Chroniques de l’Abécédaire, épisode 6, première partie : Histoire du fils du gladiateur parti en ballade dans l’enfer de Dante sous l’emprise sauvage d’un crocodile mort.

Publié le par Le Marquis

L'uno e l'altro...

L’Abécédaire poursuit sa progression, parsemée de découvertes, de déceptions, d’enthousiasme, d’envie de dormir, de plaisirs et de déplaisirs, mais il laisse toujours la porte ouverte aux « retours gagnants » - ou perdants, à ces œuvres vues et appréciées, vues et détestées, puis oubliées. J’aime presque autant revoir les films que les découvrir, envisageant toujours la perspective de revoir à la hausse ou à la baisse une œuvre dont le souvenir s’est un peu fané. Le véritable plaisir de cinéphile, tel qu’il se vit chez moi en tout cas, c’est de prendre rendez-vous régulièrement avec la poignée de films que je peux revoir en boucle sans jamais me lasser, et c’est aussi, bien sûr, celui de mettre la main sur un nouveau coup de foudre. Ce qui ne m’empêche pas de déplorer un état de fait dont je me faisais la réflexion dernièrement. Avec l’explosion du DVD, les films sont accessibles quelques mois seulement après leur sortie en salles. Et encore, les impatients se permettent souvent de les télécharger illico presto, parfois même avant qu’ils ne parviennent dans les cinémas français – quitte, pour certains, à se crever les yeux à la vision de films piratés filmés en salles par une caméra DV : qualité déplorable, sons parasites, dame du premier rang qui se lève pour aller aux toilettes, recadrage laid, j’ignore quel est l’intérêt de faire circuler et de télécharger des copies de cet acabit. Mais même s’il s’agit de copies de DVD étrangers avec les sous-titres en option, il y a un aspect un peu regrettable qui n’est pas de l’ordre de la propriété intellectuelle : les films peuvent être vus et revus, avant, pendant ou immédiatement après leur sortie. Ils sont devenus des produits de consommation, mâchés, recrachés, rarement digérés, c’était nul, c’était génial, c’est quoi la suite ? Il semble loin, le temps où il fallait parfois attendre des années avant de pouvoir mettre la main sur un film rêvé, avant d’espérer revoir un film adoré dont on a cultivé le souvenir, en le déformant parfois. C’est dans cette attente et cette frustration que certains titres se sont ancrés dans mon imaginaire, y ont puisé leur pouvoir évocateur. Je n’avais pas aimé INFERNO d’Argento lorsque je l’avais découvert dans mes vertes années, mais son souvenir ne m’avait jamais quitté, me trottant dans la tête jusqu’à me fasciner, et c’est peut-être six ou sept ans après que j’ai eu l’occasion de le revoir, et de réaliser à quel point je m’étais trompé, et à quel point le film avait œuvré pour lui-même en ne me sortant jamais de l’esprit. Le manque de discernement auquel j’ai parfois l’impression d’être confronté aujourd’hui, et qui amène le spectateur à porter au pinacle un sommet de médiocrité (SAW) tout en repoussant du pied un film très honnête comme CURSED, pourrait me semble-t-il être lié à l’émergence d’une culture blasée au sein de laquelle les films ont de moins en moins la place, le temps et la disponibilité d’esprit pour véritablement exister. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles j’ai peu de considération pour le téléchargement de Divx (formidable accès à des films invisibles, mais je pense que les titres téléchargés en masse remplissent déjà les rayons des supermarchés), et ce pour quoi je me refuse le plus souvent à utiliser la touche « replay » de mon lecteur DVD : il faudrait la faire sauter des télécommandes du monde entier d’un coup de tournevis pour empêcher leur détenteur de se passer en boucle la « scène qui arrache »… jusqu’à ce qu’elle ait perdu toute sa saveur. Mais je bavarde, je bavarde, alors que m’attend ce film que je ne connaissais jusqu’à présent que par la jaquette d’une VHS circulant dans les années 80 sous le titre LE COUVENT INFERNAL. Un film en…
 
A comme… L’AUTRE ENFER, de Bruno Mattei et Claudio Fragasso (Italie, 1980)
Un Bruno Mattei peut toujours en cacher un autre, et alors que l’Abécédaire précédent se concluait par sa collaboration avec Lucio Fulci sur l’amusant ZOMBI 3 (à vrai dire, plus une juxtaposition de styles quasi incompatibles qu’une véritable synergie), on le retrouve ici aux commandes de cet AUTRE ENFER. Commandes partagées avec son collaborateur régulier Claudio Fragasso, réalisateur épouvantable (TROLL II, « un film dont on a beaucoup parlé » affirme-t-il en se berçant d’illusions) – et je ne vais pas m’aventurer ici à faire la part entre l’apport de Mattei et celui de Fragasso, chacun minimisant soigneusement l’importance du travail de son collègue, c’est beau l’amitié. Pourtant, à leur place, je ne me battrais pas pour revendiquer la paternité d’un film aussi piètrement mis en scène, mais bon, ils sont libres et égaux en droits. J’ai personnellement plus d’intérêt ceci dit pour la carrière de Mattei, riche en séries Z qui comptent sans doute parmi ce que le cinéma bis a de plus gourmand à offrir en Italie (VIRUS CANNIBALE, LES RATS DE MANHATTAN, ROBOWAR…).
