LA DERNIERE VAGUE, de Peter Weir (Australie-1977) : les blancs se cachent pour mourir !

Publié le par Dr Devo

(Photo: "Matière Focale, presque un an déjà" par Dr Devo)

Chers Gens,
 
Si tu t'ennuies pendant les vacances, ou si tu ne sais pas quoi acheter avec les sous de Mémé, tu peux toujours  acquérir le beau coffret Peter Weir. Bien entendu sur priceminister.com, notre cochon qu'on gave. Si tu vas sur le site en passant par la bannière qui est ici, sur la colonne de droite, et bien tu ne payeras pas moins cher sur Priceminister, mais tu feras gagner 8% de la somme de ta commande à Matière Focale. Ça fait quelques mois qu'on a mis le système en place, et pour l'instant, ça nous a rapporté un bon cinq euros !
Donc, sur Priceminister, tu trouveras sûrement le coffret Peter Weir.
 
Bon, maintenant que la pub est faite, passons aux choses intéressantes. Peter Weir est un sacré gugusse. Et comme je l’avais fait quand j’ai parlé du fabuleux LES VOITURES QUI ONT MANGÉ PARIS, je vais encore une fois m’adresser aux plus jeunes parmi nous.  Ah oui alors, THE TRUMAN SHOW, c’est très sympathique. Ah oui alors, LE CERCLE DES POÈTES DISPARUS ou GREEN CARD, sont de sombres navets manipuleux et grassouillis (si je veux), mais fut une époque où Peter Weir vivait encore dans son Australie natale, et aussi sympathique qu’on puisse trouver le garçon par ses films récents, il faut bien admettre qu’à l’époque australienne, ça n’avait rien à voir, la chose ! Weir a fait partie des très grands, et entre PIQUE-NIQUE À HANGING ROCK ou LA DERNIERE VAGUE, et THE TRUMAN SHOW, il n’y a pas photo. D’un côté, vous avez des films sublimissimes et ambitieux, et de l’autre côté une petite bluette de petit faiseur sans conséquence (et pourtant, je trouve THE TRUMAN SHOW honorable… sans plus !). D’ailleurs, dans ce merveilleux coffret sus-cité, vous trouverez PIQUE-NIQUE À HANGING ROCK, LES VOITURES QUI ONT MANGÉ PARIS, LA DERNIERE VAGUE, et aussi le fabuleux THE PLUMBER, qui fut réalisé pour la télé australienne, mais qui est absolument fabuleux. Tout ça pour pas cher, qu’on se le dise !
 
Fin des années 70. Une école primaire pour petits australiens blancs, perdue dans le désert australien. C’est la récré, et tout le monde joue dehors. Soudain, un grondement de tonnerre fabuleux résonne. Les enfants sont étonnés, et pour cause : il n’y a aucun nuage dans le ciel. À peine le temps d’en faire la constatation qu’une pluie diluvienne s’abat sur l’école. La maîtresse fait rentrer les enfants en classe. À peine cela fait, il commence à grêler, et encore, des grêlons gros comme ma main qui détruisent toutes les fenêtres et blessent un élève. Etrange, ce n’est ni la saison des pluies, ni la saison de la grêle. D’ailleurs, dans cette partie de l’Australie désertique, il n’a jamais grêlé !
Richard Chamberlain vit dans une grande ville du pays. Depuis quelques temps, des pluies diluviennes tombent sans prévenir. Chamberlain est avocat, spécialisé dans le droit des entreprises. Il est marié et a deux petites filles. Malgré sa spécialisation, on lui propose de s’occuper d’une bien étrange affaire. Cinq aborigènes urbains sont en effet mis en examen. On les accuse d’avoir tué ou d’avoir laissé mourir un autre aborigène urbain, après une soirée bien arrosée. On a trouvé de l’eau en petite quantité dans les poumons de la victime. Il se serait noyé ! Evidemment, on l’a retrouvé en pleine rue, et pas dans un fleuve ! Bizarrement, Chamberlain a été contacté, car il avait vaguement donné des conseils juridiques à des aborigènes des années avant (un problème immobilier, je crois), et encore plus bizarre, il accepte. Le voilà bien embêté. Le droit australien prévoit que la loi ne s’applique pas aux aborigènes faisant parti des tribus ancestrales, la loi aborigène se substituant alors à l’australienne. Mais notre groupe d’aborigènes présumés meurtriers sont des urbains, et de ce fait, ne sont pas soumis aux lois ancestrales, mais à celles de l’Australie blanche, justement. Après tout, les faits ont eu lieu en ville et impliquent des hommes qui, depuis longtemps, vivent là. Chamberlain trouve toute l’affaire bizarre : les témoignages des accusés sont contradictoires et flous. À l’évidence, ils cachent quelque chose. Ils ont peur. Notre ami Chamberlain, malgré son sérieux et sa bonne volonté, les soupçonne d’être des Tribaux. Or les spécialistes sont formels : il n’y a jamais eu de tribus natives en ville. Dès le début de son travail, l'avocat commence à avoir des soucis de sommeil. Il fait des rêves étranges, dont un où Chris, un des aborigènes inculpés, lui tend une étrange pierre. Chamberlain l’invite à manger chez lui, et Chris ramène alors Charlie, un vieil aborigène qui ne parle même pas anglais, et qui demande à notre héros de quelle tribu il est !!! Chamberlain est bien embêté, lui qui est blanc "de souche".  Les rêves et les hallucinations se multiplient. Chamberlain le sent bien : sa propre identité et son propre destin sont en jeu. Malgré la réticence de ses clients, qui plaident tous coupable et lui conseillent fortement de ne pas aller trop loin dans l’enquête, Chamberlain s’attache à percer le mystère. Une mystérieuse pluie noire, mêlée d’hydrocarbures en fait (!), se met à tomber sur la ville par intermittence…
 
