LE CERCLE II, de Hideo Nakata (USA-2005): de l'eau de là-haut?

Publié le par Dr Devo

[photo: "DEVO DOXA (Téléconférence du Dr Devo à l'O.N.U-1995)" ]

Chers Concitoyens du Monde,
Il y a quelques années, bien avant que les films ne sortent en salles, je fus convié, avec mon ami Bernard RAPP, à la très chic Soirée Canal+ de l'Etrange Festival, à Paris, soirée sur invitation, ma chère. Trois films au programme ce soir-là : RING, RING 0, et RING II, dans cet ordre. A l'époque, la France n'avait pas été touchée par le phénomène. RING fut un délice – je me souviens nettement d'avoir entendu une salle de 400 personnes hurler en même temps sur un effet même pas surprenant, mais diaboliquement anxiogène (le polaroid au visage déformé), c'est-à-dire à un événement pourtant annoncé largement en amont dans le film! Balèze Blaise! Hideo Nakata était le réalisateur. RING 0, la préquelle du film, ne me laissa pas un grand souvenir, en dépit des éventuelles qualités du film, car je dormis pendant la séance, une minute sur deux, alternativement, ce qui est fabuleusement épuisant et non moins désagréable. Brrrrr... Ne pouvant juger le film, évidemment, je m'en remis à l'avis de Mr Rapp. Après la pause légèrement alcoolisée et petits-fourée, nous décidâmes de partir, et ne vîmes jamais RING 2. Que de souvenirs les amis...
Entre-temps, le succès de la série RING s'est répandu sur toute la planète. Hollywood, toujours en mal de scénario (c'est-à-dire ayant des difficultés à lire et à juger les scénarios et à investir dans des projets originaux), lança un vague de remake de films fantastiques asiatiques. THE GRUDGE, il y a peu, DARK WATER du même Hideo Nakata très bientôt, et donc, avant tout ça LE CERCLE, remake américain de RING. La réalisation du CERCLE avait été confiée à Gore Verbinski, réalisateur de LA SOURIS, très sympathique, dans lequel il réussissait à faire manger des crottes de souris à Christopher Walken, ce qui n'est quand même pas rien! Certes, Verbinski est aussi le réalisateur de PIRATES DES CARAÏBES, saleté filmique des plus indignes (le 2 et le 3 sont en préparation! Un signe qui ne trompe pas), mais n'ayant pas vu LE CERCLE, je me rangerais a priori du côté de notre ami Le Marquis (collaborateur de ce site et qui est en train de nous préparer de nouveaux articles!). Selon Le Marquis, en effet, LE CERCLE, contre toute attente, était plutôt sympathique et bien fichu, malgré, USA oblige, des justifications psychologiques à tire-larigot, justifications absentes de la matrice japonaise. Et donc voici LE CERCLE II, remake américain du japonais RING II, mais réalisé par le même réalisateur : Hideo Nakata. C'est bon, vous suivez ? Et donc, pour les raisons susmentionnées, je n'ai pas vu RING II, ni LE CERCLE. Je décidais courageusement, néanmoins, de ne pas m'arrêter à si peu, et d'aller voir quand même LE CERCLE II, arguant de l'argument, plein de mauvaise foi mais incontestable, que si ça pouvait m'éviter d'aller voir le dernier Judith Godrèche, il ne faut pas hésiter!
Nakata n'est pas un manchot, c'est certain. Certes, j'ai toujours préféré CURE de Kiyoshi Kurosawa (disponible en DVD, courez-y) à RING, mais il faut avouer que ce dernier était une réussite complète et originale. Le film se basait sur le principe suivant : des lycéens visionnaient une nuit une mystérieuse VHS, montage d'image fort inquiétant et abstrait où l'on voyait une femme aux longs cheveux, et une espèce de mort-vivant, personne à l'étrange démarche, qui sortait d'un puit. Une semaine après le visionnement de ce montage, les pauvres spectateurs mourraient, à moins qu'ils ne fassent voir l'étrange film à une autre personne, qui, du coup, devait trouver quelqu'un pour voir le film afin d’échapper à la malédiction, etc. Une journaliste enquêtait sur le phénomène et découvrait le pot aux roses maléfique après avoir vu elle-même le film, ainsi que son fils. Le film se basait sur deux aspects. Premièrement, comme le montrait brillamment la séquence d'ouverture de RING, l'exploitation d'une histoire de cassette maléfique, à la croisée de la légende urbaine pour jeunes et de la malédiction réelle. C'est, avec trois fois rien, qu'on découvrait que cette histoire de mort maléfique était vraie, aussi grossière soit-elle, ce qui faisait excessivement peur. Deuxièmement, le film se basait sur le thème de la contamination, idée géniale, et encore plus anxiogène. Bien joué, l'artiste (et même bien joué l'écrivain, car la série RING est tiré d'un bouquin et de ses déclinaisons, succès oblige). Tout ça marchait à fond.
