RENAISSANCE, de Christian Volckman (France-2006) : Retour vers le Futur
(Photo : "Projet de tenue focalienne pour aller au cinéma" par Dr Devo)
Chers Focaliens,
On continue la séance de rattrapage. Tiens, un film français ! Allez, on y va, nos emplettes sont nos emplois. [Non, je plaisante, pas de ça ici !]
J'ai toujours eu un peu de mal avec le cinéma d'animation, comme je l'expliquais déjà l'année dernière en parlant du CHÂTEAU AMBULANT de Miyazaki (pas mal, d'ailleurs). Les projets d'animation pour adultes se multiplient depuis déjà plusieurs années, grâce aux japonais notamment. Et ça marche. En guise de dommage collatéral, les autres pays commencent à réfléchir sérieusement à investir également cet étrange et riche créneau. Aujourd'hui, c'est au tour de la France, avec RENAISSANCE, projet assez original à plus d'un titre, ce qui valait bien un petit déplacement en salle obscure.
Dans le futur, à Paris, mégalopole à l'architecture bigarrée. Notre héros, qu'on appellera Héros pour plus de commodité, est une sorte de super-flic, ultra-consciencieux et drôlement doué, en plus d'être d'un culot monstrueux dans les moments-clés de ses interventions (notamment dans la prise d'otage introductive). Voilà qu'on lui confie une étrange mission. Une jeune scientifique surdouée vient d'être kidnappée. Elle travaillait pour Avalon (ah ouais ?), une multinationale surpuissante, un peu à la L'ORÉAL, spécialisée dans les cosmétiques et la santé, notamment le vieillissement des cellules. Notre donc très kidnappée scientifique était une proche du PDG, et ce dernier est furax de voir l’un de ses meilleurs éléments disparaître aussi mystérieusement. Héros commence son enquête sans aucune piste, si ce n'est l'étrange sœur de la jeune scientifique, qui a l'air d'en savoir bien plus que ce qu'elle dit... Héros se retrouve mêlé à une intrigue très bizarre, où l'expérimentation scientifique mais ultra-confidentielle révèle pas mal de choses louches. Mais tous les agissements de Héros sont observés. Qui est le marionnettiste qui, en coulisses, tire les ficelles ?
Ça fait un petit moment que je me dis que les cinémas d'effets spéciaux et d'animation ne devraient pas s'enfermer dans des techniques assez verrouillées. Ça fait des années que je rêve d'un film en images de synthèse qui soit en noir et blanc et imite le grain merveilleux de la casette HI-8 notamment (sans parler de la géniale idée de faire, comme Derek Jarman, des films entiers en HI-8, ce qui serait absolument merveilleux). Il faut bien avouer que, de ce côté là, même sans rejoindre mon extrémisme (idéalisme convient mieux), il semble qu'un léger frémissement ait lieu. SIN CITY, sur lequel j'avais amené quelques réserves et qui était quand même un film honnête, a poussé le bouchon plus loin fort heureusement, et c'est très louable, en bousculant un peu les conventions graphiques. Bien. RENAISSANCE a au moins le mérite de se construire sur un statut aussi extrémiste que son homologue américain. Le film est un film d'animation certes, mais se basant sur le filmage d'acteurs réels. Les images ainsi tournées sont ensuite traitées afin de les faire ressembler à de l'animation plus classique, ce qui est également la méthode d'un des segments du fabuleux THE FIVE OBSTRUCTIONS de Jorgen Leth et Lars Von Trier. Premier point. Là où RENAISSANCE est beaucoup plus gonflé, c'est qu'il utilise une palette graphique volontairement limitée, en noir et blanc avec quelques teintes grises, et qu'il joue uniquement sur le détourage réciproque des deux couleurs ! Fichtre, voilà un procédé très fort, un parti pris très jusqu'au-boutiste, bien plus, dans une certaine mesure, que son collègue SIN CITY justement. Bien. Le réalisateur a de plus déclaré que le cinéma d'animation en tant que tel (c'est-à-dire la sacralisation de la technique "artisanale") ne l'intéressait pas, et que ce qu'il voulait faire, c'était penser son film en termes de cinéma ! Très belle déclaration, à laquelle on ne peut qu'évidemment souscrire quand on est focalien jusqu'au bout du téton, comme disait jadis le poète.
