si le foot se jouait avec des barres diagonales, ça aurait une autre gueule ! En attendant, chez nous, aux USA, on a le meilleur des sports : la Crosse.]
Comme je vous l'avais dit dans mon précédent rapport, le Docteur, un peu vicieux sur les bords, m'envoya regarder I SPIT ON YOUR CORPSE, I PISS ON YOUR GRAVE, dont je ressortis lessivé, certes, mais surtout entre deux sentiments : "c'est bien, je l'ai fait, tout le monde va saluer mon courage" et un "c'était super rigolo et en même temps j'ai envie de me pendre". Bref, le film flirtait, malgré sa faible teneur en expression, avec un sentiment de glauquasse, de vautrage dans la boue. Et à l'heure des comptes, disons que c'était quand même à moitié déprimant, mais notons-le, une bonne dépression de cinéphile pervers. Pas la dépression qui guette quand on va dans les salles art et essai en ce moment, où les films sont, en dépit des sympathies qu'on peut avoir pour telle ou telle histoire (et encore, quand je dis ça, je suis gentil, on se croirait quand même en dissertation de cours de CE2), entièrement construits sur le principe de non mise en scène. Ces gars-là (les réalisateurs, parce que metteur en scène, faut pas exagérer non plus) se refusent absolument à tout lyrisme. Le docteur me racontait ses récentes interviews de réalisateurs. Des français pour la plupart, et tous dans le circuit art et essai. Dès qu'on leur propose des ouvertures vers des cinémas plus marqués, ça coince, ils grimacent. Il m'a raconté qu'un d'eux disait adorer Wes Anderson, mais que non, son film ne pouvait pas aller vers ça ! Moralité : les réalisateurs hexagonaux ont une confiance fabuleuse en leur scénario. Mais ils vivent, inconsciemment peut-être, le lyrisme (où tout ce qui est un tant soit peu excentré, sinon excentrique) comme une chose dangereuse. Un beau film sérieux et touchant doit être sérieux ! Un film doit ressembler à un film de cinéma. Pas étonnant de voir la réaction des spectateurs et des critiques à TIDELAND de Terry Gilliam, film qui ne calcule rien de la réception de ses effets... Mais, plus grave, les réalisateurs refusent aussi, tout bêtement, la mise en scène : et tous les films art et essai français du moment refusent, ou presque, de faire du cinéma. Comme dit le Grand Absent : pas de jeu de son, pas de jeu de cadre, de montage, d'axe, rien ! Des acteurs, des dialogues, un scénario, un sujet, basta ! Finalement, I SPIT ON YOUR CORPSE...ressemble beaucoup à de l'art et essai du moment. Dans ce film, comme je l'avais expliqué, le scénario est débilistique et les effets sont ratés. Mais le réalisateur amateur américain n'a pas fait de stage de développement de son scénario avec le CNC, son film n'a pas été fait avec une équipe de 80 techniciens, et il n'a rien coûté ou presque, sinon le prix des cassettes mini-DV. Par contre, les points communs entre ce film et, par exemple, BLED NUMBER ONE ou ECHO PARK L.A. (sorti cette semaine, et dont le docteur va nous parler bientôt) sont nombreux : plans fixes et très longs où seuls les acteurs fixent la règle de la coupe, films tournés dans la région où l’on a ses origines ou bien là où l’on a construit sa petite vie, influence certaine du Home Vidéo, influence documentaire, dramatisation et même mélodramatisation des histoires (bêtes comme chou), confiance aveugle aux acteurs, utilisation des pathos personnels (plus dans le fantasme dans le cas de la série Z américaine), même échelle de plans (ben ouais !), même utilisation des axes, même plâtrage par la musique (et même passion pour la musique), mêmes acteurs amateurs, etc.
I SPIT... s'en sort avec une aura de ridicule, parce que c'est un film de genre, bien entendu, et parce qu'il pousse le bouchon scatophile ou pornographique assez loin. Donc, c'est plus cheap, c'est plus crapoteux. Mais de manière intrinsèque, il faut compter I SPIT... comme étant fortement influencé par le cinéma art et essai européen.