Le fait d'avoir omis de voir RING II m'arrange bien d'une certaine manière, car cela me permet de voir LE CERCLE II sans référent. En même temps, ça m'embête bien, car je serais curieux de voir ce que Hideo Nakata avait fait de ce RING II, et quelles différences il y a entre le film et son auto-remake américain! Passons. Le début du CERCLE II démarre assez fort avec l'histoire de la cassette maudite. Un lycéen montre la cassette à une fille de son bahut, cinq minutes avant la deadline maléfique, et évidemment ça se passe très mal!(voilà ce qui se passe quand on passe son temps à faire grève au lieu de réviser son bac, me chuchote-t-on sur ma droite!)  Naomi Watts, héroïne du CERCLE, a décidé de refaire sa vie. Après avoir risqué sa vie et celle de son fils en enquêtant sur le film maudit, elle décide de déménager dans une petite ville de ploucs américains où il ne se passe jamais rien. Changer de vie, elle veut, et donc petit boulot de rédactrice en chef dans la gazette locale, elle accepte. Son fils culpabilise pas mal, car pour avoir la vie sauve, ils ont dû bien sûr faire voir la cassette à d'autres personnes! Mais, Naomi Watts (la jolie blonde de MULHOLLAND DRIVE, au fait, et fille de l'ingénieur du son du groupe Pink Floyd jusqu'en 1974!) n'a pas de chance. Car les deux lycéens de la séquence d'ouverture, et bien, tenez-vous bien, ils habitent à Ploucville, là-même où Watts s'est exilée pour fuir les problèmes. C'est la panique! D'autant plus que son fils a rêvé qu'il a vu la cassette dans un épouvantable cauchemar, et qu'il présente des signes ostentatoires de malédiction, mais sans cassette cette fois. Car c'est le fantôme de la petite fille du film maudit (celle qui sort du puit) qui vient lui chercher des noises.
Voilà la brioche du film (pour la définition du terme "brioche", voir , deuxième paragraphe). Notre ami Le Marquis, lui, a vu RING II, et nous discutions, lors de la préparation de cet article, à ce sujet. Le Marquis, le Pape de Toutes Les Cinéphilies, je vous le rappelle, adore les films abstraits, confus, où la mise en scène nous perd en circonvolutions étranges, où la narration se déconstruit d'étrange manière, et, franchement, ce n'est pas moi qui le blâmerait pour ça! Mais, sur RING II, son avis était plus sévère. Selon lui, le film est complètement confus et ésotérique, comme une espèce de grand sac foutraque sans queue ni tête, et ce n'est pas dû, toujours selon ses dires, à la mise en scène ou au projet même du film. C'est comme ça parce que c'est mal fichu. Et là, chers amis, permettez-moi de tomber des nues. Car le même Marquis avait pourtant bien dit que LE CERCLE était très psychologisant par rapport à son original japonais. Dans LE CERCLE II, c'est le cas effectivement, mais s'il y a bien une chose que le film n'est pas, c'est bien un film ésotérique! Et là, il n'y a pas photo. C'est même sur-explicatif. Il ne faut surtout pas s'inquiéter : si vous n'avez jamais vu un film de la série, américain ou japonais, vous pouvez y aller et vous ne serez pas perdu le moins du monde. Je ne sais pas si l'impact du film est dû à ce sur-psychologisme ou à cette mise en scène. Mais bon, il faut bien juger sur pièce. Et bien non, LE CERCLE II, ça ne marche pas, mais alors pas du tout.
Il y a plusieurs raisons à cela. Reconnaissons d'abord que certaines séquences sont bien réussies, notamment celle de l'ouverture, avec nos deux lycéens. Très bien. La fameuse séquence avec les daims (les animaux, pas les confiseries chocolatées), très appréciée par la critique, est effectivement assez anxiogène, mais surtout dans sa première partie. Malheureusement, la photographie est bien laide à cet endroit, et les daims étant infographisés, et sans plans de coupe avec de vrais daims qui plus est, les contrechamps, pourtant bien placés, ont un petit goût de L'ÂGE DE GLACE! C'est assez moche, voire carrément horrible. Cette séquence emprunte judicieusement, mais de manière plus "rentre-dedans", aux OISEAUX de Hitchcock, ce qui n'est pas un mauvais calcul. Le problème, c'est que les deux premiers actes du film (ben oui, le film est découpé en trois actes, on est quand même à Hollywood. Rappelons à notre jeune lectorat que le schéma aristotélicien en matière de cinéma est une vaste connerie, entretenue par énormément de gens à Hollywood et en Europe. En adaptant ce schéma, vous avez à peu près autant de chances de faire un mauvais film qu'en ne l'adoptant pas! IL N'Y A PAS DE BONS SCENARIOS, il n'y a que des bons ou mauvais films)... Que disais-je, très chers? Ah ! oui, le problème, donc, est que dans les deux-tiers du film, ou au mieux sa bonne moitié, Nakata, plutôt que d'essayer de construire de nouvelles métaphores ou de nouvelles astuces de mise en scène, place systématiquement une métaphore unique : l'invasion de l'eau. C'est sa marque de fabrique, il y a de l'eau méchante dans tous ses films, et il est connu pour ça ! Alors, il met de l'eau partout, de la manière la plus répétitive qui soit, et de façon de plus en plus mécanique. Et avec une naïveté absolument confondante. Du coup, ses emprunts aux OISEAUX qu'il dissémine ici et là, encore une ou deux fois après les daims, se cassent la figure. Votre bon docteur est complètement largué. Et