WIND CHILL de Gregory Jacobs (USA-2007): S.O.S Cinéphiles, j'écoute...

Publié le par Dr Devo





[Pièce à conviction No1, tirée du film WIND CHILL...]





Chers Focaliens,

 

En attendant d'aller se précipiter en salle voir le nouveau Lars Von Trier, ANTICHRIST, qui sort aujourd'hui et dont LJ Ghost nous a vanté les mérites dans ces pages pendant le festival de Cannes,  et après quelques tentatives encore une fois infructueuses de voir un bon film en salle (THE OTHER MAN de Richard Eyre), nous nous rabattions sur les dividis dans la bibliothèque (avec un chandelier !). Et c'est là que dormait depuis quelques temps WIND CHILL de Gregory Jacobs dont le Marquis m'avait dit : "Je ne sais pas si ça va te passionner, mais il y a des choses intéressantes". Quoique l'affiche de la galette soit classiquement et banalement laide, on s'est laissé tenter...

 


De nos jours, chez nous, aux USA. Emily Blunt, jeune étudiante dans une toute petite fac perdue dans une ville moyenne au milieu des montagnes de l'hiver joli, passe son dernier partiel. C'est les vacances et on est le 23 décembre. Le soir même, elle rentre chez elle, dans le Delaware, et en bus ce qui ne l'enchante guère! Elle jette un petit coup d'œil, un peu au hasard, sur le tableau des petites annonces du campus, et là, miracle, elle trouve le numéro de quelqu'un qui part justement dans cette direction. C'est parti pour le covoiturage avec Ashton Holmes, étudiant lui aussi. Ce petit gars est un peu bizarre, gauche sans nul doute, et dont on imagine aisément qu'il n'a pas une énorme vie sociale. Emily, elle, est très jolie. Très vite, leurs rapports sont assez agressifs ou malpolis, la faute à une Emily très peu réjouie de faire la route avec ce petit plouc, dans sa voiture pourrie. Mais, la route est longue, 7 ou 8 heures, et il va falloir s'y faire. La jeune fille s'aperçoit notamment que son chauffeur d'un jour la connaît assez bien. Est-ce un freak ? Est-il un peu dérangé ? Ou Emily est-elle simplement en train d'envoyer bouler la planète entière ?
En tout cas, un incident simple et inattendu va changer le destin de ce voyage. Emily et Ashton vont se retrouver dans une situation très particulière et banalement dangereuse...

 

 

WIND CHILL est sorti en France directement en dividi, et malgré le peu de temps nous séparant de sa réalisation, c'es déjà un classique des bacs à solde. Difficile, comme je le disais dans ma puissante introduction, de distinguer ce film d'un autre produit tant l'affiche est affligeante de banalité. Elle ne représente d'ailleurs absolument pas le film. Et c'est donc au Marquis, ex-rédacteur de ce site, son hémisphère droit même, que l'on doit la vision de la chose. Car s'il avait fallu compter sur les distributeurs français ou sur les critiques, on en serait encore à voir en salles des films avec Liam Neeson et Antonio Banderas !

 

 

Et bien les amis, quel film étrange ! La première chose à dire est que Jacobs, le réalisateur, est plutôt un petit gars direct et il ne perd pas 300 ans à nous planter le décor. Et il le fait assez joliment... Le film commence sur un gros plan, chose toujours gagnante (l'hallucinante entame de CHROMOSOME, par exemple), enfin disons, une chose qui me plaît et qui souvent annonce qu'on prend le film en cours de route, alors qu'il est déjà commencé en quelque sorte. Dans cette première scène, les plans sont assez gentiment cadrés. C'est joli. La photo est vraiment sympathique (signée Dan Lausten, déjà opérateur sur le SILENT HILL de Gans). Et puis, dès la scène suivante, si vous me permettez cet aparté, on se dit qu'on n'est décidément pas en Europe, et là je vous demande d'examiner très concrètement la pièce à conviction No1, en début de cet article. Ce plan est tiré du film bien sûr... Emily Blunt sort de la salle de cours pour aller voir le tableau des petites annonces. Regardez ce plan de transition tout à fait banal. Imaginez le avec un petit travelling tranquilou vers la droite, et un petit effet de panotage adéquat et simultané... On constate trois choses au moins. D'abord, ce n'est pas parce que c'est un plan de transition, et qui plus est faisant partie du générique, qu'on doit le rendre banal, ou garder des effets pour la suite du film, plus angoissante. Deuxio, alors qu'on découvre le personnage, on remarque, alors même qu'on n'est pas dans le premier plan de cette deuxième scène (qui sert en général, hélas, hélas, hélas, 9 fois sur 10, à faire de la description géographique du lieu de l'action), on remarque, dis-je, qu'on est en plan de demi-ensemble, et donc très large. Pas de gros plan psychologique sur le personnage principal. Regardez bien l'image et voyez comment on "ose" perdre son personnage dans le plan immense. Enfin, observez la position de la caméra : contre-plongée légère mais marquée, accompagnée, ce que vous ne pouvez pas voir sur cette image fixe, d'un travelling légèrement panoté qui va jouer sur la perspective des différents bâtiments du campus. Travelling ET pano. Fromage ET dessert. C'est un plan relativement compliqué à faire. Mais, c'est tout bête : c'est beau, bien cadré, avec une idée (contre-plongée d'abord, puis pano-travelling pour faire muer la perspective du décor). Le temps de rejoindre la scène suivante, bah on ne s'ennuie pas. Le plan n'est pas anonyme. Jacobs a choisi un axe particulier. Il n'a pas fait un plan rapproché, n'a pas filmé son actrice de profil, à hauteur d'homme à la steadycam. Dans le même temps, le plan est juste élégant et racé. Ce n'est pas une démonstration technique. Et cerise sur le gâteau, on n'a pas l'impression d'avoir vu cette image douze fois.