Le Dr Devo, qui avait réalisé ces interviews pour la Revue du cinéma, ne souhaite pas les utiliser pour ce site ! C'est vrai qu'en elles-mêmes, et malgré certaines questions intéressantes (d'ailleurs, où va-t-il chercher ces questions sur la post-production ou sur la narration, le docteur ? Il pose vraiment des questions chiadées pour des films bêtes comme chou ! C’est presque du jansénisme !), ces interviews sont aussi intéressantes qu'un dossier de presse, au point que d'ailleurs, les deux objets se confondent ! Mais je crois qu’ici et là, on voit bien la vision du cinéma qu'ont ces réalisateurs. Et tous ont les mêmes peurs et les mêmes envies. C’est intéressant et étonnant. J'essaie donc de faire du lobbying pour que le patron fasse une compilation de ces propos. Ça ferait une bonne analyse pratique.

Je disais que oui, décidément, il y a des jours où ça ne veut pas... passer, ça ne veut pas rigoler, ça déprime. Ce jour-là, j'étais d'excellente humeur. Je regardais donc I SPIT..., puis j'ai enchaîné sur 21 GRAMMES que j'avais loupé à l'époque. Alejandro Gonzalez Inarritu, regarde bien cette phrase, car je ne vais pas écrire ton nom beaucoup dans cet article, pour de simples raisons pratiques ! Disons qu'on peut t'appeler Alex !

21 GRAMMES fait partie de ce genre nouveau à la mode : le film-choral. En général, c'est un genre grand pourvoyeur de choses pas belles et incroyablement manipulatrices, et un jour, je pense, si la mode se poursuit, ce sera une chose aussi détestable que le film à costumes ou le film de maladie... Mais je m'égare !
Le bon docteur (non, n'aie pas peur !) avait fort bien décrit COLLISION, bêtise oscarisée de partout, au propos débile et réactionnaire, et surtout d'une mise en scène laide à pleurer, et très fière d'elle ! Et bien, j'avoue qu'ici il y a de l'enjeu, et que j'ai été surpris.
Comme dans tous les films du genre, précision pour ceux qui y ont échappé, ce film-choral raconte de manière éclatée plusieurs histoires et plusieurs destins que rien ne rattache ensemble, du moins en apparence. Au fur et à mesure, tiens, c'est bizarre, ils sont tous liés, comme si la flatulence d'un éclairagiste sur le tournage d'un film de zombies thaïlandais provoquait la signature d'un gros chèque chez un producteur hollywoodien ! C’est la théorie du gros papillon, avec ses grosses bombes au napalm sous les ailes.
Ici, il est question, et dans le désordre donc : d'une voiture gagnée à une tombola, d'ecstasy et de poudre blanche, de Jésus notre sauveur, de piscines (y'en a plusieurs), de prison, du petit gars qui balaye les feuilles devant chez vous, d'insémination artificielle, de deuil, d'hôpital, et surtout, d'accidents de voiture, car un film choral sans accident de voiture, c'est comme une comédie musicale mais muette, c'est un projet génial (pour moi !), mais pas très crédible si on veut faire carrière dans le bizness !

Bref, en trois minutes, on a compris, c'est pas marrant, c'est pas un film pour petit rigolo ! Punaise ! C'est même carrément la grosse déprime !

Bon, faut bien le dire, ça commence plutôt bien ! Soyons honnêtes.
Mr Mort, qui écrit aussi sur ce site, personnage délicieux mais qu'on n’a pas vu depuis longtemps dans les parages, me parlait il y a peu, de façon très drôle et très malpolie, de sa vision du film-choral. Je résume sa pensée. Faire un film-choral, ça parait difficile, ça en jette au final, mais en fait, c'est d'une simplicité enfantine, et c'est exactement aussi aisé que d'écrire un épisode de COLOMBO. Pour peterfalker à mort, il suffit d'écrire le scénario à l'envers en commençant par la dernière scène, et ainsi de suite, en terminant par la scène d'ouverture. Un jeu d'enfant. Pour le film-choral, le processus est similaire. Ecrivez le scénario dans l'ordre, comme un film normal, en privilégiant les scènes courtes, les sentiments très marqués (la vie, la mort, le destin) et surtout, surtout, ne rentrez pas dans le détail. Très important : respectez le schéma aristotélicien et les trois actes, les quêtes, les empêchements de quête, etc. Ça, tout le monde peut le faire. Ensuite, munissez vous d'une paire de ciseaux et découpez le scénario. Faites trois paquets. Un pour le premier acte, un pour le deuxième et un pour le final. Prenez un paquet, lancez les feuilles en l'air dans votre cuisine. Ramassez les feuilles au hasard. Si l’une d'elles est tachée avec de l'huile (car vous n'avez pas nettoyé votre cuisine), balancez-la à la poubelle. Ainsi, vos scènes sont organisées de manière discontinue. Répétez l'opération pour chaque paquet, et le tour est joué. Si deux scènes successives concernent les mêmes personnages, remettez la deuxième au hasard dans le paquet ! Reliez le tout. Lisez, c'est prêt. Laissez reposer 24 heures au frigo. Reprendre la lecture et écrire une nouvelle scène finale. Voilà vous pouvez servir !