Le titre du film prend tout son sens – mercantile naturellement – lorsqu’il est prononcé en italien (L’ALTRO INFERNO) et quand on compare l’affiche italienne du film avec celle d’INFERNO, de Dario Argento : le concept graphique est le même, ce qui donne une résonance un peu faussée au titre du film dont il est ici question. Peu de points communs du reste avec l’opéra horrifique et baroque d’Argento, puisqu’on nage ici dans les eaux d’un sous-genre répondant au fort joli nom de « nunsploitation » : le film de couvent, donc, où se jouent sous le couvert du voile les intrigues les plus perverses, mêlant sexualité et sadisme, un genre fréquemment visité, notamment en Italie mais aussi au Japon (voir LE COUVENT DE LA BÊTE SACRÉE). Pas grand-chose à voir cependant avec des films comme le magnifique NARCISSE NOIR de Michael Powell : il s’agit bien d’un pur cinéma d’exploitation, ancré dans les élans et les travers du film de genre le plus vulgaire et le plus insolent. Et l’on sait à quel point le cinéma populaire italien a toujours été prompt à réinvestir les genres à la mode, à défaut de créer un genre propre à partir des années 70-80 et après l’explosion du western dit « spaghetti » (terme que j’ai toujours trouvé assez détestable).
Le film démarre, comme toujours avec Bruno Mattei, sur les chapeaux de roue : une nonne perd la raison et, après avoir mutilé les organes génitaux d’une sœur défunte, assassine une novice dans le mausolée d’un couvent baigné dans une atmosphère trouble, où se produisent des événements étranges : les ampoules explosent, une bible prend feu et l’exorciste prestement délégué en perd vite tous ses moyens, et la vie, d’autant plus que le silence semble être la règle d’or, instaurée fermement par la mère supérieure (épatante Franca Stoppi), gardienne d’un indicible secret. Bref, ça va mal ! Un nouveau prêtre, psychologue celui-là, prend le relais de l’exorciste et entame une enquête au sein du couvent, après avoir été accueilli rudement par un des molosses du jardinier du couvent – un bouledogue bien débonnaire qui trottine derrière l’acteur en ayant l’air de ne pas trop comprendre les raisons de l’agitation qui l’entoure.
Malgré des efforts méritants et le charme vénéneux de certains plans (présence d’une mystérieuse nonne recluse au visage voilé, dormant dans une pièce cachée remplie de mannequins pendus), la sauce ne prend pas vraiment et le rythme se fait lourdement sentir. Sur une musique des Goblin, absolument pas composée pour l’occasion puisqu’il s’agit, outre quelques extraits d’un album conçu hors cinéma, de la BO de BLUE HOLOCAUST (également avec Franca Stoppi, et dont il sera prochainement question ici), assez maladroitement plaquée sur des images qui s’y prêtent rarement, le film n’accumule pas les clichés, il ne les amoncèle pas non plus : pour reprendre un savoureux néologisme du Dr Devo, ils les accumoncèle ! Notamment quelques emprunts formels plutôt gratuits à INFERNO (silhouette encapuchonnée manigançant autour d’un chaudron bouillonnant), une scène dont je jurerais qu’il s’agit d’un stock-shot volé à PSYCHOSE PHASE 3 (le prêtre prenant feu devant la cheminée) et bien sûr ce démarcage, assumé par Fragasso, du CARRIE de Brian De Palma, idée séduisante mais médiocrement développée dans la dernière partie, étrangement plus orientée sur des éléments paranormaux que sur le satanisme attendu.
Quelques modestes petites réussites tout de même : une belle séquence, hélas pas très bien mise en scène, dans le confessionnal, où le prêtre psychologue reçoit simultanément deux confessions à sa gauche et à sa droite, d’une nonne menaçante qui lui conseille de quitter sur le champ ce lieu maudit, et d’une autre nonne apaisante qui lui affirme qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter, et que tout va rentrer dans l’ordre. Un insert curieux habilement introduit par le montage sur l’œil d’une poupée. Un flash back révélateur adroitement introduit par l’utilisation d’un magnétophone à bande. Et, pour les plus gourmands d’entre vous, quelques apparitions de nonnes zombies dans une bizarre imitation de SUSPIRIA. Pour le reste, le métrage sent moins le souffre que la naphtaline, et, curieusement, n’introduit pas une once d’érotisme dans un genre qui en est pourtant généralement friand.
 
B comme… LA BALLADE SAUVAGE, de Terrence Malick (USA, 1973)
Alors là, comme dirait la cinéaste Marie-Claude Treilhou, je suis très embêté… Non, je ne vais pas démolir ce classique estimé, premier long-métrage de Terrence Malick – et c’est aussi le premier film que j’ai de lui : et bien oui, qu’est-ce que vous croyez ? Pour acquérir une connaissance des hauts faits de Bruno Mattei, il faut parfois consacrer du temps et procéder donc à quelques sacrifices ! Mais je vais avoir tout autant de mal à en dire du bien, ou plutôt à vous faire part d’un enthousiasme que je n’ai jamais ressenti, alors que j’étais plus que disposé à adorer ce film, ne serait-ce que pour la présence de la trop rare Sissy Spacek dans un rôle important et réputé – et qu’elle incarne d’ailleurs à la perfection.
Le film raconte donc la virée meurtrière d’un couple de jeunes gens (Sissy et Martin Sheen, lui aussi excellent) après l’assassinat du père de la jeune fille, et leur fuite sans espoir dans les vastes étendues quasi désertiques qui parsèment le territoire américain, et qui donnent d’ailleurs leur nom au titre original du film, BADLANDS. Et, sur la base d’un scénario riche et soigné, la mise en scène est… irréprochable ! Utilisation moderne et parfois inattendue de la voix-off, cruauté tranquille, sèche et sans effusions, cadrages parfaits exprimant un indéniable sens de l’espace (avec une prédominance pour le ciel et l’horizon), narration habile qui évite soigneusement les pièges du mélodrame ou de l’allégorie facile, leur préférant une alternance entre le piétinement – par exemple cet épisode de la vie sauvage dans les bois, montrée comme un insouciant retour à l’enfance, et les interstices, qui sont aussi bien ces espaces entre les zones inhabitées que ces passages où le couple croise et exécute des rencontres de passage, parenthèses qui ne semblent jamais les marquer, les perturber, les dévier du chemin vers le grand nulle part sur lequel ils se sont engagés. Lorsque Sissy Spacek décide de se séparer de son compagnon, ce n’est pas par remord ou par une quelconque prise de conscience, mais bien par une lassitude de la route, le personnage rêvant d’une vie rangée, d’une maison de banlieue, tout ce que Martin Sheen n’est plus en mesure de lui offrir. Tout ça est très pensé, intelligent, détaché de toute sensiblerie. Alors où est le problème ???
