Chers Gens Venus de Tous Horizons,
On demandait hier, dans les commentaires de mon article sur THE GOOD GIRL, de définir la notion souvent citée ici, de "film populaire". Ben oui, tiens, pourquoi pas? N'allons pas chercher midi à quatorze heures, un film populaire est pour moi un film qui s'adresse au grand public. Jean-Pierre Jeunet fait des films populaires. James Cameron aussi. Balasko, Max Pecas, Spielberg, les frères Farrelly, Wes Craven, Tarantino eux aussi. Et malgré les exemples que j'ai choisis, ne croyons pas que les films populaires sont forcément des films dits "commerciaux". Dans le cinéma dit "Art Et Essai", beaucoup de réalisateurs font des films populaires : Almodovar (surtout maintenant, hé hé!), Woody Allen (peut-être à l'exception de certains comme "Zelig", je ne sais pas trop...), Martin Scorsese, Terry Gilliam, etc... On voit tout de suite que le film populaire est un film accessible à tous. Un livre populaire c'est, par exemple "Alice aux pays des merveilles" ou "Madame Bovary". Et puis il y a des choses qui ne sont pas populaires, mais alors pas du tout. Par exemple, les films de Jean-Marie Straub et Danielle Huillet, de Marguerite Duras, de Robbe-Grillet, de Werner Schroeter, de Gaspar Noé, etc... Le problème, c'est qu'il n'y a pas de frontières étanches. Prenons Lars von Trier. "Breaking The Waves" ou "Dancer In the Dark" sont des films à succès, mais sont-ils des films, a priori, populaires ? Peut-être. Par contre, son dernier film FIVE OBSTRUCTIONS n'est plus populaire du tout. La notion de film populaire est donc vague et fait jouer plusieurs ressorts.
1) le film est-il ouvertement destiné, dès sa fabrication, au grand public ? (Que le film soit de l'art et essai ou non n'a pas vraiment d'importance....)
2) les gens qui ont participé au film sont-ils connus des gens de la rue (toi, moi, mais aussi la voisine d'en face...) ?
3) le film est-il assez distribué pour que les gens de la rue puissent y avoir accès ? (Le dernier film de Carole Laure, PLUS PRES DU SOL, sorti en septembre dernier, est un film qui aurait pu émouvoir la France entière, comme BAGDAD CAFE en son temps, mais le problème est qu'il n'y avait que 4 ou 5 copies pour toute la France...)
4) le film utilise-t-il des procédés de mise en scène et de narration classiques (début-milieu-fin, les 3 actes aristotéliciens, je vais du point A vers le point B, personnages facilement identifiables, etc...), ou utilise-t-il une narration aventureuse (beaucoup d'ellipses, personnages ambigus, partis pris de mise en scène personnels qui n'appartiennent qu'à l'auteur, chronologie narrative perturbée), ou utilise-t-il une mise en scène avant-gardiste (chronologie abstraite, sons et images jamais synchrones, personnages plus définis par ce qu'on ne sait pas d'eux que par ce qu'on en sait, des pans entiers de l'histoire qui restent dans l'ombre, psychologie et narration qui n'évoluent jamais selon un scénario mais uniquement par la mise en scène, jeu artificiel ou sans cesse décalé des acteurs, etc...) ?
Voilà les quatre ressorts principaux, et il y a autant de catégories que de combinaisons entre ces facteurs. Alors ne nous embêtons pas trop avec cette notion de film populaire. Certains réalisateurs posent d'ailleurs problème. John Carpenter ou George Romero font des films pour le grand public. Ce sont des films d'horreur ou fantastiques, mais en même temps ce sont des films très politiques et très sociaux. Certains de leurs films ont eu beaucoup de succès, certains sont devenus des classiques du cinéma pas seulement fantastique (LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, HALLOWEEN...), et certains se sont plantés malgré leur qualité. Ces deux-là forment un bon exemple, car, en plus, ils utilisent des architecture narrative classiques, et en même temps n'hésitent pas à les faire exploser pour les rendre plus abstraites. Et aucun de leurs films ne ressemble à un autre! Cas d'école donc! Voici plutôt les choses à retenir :
1) En proportion, il n'y a aucune différence entre le pourcentage de films populaires et les autres, dans l'art et essai et dans le cinéma commercial.
