LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS, de Roger Corman (USA - 1960) & Frank Oz (USA - 1986) : une belle plante et quelques boutures...

Publié le par Le Marquis

 

Employé d’un fleuriste au bord de la faillite, Seymour découvre un jour une plante d’origine inconnue qu’il baptise « Audrey II » (car il est désespérément amoureux de sa collègue Audrey). Cette plante curieuse relance les affaires de façon spectaculaire, mais le prix à payer en est particulièrement lourd : Audrey II se nourrit exclusivement de sang humain et son appétit va en grandissant.

Tourné en deux jours pour un budget de moins de 30000 dollars le week-end précédant la destruction de décors utilisés pour une autre production, LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS est l’un des films ayant donné au cinéaste et producteur Roger Corman sa réputation de réalisateur débrouillard et adepte du système D. Bien qu’il n’ait pas remporté de réel succès lors de sa distribution en salle, le film a acquis au fil des années une petite réputation culte qui a débouché dans les années 80 par une transposition sous forme de comédie musicale à Broadway, dont la popularité a entraîné dans la foulée le tournage d’une adaptation dirigée par Frank Oz.

 

Les conditions de tournage rendent LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS sans commune mesure avec le cycle des adaptations d’Edgar Allan Poe par Corman, visuellement magnifiques (LA CHUTE DE LA MAISON USHER, L’EMPIRE DE LA TERREUR, LE CORBEAU…) : mise en scène minimaliste, noir et blanc granuleux, effets spéciaux on ne peut plus sommaires et petite durée (à peine plus de 70mn). Conçu à l’origine pour être une suite d’UN BAQUET DE SANG, le film de Roger Corman a fini par développer son propre sujet, sans aucuns rapports avec le film de 1959. Un sujet plutôt original d’ailleurs : les plantes tueuses ne se bousculent pas sur le grand écran. On se souvient des arbres peuplant la forêt de la série EVIL DEAD, de l’arbre vampire de LA NURSE de William Friedkin, de l’invasion passive du sketch de CREEPSHOW interprété par un Stephen King en roue libre dans le rôle d’un attardé mental ; on avait croisé auparavant un sketch (pas très convaincant) du film LE TRAIN DES EPOUVANTES de Freddie Francis (1965), ou encore l’excellent épisode « The man-eater of Surrey Green » de la série CHAPEAU MELON ET BOTTES DE CUIR (l’un des rares épisodes comportant des éléments ouvertement fantastiques). On évoquera au passage le film gore ABOMINATION, au sujet très proche de celui du film de Corman, mais dans un esprit nettement plus Z (il faut dire que les réalisateurs sont aussi les auteurs d’un OZONE particulièrement débile).

Malgré sa mise en scène un peu bâclée (et pour cause !), le film de 1960 tient la route, principalement du fait du choix de Corman et de son scénariste d’orienter le film vers le ton de la comédie noire, en se reposant essentiellement sur un casting azimuté interprétant une galerie de personnages surréalistes contribuant pour beaucoup à la personnalité de LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS : on retrouve bien sûr les personnages les plus populaires du film – Mushnick le fleuriste vénal, Audrey l’employée nunuche, le dentiste sadique et son client masochiste (Jack Nicholson dans un de ses tout premiers rôles, pas très bon mais franchement drôle). D’autres personnages qui n’auront pas trouvé leur place dans les adaptations futures complètent agréablement ce petit univers : l’acteur Dick Miller (familier de Roger Corman et acteur fétiche de Joe Dante) en mangeur de fleurs, la mère hypocondriaque de Seymour (qui ne cuisine qu’à partir de médicaments), ou encore ces deux détectives nonchalants parodiant les polars de l’époque, et dont ces quelques dialogues résument parfaitement l’esprit pince-sans-rire du projet :

- Comment va ta femme ?

- Elle se porte comme un charme.

- Et tes gosses ?

- Ils sont morts brûlés vifs.

- Choses qui arrivent…

Le film de Corman comporte du reste plusieurs éléments qui lui sont propres : lorsque Seymour tente de s’opposer à la plante carnivore (qui gémit déjà son fameux « Feeeeeed meeee !!! »), celle-ci l’hypnotise pour le contraindre à lui rapporter de la chair fraîche, Seymour errant alors dans la ville en espèce de Renfield soumis aux ordres du « Maître ». Le pauvre Seymour est bien à plaindre, au fond : le fil des événements en fait peu à peu un meurtrier malgré lui, poussé au crime par les demandes incessantes de la plante, mais surtout par le succès et l’argent qu’elle représente et la pression de son entourage. Sa situation a quelque chose de profondément désespérant, dans la mesure où il est littéralement piégé par sa situation sociale – un enfermement accru chez Roger Corman par la présence castratrice de sa mère. La situation lui échappe totalement et le mène logiquement à sa perte dans un dénouement à la fois amer et cocasse – très belle idée que de montrer le devenir des individus dévorés par la plante, dont les visages ornent le cœur des fleurs dont l’éclosion était si attendue. Un tout petit film donc, qui parvient à captiver par son sujet novateur et par son ton savoureux de farce macabre, et mérite largement le coup d’œil – malgré une copie déplorable.