Voyez-vous, docteur, tout a commencé par une étrange sensation, l’impression persistante que tout était soigneusement prévu et prévisible, non pas par le jeu d’une certaine forme de fatalité, puisque je ne parle pas de scénario, mais bien de mise en scène : je connaissais par avance les plans qui allaient suivre, l’écriture cinématographique de Terrence Malick m’a paru si limpide qu’elle en est devenue à mes yeux presque… Oserais-je le terme ?… Scolaire. Je sais, vous allez mal le prendre, docteur, mais je me sentais comme prisonnier d’une séance de « collège au cinéma », je contemplais ces horizons cinématographiques, et c’est comme si je pouvais à nouveau entendre les intonations studieuses et appliquées de mon professeur principal lorsqu’il allait nous poser cette fatidique et fastidieuse question : « Que croyez-vous que le réalisateur ait voulu signifier par l’usage de ces images d’horizons ? » Vous savez, ce genre de question dont on connaît la réponse, mais que l’on ne propose pas pour la simple et bonne raison que la question ne nous intéresse pas. Devant l’insistance constante de Malick à confronter ses personnages à l’immensité des cieux pesant au-dessus de leurs têtes, je savais, aussi sûrement que je sais quel est mon nom, que le film s’achèverait sur un plan de la terre vue du ciel. Je sais, docteur, c’est une œuvre déjà mature pour un si jeune cinéaste, elle témoigne d’une cohérence et d’une retenue indéniables : c’est vrai, vous avez tout à fait raison. Mais malgré tout, durant la projection, et cette impression dure encore au moment où je vous parle, je n’ai à aucun moment été confronté à un sentiment d’insécurité ou de déstabilisation, ni malaise, ni empathie, ni même un réel intérêt. Je me sentais si soutenu par cette mise en scène, si porté, que je m’en suis totalement désintéressé. Je suis admiratif, mais en aucun cas séduit ou passionné. C’est un beau film, et ce n’est rien. Après l’avoir vu, mes yeux sont tombés sur cet extrait critique enjolivant la jaquette : « une étude provocante mais fascinante de l’aliénation des gens par leur quotidien. » Une définition qui m’a paru relever du mambo-jambo le plus vide de sens. Comme souvent chez Stanley Kubrick, je suis resté de marbre devant cette distance calculée, cette maîtrise froide, perplexe devant des qualités précieuses, comme le refus radical de la démonstration ou le recours presque exclusif à la mise en scène contre le récit dialogué, sans pourtant mettre le doigt sur les apports qui devraient en toute bonne logique découler d’un positionnement aussi audacieux et personnel. La porte était ouverte sur un vaste possible, et c’était sans doute la part la plus difficile de ce projet, et j’ai dans l’idée que Malick est resté sur le seuil, qu’il a voulu verrouiller une position chèrement, durement acquise, dans une maîtrise rigoureuse et dépassionnée, refusant trop prudemment de lâcher la bride et de vraiment nous emporter au cœur le plus rude de ces interstices. C’est grave, docteur ?
 
C comme… LE CROCODILE DE LA MORT, de Tobe Hooper (USA, 1977)
Après SPONTANEOUS COMBUSTION et NIGHT TERRORS, voici un troisième opus de Tobe Hooper abordé dans ces chroniques, par pur hasard de bacs d’occasions, mais il est toujours bon de combler les vides d’une filmographie – et comme les deux titres en question (particulièrement le premier) étaient franchement médiocres, dire un peu de bien du cinéaste ne peut pas non plus faire de mal, d’autant plus qu’il s’agit cette fois d’une œuvre plus ancienne, réalisée peu de temps après son inégalable MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE. Ce sera aussi le dernier Tobe Hooper avant un moment, car j’ai épuisé mon stock ! À moins que MORTUARY, qui sort en salles, ce qui n’est pas arrivé à Tobe Hooper depuis une éternité, ne soit abordé dans ces pages prochainement.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire après le retentissement de MASSACRE…, Tobe Hooper ne roule pas sur l’or, étant à peu de choses près dans la même situation que George Romero après sa NUIT DES MORTS-VIVANTS : le mode de production indépendant et ses aléas font qu’il ne récolte que les miettes de l’exploitation de son chef-d’œuvre. C’est donc avec le producteur de séries B tendant dangereusement vers le Z, Mardi Rustam, que l’opportunité se présente à lui pour enchaîner sur un nouveau long-métrage, avec les avantages et surtout les inconvénients liés au succès de son premier film et aux exigences très commerciales de son producteur, exigeant à la fois un quasi remake de MASSACRE… et une avalanche de contraintes découlant des modes de l’époque, le crocodile du titre étant inséré dans le récit de façon assez artificielle suite au carton des DENTS DE LA MER. Des exigences contradictoires et intenables qui entraîneront le départ du réalisateur avant la fin du tournage, en partie achevé par l’acteur Robert Englund et par le producteur. Difficile dans ces conditions d’accoucher d’un métrage aussi abouti que son film précédent.
