SUBTERANO, d’Esben Storm (Australie/Allemagne – 2003) : quel besoin avais-tu t'acheter tout ça, dit-elle…

Publié le par Le Marquis

Il ne faut pas faire ça.

Un petit échantillon d’humanité se retrouve un soir enfermé dans un parking souterrain, à la merci d’un tueur ayant recréé dans ce décor un jeu vidéo populaire auquel nos héros, anti-héros et chairs à canon vont devoir vaillamment faire face.

Il y a des films comme ça parfois : dès les deux premières minutes, on sait que c’est sans espoir, que l’on va endurer le spectacle en pure perte pour peu que l’on se sente le devoir de visionner la chose jusqu’aux derniers cartons du générique. C’est exactement le cas de SUBTERANO, film de SF coproduit entre l’Australie et l’Allemagne. Comme nous le signalons souvent ici même (voir l’article consacré à LINK récemment), nous apprécions énormément le cinéma fantastique australien, fréquemment novateur et le plus souvent admirablement réalisé. Par contre, le film de genre allemand de ces dernières années m’a toujours paru relever de la purge pure et simple – ceux qui ont subi l’insupportable SEPT JOURS A VIVRE savent de quoi je parle. Malheureusement, SUBTERANO se pare de qualités germaniques dans son approche du film de genre.

Mais revenons à ces deux premières minutes (allez ! avale !) : un rebelle au pouvoir, notre futur héros, s’évade de prison après avoir mis à terre l’agent chargé de l’intercepter ; celui-ci lui révèle avant sa fuite que c’est sa propre compagne qui l’avait livré aux autorités. Générique. Formidable ; mais j’ai cette question. Pourquoi cette séquence, complètement fade et anodine, qui n’instaure aucune atmosphère définie, et ne fournit pas la moindre explication sur le contexte ou les enjeux à venir, pourquoi donc cette séquence totalement dénuée d’intérêt est-elle ainsi mise en incise, valorisée, retenue par le réalisateur pour nous inviter à rentrer dans l’univers que son film est supposé développer ? Vaguement insatisfait par cette entrée en matière, je me suis calé dans mon canapé en attendant la suite avec méfiance – et mes appréhensions se sont avérées on ne peut plus fondées.

« Imagine if you will… » comme ils disent : SUBTERANO est un prototype de mise en scène incompétente, de montage pachydermique, de cadrages branchouilles laids à faire peur. Un film d’une nullité complètement assommante. Adapté d’un comic book du même titre (dont je n’ai jamais entendu parler, et vous ?), le film se prend les pieds dans un scénario creux comme une poire en plâtre, qui n’exploite son sujet potentiellement amusant pour n’en faire qu’un décalque musclé et décérébré de CUBE – un peu comme si le film de Vincenzo Natali avait été réécrit et repensé pour devenir un film de Jean-Claude van Damme. Si ce n’est que la teneur du casting déplorable (le moins charismatique du monde) en vient à faire cruellement regretter l’absence de l’acteur bilingual, dont l’absurdité surréaliste aurait au moins contribué à rendre la vision du film un peu amusante. Parce qu’attention, le film d’Esben Storm (qui devait trouver son vrai nom un peu toc, il se fait appeler Mort S.Seben au générique) se prend terriblement au sérieux. Ça joue des séquences dramatiques au burin. Hélas ! Plus le film se veut nerveux, plus il est pesant. Plus il se veut sophistiqué, plus il paraît surfait et superficiel.

Je pourrais remplir des pages et des pages pour exprimer mon aversion pour ce film qui agace et ennuie plus qu’un rat crevé, ce métrage plombé par un des pires montages qui se soient présentés sous mes yeux ces dernières années – en comparaison, THE JERK de Carl Reiner avec Steve Martin (film drôle mais atrocement mal foutu vu la semaine dernière) passerait pour du Eisenstein. Pour ce qui est de la technique cinématographique, SUBTERANO aligne les tares et les tics du cinéma contemporain comme des perles et les porte à leur plus haut degré de faisandage : ralentis à vomir, filtres et éclairages monochromes blafards – la photographie revue et visitée façon Ikea, jump-cuts masturbatoires et prétentieux – et surtout une avalanche de plans basculés exemplaires s’il fallait démontrer l’insondable inefficacité de ces cadrages chaloupés lorsqu’il s’agit de mettre en valeur un décor, de gérer l’espace et la profondeur de champ, impardonnable dans un film en huis-clos filmé dans un gigantesque parking souterrain. La démonstration par l’absurde que les cinéastes australiens ne naissent pas forcément avec un sens inné de la gestion de l’espace.

