JARHEAD (LA FIN DE L'INNOCENCE) de Sam Mendes (USA-2005) : Boys Boys Boys waiting for the good time...

Publié le par Dr Devo

(Photo : "Mauvais Hospice" par Dr Devo)

Chers Focaliens de Tous les Pays,
 
Ce n'est pas souvent que ça arrive, mais me voilà à écrire un deuxième article dans la même journée. Non seulement c'est très rare, mais ça ne m'est même jamais arrivé ! Ça tombe assez bien, puisque ce matin, je mettais en ligne l'article sur ANIMAL de Roselyne Bosch, film dont justement je pensais parler en même temps que JARHEAD, parce que, selon moi, comme je l'annonçais dans l’en-tête de gondole précédent, les deux films, chacun à leur manière, révélait un symptôme assez intéressant que, du coup, je n'ai pas pu développer, mais dont je vais m'acquitter aujourd'hui.
 
Bon ceci dit, pour vous qui me lisez, aujourd'hui c'est demain, comme le temps passe, et attaquons le vif du sujet. Sam Mendes. Ben oui, c'est vrai qu'il existait, le bonhomme, sorte de frère jumeau caché de ChienMalade (désolé, je ne retiens jamais son nom, et le Marquis a trouvé cette parade fort utile), le réalisateur du SIXIEME SENS (Mouais...) et de INCASSABLE (Ah oui !). Les deux ont connu un succès complètement foufou en deux coups de cuillère à pot. Mendes est quand même le jumeau maléfique dans l'histoire. ChienMalade (comment ça, je n'arrive pas à me connecter à Imdb ?) a su capitaliser avec flair son image (sur-cotée) de petit génie, et assurer ses arrières en prolongeant le filon fantastiquo-culte (Brrr... Horrible mot que culte !), lui qui voulait un peu changer de genre. Ça marche. Mendes, lui, a connu la gloire et la félicité éternelle de manière beaucoup plus précaire, grâce au sympathique et plutôt généreux AMERICAN BEAUTY. Bon, bon. Puis... Pas grand chose. Enfin si, LES SENTIERS DE LA PERDITION, film vu qui ne m'a laissé aucun souvenir ou presque, un peu à l'image de son héros, l'adipeux et effaçable Tom Hanks. C'était pas très glorieux, me semble-t-il, en y repensant j'ai un certain goût d'insipide qui trempe au fond de ma glotte, ce qui n'est jamais agréable. On n'est pas obligé d'être hyper-fan de l'artisan ChienMalade (dont j'aime beaucoup INCASSABLE, dont le sujet me paraît subtil et riche). Certes. Mais Mendes avec le père Hanks et aussi Newman (régime maison de retraite), maintenant ça me revient, on a bien cru que c'était un fusil à un coup.
 
Bah, on ne va pas cracher dans la soupe, et aller voir un film dont on n’attend rien n'est pas forcément un synonyme de déplaisir. On se retrouve en position neutre, hésitant à bailler à l'avance si l’on évoque LES SENTIERS DE LA PERDITION (remarque, le titre est de circonstance), et en hésitant à sourire en songeant que c'est Jake Gyllenhaal, l'inoubliable héros de DONNIE DARKO (peut-être le film le plus prometteur de ces dernières années, parmi les jeunes réalisateurs populaires américains, maintenant que Wes Anderson est installé). [D'ailleurs, que devient sa sœur Maggie, fabuleuse actrice elle aussi ? Ça sent la comète, ça... Ce n'est pas juste !] Me voilà donc au cinéma dans la position du moine bouddhiste, pas de désir, zen.
 