Tobe Hooper retrouve d’ailleurs une partie de l’équipe de MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE (le scénariste Kim Henkel, le compositeur Wayne Bell et l’actrice Marilyn Burns), pour un film à la fois très proche du précédent par son atmosphère, et très différent par ses choix esthétiques, principalement sa direction artistique. Le film décrit les événements sordides se déroulant dans un hôtel d’un coin perdu des Etats-Unis, dirigé par l’acteur Neville Brand (belle performance psychotique), un doux dingue élevant un crocodile dans l’étang sur lequel s’élève en partie son établissement, une attraction pour les touristes qui s’avère bien utile pour faire disparaître les corps des victimes du maître de maison lorsque celui-ci, miné par la présence d’un bordel non loin de là, laisse exploser sa rage meurtrière, aux dépens de sa clientèle.
On devine derrière ce sujet un évident recyclage de la folie des trous perdus déjà explorée dans MASSACRE…, mais le film parvient en grande partie à renouveler la donne, non sans jouer justement avec les échos liant les deux films. LE CROCODILE DE LA MORT démarre donc par le parcours éclair et tragique d’une jeune femme (coiffée d’une perruque blonde frisée qui la fait un peu ressembler au Harpo des Marx Brothers) fraîchement embauchée dans le bordel, qui se dégonfle devant son premier client (Robert Englund en brute épaisse, sodomite et copieusement vulgaire) et se voit donc virée en pleine nuit avec perte et fracas. Abandonnée à elle-même en pleine campagne, elle trouve refuge dans l’hôtel en question, découvert avec un sentiment grandissant d’inquiétude – et c’est d’ailleurs dans l’exploration de ce décor que le film se détache de son illustre prédécesseur : le décor est totalement artificiel et éclairé comme tel dans des tonalités violemment colorées et monochromes qui évoquent irrésistiblement la séquence d’ouverture d’ALICE N’EST PLUS ICI de Martin Scorsese ; un univers clos et factice au point qu’on s’attend presque à voir débarquer les Muppets, mais il ne faut quand même pas rêver. Lorsque Neville Brand découvre que sa cliente débarque du bordel, il entre dans une rage incontrôlable (séquence lourde, poisseuse et inquiétante) et l’assassine brutalement avant de jeter son corps dans le lac : fin abrupte de cette très brève amorce d’identification du spectateur dans une forme de remake, en quelques minutes et dans une relecture grotesque et dégénérée, de la première partie de PSYCHOSE. Et comme dans PSYCHOSE (mais aussi dans MASSACRE…), la mort de cette fausse héroïne nous abandonne en compagnie de son assassin et de son quotidien tourmenté, la question planant bien sûr de savoir si celui-ci vient de basculer dans la folie homicide, ou s’il ne s’agit pas de sa première victime.
Mais cette tranquillité glauque va vite être perturbée par l’arrivée de nouveaux clients, un peu improbable dans ce grand nulle part, mais qui trouve sa justification à la fois par nécessité scénaristique (arrivée du père et de la sœur de la prostituée virée, partis à sa recherche) et par goût prononcé pour l’absurde et la peinture volontairement irréaliste de désaxés, avec ce portrait une famille qu’on qualifiera poliment de dysfonctionnelle, joliment composée de William Finley (PHANTOM OF THE PARADISE, SŒURS DE SANG), de sa femme Marilyn Burns, elle aussi coiffée d’une perruque qui la rend méconnaissable et de leur petite fille Kyle Richards (babysittée par Jamie Lee Curtis dans HALLOWEEN), sans oublier leur chien, un ignoble petit fox-terrier qui est prestement croqué par le crocodile dès leur arrivée. J’ai applaudi. N’allez pas croire, j’adore les chiens, mais pour des raisons mystérieuses, je voue à ces fox-T une haine féroce – et puis, les crocodiles aussi ont le droit de manger, après tout. Lorsque William Finley tente d’abattre le crocodile (plus pour évacuer le dégoût que semble lui inspirer sa femme que par désir de venger leur compagnon canin – surtout si l’on considère le fait qu’il aboie pour « consoler » sa fille !), le film bascule dans un jeu de massacre grand-guignol (ce que n’était jamais MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE), qui est aussi un jeu de cache-cache claustrophobe et assez malsain.
Le film reste malgré tout un peu inégal, principalement à cause des compromis d’une narration qui laisse sans doute un peu trop de place à l’enquête des parents de la prostituée (les séquences hors de l’hôtel sont plutôt mal filmées et n’apportent strictement rien de bon au film). Mais, sur un registre plus conventionnel et plus surfait, le film développe un grain de folie parfois saisissant. Le jeu de références à MASSACRE… est plus subtil qu’il n’y paraît, et trouve notamment une surprenante illustration dans le développement du personnage de Marilyn Burns, méconnaissable donc sous sa perruque de choucroute : lorsqu’elle l’enlève, elle est presque immédiatement agressée par Neville Brand, et redevient brutalement, dans le script et à l’écran, le personnage qu’elle incarnait dans le film précédent, désespérée, hurlante, hystérique ; mais Tobe Hooper choisit alors de la bâillonner et de l’enchaîner à un lit et la met en quelque sorte hors-jeu du déroulé narratif de son film, qui va dès lors explorer d’autres pistes, essentiellement dans l’exploration progressive et quasi onirique de son décor (les combles inondés dans lesquels la fillette trouve un refuge bien précaire), non sans entretenir une atmosphère assez efficace surtout soutenue par une impressionnante cacophonie sonore, mélange saturé et inconfortable de musique country et de hurlements provenant de toutes parts (les combles, l’étage, l’étang, l’entrée).