 

Messieurs-dames, ce plan vous apprend deux trucs. Primo, vous n'êtes pas dans un film européen ! Qui, en Europe, se serait casser la binette pour un tout petit plan de transition ? Deuxio, la mise en scène va sûrement être soignée. Juste avant, dans la scène du partiel, on a eu le droit à un champ/contrechamp tout simple, mais bien découpé (très statique notamment) que cette séquence de générique coupe judicieusement. Jacobs essaie de personnaliser cette séquence, le film est commencé depuis une minute quarante, c'est bon signe. Ma question est donc la suivante : pourquoi, dans les films qui sortent au cinéma, et qui plus est dans les films européens, ne voit-on pas tout de suite, d'entrée de jeu et pendant tout le film, un petit plan de caractère soigné ? Pourquoi, une fois qu'on a loué la caméra et les projos, et qu'on a une actrice devant l'objectif, pourquoi des plans comme ça, dans un film de hauteur européen, on n'en voit que 3 ou 4 par an sur 150 films visionnés ?
Une fois l'équipe technique sur le plateau, pourquoi Gregory Jacobs fait ça, et qu'aucun Français, par exemple, ne le fait et ne se contente que d'un horrible plan serré, éclairé  sans goût, pas cadré et sans profondeur de champ ?

 

Passons...

 

 

On ne va pas gâcher la fête. WIND CHILL est une excellente nouvelle. Effectivement, le reste du film sera à l'avenant. La photo, mélangeant avec habileté des extérieurs et des plans en studio, est expressive et très soignée. Malgré le "look" du film et son background (une fin de journée et une nuit d'hiver dans la tempête de neige), on n'a jamais l'impression de suivre un chemin déjà emprunté par 200 autres réalisateurs. Jacobs, qui privilégie souvent des petits mouvements de travelling, sait aussi découper et faire du plan fixe. Le film est une sorte de faux huis clos, et une grande partie de l'action se déroule dans une voiture à l'arrêt. Il n'empêche, dans les parties extrêmement dialoguées de la première ou deuxième partie du film, les champs/contrechamps sont élégants, l'espace pourtant petit de la voiture est bien spatialisé, et très souvent, un cadre ou un point de montage efficace permet de rendre compte avec élégance de l'effort physique de tel ou tel geste, de telle ou telle action, même banale (prendre un sandwich sur la banquette arrière par exemple).



Souvent, Jacobs utilise les arrière-plans, notamment dans les parties les plus fantastiques. Et les effets sont en général assez calmes, étrangement répétitifs (cf. les jeux de mains autour des vitres de la voiture). Ainsi quand un effet spécial arrive, malgré son classicisme parfois, le fait que la chose se déroule sans un effet coup de poing (un gros coup de cymbale, un surgissement dans le plan ou dans le montage, par exemple), fait que les choses deviennent atrocement normales et angoissantes, comme ce "bidule" en haut de la colline (je code), qui tourne la tête tout doucement, comme si c'était normal... Brrr, c'est angoissant...

