THE MATADOR, de Richard Shepard (USA-2005) : en compagnie des hommes médiocres

Publié le par Dr Devo

(Photo : "Piiiiieeeerce Brooooosnannnn" par Dr Devo)

Chères Amies, Chers Amis,
 
Comme je vous le disais Mercredi, voilà qui est bien étrange, mon cinéma Pathugmont, que j'écume grâce à ma carte illimitée, se re-pique de VO cette semaine, et sort en grande pompe semi-art et essai le film THE MATADOR, pas vraiment annoncé, et pas du tout attendu. Art et essai, et sans laisser augurer de la qualité du film, c'est vite dit, et le terme "film indépendant" conviendrait mieux, ou peut-être encore plus le terme co-production, le nombre de boîte produisant ces petits films étant assez hallucinant. Mais bon, il y a un petit marché pour ces choses là, pour ces films qui pourraient d'ailleurs très bien faire partie des séries A les plus huppées et les "mieux" vendues. [Ce qui en dit assez long sur la politique de production des grands studios, qui semblent plus prompts à acheter ces petites séries "malines" à l'étranger, NIGHT WATCH par exemple, que sur leur propre territoire. Enfin bon, c'est pas très grave...] On pourra également ajouter que ce qui fait aux USA le caractère indépendant d'un film, c'est avant tout son budget et son type de production. Et aux USA, indépendant se confond souvent avec art et essai. Bon, la terminologie a ses limites, passons.
 
Ah, Pierce Brosnan ! Voilà un acteur qui ne m'intéresse pas du tout, mais alors vraiment pas. Les James Bond dernière période sont soporifiques, et le pauvre vieux n'y a pas grand chose à faire. À la limite, il paraît presque arrogant, le bonhomme, prétentieux même dans son jeu d'acteur, tellement persuadé d'incarner la séduction brute, étiquette qu'on lui a donnée pour vendre le James Bond bien sûr, et qu'il cherche à vendre et à revendre lui-même avec un zèle douteux. Et pourtant, le type n'est pas vraiment charismatique, et sa plastique, même s'il n'est pas complètement moche j'imagine, me semble plutôt incarner le fantasme absolu, en effet, mais des lectrices Harlequin (ou des lecteurs Harlequin, n'est-ce pas Marquis ? [Euh, non, Brosnan n’est pas mon fantasme absolu, merci pour lui ! NdC]), le bel inconnu mode 70-80, old fashion, gros standard, un peu suranné.
 
Bon. Ceci dit, quand j'étais au collège (fan des années 80, fan jusqu'au bout des tétons, comme disait le poète en rémission, voir dans le juke-box), j'ai eu la chance de voir en salles et en VO le premier film d'un réalisateur que je n'apprécie pas vraiment, John McTiernan. Ce film s'appelait NOMADS, Brosnan jouait dedans, et je garde un très beau souvenir de ce film (dans le cadre de cet événement qui était, je me le rappelle, organisé par un club de jeux de rôle (très eighties, ça !), on nous a projeté dans la même journée LA FERME DE LA TERREUR de Wes Craven (avec Sharon Stone) et L'AU-DELÀ, la chose magnifique de Lucio Fulci. Oui, oui, j'ai vu L'AU-DELÀ sur grand écran !).
Depuis, Brosnan ne m'a jamais convaincu, c'est le moins que l'on puisse dire. Filmo médiocre, mauvais choix, etc. Par contre, il y a quelques années, et c'est pas si vieux (2-3 ans), Canal+ avait diffusé la nouvelle série du Muppet Show, très bonne d'ailleurs (surtout les nouveaux personnages, mes préférés étant : l'ours Bobo, bête jusqu'au délice, et le couple formé par Johnny Fiama, sorte de Sinatra raté et vieillissant, et Sal, son singe de manager ! C'était une belle bouffée de non-sens que cette série, bien plus créatrice et smart que les horribles choses débilosses qu'on passe à la jeunesse, excepté le fabuleux ANE TROTRO dont je parlais hier !). Un des épisodes accueillait Brosnan, et il avait été très bon ! Je me souviens notamment de la parodie de la chanson GOLDFINGER : "Pierce Brosnan ! C'est le mec le plus bête de la planète !", gag pas drôle sur le papier, mais absolument délicieux d'absurdisme (si je veux) dans le show ! [Je me demande si ce n'est pas dans cette épisode qu'on retrouve le fabuleux gag concernant l'animal désormais mythique, le (en anglais dans le texte) "Elyphino" ?
Et puis la semaine dernière, je ne vous en ai pas parlé, j'ai vu THE TAILOR OF PANAMA, jolie petite chose de John Boorman, où le Brosnan caricaturait légèrement son image de James Bond, en se télescopant à Jamie Lee Curtis (grrrr.... Miaow !) et l'excellentissime Geoffrey Rush. Petit film soigné, où Brosnan était bon. THE MATADOR poursuit la volonté monomaniaque de l'acteur de casser son image bondesque par tous les moyens à sa disposition.
 