Quant au crocodile, il vient jouer les utilités d’un film qui aurait parfaitement pu fonctionner sans lui, omniprésent dans l’esprit mais pas à l’écran, adroitement filmé par une mise en scène privilégiant, du moins en ce qui le concerne, la suggestion – ce qui est une bonne chose, car il semble tout de même provenir de la même couvée que le KILLER CROCODILE ! En 2000, Tobe Hooper a du reste réalisé pour le marché de la vidéo un CROCODILE qui n’entretient visuellement que peu de rapports avec LE CROCODILE DE LA MORT, une petite série B amusante et inoffensive qui se permet tout de même quelques allusions à ce film un peu bancal mais néanmoins mémorable.
 
D comme… DANTE’S VIEW, de Steven A. Adelson (USA, 2000)
Retour au calme et à la pondération avec ce tout petit inédit pas très excitant, qui ne ferait pas lever un sourcil à David Pujadas en personne sans l'atout précieux d’un casting attirant formé par un duo d’actrices aussi talentueuses que sous-exploitées. À ma gauche, Guinevere Turner, aperçue dans l’intéressant AMERICAN PSYCHO (dont elle a co-écrit le scénario). À ma droite, Sheryl Lee, stupéfiante dans TWIN PEAKS, FIRE WALK WITH ME et sans doute un peu prisonnière du personnage de Laura Palmer puisqu’en dehors du VAMPIRES de John Carpenter et d’une petite poignée de films un peu anodins (BACKBEAT, JERSEY GIRLS), on ne semble depuis devoir la croiser que dans une flopée de séries B sans grand intérêt. Belle rencontre donc, et puisqu’on en est à parler d’actrices, il faut également souligner la présence dans un beau second rôle de Grace Zabriskie, excellente comédienne au physique étonnant, remarquable dans le DARKLY NOON du disparu Philip Ridley, terrifiante dans SAILOR ET LULA, et maman de Laura Palmer dans l’univers créé par David Lynch et Mark Frost. Un film d’actrices ?
C’est le moins qu’on puisse dire, hélas, le film manquant singulièrement d’envergure pour peu qu’on y regarde d’un peu trop près. Le film raconte la fuite de Sheryl Lee après un braquage un peu minable. Trouvant refuge dans un bled paumé non loin de la Vallée de la Mort, elle décide de s’y faire oublier pendant quelques jours, et comble l’ennui en acceptant du bout des doigts l’amitié que lui offre naïvement la candide Guinevere Turner. Bref, un petit polar psychologique, comme on dit. Et la partie polar, pour tout dire, est volontairement dépeinte comme un peu dérisoire (le magot convoité étant tout de même modeste) ; il n’empêche, c’est aussi, et de très loin, la partie la moins intéressante du film, enlisée dans des clichés véhiculés par des personnages aussi insipides et transparents que celui du complice de Sheryl Lee, parti à ses trousses.
Alors je pourrais remplir des pages d’un rapport circonstancié des nombreuses et complexes notations psychologiques qui font le tissu de la relation touchante, faussée, amère, unissant les personnages superbement interprétés par Sheryl Lee et Guinevere Turner, ce qui serait bien pratique pour combler le vide occupé par le peu que j’ai à dire sur une mise en scène désespérément plate et télévisuelle. Ne gaspillons pas notre énergie : les actrices sont épatantes, si vous les appréciez, allez-y, mais gardez bien en tête que l’écrin est loin d’être à la hauteur.
 
E comme… L’EMPRISE, de Sidney J. Furie (USA, 1981)
Révision utile d’un film que j’ai apprécié pour la première fois et avec tout de même plusieurs gros bémols. Pendant longtemps, et n’en déplaise aux personnes pour qui un carton type « ce film est basé sur des faits réels » est un gage incontestable d’authenticité, une preuve presque, et très souvent l’occasion de jeter à la corbeille tout esprit critique (à commencer par les qualités effectives, cinématographiques donc, de ce genre de productions), L’EMPRISE est resté à mes yeux comme un titre de plus à rajouter au prosélytisme naïf et visuellement plat de films comme AMITYVILLE (la vérité sur les maisons hantées), AUDREY ROSE (la réincarnation est un fait scientifiquement prouvé) ou L’EXORCISME D’EMILY ROSE (la possession démoniaque, ce douloureux problème). Cette envie forcenée d’y croire (ou d’y faire croire), objet d’un amas de littérature, films, documentaires et surtout polémiques stériles et hors-sujet font perdre le nord à ceux qui s’engluent dans des considérations qui sont les leurs (respect : ceux qui veulent croire aux fantômes, à la réincarnation, à l’abduction par des extra-terrestres, à la lycanthropie ou au monstre du Loch Ness, quand ce n’est pas tout cela à la fois, peuvent y croire comme au Père Noël et de toutes leurs forces, ça ne me fera pas suffoquer d’indignation), trop souvent en perdant complètement de vue les qualités plastiques, le versant poétique du fantastique lorsqu’il s’agit de mettre en scène un film de fiction, ce que sont tous les titres cités, ne l’oublions pas. Mais dans les faits, on l’oublie bel et bien, et les documentaires sur les faits divers de L’EXORCISTE (adapté d’un roman de William Peter Blatty, non convié à s’exprimer dans les interviews) ou de L’EMPRISE (le documentaire illustrant presque exclusivement son propos vériste d’extraits du film, lui-même adapté d’un roman largement « aménagé » de Frank De Felitta, déjà à l’œuvre dans AUDREY ROSE) sont parfois brandis comme des preuves irréfutables. J’ai trop de respect pour le fantastique, envisagé comme une forme d’expression artistique, pour ne pas grincer des dents face à des approches aussi asséchantes, tout comme je suis fortement agacé en entendant les équipes techniques de films fantastiques évoquer avec une avalanche de clins d’œil et de roulements des yeux les sempiternelles « malédictions » ayant sévi pendant le tournage (« pendant le tournage de la scène de l’exorcisme, un fusible a sauté et un technicien du son a vomi son hot dog, brrr ! »). C’est d’une bêtise… Bref. Revenons à cette EMPRISE, elle aussi vautrant bien les pieds dans le plat du pseudo-réalisme scientifique, mais qui s’avère tout de même être un très bon film.