2) En proportion, il y a autant de mauvais films art et essai que de mauvais films commerciaux. Les gens qui ne voient que des films art et essai ou que des films commerciaux, à mon avis, perdent non seulement du temps, mais ont moins de chances de voir des films sublimes (ils ont surtout moins de chances de pouvoir bien choisir leur film). Par conséquent, le spectateur moyen, qu'il fréquente un cinéma art et essai ou un UGC à 18 salles, voit la même proportion de mauvais ou de bons films.
3) Un film peut-être à la fois populaire et avant-gardiste.
4) Certains films avant-gardistes peuvent devenir très populaires!
5) Un film populaire hier peut devenir ringard aujourd'hui . Exemple : MON CURE CHEZ LES THAILANDAISES de Max Pecas. Autre exemple : HALLOWEEN de John Carpenter, classique certes, mais les gens nés dans les années 80 trouvent souvent le film complètement dépassé!)
6) Un film avant-garde hier peut devenir un film populaire et classique aujourd'hui. (Personne ne pousse des cris en voyant des films de David Lynch... à part TWIN PEAKS, FIRE WALK WITH ME bien sûr!)
7) Un film populaire peut se planter au box-office. C’est de moins en moins vrai, car les distributeurs ont complètement verrouillé l'accès aux salles. Même si toute la France trouvait IZNOGOOD nul de chez nul, le film marcherait. C’est une question de nombre de copies. C'est mathématique. Ce film ne peut pas se planter! Relisez le passage de cet article sur Carole Laure. 8) Les professionnels du cinéma vous diront toujours un truc et son contraire. Tout le monde aujourd’hui s'extasie sur Orson Welles alors que personne ne voulait lui donner de l'argent pour produire ses films de son vivant. Sergio Leone était considéré comme un gros imbécile et un metteur en scène nullissime à l'époque de ces films les plus célèbres! Les critiques qui l'allumaient à l'époque sont ceux qui ont organisé une rétrospective complète à la Cinémathèque Française, juste après sa mort. Ne jamais croire les conseils de bon goût, sur ce qui est mauvais ou pas, sur ce qui est coté ou pas, sur les films qui vont marquer l'Histoire du Cinéma ou pas ! Si ces conseil viennent d'un professionnel méfiez-vous encore plus! N'écoutez pas : les producteurs, les réalisateurs, les acteurs, les publicitaires, les critiques et les propriétaires de salles de cinéma! Ces gens là veulent tous la même chose (réfléchissez...) et ils feront tout pour l'avoir. Ils vous vendront les pires objets, et iront brûler des tableaux de Picasso si ça les arrange! Pour eux, le succès a toujours raison, ce qui est très commode pour nous flatter. VOUS ETES ASSEZ GRANDS POUR CHOISIR VOS FILMS VOUS-MÊMES! Et surtout ne croyez pas qu'ils connaissent plus de choses sur le cinéma que vous. C’est faux. Moi, en faisant regarder un film par semaine à un quidam, je le transforme en super-cinéphile cultivé, lucide et indépendant en moins d’un an. Amenez-moi tata Jeannette et j'en fais un rat de cinémathèque!
9) Un film (ou un livre ou un tableau ou une musique) a du succès ou n'en a pas, et ce toujours pour de mauvaises raisons.
10) La phrase la plus sanguinaire, la plus cruelle et la plus mensongère de l'histoire du XXe siècle est: "500,000,000 de fans d’Elvis ne peuvent avoir tort!". C'est faux. Quelqu'un qui vous dit ça est un pickpocket de l'intellect. À l'énoncé de cette phrase, dites-vous bien qu'on va sûrement essayer de vous faire les poches! La personne qui prononce cette sentence est soit bête, soit malhonnête, soit les deux!
Comme vous le voyez, la notion de cinéma populaire est très perméable. Et on peut s'amuser sans fin à essayer de classer tel ou tel film, tel ou tel réalisateur.
John Carpenter, David Cronenberg, Bertrand Blier, Tarantino, Dario Argento, Romero, Wes Anderson, Lars von Trier, Jean Rollin, Bergman, Jean-Luc Godard, Bernard Rose, Ken Russel, Nicholas Roeg, George Miller, Julio Medem, Werner Herzog... Populaires ou pas populaires? Je vous laisse méditer là-dessus...
Passionnément Vôtre,
Dr Devo