 

Dans sa transposition sous forme de comédie musicale, le récit parvient à conserver cette relative noirceur malgré la légèreté des passages musicaux, parfois très sucrés, notamment en préservant le pessimisme de la conclusion du film original. Par contre, et sur ce point précis, Frank Oz (Miss Piggy en personne, il faut le rappeler) va se casser les dents dans l’adaptation de la comédie musicale sur grand écran. Le film est pourtant très réussi – et Frank Oz est pour une fois un peu moins fainéant dans sa mise en scène habituellement assez plate et portée par ses acteurs : du mouvement, de la couleur, de l’énergie, et un travail sur les décors et les costumes résolument rétro et irréaliste. Ceci dit, le casting de LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS version 1986 reste très porteur. Rick Moranis dans le rôle de Seymour n’est pas très convaincant dans les passages chantés mais campe solidement son personnage de looser, face à Ellen Greene, hilarante en ravissante idiote – le passage chanté « Somewhere that’s green » dans lequel elle rêve à une vie heureuse avec Seymour dans une maison Modes & Travaux de sitcom est particulièrement drôle, avec ses réunions tupperware, son airwick et ses lits jumeaux. Le récit remodelé en fait la compagne malheureuse et violentée du dentiste biker et sadique interprété par Steve Martin, au centre de certaines des meilleures séquences du film – il opère avec les outils de Jeremy Irons dans FAUX SEMBLANTS !!! En particulier sa séance de soins dentaires auprès du client masochiste joué ici par Bill Murray, qui supplie pour « un long…lent… coup de fraise… docteur ! » et griffe le dos de son dentiste dans une scène hallucinante qui en rajoute des tonnes dans la perversion déjà illustrée par l’original. Les effets spéciaux prennent naturellement une toute autre ampleur dans cette adaptation et sont particulièrement réussis – à la première vision, il est toujours assez bluffant de découvrir cette plante énorme interpréter des chansons énergiques et vicieuses. Frank Oz souhaitait préserver la noirceur du sujet et de ses aspects horrifiques, dont il reste quelque chose dans le produit fini.

Malheureusement, son producteur David Geffen, qui souhaitait un film foncièrement familial, en a décidé autrement. Il a donc imposé à Frank Oz la suppression de plusieurs séquences jugées trop déprimantes, et l’a également contraint à remplacer les vingt dernières minutes du film, assez cauchemardesques et très spectaculaires, par un happy end téléphoné, mignon tout plein c’est sûr, mais qui dénature le projet initial et termine le métrage, un remake pourtant réussi, sur une note peu satisfaisante. C’est d’autant plus regrettable que ces coupes franches concernent certaines des séquences les plus audacieuses du film : Audrey, mourante, laisse Seymour la livrer en pâture à la plante, Seymour succombe dans sa tentative de destruction de la créature, dont les pousses finissent par envahir le pays dans des séquences de destruction massive profondément jouissives, allant jusqu’à dévorer le carton « The End » pour faire mine de dévorer le public dans la salle. Dommage pour Frank Oz, qui reste très contrarié par l’affaire, d’autant plus que David Geffen s’oppose catégoriquement à ce que le director’s cut soit montré – il a d’ailleurs fait retirer de la vente une édition du film proposant les scènes coupées et la fin alternative, des fois que les amateurs du film réalisent à quel point il a pu avoir tort… Le film existe donc en DVD dans sa version distribuée en salles : frustrant ! (Au passage, le DVD français est bien joli, mais ne propose pas de sous-titres pour les passages chantés, ce qui pose quand même problème quand ceux-ci sont narratifs…). Avis aux amateurs du film et aux curieux, le compositeur Alan Menken propose en téléchargement légal (ici) les vingt dernières minutes du film, dans une copie déplorable, mais c’est mieux que rien !


Le Marquis.

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Publié dans Corpus Analogia

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L
Celles que je connais me paraissent très réussies, effectivement.
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P
Je n'ai pas vu ce film mais j'aime assez les adaptations de Poe qu'a tourné Corman.
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L
J'avais oublié le lien, tsssss. Oubli réparé. Ce n'est pas vraiment le director's cut ceci dit, car le site de Menken ne propose que la fin initialement prévue (env. 23mn) - image de très mauvaise qualité. Le director's cut existe mais n'est distribué nulle part, des jeux de photos circulent à droite et à gauche et le contenu des scènes coupées est fréquemment détaillé dans les forums de l'Imdb par les quelques veinards qui ont eu le temps d'acheter la version intégrale avant que la Geffen Company ne la fasse retirer des rayons : l'édition en question (en laserdisc si je ne me trompe) est forcément devenue un collector - un vrai !
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M
Tout pareil que le gros lourd, et je suis curieux de savoir comment tu as vu la version director's cut...
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L
Vous avez oublié d'orienter votre lien (ici) Marquis.
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