Barbara Hershey incarne avec un réel talent le personnage de Carla, mère de famille divorcée avec enfants qui devient, du jour au lendemain et dans le confort de sa petite maison de banlieue, l’objet d’agressions sexuelles par une entité invisible et extrêmement brutale. Ses témoignages sont mis en doute par son entourage, et elle croit perdre la raison, allant chercher une aide qu’elle ne trouvera pas auprès d’un psychologue sèchement interprété par Ron Silver. Devant son impuissance, et dans la mesure où les événements finissent par trouver des témoins, Carla se tourne vers un service de parapsychologie qui va tenter de comprendre et d’enrayer le phénomène en investissant son domicile, ce qui fait beaucoup penser à POLTERGEIST. Je précise à ce stade qu’une partie de la bonne surprise en revoyant ce film tient au fait que je n’en connaissais jusqu’alors qu’une version atrocement recadrée et en VF, celle de la vieille VHS à l’époque où Bernadette et Jean-François nous faisaient une jaunisse et écrivaient pour se plaindre à leur programme TV des infamantes bandes noires qui « cachaient » toute l’image et rendaient les personnages trop petits. Les temps changent, et sur ce point, c’est une bonne chose : Bernadette et Jean-François se sont acheté un méga ensemble home cinéma dont ils font la démonstration à toute personne franchissant leur palier en leur montrant comment le 5.1 sonne avec LES CHORISTES, et même TF1 a troqué son recadrage plein cadre pour un hypocrite semi-recadrage, avec juste des petites bandes noires qui défigurent juste assez le film diffusé tout en préservant une dimension raisonnable pour apprécier les nuances de jeu sur le visage de Jean Réno.
Et si le Marquis continue à enfiler les apartés, on y sera encore dans 8 jours. L’EMPRISE fait partie de ces films tournés en cinémascope qui exploitent pleinement leur format, et n’ayant vu qu’une version tronquée, j’ai vraiment découvert en DVD le remarquable travail sur le cadre et la photographie : c’est tout simplement un autre film. Et c’est précisément cet aspect de la mise en scène qui fait tout l’intérêt du film, et qui lui confère une intensité et une efficacité redoutables, à peine entachés par un penchant parfois trop appuyé pour les cadres basculés. Transfiguré, L’EMPRISE donne enfin à voir ses nombreuses qualités plastiques, ce qui rend un peu plus indulgent pour certains défauts (médiocrité de certains dialogues notamment), renforce des qualités déjà repérées lors de la première vision (interprétation solide, effets spéciaux érotiques troublants, et surtout originalité de la musique composée par Charles Bernstein, en particulier l’invention brillante de cet effet musical assez effrayant, martèlement brutal et abrupt accompagnant les séquences de viol), et plus encore, révèle l’intelligence et l’audace de certaines séquences et de quelques idées brillantes du scénario : jeu des regards troubles que Barbara Hershey lance aux miroirs qui lui renvoient son image, passage brutal de la nuit au jour par un bel effet de montage, idée un peu folle de la maison reconstituée dans un hangar par les parapsychologues, qui revisite un décor subtilement altéré où le passage du jour à la nuit se fait cette fois en appuyant simplement sur un bouton.
Le prosélytisme est bien là, avec ce premier degré qui évacue soigneusement toute amorce de multiplicité d’interprétations ou de ressentis (dont justement les plans sur les miroirs), et qui vient alourdir considérablement le rythme du film dans sa seconde partie, avant de souligner inutilement par des cartons avant le générique de fin une conclusion glaçante qui n’en avait pas vraiment besoin, enfermant un peu le film dans une vision unilatérale et trop démonstrative. Mais il est soumis à un véritable travail de mise en scène, riche et assez brillant, qui faisait cruellement défaut aux autres titres évoqués plus haut (malgré quelques bonnes choses, trop rares, dans AUDREY ROSE) et fait passer la pilule d’un scénario inégal et parfois un peu balourd. Si vous ne devez en voir qu’un dans ce registre, c’est celui-ci.
 
F comme… LE FILS DU DIABLE, de Mark Lester (USA, 1998)
Tout comme L’ENFANT DU DIABLE, titre français de THE CHANGELLING de Peter Medak, LE FILS DU DIABLE (MISBEGOTTEN en VO) ne voit à aucun moment intervenir le Diable ou ses représentants légaux – mais bon, ça c’est du titre, coco. Mon attention a été attirée sur ce film par l’absurdité cocasse de son sujet, et ce d’autant plus quand j’ai constaté que le scénario était signé par Larry Cohen, excellent créateur de concepts à l’imagination débordante (LES ENVAHISSEURS), capable de développer avec une remarquable intelligence des scénarios originaux, un peu contrariés par les limites de ses modestes talents de metteur en scène, doué mais pas très inspiré visuellement, même si la finesse et l’inventivité l’emportent le plus souvent sur les quelques réserves (LE MONSTRE EST VIVANT). Dommage que son scénario atterrisse ici entre les mains d’un faiseur moins inspiré encore, le piètre Mark Lester.