Tout le monde peut le faire. Et c'est pour ça que les films-chorals sont un peu insupportables de frime : en fait, ils sont éclatés dans la narration, mais ils sont extrêmement LINEAIRES ! Bon sang, ça se voit quand même ! [C'est pour ça que PULP FICTION est un film durassien, et pas un film-choral !]
Revenons à 21 GRAMMES.
Ô Joie Infinie, et vrai plaisir de spectateur, le film n'est pas linéaire, et joue sur un principe simple et efficace (qui, de fait, fait de ce film le premier film-choral ambitieux !) : le mélange temporel.
C’est simple, dans la première heure du film, on s'aperçoit que trois époques sont mélangées : le passé lointain, le passé antérieur (il n'y a pas longtemps) et le présent de la résolution. Alex, en bon réalisateur choralien, mélange le tout et passe d'un personnage à l'autre comme on joue à saute-mouton. Mais avec ce dispositif de mélange temporel, le jeu est complètement renouvelé et excitant. Un personnage est sous respirateur dans une scène, et cinq minutes plus tard, il pète la forme ! Une junkie sniffe de la coke dans les toilettes d'un bar minable, et cinq minutes plus tard elle est bonne mère de famille qui fait la popote à ses enfants et à son mari dans sa grande maison !
Et bien les amis, ça fait du bien. Alors oui, 21 GRAMMES est rempli jusqu'à la gueule de sentiments tragiques et forts, de gros malheurs comme il n'en arrive qu'à la famille Capwell, de tragédies incessantes, etc. Mais la première heure du film est absolument délicieuse, en quelque sorte, car on ne sait pas où on va, on comprend peu de choses, et on a l'impression de regarder le film de biais, ce qui est très agréable et nous place, enfin, un peu, à distance d'une histoire sur-émotionnelle, et des acteurs (autre plaie des films-chorals, car en général ils en font des mégatonnes, jouent tous la course aux Oscars et se chamaillent pour tirer à eux la couverture ! Ça m'étonne que Meryl Streep n'ait pas encore fait un film-choral, tiens !).

Miam Miam, donc.
[En fait, je mens un peu, car même dans cette première partie, j'ai eu des doutes et suis resté très méfiant. Mais bon, c'est plus facile à expliquer comme ça.]

Cher lecteur, si tu n'as pas vu 21 GRAMMES, ne lis pas ce paragraphe et passe au suivant directement, sans quoi tu vas te gâcher le plaisir. Allez, ouste ! Déguerpis, chenapan ! Bon, on est entre nous ? Ceux qui n’ont pas vu le film sont partis ? Je peux y aller alors. Deuxième bonne surprise, encore plus grande... [Si tu n'as pas vu le film il est encore temps de zapper ce paragraphe, à la fin de la phrase, il sera trop tard], le film ne se contente pas de faire du mélange temporel. Il joue avec, et non sans malice, non sans dextérité ! C’est le plus beau du film, une chose vraiment magnifique. Quand on a compris le système, on s'investit dans le film. On essaie de recoller les morceaux et les parties manquantes, on fait le puzzle. Or, le scénario est très malin. On s'apercevra en effet que l'ordre temporel qu'on pensait être le bon est complètement faux ! Ce qu'on pensait être "avant" est en fait "l'après" ! C'est une sublime idée, c'est formidable. Et c'était gonflé, je trouve, de jouer de manière inconsciente avec l'idée subliminale enfouie en chacun de nous que le temps calmera les choses, que le Temps est sagesse et calme ! Très belle idée. C’est vraiment superbe. C’est ce que le film a de plus beau. Voilà, ici, je rajoute une phrase inutile pour allonger la sauce, histoire qu'un œil de spectateur futur qui s’égare sur ce paragraphe n'apprenne rien de rédhibitoire. Voilà, c'est fait. On est bien là. Comment ça va, vous ? Elles sont confortables, ces charentaises, non ? Tiens, je vais en profiter pour glisser des horreurs, maintenant qu'on est en petit comité. Bertrand Tavernier est une femme. Macha Béranger a réalisé CRIS ET CHUCHOTEMENTS pour son pote Bergman qui était malade. J'ai une copine qui a fait du camping avec Famke Jansen ! (Véridique !) Pour la prochaine saison, ils vont mettre des armes à feu dans Koh-Lanta !
Jésus ! Mao ! Alain Madelin ! Denny Crane ! Ça y est, je pense qu'on peut continuer, les tricheurs sont partis !