JARHEAD se passe pendant la première guerre du golfe. Gyllenhaal a 20 ans et quelques cacahuètes lorsqu'il s'engage dans les Marines. Sans justifier son geste, il explique qu'il a toujours pratiqué le tir à la carabine, mais de manière sportive et en dilettante. N'empêche, le voilà à l'école des Marines, avec son traditionnel sergent instructeur. Très vite, il est incorporé dans une section de plus ou moins gros lourds, un peu de toutes provenances et de tous profils. La routine s'installe avec l'instruction, et notre demi-héros au regard si bizarre prend tranquillement ses marques, sans perdre de vue que, ben ouais, il y a peut-être une erreur de casting ou un incident de parcours (ce qui nous vaut la réplique la plus rigolote du film : "Je me suis perdu en allant à la fac, Sergent !"). L'instruction se passe normalement, avec son flot de conneries et de semi-alliances. Gyllenhaal devient tireur d'élite, et se voit affecter un mec un peu plus âgé comme binôme : Ewan McGregor ! [Hola, non ! Pas du tout ! Je découvre en voulant vérifier l'orthographe de Ewan McTruc qu'il s'agit de Peter Sarsgaard, le plat de nouille de Dr KINSEY (et encore, là ça passe...), GARDEN STATE et surtout l'horripilant agent de sécurité de FLIGHT PLAN ! Ben zut alors ! Pendant toute la séance, je me suis dit : "tiens, tiens, il est là dedans McGregor ! Bien vu, ça le change un peu ! Mais c'est qu'il est plutôt bon, en plus !" Gag ! Ben non, c'est Sarsgaard. Bon, ceci dit, je ne retire pas ce que j'ai dit, c'est un vraiment bon choix, malgré ses autres films !]
J'en étais où ? Oui. Tout se passe plutôt bien, jusqu'à ce que l'Irak décide d'envahir le Koweït. Ce qui n'est pas pour déplaire à toute la compagnie, qui va enfin voir du pays. Malheureusement, le clair de lune koweïtien ne tient pas toutes ses promesses. L'action tarde à venir, le soleil tape dur, et l'ennui s'installe durablement. De l'abruti de base à Gyllenhaal, tous commencent à trouver le temps long, se demandent ce qu'ils font là, et même s'ils vont finir par croiser un quelconque soldat ennemi !
 
Heureusement que je ne savais pas non plus, décidément, que le film était tiré d'une histoire vraie et d'un bouquin. Je pense que je n'y serais pas allé. Le label "tiré d'une histoire vraie" est une arnaque souvent propice au refourguage des pires intentions et des plus mauvaises idées. Tiens, c'est marrant, on en a parlé hier, de manière fort pertinente, grâce au Marquis encore une fois, dans les commentaires de l'article sur le splendouillet AMITYVILLE, LA MAISON DU DIABLE. Allez jeter un œil, et allez voir le lien déposé par un de nos lecteurs, ça vaut son pesant de cigarillos cubains !
Bon, ceci dit, on rentre dans le film comme dans du beurre et les doigts dans le nez, notamment parce que Pathugmont a eu la bonne idée de passer la chose en VO (pour faire la nique au cinéma art et essai qui est cinquante mètres plus loin, et qui avait bien sûr lui aussi programmé le film ! Ça ne fait pas de sentiments !)
Ça commence bien entendu tout de suite par la fameuse période d'instruction (sur laquelle toute la critique pro s'est jetée pour faire l'évocation, voire, encore mieux, la comparaison avec FULL METAL JACKET ! Quelle culture ! Où vont-ils chercher tout ça ?). Alors oui, même si le film ici n'a quasiment aucun rapport avec le film de Kubrick (sans doute son plus mauvais film d'ailleurs, je pense, même si j'ai plutôt Kubrick à la bonne !), on a déjà vu ça mille deux cent fois. Et pourtant, ce n'est pas inintéressant. La voix-off, un peu maligne, fait un chouette balancier, même si la forme est classique (la forme voix-off / instruction, je veux dire), et forme un chouette piédestal à la partie instruction, justement, dans le sens où les scènes avec le sergent ont un timing excellent et étonnant. Non pas qu'elles soient beaucoup plus longues que la collection de vignettes habituelles dans ce genre de cas, mais il faut bien le dire, la longueur de ces scènes, juste un poil plus longues justement, donne un point de vue très oppressant et beaucoup plus absurde que d'habitude. Bien vu. Ces scènes qui ont perdu toute crédibilité au cinéma (à cause de l'hégémonie de Kubrick dans les esprits, c'était de très loin ce qui fonctionnait le mieux dans FULL METAL JACKET, et aussi à cause de la sur-utilisation des ces scènes dans le ciné américain, comme par exemple dans le splendouillet, tout faisandé et délicieusement vulgaire G.I. JANE, que je conseille vivement aux plus pervers d'entre vous), ces scènes, dis-je, trouvent un rythme particulier donc, et surtout une crédibilité. On navigue véritablement, et de manière palpable, dans une absurdité complète et cinoque, certes, mais carrément plausible et normale ! Une sorte d'extravagante et dévolutionniste réalité. Et tout ceux qui ont eu un jour à faire leur service militaire, les pauvres, savent que c'est dans cet improbable entre-deux que se joue cette expérience plus ou moins douloureuse.
[Petite note pour Fab du site Overfab, que je vous conseille : tu imagines bien que j'ai ri comme une baleine à la scène du clairon, et que j'ai trouvé cela bien vu, et même gonflé dans la perspective que je viens de dire, d'avoir gardé cette non-chute comme résolution de ce passage...]
 