RENAISSANCE est donc, en partie au moins, un film aux prédicats extrêmes. Si l'étonnement joue quelques minutes, effectivement, ma première impression suivante (si j'ose !) fut de penser que finalement, le résultat esthétique de cette bichromie n'était pas vraiment ma tasse de thé. C’est relativement impressionnant, certes, mais je ne fus pas subjugué par un torrent de beauté. Question de goûts et de couleurs, sans doute.
Dans la première partie, on constate néanmoins, malgré un certain classicisme sur lequel je m'étendrai plus bas, quelques gourmandises. L'utilisation gonflée et rigolote des reflets notamment, très bonne idée qui malheureusement sera la seule véritablement ostentatoire, avec quelques jeux de perspectives biaisées assez agréables en début de métrage, bonne idée là aussi) et qui sera répétée moult fois, de manière un peu systématique. Un joli plan résume cette bonne idée, lorsque le Héros discute avec le professeur en train d'opérer, où le face-à-face des deux hommes se fait par vitre interposée et où chacun voit l'autre ainsi que son propre reflet. La caméra travelling de gauche à droite et l'œil du professeur vient se caler sur celui du héros. C'est gourmand. C’est bien.
Et ce sera à peu près tout. RENAISSANCE essaye de tenir sur la seule utilisation de son procédé noir et blanc et de captation. Quelques mignardises, comme les reflets, ont lieu, mais surtout dans la première partie. Et très vite, elles disparaissent plus ou moins, et l’on se retrouve devant le film nu, pour ainsi dire. Et sur ce terrain, on est dans une approche malheureusement beaucoup moins iconoclaste. Ici et là, sur quelques plans (comme cet insert sur une statue), l'artisanat (c'est-à-dire le procédé), vient s'imposer dans la mise en scène, notamment sur des jeux d'éclairage qui arrivent dans la scène comme un cheveu sur la soupe. On ne va pas jeter la pierre, ça arrive toujours, ou presque, dans les films d'animation.
Là où j'ai plus de mal, c'est avec le décorum, une fois de plus. Paris nous est présenté comme une sorte d'univers bigarré, à la fois classique et high-tech, et bien sûr, une fois encore, les premiers plans reprennent en entier la référence à BLADE RUNNER de Ridley Scott, et ça, malgré ma douceur habituelle et toute la sympathie que je peux avoir pour un projet un peu barré comme RENAISSANCE, voilà qui me remplit d'une insondable tristesse. BLADE RUNNER, film sympathique et bien fichu, et je le dis au passage, adaptation complètement ratée de Philip K. Dick (ce qui n'enlève rien au plaisir éventuel !), ça commence à dater. Ça fait quasiment 25 ans que le film est sorti ! Et on en est toujours à recycler ad aeternam les mêmes éléments et les mêmes procédés. RENAISSANCE, curieusement, décline encore cette architecture, la malaxe et la modifie quelque peu, mais ça reste inspiré à fond les ballons par BLADE RUNNER, et je crois qu'il serait temps d'arrêter les frais et de peut-être penser à faire de nouvelles expériences. On retrouve aussi quelques passages obligés de l'animation, comme les poursuites en voitures, etc. Et petit à petit, on se retrouve avec l'impression très déceptive de se retrouver avec un film, avec des films, qu'on a déjà vu(s), et il faut se rendre à l'évidence : à aucun moment, malgré son parti pris créatif, RENAISSANCE ne sort de l'ornière.