Comme pour PIQUE-NIQUE À HANGING ROCK, LA DERNIERE VAGUE peut être qualifié de véritable choc. C’est tout d’abord d’une beauté formelle à couper le souffle, et ce à peu de frais, si j’ose dire, tant les décors, à une ou deux exceptions près, sont d’une banalité tout à fait remarquable. Il n’empêche, c’est exquis. La photographie, très variée (nuit urbaine, intérieur de la maison éclairée le soir, douceur du soleil dehors, grotte, plans de pluie sombres et gris, etc.), est superbe. Et elle est signée du même chef-opérateur que PIQUE-NIQUE À HANGING ROCK. [Ceux qui ont vu le film salivent déjà… Ceux qui ont vu VIRGIN SUICIDE devraient aller y jeter un œil, juste comme ça, pour vérifier…] La musique est dispensée avec parcimonie, via un thème doux au synthé, mais le son est omniprésent, et de quelle manière ! Superbe mixage des voix et incroyable ambiance sonore, le tout se disloquant et se désynchronisant sans qu’on s’en aperçoive totalement, jusqu’à ce qu’on ait une impression de normalité disjointe. [On peut notamment se régaler, de ce point de vue, dans les sublimissimes scènes de voitures.] Un peu à l’image du montage d’ailleurs. Les séquences de sons ou d’images se heurtent de plus en plus fréquemment, jusqu’à former un no man’s land étrange et  subtil. Grand travail sur le son donc, plein de nuance, notamment de volume (ça aussi, ça se perd au cinéma, les réalisateurs préférant ne jouer que sur deux nuances : énervé, et alors ça hurle à fond de dolby, ou alors calme, sous prozac ; c’est pas très subtil quand même). Quant au montage image, aux délicieux choix d’axes et de cadres (le plan en très légère contre-plongée où la voiture sort du parking !!! Bon sang !), dissonances et dérayages légers mais dérangeants de la narration et de la continuité, entre autres réjouissances, c’est du caviar pour les yeux délicats, un régal pour les gourmets. Très beau.
 