La vie militaire aux USA, d'ailleurs, constitue sans doute le meilleur du film. Beaucoup de choses triviales y sont développées, et c'est vraiment une excellente option que d'avoir gardé tout ça. En plus, c'est pas mal mis en valeur. Mendes met le doigt dessus, comme on dit. Notamment en soulignant le fait que l'arrivée de Gyllenhaal dans ce camp de marines est déjà une tragédie, mini-tragédie certes, mais quand même tragédie en soi. Et quand l’ennui pointe, avec son cortège de dégoulinante et bien grasse virilité, c’est sur le plan du cœur et du sexe que les choses sont les plus violentes et les plus dangereuses. Un bon soldat, outre son fusil, c’est surtout sa copine ou sa femme laissée derrière, avec son cortège (encore) d’angoisse et d’érotisme poisseux à trois balles. La palette est garnie dans JARHEAD, allant du simple obsédé du slip au jeune gars déjà marié et avec enfants. Entre les deux, plus sensible encore une fois, Jake Gyllenhaal, qui regrette de ne pas avoir signé la suite de son film de college, si j’ose dire. Sa petite amie "magnifique" comme une pin-up Motul, continue sa vie. Non sans angoisse pour le Jake déjà malmené, mais ici c’est le sort de tous. La girlfriend is better, sans doute, et elle a envoyé, en bonne américaine, deux photos, une "mignonne à couper le souffle", classiquement, et une autre semi-érotique, ou même de Mu tout court, dans le sens où JARHEAD doit quand même bien passer sur les écrans sans censure. N’empêche, le choix est bon et la photo n’en a que plus d’impact côté frustration. On parlera en voix-off des conversations stériles pour tuer l'ennui, sur le sens de la vie, la religion, en passant justement par les concours de masturbation, évoqués mais là aussi hors champ, sans même un cadre pudique. Moins efficace que la photo, mais l’essentiel, je suppose, est que le message soit passé, en quelque sorte.
 
Tout cela est quand même joliment fait, avec une sensation du temps marquée et judicieuse, et c’est tant mieux. On entre donc dans la partie Koweït les doigts dans le nez, c’est déjà ça. Le Koweït, c’est comme le camp de formation, en légèrement pire. Quelques grammes d’ennui en plus qui font toute la différence : chaleur accablante sur son lit de photo brûlée et blanche comme l’ennui justement, attente, recommandations militaires pratiques dont tout le monde se bat l’absence de cocotier, et pour cause : tant qu’il n’y a pas d’action, tout cela est strictement inutile, petit paradoxe, mais assez joli, que le film pointe du doigt aisément. On s’ennuie donc aussi dans le désert, on se demande encore plus ce que l’on fait là, surtout que la guerre promise est plus riche en Tartare qu’en abattage de steaks, si j’ose. Ce n’est pas seulement parce que la partie "formation" est réussie qu’on entre facilement dans la partie koweïtienne. Il y a aussi dans ce sable des choses fertiles pour le film. L’idée principale, pas vraiment verbalisée mais montrée avec une jolie insistance, s’incarne dans une sorte d’emphase minimum, mais qui, comme je le disais une centaine de caractères plus hauts, suffit à rendre la chose et l’attente quasiment insupportables. L'emphase est aussi ressentie dans la douleur. Si le film ne montre pas avec autant d’insistance (dommage, mais c’est ça qui arrive quand on choisit d’adapter une "histoire vraie", fallait choisir les gars…) la lutte entre l’individu et / ou le groupe / l’institution, le film cherche clairement à mettre en valeur une autre emphase logique et conséquente de la première : les douleurs des mini-tragédies s’accentuent ! Un geste irresponsable (l’incendie) devient plus dramatique que chez soi aux statesses, et surtout, la dure lutte du Mu est, elle, mille fois plus cruelle. Et pour Jake, et pour tous. L’autre infernal remontre le bout de son nez, la promiscuité est un espace-temps, ici d’ennui à peine multiplié par deux, et les hommes entre eux ne peuvent logiquement que se faire souffrir les uns les autres. Ça nous vaut une scène concernant le Mu, et cette fois-ci montrée (bah, c’est pas si idiot que je le disais tout à l’heure), la scène dite de VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER, extrêmement drôle, et dont notre rire participe complètement au défouloir méchant que cherche Gyllenhaal en essayant de revoir le film. Lui et nous pareils. Le "mur de la honte", par l’introduction, ah oui, du film de Cimino, dépasse le stade de l’anecdote de scénariste et / ou écrivain petit malin, pour trouver une incarnation d’autant plus cruelle qu’on ne l’attendait pas (ce mur de la honte paraissait être une idée hollywoodienne de petit frimeur, ça ne choquait pas certes, mais ça faisait trouvaille de brainstorming dans le bureau de Warner ; tout comme le râlage à propos de la musique des Doors – toujours aussi irritante en ce qui me concerne – qui n’est pas illogique par rapport à l’autre scène coppoliènne dont je vais ne pas parler plus bas, bien sûr, mais dont l’aspect punchlinique plonge la pirouette, à mon sens, complètement hors-cadre).
 