 

Donc, tout cela est d'une bonne facture, et Jacobs sait utiliser les fondamentaux de façon personnelle. C'est d'ailleurs ce qui rend le film étrange et attachant, comme disait la poète. Car, l'histoire de WIND CHILL si elle est assez particulière et a un caractère bien à elle, fait partie d'un sous-genre du film fantastique (que vous découvrirez tout seul !). On est en territoire relativement connu. Et pourtant, même dans la seconde moitié du film, où on retrouve des modousses operandailles narratifs communs à d'autres films (je pense aux flashbacks par exemple), Jacobs a assez bossé en amont pour que ces passages (à peine) plus balisés ne débarquent, et du coup son film est original. Car la narration et la mise en scène vous ont déjà plongé auparavant dans une ambiance bien plus particulière que la concurrence. Et quand bien même, les choses sont toujours faites avec assez de sensibilité pour que tel repère cinématographique ou narratif deviennent touchant ou rebondisse sur une nuance plus inattendue. Je pense par exemple, et je vais encore coder pour ne rien dévoiler, à cette espèce d'incendie en fin de film. On sent évidement la résolution de l'accord majeur, et même l'approche de l'accord final, si j'ose dire. Et pourtant, en rajoutant un plan ou deux et un accessoire, le visage de la scène change : on n'est plus complètement dans la résolution de la métaphore, mais aussi dans un sentiment de détresse assez inattendu qui fait bizarrement écho à la froideur humaine de la première bobine du film. Ainsi, d'un scénario que d'autres auraient transformé en quelque chose d'assez banal, Jacobs réussit à nous emmener sur des pistes plus surprenantes. Il n'hésite pas, notamment, sans faire du Fulci ou du Bava bien sûr, a amener son film vers une logique narrative plus européenne. Les actes ne sont pas que logiques ou empreints du sceau de la Conséquence. Les personnages eux-mêmes remarquent qu'il y a d'étranges dérapages. La scène du "dinner" est d'ailleurs bien vue. Elle ne sert quasiment à rien. Le passage d'Emily Blunt dans les toilettes est plutôt gratuit. Jacobs est alors à la limite de trop marquer la séquence, de la transformer et la fondre dans un fantastique prémonitoire qui n'aurait pas ici sa place.

 

 

C'est aussi là que le film est touchant. Son sujet est étrange. Je vous déconseille de lire quoique ce soit sur WIND CHILL avant de le voir, et surtout pas la jaquette du dividi. Car le charme est aussi de faire le chemin avec les deux personnages. On ne sait pas, pendant une bonne heure ou pas loin, à quelle sauce on va être mangé. Les choses commencent bizarrement. Le personnage de Emily Blunt, sans être une conne ou une imbécile, est assez négatif. Elle se heurte à un Ashton Holmes (le fils de Mortensen dans A HISTORY OF VIOLENCE, choix bizarre mais drôlement bien vu !) dont on ne sait pas s'il est un peu dérangé ou juste à côté de la plaque. Et pendant la première partie du voyage (sublimée d'ailleurs par un repérage vraiment superbe, pensé d'ailleurs dans le sens de la mise en scène !), ces deux logiques s'affrontent à l'intérieur de nous, sans faire de bruit, mais très certainement. Le sentiment de solitude est présent dès le début du film, mais sans être aimable : Blunt est désagréable, Holmes bizarre... Ca frotte... On se doute que Jacobs va nous emmener sur un territoire plus inscrit dans le genre, mais en même temps rien ne nous permet de l'affirmer véritablement. Le film pourrait être un teenage movie triste, ou un peu amer. Quand l'incident créateur arrive, le film change de direction. Et je crois que ce qui m'a le plus touché est sans doute les premières scènes autour de la voiture. Une jolie idée de scénario quand Holmes sort de la voiture, et une bonne mise en scène (après beaucoup de beaux moments dans la voiture) quand les deux personnages décident, face aux premiers évènements trop fantastiques pour être honnêtes, de revenir dans la voiture. Jacobs dépose alors un peu de musique en esthète, et c'est horriblement angoissant. Le film semble avoir trouvé son sujet : la paranoïa, la diffusion de la peur, que la solitude rêche de la première partie avait bien préparé. Par la suite, le réalisateur va alors emprunter une thématique plus balisée mais le mal est fait, si j'ose dire. On a déjà, nous les spectateurs, ressenti beaucoup de sentiments forts. Assez, en tout cas pour ne pas teinter notre vision du film, et donc notre ressenti face à lui, trop fortement à la lumière du genre ou de nos connaissances cinéphiliques du genre fantastique. Le film est un entre-deux vraiment touchant, très angoissant entre la banalité de la situation et ce fantastique dont on identifie si mal la source (alors que le sujet est trèèèèès lisible, paradoxe !). Le voyage devient largement intérieur, et finit même par un jeu de résolution de métaphores original (comme je l'évoquais plus haut) à prendre une dimension plus universelle. En un mot, c'est plutôt couillu, très bien écrit. Et comme les acteurs sont absolument excellents, bien soutenus par une mise en scène qui sait être autre chose que suiviste (par rapport à ces personnages et par rapport au scénario), WIND CHILL distille son venin avec une force certaine. De fort belle manière, avec pas mal de générosité, le film finit par acquérir une personnalité propre, assez étrange. Et touchante. [Je salue le choix de Martin Donovan, employé à contre-pied et de très belle manière, qui apparaît dans le film, et qui, croyez-moi, avec trois bouts de dialogues, ne vole pas sa place ! Accrochez vous ceintures ! Pourquoi le voit-on si peu ?]