La mise en scène reste fonctionnelle, sans beaucoup de jeu, c'est-à-dire proche d'une "action découpée" ou storyboardée dans laquelle on ne retrouve jamais les quelques gourmandises présentes ça et là dans la première partie. Montage, cadrage, construction des séquences et mouvements sont d'un grand classicisme, et surtout n'expriment pas grand chose. Tous ces facteurs servent à rendre l'action intelligible et compréhensible, mais il n'en sort pas vraiment de point de vue. RENAISSANCE, en fait, est beaucoup trop attaché à son scénario, bougrement classique et syncrétique. On filme ici l'histoire. Scénario a pris le pouvoir, ce qui est fort dommage, et l'impression d'avoir mis la charrue avant les bœufs prédomine une nouvelle fois, à savoir, soigner la direction artistique, le look, le décorum (et encore, de manière fort classique vis à vis des canons du genre, on l'a vu) avant tout. Le montage, le rythme (très monocorde), le cadrage ne sont qu'inféodés au reste. On aurait aimé le contraire. La direction artistique devrait fonctionner comme une synergie et ne pas aliéner au contraire la mise en scène dont elle n'est qu'un facteur mineur, malgré les us et les croyances du cinéma contemporain d'ailleurs (RENAISSANCE n'est pas le seul film à pécher de la sorte). C'est le découpage qui peut permettre de développer a posteriori des idées originales de direction artistique, jamais le contraire. Faire le contraire revient justement à cuisiner un plat qu'on bichonne d'accompagnements succulents avant d'avoir décongelé l'élément principal, comme un poisson pour lequel on ferait une sauce inventive, qu'on accompagnerait de légumes inattendues mais qui serait encore congelé quand le plat arrive sur la table ! [Joe Metaphore a encore frappé ! NdC]). C'est dans cette mise en scène soumise et sotto vocce que RENAISSANCE déçoit le plus.
Le reste suit un peu cette réflexion. L'histoire, sacro-sainte histoire, sacro-saint scénario, est très classique, mixe des ambiances diverses (AKIRA notamment), et parait bien fade faute de mieux, c'est-à-dire faute de mise en scène marquée. C'est une ambiance de film noir, légèrement paranoïaque, de thriller désabusé et high-tech. On est en terrain connu. Les personnages sont volontairement archétypaux, ce qui ne me poserait pas de problème s’il y avait autre chose à manger. Je n'aime pas trop non plus le doublage, pourtant très correct, très premier degré, parce que justement, il souligne encore plus et une nouvelle fois le classicisme du reste. L’impression de déjà-vu envahit tout, et l'absence globale de rythme anesthésie votre brave Dr, malgré ses efforts. Le complot annoncé dans le sujet est prévisible et cynique (ce qui aurait pu faire peur), et le film s'achève sur un twist paradoxal bien esseulé et bien maigre. Malgré la sincérité, sans doute, du réalisateur, on se retrouve au final à l'opposé complet des intentions de départ, et on replonge une fois de plus dans le complexe de "l'animation pour l'animation", puisque le reste paraît gentiment terne. On cherche encore dans le monde de l'animation et des effets spéciaux celui qui osera, au prix de ce lourd et coûteux travail, introduire un scénario et surtout, surtout, une mise en scène iconoclaste et qui ne fasse référence... à rien. On n'a pas envie de cracher, bien sûr, sur le réalisateur, parce qu'ici, on ne fait que des bisous (qui piquent) et parce qu'il y avait un fort parti pris, mais on ne peut être que déçu, voire blasé, de voir les projets se multiplier et se ressembler de plus en plus, même au-delà des frontières. On pourrait même ajouter que RENAISSANCE en dit plus sur le contexte de production (européen notamment) que sur le réalisateur. Dommage que, devant un tel pari, on se retrouve avec un produit de plus, pas infamant, mais une fois de plus complètement inabouti sur le plan cinématographique. Il serait temps de libérer les réalisateurs d'animation et de les délivrer des carcans de production et de commercialisation, comme cela arrive parfois (mais pas toujours), au Japon par exemple, qui produit lui aussi des univers d'animation très sclérosés mais qui régulièrement arrivent à nous étonner avec des projets fous et hors-norme, ce que fut AKIRA en son temps, et ce qu'a été plus récemment, par exemple, la série LAIN (SERIAL EXPERIMENT).
Zènement Votre,
Dr Devo.
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