Alors oui, on rentre là-dedans avec plaisir, et on va au Koweït, peut-être pas la bave aux dents, nous, mais en deux coups de cuillères à peau (de gingembre). La mise en scène est plutôt jolie, il y a un peu de cadre, il y a de l’effort, c’est pas mal découpé, et tout et tout. Quelques vraiment bonnes idées. Si le gag de Dark Vador (si je veux !) paraît lui aussi être de l’humour de clerc de campus, son intérêt est joliment rattrapé, et de manière non verbale et subtile plus loin, dans un contrechamps en caméra subjective où l’on s’aperçoit de la véracité de la chose. Le fait de mettre le gag à trois kilomètre de son sens, et sans montrer du doigt le lien, chapeau, dans le cinéma d’artisanat hollywoodien, ça n’arrive pas tous les jours. [Je crois que le Mendes gâche un peu tout, concernant ce plan, en le répétant encore une nouvelle fois once again. C’est lourd, et ça manque de classe.]
Ça a du rythme donc, on se dit que c’est bien emmanché, la chose, qu’on tient le bon bout, c'est-à-dire le petit bout de la lorgnette, pas si fréquente que ça, qui consiste à montrer une action pas glorieuse, c'est vrai, mais qui ne dénonce pas "Les Horreurs de la Guerre". Ce n’est pas si courant de mettre hors jeu la bidoche compatissante pour l’humanité perdue et trouée de toute part, me dis-je, et ça permet de mettre l’accent sur la raison de la guerre : un individu contre le Groupe. Bien. On est donc loin de la caponerie hanksienne et obèse. C’est déjà ça. On se dit que l’absurde va monter.
 
Bah, le Mendes finit par se perdre. Je ne sais pas où précisément, mais je pense que c’est dans la séquence de l’équipe télé. Plusieurs raisons. D’abord, le lieutenant qui tente de cacher les gaffes de ses jeunes recrues, ça fait vraiment potache à cinq balles pour faire rire. Mouais. Et puis on se dit que tiens, tu ne la sentirais pas, la contextualisation qui monte, alors même que le côté subtil de la chose (et de l’ennui bien incarné) tenait dans son caractère justement non contextualisé et non historique. C’était la guerre du rien, mais ça redevient la guerre d’Irak dans cette séquence. [Les scènes, beaucoup plus tard, de puits de pétrole en enfer auraient eu un côté beaucoup plus fantastique, absurde et troublant si justement la présence de l’Irak, par son absence, avait été choisie, même en gardant le look qu’elles ont dans le film.] Et là, c’est une erreur stratégique : il fallait continuer à ne pas parler de l’Irak pour pouvoir en parler, par échos perdus ( "of things not there", disait le poète anglais), hors film et dans la boîte crânienne pourtant fournie du spectateur, moi par exemple… La séquence de l’interview, tout en vidéo et en scope (!), yummy yummy, je ne m’en lasse pas, pendant qu’elle commence à débuter, je me dis que c’est là que tout va se jouer. Bingo ! Effectivement, cette série d’interviews (maladroitement précédée par l’intervention du sergent qui explique que les soldats n’ont le droit de rien dire ; elle aurait été bien plus troublante, cette séquence vidéo, si on l’avait vue avant ce speech) stigmatise la dérive du film que je pressens  et que je vous décris présentement, mais elle redouble les passages de Jake Gyllenhaal, ce qui est bien irréaliste d’une part, et un peu fantastique ou "diégétique" comme qui dirait ! Très bon calcul. Mais ça ne suffit pas, et la scène de punition qui suit la partie de foot (trop longue et redondante) est assez cliché pour qu'on se dise que la partie est perdue.
 
