EVIL DEAD I, II, III, de Sam Raimi (USA – 1982/1987/1992) : jamais deux sans trois - hélas !

Publié le par Le Marquis

 

 

 




Un chalet perdu dans la forêt, un magnétophone à bandes diffusant des incantations extraites du Livre des Morts, des arbres vivants, libidineux et meurtriers et une poignée de jeunes possédés par les démons. C’est sur la base de ce sujet extrêmement ténu que Sam Raimi, déjà soutenu à l’époque par les frères Coen, a lancé sa carrière en fanfare et s’est fait un nom.

Probablement à cause de l’impact du deuxième volet de la série, EVIL DEAD a souvent été assimilé à un film délirant et semi-parodique, ce qu’il n’est en aucun cas à mon sens : si le film fait parfois preuve d’un humour très noir, son approche très frontale du récit horrifique n’est jamais totalement écrasée par ses excès ou par les mouvements de caméra et travellings frénétiques qui caractérisent si bien le métrage – il faut dire qu’en montant une caméra sur une moto en pleine course dans les bois, on obtient forcément un résultat intense, quitte à se casser un bras pendant le tournage. La découverte tardive du film en VHS pourrie et en VF (j’avais déjà vu sa première séquelle à l’époque) m’avait vraiment impressionné par ce que le film pouvait avoir de dérangeant et d’effrayant dans certaines séquences. S’il y en a pour trouver hilarante la séquence montrant Hal Delrich démembrant sa copine possédée à coups de hache, c’est parfait, mais la scène, gore jusqu’à l’absurde, est plus démonstrative et grand-guignol que vraiment parodique. D’autres séquences, notamment l’agression dont est victime Ellen Sandweiss (excellente interprète), littéralement violée par la Forêt, jouent sur un suspense au premier degré assez éprouvant. Sam Raimi livrait un premier long-métrage extrêmement percutant, intégrant les poncifs les plus éculés du film d’horreur pour les restituer avec une énergie et une esbroufe visuelle rarement égalées depuis. EVIL DEAD est cependant plus qu’un tour de manège, bénéficiant d’idées assez poétiques (scène du miroir) et exploitant intelligemment un sujet pourtant pauvre, au point de développer un univers certes limité, mais indéniablement frappant et original : inspiré par le Necromonicon de Lovecraft (qui est une invention littéraire brillante et n’a donc jamais réellement existé, rappelons-le au passage aux grands naïfs persuadés du contraire – car il y en a !!!), le Livre des Morts est merveilleusement bien intégré au récit et se distingue avec une certaine fraîcheur d’autres livres maudits à la mode à l’époque de la sortie du film (le livre des Trois Mères d’INFERNO, le livre d’Eibon chez Lucio Fulci…). Sam Raimi a souvent déclaré par la suite s’être inspiré des grands succès commerciaux du genre pour écrire et réaliser son film, citant notamment AMITYVILLE comme source d’inspiration – et à ce stade, on peut vraiment parler d’inspiration au regard de l’extrême pauvreté thématique et esthétique du très mauvais film de Stuart Rosenberg. Le film n’a depuis rien perdu de son impact et a conservé sa vitalité et son originalité, d’autant plus qu’avant d’être un sommet du cinéma gore, c’est un film admirablement bien structuré, qui trouve son apogée lorsque le personnage de Bruce Campbell, acteur sympathique qui trouvait ici son premier et plus célèbre rôle, se retrouve seul et fait une incursion cauchemardesque dans la cave. Plus glauque que rigolo, EVIL DEAD est un vrai film d’horreur et une très belle expérience, tant sur un plan visuel que sonore. Dans la vague du revival et des remakes tout azimut, EVIL DEAD est ressorti il y a quelques années en salles, avec à mes yeux quelques effets pervers : la copie soigneusement nettoyée et restaurée (trop ?) est très belle mais le film paraît vaguement dénaturé sans le grain à l’image qu’on lui a toujours connu. Plus grave, le film a été remixé de façon à proposer un son Dolby-5.1-THX-n’en jetez plus qui me semble un peu artificiel et a amené le distributeur à enregistrer une nouvelle version française assez lamentable. La disparition de l’excellente VF mono d’origine au bénéfice du plaisir discutable d’avoir du son derrière le canapé Ikea, était-ce bien nécessaire ?

 

 

Devant le succès inattendu remporté par un film à l’origine voué à l’exploitation en vidéo, le producteur Dino de Laurentiis a décidé de proposer à Sam Raimi d’en tourner une suite. Le cinéaste atténue avec EVIL DEAD II le ton très sérieux de son premier opus, et oriente cette séquelle brillante vers un mélange détonnant d’horreur, d’humour non-sensique et de délires visuels influencés par Tex Avery. EVIL DEAD II trouve un juste équilibre entre ces deux approches – en clair, il n’est pas encore parodique à l’image du troisième volet et préserve son lot de séquences horrifiques au sein d’un projet cette fois plus tenté par l’absurde. L’un des aspects les plus intéressants du film consiste dans la façon dont Sam Raimi le raccroche au premier EVIL DEAD. Certaines mauvaises langues ont ironisé sur la stupidité du personnage de Ash (Bruce Campbell) retournant dans le chalet en forêt et reproduisant les mêmes erreurs comme s’il avait oublié les événements passés. Bel exemple d’amnésie, vu la conclusion du premier opus. Ash est stupide, nous sommes bien d’accord. Mais en réalité, et plutôt que d’embrayer sur un récit jumeau ou de faire un rappel des événements via des extraits de l’opus précédent, c’est ouvertement un remake d’une vingtaine de minutes, étonnantes et vigoureusement rythmées, qu’orchestre le cinéaste, qui introduit par la suite, progressivement, de nouveaux personnages, et reproduit les grands moments d’EVIL DEAD dans un récit souvent proche de l’original, mais qui débouche sur des idées neuves (dont un hallucinant combat entre Ash et sa propre main) et sur un final surréaliste et imposant expédiant notre héros au temps de la Chevalerie. Et si le résultat est moins barbare, moins abrupt que le premier EVIL DEAD, la folie reste à l’écran, communicative et parfois presque expérimentale.