Kevin Dillon interprète le rôle d’un tueur psychopathe appelé Billy Crapshoot (oui, ça m’a fait rire). Il assassine un brillant et riche compositeur, et en visitant sa propriété, tombe sur une lettre d’une banque du sperme, heureuse d’accepter sa candidature prestigieuse de donneur : l’occasion est trop belle, et il y va. Plus tard, c’est un couple bourgeois en plein désir d’enfant contrarié qui décide de recourir à l’insémination artificielle. On apporte une carte à madame (mais monsieur ne goûte pas), qui doit choisir le profil du donneur d’après des fiches descriptives anonymes, et bien entendu, elle flashe sur le profil de l’homme assassiné par Billy Crapshoot. Et comme le dit finement le résumé de la jaquette, « lorsque Caitlin découvre qu’elle porte l’enfant d’un monstre, il est déjà trop tard ! ».
Le film, assez caustique, insémine un soupçon d’eugénisme absurde (suggéré par une conclusion aimablement perverse) dans un film s’inscrivant a priori dans le moule de ces films à suspense sur la sacro-sainte famille américaine menacée, genre ultra-codifié et prévisible oscillant toujours entre le ridicule de convention (LA MAIN SUR LE BERCEAU) et l’estimable conventionnel (LA RIVIÈRE SAUVAGE), mais Larry Cohen sauve les meubles en cassant le moule de façon assez spectaculaire : le couple uni n’existe plus et madame reçoit la tête de monsieur en guise de cadeau de « baby shower », belle entorse à ce genre de produits insignifiants et inoffensifs. Dommage que la mise en scène soit à ce point terne et impersonnelle, et que l’interprétation soit si fade, le film ne parvenant finalement pas malgré son traitement astucieux à s’extirper de la gangue télévisuelle qui le caractérise. Dispensable.
 
G comme… THE GLADIATOR, d’Abel Ferrara (USA, 1986)
Auto-défense et sécurité routière au programme de ce téléfilm réalisé par Abel Ferrara : un tueur en série rôde dans la ville, provoquant des accidents meurtriers qui semblent devoir punir le moindre manquement au code de la route : grillez un feu orange, ratez un créneau, et vous risquez alors de vous retrouver poursuivis par un psychopathe au volant d’un bolide truffé de gadgets mortels. Ken Wahl (« un flic dans la mafia » en personne !) est ainsi victime d’une agression alors qu’il donnait un premier cours de conduite à son petit frère, qui trouve la mort dans l’accident. Fou de rage et de douleur, ce mécanicien se lance dans une séance de tunning afin de faire de son véhicule un véritable tank, et devient un Justicier de la route répondant sous le pseudonyme de Gladiateur. Il fait ainsi régner l’ordre sur la voie publique de façon très musclée, tout en cherchant à localiser le tueur en série auquel il est bientôt associé par la police.
Urbain, nocturne, le film joue habilement de la colère que peuvent provoquer les comportements de certains automobilistes, agressifs, inconscients, demeurés ou tout cela à la fois, le genre à jouer les chasses-neige à 140 km/h sur la voie de gauche, à doubler à fond les ballons alors que vous laissez traverser un piéton, ou à vous coller au train en vous insultant lorsque vous avez le malheur de respecter les limitations de vitesse sur un axe limité à 50. Vous voyez de qui je parle, et si ces individus vous insupportent comme c’est mon cas, vous souhaiteriez probablement voir débarquer un Gladiateur, stoppant violemment les bolides pilotés par des amazones pressées ou par des branleurs qui « ont la maîtrise de leur véhicule ». Les agissements de Ken Wahl, piètre acteur ceci dit, font plaisir et défoulent, tout en s’acheminant logiquement vers le constat prévisible : le justicier auto-proclamé commet de lourdes erreurs de jugement (immobilisant brutalement la voiture d’un homme conduisant sa femme enceinte à l’hôpital), et rien ne dit que l’assassin n’est pas lui-même un ancien « gladiateur » qui a poussé un peu trop loin sa sévère justice – si tu combats des monstres, tu dois prendre garde à ne pas devenir un monstre toi-même, etc.
Ferrara restitue correctement ces réflexions et prend un plaisir manifeste à filmer de nombreuses séquences nocturnes en milieu urbain. Par contre, il ne semble pas très à l’aise lorsqu’il s’agit de livrer des séquences d’action et de cascades automobiles énergiques et percutantes, et sa mise en scène se fait alors très plate, terne et quelconque. Une œuvre mineure, impersonnelle et assez datée, bercée de tubes ringards, et réservant un rôle dérisoire de quelques minutes à Linda Thorson, Tara King en personne, s’il vous plaît.
 
H comme… HISTOIRE D’O, de Just Jaeckin (France / Allemagne, 1975)
En m’installant devant ce petit classique issu de l’époque dorée où l’érotisme chic était très à la mode (« mélodie d’amour chante le corps d’Emmanuelle… »), trouvé dans les rayonnages de mon revendeur attitré lors d’une courte période au cours de laquelle les films « à caractère » ont afflué (j’ai même soupçonné un traquenard, car c’était quelques jours seulement après cette discussion en commentaires), j’avoue honnêtement que je ne m’attendais pas à grand-chose, sinon à une petite œuvrette kitsch et polissonne, version DeLuxe des films touche-pipi de M6 (qui sont toujours plus dignes que les films touche-popo, ou pire, touche-papy !). Le film est donc le récit des aventures de la 15e lettre de l’alphabet, qui est aussi le surnom d’une belle jeune femme (Corinne Clery), très amoureuse de son René (Udo Kier). Amoureuse même au point d’accepter qu’il la place dans un manoir entre les mains de maîtres chargés de lui apprendre la soumission absolue. Un récit explicité par une voix-off onctueuse de roman-photo (« O s’étonnait qu’on lui lie les mains, alors qu’elle était déterminée à obéir à son amant »), et s’ouvrant sur un générique au style très 70’s, mais assez beau.