Et c’est quasiment le cas. Les choses bougent, le front approche. Gyllenhaal contextualise dans l’interview une seule fois, de trop : « Oui, j’ai peur ! J’entends leurs bombes tomber », détail réaliste mais oui, oui, on la sent monter, la variation. Le film avec le "combat" qui approche sape l’aventure vécue jusqu’ici par le spectateur. Et l‘humour et l’absurde s’éloignent au grand galop. Ici et là, l’absurde réapparaîtra (séquence du bombardement, les traces blanches dans le carbone), mais comme pure figure écrite, bien loin du fort ressenti, de l’incarnation malicieuse et subtile de la première partie. Et voilà où ça déraille : les intentions sont d’un coup évidentes, l’aventure individuelle et douloureuse est remplacée par la dénonciation et / ou la description, ce qui ne serait pas une mauvaise chose en soi si cela avait été fait en filigrane, en contre-chant (musical, ce n’est pas une faute d’orthographe), en fugue quoi ! Là non. Là, c’est retour au film de guerre, retour à l’histoire, retour au témoignage.
Je ne sais pas si ce n’est pas un peu la déception qui m’a fait mettre le doigt dessus, où si la baisse de niveau est  réelle. Toujours est-il que la réalisation semble se faire elle-même plus mécanique, plus attendue (encore une fois, l’utilisation du son et la chute de la scène du bombardement, vue mille fois et présentée prétentieusement comme une révélation). On commence à faire des cercles dans le sable, me dis-je. Arrivent les images de puits, dantesque et pas forcément mal réalisées d’ailleurs, mais qui, et c’est un gros paradoxe, perdent leur originalité pour ne devenir qu’illustratives. [La scène du cadavre est d’ailleurs complètement désincarnée, et même vide comme une idée de scénario.] Le découpage redevient, comme le rythme, une arme conventionnelle. Plus j’avance, et plus les questions amenées avec longueur dans les deux ou trois premières bobines n’ont strictement plus aucune importance. Le film redevient un film de genre hollywoodien, redevient topos, redevient gavage de l’attente préprogrammée du spectateur. Tu la sens, l’émotion qui monte ? Oui, mais pas pour moi, non merci, je passe. C’est trop facile. Hasard ou énervement, encore une fois, la pire scène, dénudée comme un poulet famélique dont on a enlevé les plumes, arrive : celle du snipping et de l’action. Alors là, bonjour l’enfonçage de clou, surtout en ce qui concerne le personnage de Sarsgaard, descendu par le scénario et le réalisateur. Dans cette pièce et ce faux dilemme sans surprise, tout sonne faux. Après, on ne veut plus y retourner. Pas la faute des acteurs, plutôt pas mal, mais plutôt celle de Mendes. Le reste se déroule de plus en plus symboliquement et sans aucune ellipse : la girlfriend, les retrouvailles snif-snif, n’en jetons plus.
 
Et bien voilà, bien fait pour lui, pan sur le bec au Mendes ! Ça sent un peu l’arnaque. La première partie me semble toujours réussie, même a posteriori, mais ce changement des règles (on vous promet du bridge, et on se retrouve à faire une bataille) en cours de jeu agace… et montre les limites du réalisateur qui, semble-t-il préfère assurer ses arrières, jouer la valeur sûre et le plus grand dénominateur commun, quitte à abandonner ses personnages. Ça, c’est cynique. Mendes a aussi péché, chose dont on a parlé maintes fois ici, en faisant son petit film de témoignage à costumes, ce que devient le film. Enfin, par voie de conséquence, il a voulu parler au peuple américain, dans un "je vous ai compris, my boys") plongeant toute sa galerie, loin d’être sympathique (bon point), dans le plus total des relativismes. Et on finit avec un film qui nous dit finalement le classique et débilosse : "c’est con, la guerre !". Ce qu’il cherchait à tout prix à éviter.
 
Dr Devo.
 