 

Malgré la tentative de dissimulation des producteurs, ayant imposé le titre L’ARMEE DES TENEBRES, il s’agit bien ici du troisième volet de la série des EVIL DEAD. Le mot d’ordre de ce « renouveau » : jeter le gore aux orties et livrer un film fun, familial et résolument comique. C’est donc un film en totale rupture avec les opus précédents : le gore disparaît complètement, l’atmosphère horrifique s’efface devant un récit d’aventures toujours sous influence de Tex Avery (et également ici de l’animateur Ray Harryhausen), mais pour un projet cette fois manifestement destiné au grand public, Sam Raimi se déclarant lui-même lassé par le genre horrifique. C’est donc, en soi, une déception pour les amateurs des deux premiers opus, qui ne retrouvent plus l’ombre de l’atmosphère si particulière des deux films précédents – imaginez un peu une énième suite de MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE recentrée sur l’histoire de la Ruée vers l’Ouest. Plus gênant, malgré d’excellentes séquences d’action, principalement dans la première partie, l’ensemble manque singulièrement d’énergie et peine à conférer au récit le souffle épique et cartoonesque recherché par le cinéaste. Le résultat est sympathique et distrayant, mais franchement bancal et surtout anodin, cruellement dépourvu de personnalité. Un peu à l’image, malheureusement, de la suite de la carrière de Sam Raimi : si l’on peut relever le brillant UN PLAN SIMPLE, ou à la rigueur l’académisme tranquille du respectable mais fade INTUITIONS, les SPIDERMAN (goûtés et approuvés par les fans du super héros en pyjama rouge et bleu) s’apparentent à de bons gros blockbusters impersonnels (et profondément insipides, mais ça n’engage que moi) au sein desquels j’ai bien du mal à percevoir l’âme et le style du réalisateur de MORT SUR LE GRIL ou de DARKMAN.

 
Le Marquis.
 
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Publié dans Corpus Analogia

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S
Je suis assez d'accord pour ce qui est de dire qu'Evil Dead II est le meilleur de la série.<br /> Mort sur le grill est sans aucun doute le film le plus drôle de sa carrière.<br /> Darkman est très très fort, même si la suite, faite par un autre réalisateur (?), est décevante.<br /> <br /> Au passage: Bruce Campbell est dans tous les films de Sam Raimi (il joue plusieurs rôles dans Spiderman) et c'est un plus non négligeable.
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L
Pas d'accord non plus en match retour, Pierrot : L'ARMEE DES TENEBRES ne réinvestit pas le genre, il le désinvestit et s'en détourne - ce qui n'est pas un défaut en soi, mais le film n'a absolument plus rien en commun avec les deux précédents. C'est autre chose : pourquoi pas, mais je trouve personnellement le film insuffisant en soi, d'un délire assez poussif et étonnamment peu énergique de la part de Sam Raimi - distrayant, amusant, mais c'est vraiment tout en ce qui me concerne. Je préfère de loin les expérimentations d'EVIL DEAD II ou le ton (pas potache du tout à mes yeux) du premier EVIL DEAD dont j'apprécie l'originalité et l'intensité - et comme je le disais, c'est un film que je trouve assez impressionnant et inquiétant, encore aujourd'hui. J'avais oublié MORT OU VIF, c'est vrai, c'est un film correct à défaut d'être vraiment enthousiasmant. Par contre, SPIDERMAN m'a profondément ennuyé, peut-être par manque d'intérêt pour le personnage en soi, mais je reproche surtout au film son manque de saveur, de personnalité (où est la "patte" de Sam Raimi ???) et surtout d'enjeux (Willem Dafoe m'a paru vraiment à côté de la plaque et je trouve son personnage totalement dénué de charisme). Quant à INTUITIONS, je ne le trouve pas vraiment raté - c'est tenu et fonctionnel, mais surtout très, très terne, sur ce point je te rejoins.
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P
Tiens, pour une fois je ne suis pas d'accord. Pour ma part, je trouve que "l'armée des ténèbre" est le meilleur de la série, une brillante manière de réinvestir le genre un peu à la Tim Burton lorsqu'il réalise "Mars attacks" (même façon de jouer avec les stéréotypes et de les dynamiter avec des corps mutants). Je trouve que le premier "Evil dead" a assez mal vieilli et fait assez film de potache doué.<br /> Pour le reste de la carrière de Sam Raimi, j'ai une certaine tendresse pour "Mort ou vif", son western maniériste et j'aime bien "Un plan simple" et "Spiderman" (je n'ai pas vu le 2)où le cinéaste parvient, d'après moi,à donner une certaine subtilité à ce qui apparait d'abord comme un gros blockbuster (entre celui là et la saga des "Star Wars", je trouve qu'il n'y a pas photo).<br /> "Intuitions" est, par contre, assez terne et assez raté. Je savais bien que je finirai par être d'accord...
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