Brosnan est tueur à gage (ça commence bien). Il travaille pour un mystérieux personnage qui sous-traite des demandes d'exécution émanant de la part de grosses entreprises ! Rien de mieux pour le commerce que d'éliminer un concurrent dangereux, ou un Ministre de l'économie récalcitrant, pour obtenir un marché ultra-juteux. Notre ami Pierce parcourt donc le monde, d'hôtel en hôtel. Une vie minable, bien loin de l'image glorieuse du tueur ultra-pro. Brosnan, qui commence à vieillir plus que sérieusement, est plus ou moins dépressif. Il picole comme un trou, il dort n'importe comment, il bézouille tout ce qui bouge (même les prostituées mineures !), malgré son physique dégradé par tous ces excès, et c'est que le début. Il est abîmé de partout, il fane à vue d'œil, et il est complètement à la ramasse.
Greg Kinnear (formidable Captain Amazing dans le sympathique MYSTERY MEN) est un petit gars qui accumule la poisse. Marié à Hope Davis, ils ont déjà perdu un gamin dans un accident stupide (accident de bus scolaire : tous les gamins survivent sauf le leur ! héhé !), et les affaires de Greg font plus que patiner. Il doit partir à Mexico avec son associé pour décrocher un marché qui pourrait les sauver financièrement ! Sur place, la négociation commerciale se passe plutôt bien, mais bizarrement, le marché n'est pas encore dans la poche, et Kinnear doit prolonger son séjour de quelques jours.
De son côté, Brosnan exécute un contrat. C'est le jour de son anniversaire, et en fait il s'en fout. Mais quand même, ça le mine, et il décide d'aller encore une fois descendre quelques verres d'alcool au bar, où il rencontre Kinnear.
Kinnear est un petit gars moyen, normal, et Brosnan est un type fantasque, alcoolique, très vulgaire. Les deux font connaissance, et passent quelques heures ensemble. Le lendemain, Brosnan force un peu la main à Kinnear et l'emmène à la corrida. Brosnan avoue son métier à Kinnear, qui est mi-incrédule mi-amusé par ce personnage complètement à l'ouest...
 
Le résumé sur le papier est un peu loin de l'ambiance réelle du film. S'il s'agit effectivement d'un personnage de tueur à gage, l'ambiance n'est pas tout à fait celle d'un thriller ou d'une comédie classique. THE MATADOR a pour projet, en effet, d'avancer en demi-teinte, et à pas tranquille, entre ironie et amertume spleenesque.
Avouons-le tout de suite, côté mise en scène, même si l’on ne navigue pas dans la grande laideur, c'est du ronronnant, sans envergure ni éclat. Il ne se passe pratiquement rien de ce côté-là. Ça ne fait pas mal aux yeux, mais c'est quand même anonyme. Ah oui, je suis d'accord, c'est bien malheureux, et voilà qui place immédiatement le film dans la catégorie cinéma plutôt que cinématographe. Ami esthète, passe ton chemin. [Ceci dit, on a vu quand même largement plus laid, comme le sympathique 40 ANS, TOUJOURS PUCEAU récemment, mais ici, question montage notamment, ça roucoule...]
On devrait donc s'ennuyer ferme, surtout quand on s'appelle Dr D. (moi !), mais on s'accroche quelque peu malgré une ou deux fautes de goût, toutes musicales : horrible chanson rock anglaise au générique, et pour la 1589ème fois, encore le IT'S NOT UNUSUAL de Tom Jones qui, je suis d'accord, est complètement raccord avec la vulgarité ostentatoire du personnage de Brosnan, mais qui lasse au bout de la 1000ème fois. [Choix peu compréhensible d'ailleurs, dans le sens où les quelques secondes d'utilisation du tube doivent coûter la peau des noix de coco à la production !]
 
C'est donc un film d'acteurs et de scénario. Et c'est plutôt attachant à vrai dire. Le film joue sur deux axes qui se complètent. D'une part, l'amitié improbable et un peu forcée par les circonstances (les deux gars s'ennuient profondément, et tous deux frisent l'échec définitif). Une amitié qui est factice, mais seulement à moitié. Les deux ne vont se voir que quelques jours. Ils n'ont rien à partager, si ce n'est, et c'est intéressant, la politesse. Voilà quelque chose d'original : c'est parce qu'ils sont un peu obligés par les circonstances d'être polis et courtois que cette amitié, douce mais au rabais, peut avoir lieu. Et aussi parce qu'elle est, en principe, sans conséquence. Voilà qui est original.
Le deuxième point d'achoppement concerne le statut du personnage de Pierce Brosnan. Malotru, alcoolo et vulgaire (sans que le réalisateur essaie de glorifier ces aspects de son personnage principal, ni en bien, ni en mal ; il sait garder, et c'est assez étonnant, une certaine part de banalité, plus touchante que tout ce qu'auraient pu faire d'autres réalisateurs, c'est bien joué), il est complètement de guingois, ce personnage. Certes, le climat du film joue sur la banalité donc, mais dans le même mouvement, le personnage de Brosnan pousse exactement Kinnear et le spectateur (qui a quand même une longueur d'avance) dans une étrange posture. La situation de Brosnan est complètement excentrique, et on ne peut y croire. D'un autre côté, on tend à être fasciné quand même, même si le tueur à gages est complètement décrépi et pathétique. Fascination pour un type usé et vulgaire, voilà qui est troublant. Cette semi-incrédulité est toujours renforcée par un mélange a priori incompatible de méfiance (Brosnan, malgré une certaine sincérité, ment quand même énormément) et de danger. On ne sait pas à quel point on peut faire confiance à Brosnan, malgré le fait qu'il soit évident que l'amitié ici développée ne durera que quelques heures, ce qui la rend sans doute sans risques. Chose d'autant plus intrigante que c'est Brosnan qui est en position de demande.
 