PS : Je ne parle pas ici de la scène au cinéma, qui m’a semblé rigolote mais cliché au début, et que j’ai trouvée au final très belle, sans doute la meilleure. Il y aurait beaucoup à dire sur cette scène, complètement irréaliste mais très sociale, où l’on retrouve toutes les définitions du cinéma en trente secondes (même le film de propagande avec la chute !). On ne parle plus de soldats, plus de la guerre non plus, très paradoxalement (et j’insiste), mais on parle de Société et de cinéma. Très beau. Je ne m’étale pas pour laisser la surprise à ceux qui n’ont pas vu la chose.
Le sort réservé à Sarsgaard dans la conclusion est grotesque. Les idées développées sur le terrain suffisaient très largement. Là aussi, on retombe dans le balourd.
 
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Publié dans Corpus Filmi

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D
Mais nous disons la même chose, je crois! Je vais voir si je peux me procurer le film dont tu parles! Merci pour la référence cher Repasssant!Dr Devo.
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L
D'ordinaire, lire politiquement les films m'indispose et "me fait %¨^*". Sauf qu'avec ce bon Sam, je suis obligé de le faire, car ses films ne sont que des opus politiques! Je ne le fais d'ailleurs absolument pas de manière militante, ne pas se méprendre sur mes intentions, qui restent très froides.<br />  Ensuite je n'ai pas du tout ton talent d'analyste du montage (non que j'y sois insensible, mais j'ai pas la mémoire de ces trucs là), donc je ne peux pas me livrer aux mêmes interprétations de film (enfin faudrait que j'ai le DVD pour pouvoir faire des aller retours). Cela m'oblige, hélas, à des lectures plus globales.<br /> Sur l'attente en temps de guerre, essayez de télécharger "20 jours sans guerre", de Alexei Guerman, qui date des années 70, et qui est le récit d'une permission à Tachkent d'un officier de l'Armée Rouge. Du très très grand cinéma. Un des rares film que j'ai vu où la salle entière à applaudi à la fin, en l'absence du réalisateur (et de tout ponte de la critique). Je ne crois pas qu'il soit disponible en  DVD.
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D
La politique ne m'intéresse pas, dans ces pages du moins. ceci dit ton avis repassant est parfaitement le décalque du mien et me confirme dans mon impression. Tu as dit les choses très justement, et pour la partie "puits en feu", tu m'ôtes les mots de la bouche pyuisque pendant qu'ils tiraient en l'air vers le ciel, je me suis dit:" Si c'était moi le patroon j'aurais rempli ce scope en surimpression avec le mot DIEU sur fond de nuit noire." Ca aurait été sublime. Et puis j'ai rajouté pour moi-même in peto: "Amis du baroque, vous repasserez!".Dr devo;
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L
J'ai pris très vite (je suis encore au taff!!) le temps de lire ce que tu avais écrit sur le film, difficile de dire si je suis d'accord (je me suis plutôt emmerdé pendant le film, j'avais détesté American Beauty), disons que si l'on adopte ton parti "ok on fait un film sans les irakiens, mais on le fait à fond", je trouve qu'il a complètement raté la partie "on allume les puits et on fait griller du poulet américain", où là il avait une carte esthético mystique à jouer : rien, le désert, des soldats perdus. Il touche quelque chose par instants, on est presque dans du "vrai bon cinéma", et puis plus rien (la scène du cadavre est totalement nulle, t''as bien raison là dessus). <br /> Le plus dur, c'est d'élaborer une critique qui soit et politique, et esthétique, et cinématographique de ce film.
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L
Je cite : "Pas si balourd que ça, je trouve." Je pense qu'un Irakien serait heureux de savoir qu'il se trouve des français qui pensent que ce qui se passe actuellement chez eux "ne mérite même pas un film", ou du moins que la guerre en Irak "ne laisse même pas de quoi tourner un film" (rhooo, si c'est pas une honte, c'est vrai que les Irakiens sont de tellement mauvais acteurs que notre pauvre Sam il a pu en embaucher aucun pour son petit film).<br />  Quel sens a le verbe laisser dans la proposition si dessus, il y aurait presque de quoi faire un film à la "Letter to Jane" de JLG, sur la guerre en Irak. <br /> "Cette guerre en Irak ne nous laisse même pas de quoi faire un film sur elle". j'aime beaucoup beaucoup cet énoncé! Sérieusement, politiquement, je m'éclate à lire ce genre de truc.<br />  <br />  
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