Et le sujet, les amis ! C’est du nectar là aussi. Malgré ce que laisse présager le sujet, on n’est pas vraiment dans le politique ou le social. Il est vrai qu’outre l’intrigue, on trouve ici et là quelques petites touches sociales (le petit aborigène qui sonne la cloche de fin de récré dans la séquence d’ouverture, par exemple), mais dans l’ensemble, on est frappé par l’étrange ambiance, très largement teintée (et même beaucoup plus que ça) de fantastique. Et encore, il faudrait pour pouvoir dire cela décrire l’étrange saveur du film. En effet, si les éléments fantastiques de l’histoire sont le moteur complet du métrage, c’est de bien étrange manière. Sur des prédicats simples (Chamberlain qui prépare son procès), le film se biaise largement et éclate en ellipses et en achoppements divers, bref en de multiples, voire incessants, incidents de parcours dont Weir a la sagesse (et le nez !) de distiller bien au-delà de ce que l’intrigue a de fantastique, allant jusqu’à contaminer les scènes les plus réalistes. [La scène de repas entre Charlie et Chris est par exemple assez largement réaliste, ce qui est excessivement troublant.] L’avantage du dispositif est de réserver au parcours largement initiatique du personnage de Chamberlain une très vive émotion, qui nous étreint énormément malgré la complexité globale des enjeux, et de permettre au récit, au fur et à mesure et dans sa grande dernière partie, de garder une part très forte d’abstraction et de Mystère, au sens religieux du terme. On sonde profondément l’étrange quête d’identité de notre héros, mais sans jamais y plaquer un discours qui soit explicatif. La solitude formidable du personnage (très beau passage que celui où il écarte sa famille, presque déchirant, sans en avoir l’air même, je dirais) est du coup ressentie de manière fabuleusement sensuelle et affective, et les enjeux liés à cette quête résonnent d’accents terribles et essentiels. Il semble (que cela arrive ou non) que ce soit la mort qui soit au bout du chemin. De fait, le film n’est ni vraiment social, ni à thèse, ni politique, ni ouvertement écologique, mais bien plus que tout cela réuni. Et on reste scotché par la longue dernière partie, cette apocalypse intérieure (au moins). Et le tout avec une classe superbe, comme par exemple la gestion des informations dans le film, où aucune ne prédomine sur l’autre. Un des clés de voûte du métrage est le concept de double vie parallèle chez les Aborigènes, mais cela n’est nullement mis en exergue, au contraire justement des prémonitions et autres sensations fantastiques du personnage principal. La classe donc. Quasiment sans un mot, et avec uniquement de gros morceaux de mise en scène dedans (notamment éclairage, choix des axes et des cadres, et l’échelle de plans), Weir met clairement en lumière le choix de Chamberlain (cf. les deux couloirs), notamment grâce à un très logique, mais quand même déroutant contre-champ qui amène la dernière scène). Sous l’action physique, c’est bien un choix mystique, spirituel et divin pourrait-on dire (et pourquoi pas, à ce moment précis, paradoxalement, c'est-à-dire en pleine natation fantastique : un choix politique au sens large). Le personnage de Chamberlain est vraiment le noyau du film, et non pas, très curieusement, la culture aborigène elle-même. Ce beau héros semble être une créature utopique (ou contre-utopique, à vous de voir), un entre-deux qui reste (encore plus que le ton du film ou l’histoire elle-même) le noyau central de toute l’œuvre. Le personnage principal, c’est bien le blanc, et pas l'aborigène. C’est donc totalement curieux et inattendu, et voilà qui donne à l’étrange enjeu de ce film une connotation complètement universelle, une sorte d’acceptance (joli ça, et si je veux bien sûr) de sa propre identité, unique et franche, et surtout assumant toutes les conséquences, y compris celles qui lui tombent dessus, le pauvre garçon, sans qu’il puisse vraiment y faire quelque chose. Il y a choix, certes, mais il faudra quand même régler son sort au terrible acquis de la société moderne. Brrr… Un choix anti-communautaire par excellence, ou plutôt intrinsèquement non communautaire, ce qui n’est pas la moindre surprise de film qui en regorge pourtant.
 
Etrange cocktail donc que ce film à la fois mystérieux, et même bougrement abstrait, mais complètement limpide par endroits et toujours d’une émotion assez déchirante. L’impression physique des points de non-retour est palpable. Dans le même mouvement, c’est un film absolument lyrique, souvent à l’échelle atomique du plan. [Hallucinant plans consécutifs dans la séquence fantastique du déluge : les corps flottants d’abord, puis l’autoradio dégueulant d’eau (c’est logique, la voiture prend l’eau, et c’est logique dans la mise en scène, les deux plans appartenant à la même scène), deux plans qui m’ont plongé dans une totale dualité (ou schizophrénie), dans le sens où il me fut impossible de ne pas les séparer et de ne pas les prendre aussi pour deux identités distinctes. Logique onirique et complètement sensuelle qui scotche sur le fauteuil. On sent les deux aspects antinomiques (plans reliés et / ou, en même temps, disjoints) avec une force très étonnante.
 
Il y a bien sûr un gros paquet de plans absolument fabuleux (mais sans Nathalie Baye, j’en ai bien peur), ça n’arrête quasiment pas, entre images "quotidiennes" coupées avec beaucoup de rigueur ou, au contraire, des plans plus fantastiques d’un grand lyrisme. Un mot, enfin, sur les interprètes, formidables de A à Z, dont Chamberlain, bien loin de Monseigneur de Bricassar et autres shoguneries, est ici absolument superbe et puissant. Dans le rôle de Chris, on retrouve l'étonnant acteur aborigène David Gulpilil, déjà présent dans le formidable WALKABOUT de Nicolas Roeg, ainsi que dans l’assez récent THE TRACKER de Rolf DeHeer. C’est quand même pas rien !
 
Puissamment Vôtre,
 
Dr Devo.
 
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Publié dans Corpus Analogia

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L
Votre travail est vraiment intéressant, mais par pitié, revoyez la mise en page de votre texte, la lecture est difficile.Bonne continuation.
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