La première partie du film semble confirmer mes soupçons. Le cliché du Château et de l’apprentissage, un petit sado-masochisme de surface, plutôt inoffensif en réalité, et un érotisme relativement poseur et chaste – un film de Just Jerking ? Pourtant, je suis surpris de voir un film soigneusement cadré, superbement photographié et assez intrigant. O se prête au jeu avec détermination, guidée par un amour très fleur bleue et assez candide pour Udo Kier, acceptant fièrement les humiliations et les coups de fouet. Lorsque sa formation (non diplômante) est achevée, O sort enfin du château et reprend ses activités de photographe de mode, et malgré un plan superbe d’O cherchant à imaginer la composition d’une couverture de magazine en déplaçant un carton face à une diapositive projetée sur un mur, j’ai eu le sentiment que le film allait se mettre à patiner dans les grandes largeurs, saphisme, je t’aime moi non plus, etc.
Je me trompais, car c’est à ce niveau du récit que le film prend véritablement son envol : pour récompense de son extrême dévouement, O est offerte par Udo Kier à un mystérieux Sir Stephen (Anthony Steel endosse le rôle refusé par Christopher Lee), en noyant cette forme de trahison par une sentence ambivalente (« on ne donne que ce qui nous appartient. »). Il est préférable de ne pas développer davantage le fil d’une intrigue étonnamment riche et imprévisible, où les fantasmes circulent d’un personnage à un autre (très beau personnage de la domestique noire), parfois par le seul recours au montage. Contrairement à mes expectations, le film ne s’enferme pas dans la poursuite d’un enjeu unilatéral, les multiplie au contraire, les renverse, les oppose, avec un véritable talent dans la narration et dans une mise en scène parfois inégale, mais originale et inspirée. Plus qu’un film sur le sado-masochisme (comme dirait Jean-Luc, ça se discute), HISTOIRE D’O est un « véritable cri d’amour » (la bande-annonce ne ment pas !), qui ne glorifie en rien le concept de la femme-objet et donne de la soumission une définition complexe et particulièrement ambiguë : au terme de son parcours initiatique, la voix-off s’exprime enfin à la première personne, et O, marquée par son propriétaire comme on marquerait du bétail, appose à son tour sa propre marque dans la chair, et accède à une liberté insolente. Visuellement surprenant, très bien écrit, dense et assez passionnant.
 

Et franchement, c’est à coups de fouet que je voudrais pouvoir payer la grande bourgeoise bêcheuse et arrogante qui sert d’héroïne, hautement antipathique, au film sur lequel nous enchaînerons dans la seconde partie de cet article.

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L
Effectivement, je n'ai pas lu l'oeuvre adaptée, j'ai donc découvert et apprécié le film pour ce qu'il était et non pour le travail d'adaptation en question, ce qui aurait probablement influencé le regard porté sur HISTOIRE D'O. En soi, et je n'en démords pas même si je vois ce que tu veux dire quand tu parles de clichés 70's, le film tel quel et en tant que particule libre m'a plu, à ma très grande surprise d'ailleurs, car très honnêtement, je n'en attendais strictement rien et m'étais préparé à y faire mes griffes. Indépendamment donc des manques et des réinterprétations possiblement frustrantes pour l'amateur du roman adapté, le film m'a semblé agréablement texturé et présente à mes yeux de réels attraits dans sa mise en scène, notamment dans un très beau travail de montage.
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D
Ahum l'adaptation d'Histoire d'O est à mon sens l'antithèse de ce que tu décris, à savoir un truc typiquement seventies sur la libération sexuelle de l'époque avec son lot de clichés ringards tant sur le fond que sur la forme. J.Jaekin n'a strictement rien pigé au livre dont il fait une bluette érotique assez gentillette somme toute. C'est un livre qui mériterait d'etre réadaptaté d'ailleurs avec plus de caractère. Au fait, l'as-tu lu? Connais-tu l'adaptation en bd par Guido Crepax bien meilleure? J'en doute...
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L
Je ne te suis pas trop : sur quelle erreur leur relation est-elle basée ? Et par ailleurs, j'ai plutôt eu le sentiment que les deux personnages se perdaient dans l'innocence, au sens propre, c'est à dire à cet état d'inconscience de ce qui est bien ou mal. Le couple ne semble perdre que sa liberté, et c'est d'ailleurs ce qui est dérangeant dans le film : à aucun moment ils ne semblent conscients qu'ils ont causé du tort, aux autres ou à eux-mêmes. Tout à fait d'accord par contre sur l'absence (radicale) de sentimentalisme ou de cynisme, c'est d'ailleurs la qualité première du film. Je suis plus gêné par la mise en scène elle-même (montage, cadrages), excellente, pensée, non démonstrative, mais un peu trop "logique" et lisible à mes yeux.La suite ? Dès que possible - et merci pour vos commentaires !
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L
Sur Badlands, je me range du côté de mon camarade, Pierrot. Et justement, elle est belle cette relation entre les deux amants. Parce qu'elle est sublime et éphémére. Parce qu'elle est si vraie et qu'elle est basée sur une erreur. Elle a la grace des premiéres fois et on y sent déja que l'innocence s' y est perdue. Ce qui est beau, c'est l'absence de sentimentalisme ou de cynisme dans la maniére dont Malick les filment. Jusqu'au bout, ils ont une vraie grace. (par contre la notule de la jaquette de tu cites me parait bien hors sujet...)<br />  <br /> Oui, quel suspense cher Marquis ! La suite, vite !!!
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L
Le fouet c'est bien, la frustration c'est mieux !
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