puis, on préférera toujours un metteur en scène essayant de faire de chaque plan une trouvaille de mise en scène, plutôt que de faire deux métaphores dans le filet délayées dans 100 minutes de film! On s'ennuie assez ferme. Quelques plans sont astucieusement cadrés, mais dans 95% des cas on frôle l'indigence. Et comme dans THE GRUDGE, la photo est assez ignoble et super-grisouille. Le montage est pourtant relativement simple et habile dans les deux ou trois morceaux de bravoure du film. Pour le reste des séquences, il est mécanique. On note aussi quelques petites choses dans le son (des espèces de scratches dans les sons d'ambiance notamment), mais, encore une fois, c'est du saupoudrage et non de la construction, et il peut y avoir des tunnels longs de vingt ou trente minutes où sur le plan sonore, il ne se passe rien de signifiant.
Ceci dit, tout est mêlé. Et un autre gros problème du film, c'est le casting! Naomi Watts et son visage polymorphe (impression sans doute aggravée par un maquillage au détriment de tout travail de script, et par une incessante propension à changer de coiffure à tout bout de champs, ce qui est un peu curieux dans ce genre de film, surtout quand on a une si belle actrice) se promènent là-dedans, un peu déphasés. C'est qu'elle n'a pas grand-chose à faire, la Naomi. Pas beaucoup de  nuances au programme, et on est quand même à Hollywood, alors "il faut que ça se voit", si j'ose dire. On va donc ouvrir les grands yeux, serrer les mâchoires, et s'approcher des portes à pas comptés.
Attention, j'ai une théorie. Ouvrez le ban! Nakata filme dans pas mal de plans Naomi Watts comme si elle mesurait 1m50. Je pense en fait qu'il la déteste! Fermez le ban!
Elle est complètement paumée, la pauvre petite, mais elle essaie. Du côté des seconds rôles, c'est la catastrophe. Son fils, joué par l'hydrocéphale David Dorfman, se tient correctement pendant une bobine, et après, lâchez les chiens, il fait n'importe quoi pourvu que ça mousse, comme on disait jadis au collège. Soit c'est le nouveau Benny Hill, et alors c'est un événement magnifique, soit il se paie notre tronche. (T'es sur ma liste, petit, t'es sur ma liste! On se retrouvera!). [Il jouait dans le récent remake de MASSACRE A LA TRONCONNEUSE; ceux qui, parmi vous, l'ont vu pourront affirmer ou infirmer mon impression). Ce n'est pas une partie de plaisir que de passer une heure et demie avec ce petit nain farceur! Simon Baker en ami journaliste de Naomi Watts est complètement insipide. Gageons qu'il se rattrape dans LAND OF THE DEAD, le prochain George Romero. Et la palme du mauvais casting revient, dans cette galerie pourtant bien fournie, à Elizabeth Perkins, dont on devine dès qu'elle a mis les pieds dans le champ comment elle va finir dans le film, et qui joue presque aussi bien que Meryl Streep dans OUT OF AFRICA. C’est bien simple, sans rire, j'ai cru que c'était un gag, et que c'était Tim Curry (Je te salut, Tim, où que tu sois!) qui jouait le rôle.
Donc, Watts fait ce qu'elle peut, et le reste du casting, c'est une catastrophe galactique, ce qui est très gênant pour ce type de film. [Les acteurs asiatiques dans les films fantastiques sont quand même scrupuleusement choisis, avec un soin quasi-maniaque. Et pourtant, ils n'y vont pas avec le dos de la truelle non plus.] Et comme le casting est lamentable, on fait comme dans THE GRUDGE, on fait appel à une actrice géniale pour la caution arty du film. C'est donc Sissy Spacek qui s'y colle dans le rôle de "Je-tiens-le-rôle-de-Grace-Zabriskie-dans-The-Grudge". Le procédé, complètement arriviste, est lamentable, et il serait temps de dénoncer ces réalisateurs, ces producteurs et ces directeurs de casting qui bâclent tout, sans faire leur travail, et se contentent de donner des miettes à des acteurs sublimes, mais âgés sans doute, qu'on ignore avec snobisme le reste de l'année. C'est dégueulasse. Passons.
Donc, il ne se passe pas grand-chose dans ce CERCLE II, moins antipathique que THE GRUDGE (le remake américain), grâce quand même à quelques petites séquences qui fonctionnent bien : les lycéens et les daims. La fin parait également plus punchy, sans doute parce qu'on intègre le "monde" de la cassette, et parce qu'il y a des superpositions d'images vidéo. Et puis ces dernières scènes marchent mieux, tout bêtement parce qu'on s'est royalement embêté pendant le reste du film. Nous, spectateurs non pas surdoués, mais équipés d'un cerveau normal, on en veut plus.
Bah, les fans hardcore de Nakata seront rassurés. Il y aura encore de l'eau qui fait mal dans son prochain film!
Les personnes qui veulent voir du vrai cinéma original, drôle et effrayant, qui soit en même temps un divertissement efficace et une superbe construction intellectuelle, regarderons plutôt UZUMAKI, vrai chef-d'œuvre inconnu et surtout vraie prise de risque, à l'opposé de ce film de retraités poussif et arriviste.
 