Où en étions-nous ? Ah oui, je disais donc que ce petit mélange temporel, mine de rien, produisait sa petite magie à l'aise Blaise, et malgré l'hénaurmité du propos qui concentre à peu près tout ce qui peut vous arriver de moche dans la vie si vous êtes le plus fini des poissards (hormis le viol et l'infanticide, je pense que tout ce qui fait mal est dans le film), et nous sommes bien attirés par cette étrange façon de faire. Bien.

Oui, oui, c'est bien beau, ton truc, mais la mise en scène dans tout ça ? Bah, bande de outlaws buveurs de mauvais whisky de saloon, c'est du soigné. On retrouve un soin évident pour la photographie, telle qu'elle se trouvait déjà dans le précédent opus du Alex : AMOURS CHIENNES. [Un film quand même surestimé, quoique réalisé avec soin, mais sans réel éclat. C'est regardable disons, et son principal défaut est sans doute le classicisme de sa trame. Mais bon, c'est du travaillé.] Elle est signée Rodrigo Prieto, qui avait travaillé avec Spike Lee (LA 25ème Heure) ou encore ALEXANDRE et donc AMOURS CHIENNES. C'est donc très sur-travaillé, c'est du précis, c'est du précieux, c'est réussi. Ce n'est pas du tout mon goût, mais alors pas du tout. Mais c'est très travaillé. La plupart du temps, la caméra est baladeuse, et utilise le format 2.35 (scope) d'une manière également très esthétisante. Ce qui m'empêche de décoller (merci docteur de m'avoir inoculé le virus, j'ai l'air malin maintenant), c'est l'échelle de plans souvent très près des personnages, et un peu claustrophobe. Je pense qu'Alex se sent assez suffisamment fort avec son dispositif narratif, sa photo, son casting luxueux et sa charge émotionnelle. Bon. Mais moi, le vieux grincheux des plaines du Missouri, je reste sur ma faim et j'attends de voir.

Tout se passe bien. Le malheur et la souffrance s'abattent en fines gouttelettes d’acide sur tous les personnages dont la peau est brûlée très lentement mais aussi très sûrement. La séance de torture se suit très aimablement, et encore une fois, on y est bien aidé par le malicieux dispositif temporel. Bien. Bien sûr, le système a son revers. Quoique... Pourquoi serait-ce si sûr ? Disons qu’Alex a mis la barre bien haut, et qu'il sait qu'il va devoir encaisser la monnaie de sa pièce. Ben oui, c'est tout bête, tellement bête que je fus moi-même surpris de ne pas avoir anticipé la chose : plus le film va avancer, plus le scénario va perdre en charme, moins il va devenir opaque en quelque sorte. Les personnages sont nombreux, les temps mélangés, les points communs (savamment distillés) ne sont pas légions. On est donc ballotté, il nous manque des tas d'informations, et on est obligé de remplir les trous ou, au contraire, on se retrouve dans l'impossibilité de les remplir. C’est très agréable.
Et puis, arrive le moment où il y a eu assez de trous de remplis ou de révélations faites pour que nous voyions très bien de quoi il en retourne dans cette histoire. Il y a un moment où l’on a très bien compris tout ce qui se passe. On sait que Machine est reliée à Bidule à cause de tel événement, d'où l'intérêt de Trucmuche de faire ceci, etc. Et on se retrouve en milieu de film, et la bise vient. Et elle est très étrange.
Ben oui, ma pauvre dame, une fois qu'on a recollé les morceaux, qu'est-ce qu'il reste ? Et bien, il reste un film-choral (presque) dans sa forme classique, avec visibilité complète sur la situation ! Fichtre ! Du coup, les mélanges temporels, et bien, ils sont bien lisses, c'est-à-dire moins intéressants. C'est un peu original quand même, mais on a l'impression de nous retirer l'assiette sous le nez, et même si la serveuse est somptueusement habillée, ben on reste sur notre faim et on se retrouve nez à nez avec... l'histoire, et encore plus, les acteurs.
Rupture donc. Ou plutôt, changement de notre point de vue. Jusqu’ici, on était bougrement attiré par le dispositif. Là, comme la photo ou la mise en scène ne me font pas pousser des soupirs d'extase (bien que soignées, je le répète, et bien loin, je le répète aussi, de l'incroyable médiocrité de la réalisation d'un COLLISION), du coup, j'ai tendance à m'ennuyer. De plus, le côté balourd de l'histoire (on dirait presque que Von Trier, avec ses surcharges émotionnelles jusqu'à la lie, et que j'adore, est un petit joueur ; je force le trait, bien sûr) nous revient comme un boomerang avec une force décuplée dans la pesanteur justement.
Deuxième problème, la longueur. Ben oui, c'est qu'il reste encore une heure de film à tirer ! Et c'est là qu’Alex loupe peut-être une élégante porte de sortie. Car, en effet, s'il assume complètement le côté surchargé de son propos, Alex aurait très bien pu surprendre son monde en beauté (et moi avec) en raccourcissant de manière brutale et ostentatoire cette deuxième partie ! Du coup, il aurait relativisé le sur-tragédisme de son film, il aurait fait quelque chose de pudique et de bien plus élégant, et surtout il aurait bien mieux mis en valeur la quasi non-rencontre entre ses deux protagonistes principaux (Del Toro et Watts). Ça, ça aurait eu de la gueule, ça aurait été super-malin, et comme disent les mauvaises langues, c'est marrant, c'est Bill Yeleuze qui en a eu l'idée ! Gros mythomane !