Le casting est très bien foutu. Kinnear est bon, même si on le sent bizarrement légèrement limité et un peu simplet, ce qui n'est pas vraiment dans les habitudes de l'acteur, très bon en général. Il est un peu en dessous, mais ça passe quand même haut la main. Hope Davis, par contre, est vraiment très étonnante, et relaie complètement le sentiment d'incrédulité qui parcourt le film (et même l'innerve), mais sur un autre mode, très intéressant et étrangement sensuel (malgré le fait que l'actrice ne soit pas une petite pépé de magazines : très bon choix de casting, donc). Brosnan, quant à lui, se révèle absolument parfait, et le film lui doit beaucoup. L’aspect physique de son personnage colle merveilleusement au film, dans le sens où il est outrageusement "charactérisé" comme diraient nos amis anglo-saxons, et complètement crédible : ce qui est absolument l'enjeu du film. Du coup, le réalisateur, Richard Shepard (qui a réalisé jadis THE LINGUINI INCIDENT, superbe titre, que je n'ai malheureusement jamais réussi à voir [Un film amusant, surtout pour une séquence de pendaison accidentelle franchement hilarante. NdC]) doit beaucoup à notre ami Pierce qui, à lui tout seul et malgré les autres qualités du film, soutient avec énergie tout le projet. Il est vraiment parfait, enfin complètement affranchi (bien plus que dans le John Boorman), et pour la première fois, on se débarrasse définitivement de cet espèce de prétention séduisante grasse, mêlée d'autosatisfaction imbécile que l'acteur dégage d'habitude, plus ou moins malgré lui. On ne sait jamais s'il est en train de nous bananer, façon petit malin hollywoodien (jambon de York, donc), ou s'il cherche vraiment à se dépatouiller des situations de manière complètement désespérée. C’est très étonnant. Le jeu est précis, avec beaucoup de nuances malgré l'aspect caricatural (obligé, c'est le projet) du rôle. Et physiquement, ce jeu est pour la première fois très sensuel, très incarné, et c'est,  je pense, ce qui permet à Brosnan de se débarrasser de sa poisseuse et dégradante "séduction" habituelle. Bravo, bravo. Clap, clap.
 
Enfin, on notera une autre nuance assez nette de ce film : un aspect un peu libidineux ou sexuel très marqué. Il plane une espèce d'ambiguïté homosexuelle, ou plutôt, le comportement de Brosnan (je saute sur tout ce qui bouge et qui a deux seins pour passer le temps) induit une nuance sexuelle là aussi poisseuse, dont on sent qu'elle n'exclurait peut-être pas une vague tentation, tant qu'à faire, homosexuelle. L'aspect sexuel, mais attention, toujours fantasmé et inconscient (non revendiqué) est, une nouvelle fois, très bien relayé par Hope Davis, et apporte un trouble certain mais banal à l'ensemble.
On suit donc ce film assez généreux avec plaisir, même si l’on peut regretter que peu de travail ait été fait sur la mise en scène, plutôt mécanique. Richard Shepard travaille la trivialité, mais évite cependant la banalité certaine que contiennent certains éléments du film (l'aspect tueur à gages, notamment), et donne l'impression de mettre plusieurs fois le "doigt dessus", avec un charme plus franc du collier, moins collet monté qu’un LOST IN TRANSLATION par exemple, autre film d'hôtel et d'ennui, auquel on peut comparer, même s'il ne s'adresse a priori pas au même public, ce THE MATADOR avec lequel on passe un chouette moment.
 
Tranquillement Vôtre,
 
Dr Devo.
 
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Publié dans Corpus Filmi

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D
Oui c'est trés vrai! il était très bien dans MARS ATTACKS!<br /> <br /> Dr Devo
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S
Ah pierce brosnan, sous estimé à cause des bond...dommage un homme plein d'humour cf "Mars attacks", où le rôle de professeur est tordant. Un homme charismatique mais dans l'humour. Etrange mais intressant non ?
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