Justement Vôtre,
 
Dr Devo  
 
 PS: LE CERCLE  n'est pas le remake de RING II. C'est plus compliqué que ça. Jetez un oeil au commentaire de Fred...
 
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Publié dans Corpus Filmi

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B
Mon cher Rapp, je ne vous félicite pas pour le choix de votre adresse Emile, qui me déçoit beaucoup venant de vous (que j'imagine, je ne sais pourquoi, élégant et raffiné dans vos choix culinaires, vestimentaires et culturels). J'ignorais, par ailleurs, que vous fussiez de la Légion (à laquelle est consacré le site auquel vous semblez... pointer pour vos affaires courielles).<br /> <br /> Mes salutations étonnées.
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B
Vos commentaires donnent l'envie de jeter un oeil sur le Cercle 1, finalement, les amis. Qui vivra (et trifouillera dans les bacs de DVD invendus ou de seconde main) verra.<br /> <br /> Sinon, dans la série "Moi y'aime bien" non argumentée, Ring 1 c'est bien, Ring 0 à la rigueur, Ring 2 est une croûte. Voilà.
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B
D'ac' avec l'analyse du Marquis sur le reumaque. De plus, contrairement à l'héroïne japonaise, dont le visage relativement stoïque face aux événements transmettait l'angoisse au spectateur, Naomi Watts qui cri et hurle et geint (en tout cas dans le premier cercle) libérait en effet Joule la tension du film qui, de fait, avait la facheuse tendance de se dissiper avant que d'avoir atteint le spectateur (a.k.a. nous).<br /> <br /> Sinon, je crois que dans la famille Ring, c'est le grand-père qui fait les frais de la copie du moufflet.
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L
Très bon article... et j'ai perso préféréla version jap.<br /> <br /> Mais permets moi de te contacter pour un autre sujet, Docteur: il me manque cruellement ton avatar pour mon vieux concours, contrairement à ce que je croyais? Peux-tu me le laisser sur forum ou me donner le lien dans les commentaires? Merci !!!
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M
Je viens de me rappeler pourquoi j'avais un a priori négatif sur LE CERCLE avant de l'avoir vu : Gore Verbinski a réalisé l'immonde MEXICAIN avec Julia Roberts, Brad Pitt et James Gandolfini.
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