Il n'est cependant pas question une seule seconde de partir de la salle (à manger). Alors, on regarde le reste. Outre la longueur globale du film, on s'aperçoit alors (qu'est-ce que je m'aperçois, aujourd’hui !) de deux choses. Primo, les (durées de vie des) scènes sont très courtes. En général, et c'est un des points sympathiques du film, elles sont effectivement très brèves. Et bien malgré cela, on sent que dans la deuxième partie, ça manque singulièrement de rythme. Dans la globalité du montage, comme je l'ai dit, et aussi, plus surprenant, à l'intérieur même d'une de ces scènes courtes ! Ce n’est pas parce qu’une scène est courte qu'elle est rythmée ! A quoi c'est dû ? Bah, je crois que c'est dû à une mise en scène très répétitive. Ce sont toujours les mêmes plans et les mêmes découpages qui arrivent devant nos yeux.

Deuxio, cette seconde partie révèle un autre défaut qui ne sautait pas au yeux dans la première, mais qui explose là à nos mirettes (sans changement qualitatif) : le scénario est incroyablement utilitariste, et devient d'un lourdingue notable et même parfois ahurissant dans la symbolique. Ainsi, aucun élément du film ne sera gratuit ou inutile. Chaque détail est exploité de manière symbolique. L’histoire du tatouage de Del Toro qui renvoie au foulard de Watts, les deux piscines qui se répondent (et là, les sabots sont encore plus gros), etc. Je pense sincèrement que Dr Devo ou le Marquis pourraient peut-être être assez charmés par cet aspect des choses. Mais pour moi, c'est un peu la bouteille d'eau qui a fait déborder la citerne ! Tout est signifiant dans la vie d'un Américain, semble nous dire Alex. Que c'est lourd pour mes petites épaules ! Et que c'est mal joué, je pense, d'un point de vue stratégique, car on a un peu l'impression qu'il s'agit pour Alex de justifier le Destin, ce monstre, c'est-à-dire de lui enlever toute sa gratuité ! C'est Dieu qui est à l'œuvre quasiment. [Bouddha, plutôt.] Tout est dans tout, et réciproquement. [Vous me permettrez, sur ce point, de passer la brosse à reluire à mon patron. En effet, le Docteur avait fait une très pertinente remarque à ce sujet dans son article sur REEKER, remarque qui lui venait de Bernard RAPP d'ailleurs, si ma mémoire est bonne. Dans ce tout-utilitarisme, on peut reconnaître clairement un trait de caractère typiquement (et cinématographiquement) Américain. Ce qui était assez frappant, disait Devo, dans REEKER, c'est justement qu'il avait, en dépit de sa nationalité, une vraie conception européenne des choses, c'est-à-dire la gratuité et la non-justification über alles. De ce point de vue, 21 GRAMMES est donc, pour le meilleur et pour le moins bon, bel et bien un film américain !]