 

 

 

Un bon film, avec un joli sujet et un point de vue pas bête, bien mis en scène, et même avec pas mal de personnalité, et qui finalement ne ressemble pas vraiment à la concurrence, et... Et... Et.... Rien. Ça sort directement en dividi !!!! Le film est très tenu pourtant. Loin d'être un film prometteur pour son metteur en scène, il est complètement abouti et beau en l'état. Mais personne ne veut le sortir, même maintenant au moment même où Emily Blunt devient très populaire. WIND CHILL fait partie de ses films qu'on découvre en farfouillant dans les bacs à solde, qu'on achète trois ou quatre euros. Personne ou presque ne l'a vu. Il ne laissera sans doute aucune trace, même dans la communauté cinéphile fantastique. En tout cas, c'est la quatrième fois, après les beaux UNITED STATES OF LEELAND, (encore avec Martin Donovan, tiens!) KILLING ANGEL, le beau polar étrange de Paul Sarossy ou encore THE RIVER KING, que je suis touché par un film bien fichu et original, et dont décidément je ne comprends pas qu'il ne sorte pas en salle. Car tous ses films, et WIND CHILL compris, sont largement au-dessus de la moyenne, et très loin devant les petits machins qu'on nous propose. S'ils sortaient cette année au cinéma, ils seraient assurément dans votre top 10 ! On ne peut pas dire que les professionnels de la profession, ceux qui décident des choses que nous voyons, se cassent la binette à nous montrer des films beaux et originaux. Comme je le dis souvent : dans trois ans quand on n'aura plus le choix entre le dernier BATMAN ou le dernier Will Smith dans les cinémas Pathugmont, d'une part, et entre le dernier Almodovar, ou Allen, ou David Lynch dans les cinémas art et essai, ET RIEN D'AUTRE, absolument rien (peut-être à part un film afghan et une comédie de Danièle Thompson!). Ce n'est pas à ce moment là qu'il faudra venir pleurer... En tout cas, au bout de la chaîne, qui est pénalisé ? VOUS !

 

 

Bienvenus dans l'Âge Ingrat !

 

 

Dr Devo.

 



Publié dans Corpus Analogia

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
non pas que je postule pour un diplôme es-focalien, mais encore une fois merci pour ce bel article ( le même état d'esprit qui m'avait interpellé en ce qui concerne 'popcorn' et je vous en remercie encore ), si il y a une chose que j'apprècie tout particulièrement, c'est votre conception organique du cinéma : des saillies, des respirations, des débraillages...des termes très marqués, et que bizarrement, les réalisateurs dont nous/vous parlez parfois ne semblent pas avoir idée...j'aimerais véritablement voir un jour un film entier qui respire, qui vivrait..quelque chose comme si Caspar Noe ou Leos Carax qui adapteraient 'Histoire de l'oeil' de Georges Bataille...je ne sais pas...je peux vous dire que je reste assez frustré avec cette idée.Par contre c'est pas bien de nous laisser pleurer quand vous savez déjà de quoi nos lendemains cinématographiques seront faits... 
Répondre
L
Il y a aussi et surtout le dernier film de Raoul Ruiz "La Maison Nucingen" qui vient de sortir... dépéchez vous si il passe prés de chez vous car il n'y en aura pas pour tout le monde malheureusement (Le film a déjà été descendu par la critique et il n'est visible que dans 14 salles en France, il ne restera probablementpas plus d'une semaine à l'affiche !) Pas encore vu mais connaissant le vieux briscard il doit y avoir de quoi manger !
Répondre
N
Non cette semaine docteur il faut aller voir le film de Yann Arthus Bertrand ! Vous avez pas entendu Luc Besson ? Si on y va pas avec nos gosses on sera responsable de la mort des sapins/bébés phoques/europa corp et on crèvera la bouche ouverte au milieu du désert !
Répondre