Et pendant qu’on ronge son frein, le récit se poursuit mollement. Les personnages se battent avec des petits robots tueurs ineptes dirigés par un cruel maître du jeu aux faux airs de Darth Vador ; ça tombe bien, le Big Boss du jeu vidéo que vont devoir affronter nos héros dans un final interminable ressemble lui à un soldat de l’Empire monté sur patins à roulettes. Allégeance douteuse à STAR WARS pour un résultat pénible et ridicule – ridicule comme l’est ce plan final montrant nos héros rejoindre la montagne où se cachent les rebelles, un plan digital atroce et hilarant qui m’a rappelé celui, sans trucages, d’ AU PAYS DE LA MAGIE NOIRE – un bien meilleur film au bout du compte, puisqu’il me fait rire.

Laid, vain, mal branlé, prétentieux, storyboardé jusqu’à la nausée, SUBTERANO, c’est la quintessence du David Fincher de prisunic. Un film concentre ce que le film de genre contemporain fait de pire au point d’en devenir le mètre étalon. A ce titre, je suis sûr qu’on le reverra avec délectation comme un naveton kitsch et bourrin dans quelques dizaines d’années. Rendez-vous est pris. D’ici là, n’importe quoi – l’intégrale des clips de Modern Talking, un concert live de Europe, des vacances chez ma tante, PARKING le film, tout sauf revoir cette déjection filmique.

 

Enfin bon, tout ça pour vous dire que je n’aime pas tellement ce film. Et comme j’ai été très dur aujourd’hui, je vais dire quelque chose de gentil : l’éditeur « La Fabrique de Films » fait un bon travail et propose exclusivement des inédits dans de bonnes copies (dont un appréciable JERICHO MANSIONS). Je leur souhaite bon vent et bon courage en les invitant quand même à être un tout petit peu plus sélectifs : édité dans la collection « Bons Plans », SUBTERANO n’en comporte aucun, c’est un comble.

[Docteur, apportez sa piqûre à monsieur le Marquis, il recommence à être méchant.]

Le Marquis

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Post-Face
Comme vous l'avez remarqué, depuis deux jours Matière Focale s'est vendu au Grand Kapital, et fait le trottoir, "façon jambon de Belgrade", comme disait le toulousain poète. Pourquoi, je ne vous le dirai pas maintenant, car je prépare un petit article pour vous expliquer ce choix. Par contre, à la fin des articles vous trouverez désormais des petits liens drôles et bien fichus (comme moi), qui permettront à ceux qui ont envie d'acheter, ou de se renseiger sur les prix du marché, chez notre sublime partenaire que j'adore et à qui je fais des bisoux....
To comprends 'rin ? R'garde !


Pour ceux qui ne sont pas dégoûtés et qui au contraire veulent aller vérifier sur place les dires du Marquis, on peut se procurer ici : SUBTERANO (Woaw ! Bonjour le prix, c'est supra-cher !)

Australien est Richard Franklin, et beau est son film : LINK (curieusement en V.F seulement, mais beau quand même !).

Le Marquis dit que c'est insupportable, moi je dis que c'est nullosse, mais j'aime beaucoup. D'ailleurs, j'ai pas réussi à vendre le mien... Pour ceux qui veulent tenter leur malchance avec le plus mauvais film d'Amanda Plummer, le film allemand (mais ça se voit pas) : 7 JOURS A VIVRE.

Bien meilleur, sublime, émouvant, et très poilamment doublé, réservez un accueil généreux à AU PAYS DE LA MAGIE NOIRE. Ce film est un peu le CITIZEN KANE philippin. Le prix du dvd neuf est un record : il est moins cher que la VHS d'occasion.

Et enfin le Citizen Kane français de la comédie musicale de Jacques Demy et Francis Huster (le Garou de Plogonnec ! "Rejoins-moaaaa ! Eury-diceuuuuuh !"): PARKING. C'est de la VHS, et c'est collector, car n'ayant jamais été édité en numérique (ce qui est totalement surprenant !). C'est la peau des fesses, allez voir, c'est hallucinant. C'est une annonce pour les cadres !


Dr Devo.

Publié dans Corpus Analogia

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L
Euh... Salut Jammiii ! Pas de problème pour l'utilisation de la photo (que j'ai dénichée sur internet de toute façon)... Mais en fait, le site s'appelle bien Matière fOcale (avec un O) !
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J
Juste un petit commentaire, pour signaler que je t'ai empreinté ta photo de toilettes pour mon blog (citant le tiens évidement)<br /> http://aupetitcoin.over-blog.com
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L
Je rappelle au passage qu'il est peut-être préférable d'opter pour le DVD en VF de LINK, la VO proposant un montage différent et décevant. Et je relance mon appel : si quelqu'un connaît une édition DVD du montage européen du film de Richard Franklin en VOST, qu'il n'hésite pas à se manifester...
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