Et puis il y a les acteurs. Prenez des notes. Une fois que vous aurez, selon ma méthode, fait votre scénario de film-choral en moins de temps qu'il n’en faut pour le dire, bah, le plus dur sera de réunir le casting, qui se doit d'être ultra-luxueux.
Ici, je trouve les seconds rôles plutôt bons. [Clea DuVall, encore une fois, les écrase tous, et haut la main !] Les premiers rôles sont tenus par les vedettes, et ce ne sont pas des incapables. Ils y vont avec courage, au charbon. Ils défendent leur bifteck. Mais c'est sûr, c'est du lourd et ce n'est donc pas toujours facile ! Naomi Watts est correcte, et paraît bien plus maladroite dans la seconde partie, ce qui n'est pas un hasard, celle-ci étant aussi, d'un point de vue narratif, bien moins intéressante que la première. Son rôle est de plus en plus caricatural, et la belle Naomi (oh ho ho, joli poupée !) en bave des ronds de chapeau. Del Toro avait un rôle tractopellique dès le départ, et je trouve qu'il s'en sort, à une ou deux prises prêt, plutôt bien, même si on n’est que mollement passionné. Charlotte forever Gainsbourg est très très bonne. C’est elle qui y va le plus franco de porc, avec le plus de sobriété et de simplicité en plus. La classe.. Elle est formidable, mais malheureusement, elle a le rôle le plus fermé de tout le film. Son personnage est un point faible, je trouve. Dommage, car elle ferait respirer le film de belle manière, je pense. C’est vraiment une actrice formidable, et c'est dommage qu'on ne lui offre pas plus de rôles hors des sentiers battus. Ceux qui ont des doutes peuvent aller jeter un œil sur le formidable CEMENT GARDEN d’Andrew Birkin, film sublime où la Charlotte est formidable (Charlotte, je vous embrasse au nom de toute l'équipe ! Si vous voulez vous faire interviewer par nos soins, n'hésitez pas à nous contacter).
Sinon, le gros problème, c'est Sean Penn. C’est un acteur très bon et très pénible. Dans COMME UN CHIEN ENRAGÉ (Wouah, je me souviens de ça !), COLORS, le beau ACCORDS ET DÉSACCORDS ou L'IMPASSE, c'est impeccable. Par contre, donnez-lui un rôle dramatique qui ne soit pas inscrit dans un film de genre, et là, patatras, il devient immonde de pathos ! Ici, on est dans le deuxième cas, et encore une fois, il est mauvais comme un cochon, l'exact contraire, techniquement et artistiquement, de Charlotte Gainsbourg ! Il faut empêcher Penn de se jeter sur des rôles émotionnels (hors film de genre). Les plus masos d'entre vous iront voir l'affreux SHE'S SO LOVELY, un des plus grands nanars de l'espace jamais tournés, où tout le monde est mauvais jusqu'à plus soif, mais où surnage quand même la monstruosité totale des scènes entre Penn et John Travolta, qui fonctionne d'ailleurs sur le même schéma (je suis capable, mais je joue comme une patate radioactive sous acide !). Un grand moment que ce SHE'S SO LOVELY. On peut le regarder en se flagellant avec du barbelé rouillé, c'est encore plus délicieux.

Donc, voilà. On avait un joli dispositif qui s'effondre un peu et qui ne peut pas être relevé par le reste. Si on peut trouver, en tout bien et tout honneur, du vrai plaisir et de la malice de structure dans la première partie de 21 GRAMMES, le film nous renvoie à la figure ses défauts en deuxième mi-temps, et se révèle au final être assez simplet dans son propos, complètement maladroit dans l'ensemble. Il manque à notre ami Alex un peu de personnalité, de gratuité et de baroque dans sa mise en scène, une petite touche personnelle qui ne dépende pas du dispositif, justement. Là, c'est propre, mais c'est de l'étouffe-chrétien dans lequel tout le monde se perd : lui, les acteurs et les spectateurs, qui au final se retrouvent devant un film qui n'impose pas grand chose, sinon la théorie selon laquelle Dieu (en fait, Bouddha déguisé) nous juge constamment, pas seulement "en dernier", et n'arrête pas de nous balancer des pots de géraniums sur le sommet du crâne ! C'est lassant, et c'est cruel je trouve.

Bill Yeleuze.
 
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Publié dans Corpus Analogia

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B
"Quand ça ressemble, c'est que c'est ça" disait Lao Tseu, la belle-mère de Confucius
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D
C'est dit dans le texte!
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A
oh! on dirait du devo !
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