L'OPERATION DIABOLIQUE (USA-1966) de John Frankenheimer : Tout Ce Que vous Avez Toujours Voulu Savoir Sur Le Principe de Réalité Sans Jamais Oser Le Demander...

Publié le par Nonobstant2000

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[Photo : "Samedi 24 Novembre 1713, 16h39 / Samedi 24 / 16h39" par Dr Devo. Cliquer pour agrandir.]

 

 

 

Découvert au détour d’une rediffusion obscure de la RTBF un soir de bière-chips, il y a de cela au moins une bonne décennie, voici bien un film qui mériterait une redistribution en bonne et due forme, au même titre que ces pépites exhumées qui, d’années en années surgissent tout à coup dans les festivals puis les catalogues (pensons notamment au récent – et excellent ! -THE SWIMMER de Frank Perry, avec Burt Lancaster) et ce, pour plein de bonnes raisons à vrai dire (en plus de celle comme quoi le générique de Saul Bass serait culte sur You Tube), car effectivement le SECONDS (titre original de L'OPERATION DIABOLIQUE) de John Frankenheimer fait absolument partie de ces perles d’artisans que l’on ne croise pas tous les jours (et qui enterrent sans forcer un bon tonneau de "nouveautés du moment" de festival), abouties au possible sous tous les aspects et qui font le bonheur du Cinéphile moyen mais digne de ce nom, c’est-à-dire nourri à autre chose que du clip-vidéo aux effets de synthèse ou à de la mauvaise téléréalité. Ici, il (le cinéphile moyen mais digne de ce nom) aura droit à une vraie dramaturgie, ainsi qu’à une véritable narration, de celles qui n’excluent aucune des problématiques de leur propos par un coup de baguette magique au THX, truffée qui plus est d’exigences formelles sublimes, jamais gratuites ni tape-à-l’œil, non, mais simplement au service d’une histoire pourtant foncièrement classique dans sa substance : une sorte d’épisode oublié de LA QUATRIEME DIMENSION -et je ne dis pas seulement ça pour le côté rétro du noir et blanc (photographie magnifique à vrai-dire) mais bien pour le postulat de l’intrigue et la conduite impeccable du récit. On en vient à se demander si le script n’aurait pas été écrit par Richard Matheson en personne tant il est imparable et subtil dans la moindre de ses articulations.

 

Mais voyez plutôt : c’est donc l’histoire de Mr Machin, la soixantaine bien sonnée, qui reçoit ces temps-ci des appels téléphoniques d’un ami d’enfance, et c’est pourquoi il est si distrait quand son épouse bien-aimée lui donne des nouvelles de la petite, casée comme il faut, tout ça. Distrait oui, car ce n’est pas seulement le fait que cet ami de longue date soit censé être mort depuis des années qui trouble le plus Mr Machin, non, c’est plutôt l’étrange proposition dont il lui a fait part ..Ô rage-désespoir-vieillesse ennemie- eh bien, il paraît que le fantasme du recommencement C’EST QUELQUE CHOSE DE LEGAL pour n’importe quel adulte normalement constitué, au moins depuis le moment où il est entré de force dans une cour de récréation pour la première fois. Simplement, il aura fallût le temps d’une vie entière à Mr Machin pour l’admettre – non pas qu’il soit forcément dans le besoin - mais qui n’a jamais eu le sentiment d’être passé à côté de sa propre existence ? Et voici que son défunt ami lui dit que l’âge n’est pas un obstacle, que l’on peut véritablement tout recommencer à n’importe quel moment... C’est donc dans ces circonstances mystérieuses que Mr Machin va faire la connaissance de la bien étrange et curieuse à la fois organisation nommée .. SECONDS.

 

La déontologie (elle existe) m’interdit de vous en dévoiler davantage. Car le voyage de Mr Machin vous réserve des moments d’anthologie pure et ce serait un crime véritable de vous les spollier. Comme l’a déclaré récemment Nicholas Winding-Refn à Cannes à propos du DUNE qui n’a-pas-pu-être de Jodorowsky ("un film qui aurait peut-être modifié RADICALEMENT la trajectoire du Cinéma Mainstream"), SECONDS fait partie de ce genre de films un peu en avance sur leur temps, qui s’affirmèrent un rien à l’encontre des idéologies dominantes de leur époque (tenez, vous êtes-vous demandé pourquoi le NETWORK de Sydney Lumet n’était pas davantage rediffusé, voire même cité, et pourquoi pas brandi comme un étendard aux côtés des livres de Stéphane Hessel ?), mais hélas pour eux, qui s’affirmèrent avec au cœur encore l’illusion du débat, ou plutôt celle du dialogue. Car oui, Frankenheimer n’a absolument pas déboulé avec la rage au ventre, ni la volonté absolue de faire un "chef-d’œuvre" (pourtant ce qu’il fît), il ne possède ni la truculence d’un Ken Russell par exemple, ni la subversion d’un Kenneth Anger, il s’est simplement interposé mais sans rentrer dans les brancards. Attention, il ne s’interdit aucune audace formelle (le générique dont nous avons parlé plus haut et un peu plus tard encore une scène onirique flirtant tous deux avec l’expérimental, sinon la scène d’ouverture probablement réalisée avec le premier steady-cam de la terre) mais dans les grandes lignes, c’est avec un registre et des outils tout à fait mainstream, accessibles, que Frankenheimer s’est adressé au monde, enfin, à son pays. Avec ses arguments humanistes (presque païens, pensez donc) sur la nécessité de revenir aux besoins véritables de l’Individu, SECONDS est un échec au box-office, et c’est sans doute pourquoi le monde est toujours ce qu’il est. Il semble qu’ à l’ époque la Grosse Machine n’avait déjà plus envie de faire marche arrière... Car j’aimerais bien que l’on m’explique un peu ce qui serait "raté" dans ce film. Rien d’étonnant pourtant que le film n’aie pas remporté les suffrages. Il véhicule une réflexion -voire une idéologie - qui aujourd’hui encore n’arrive pas à s’imposer : nous avons fait les mauvais choix, est-ce que c’est le Monde qui doit changer, ou bien est-ce que c’est Nous ? C’est surtout flagrant dans le troisième acte, qui en plus de faire singulièrement écho au pessimisme de SOLEIL VERT, renvoie aux théories les plus contemporaines sur "l’Humain-Marchandise". Et ça j’ai envie de dire, c’est pour les bonnes nouvelles. SECONDS renvoie surtout directement à une toute autre théorie sur l’Individu, celle battue comme plâtre par Antonioni avec BLOW-UP, sur le Petit Démiurge qui doit quitter son pied d’éstale s’il veut commencer réellement à exister. La Révolution a ceci de commun d’avec le Bonheur, c’est qu’elle ne se fait pas "toute seule", et que ses bienfaits ne sont pas pensés en fonction du plaisir d’une seule entité.

 

SECONDS restera la seule et unique incartade de Rock Hudson dans le registre dramatique, mais n’entamera en rien la veine critique de Frankenheimer qui finalement rencontrera son public avec sa future "trilogie de la paranoïa". Que tout ceci ne vous empêche absolument pas de découvrir SECONDS -ni de voir ou revoir LE PROCES d’Orson Welles.

 

 

 

Nonobstant2000.

 

 

 

 

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Publié dans Corpus Analogia

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