SOUNDS LIKE de Brad Anderson (série Masters Of Horror, saison 2, épisode 4, USA-2006): L'Oreille du Cyclone...
[Photo: "Les Maîtres du Monde" par Dr Devo]
Chers Focaliens,
Un petit retour en arrière, au pays des images télés. La télé, c'est quelquefois, rarement mais quelquefois, aussi bien voire bien meilleur que le cinéma. Si la série PRISON BREAK est très bien écrite mais gentiment mise en scène, certaines séries sont fabuleuses, à l'image de CHAPEAU MELON ET BOTTES DE CUIR dont toutes les saisons sont à tomber par terre, à une poignée d'épisodes près. Le Marquis et moi-même consacrons, et c'est loin d'être fini, et je dirais même plus qu'il faudrait que je m'y remette, nous consacrons, dis-je, une série d'articles épisode par épisode à la série expérimentale SAN KU KAÏ. Notre émission de télé préférée de tous les temps étant KOH-LANTA, la seule émission politique valable, pour le Marquis et moi-même, l'hiver est souvent rude. C'est pourquoi l'année dernière je vous ai parlé en avant-première de la série MASTERS OF HORROR. Cette année, après tout le monde, après que tout le monde en ait déjà parlé, je vous propose en avant-dernière les comptes-rendus de la seconde saison de la série.
Avant cela, une précision. J'ai chroniqué tous les épisodes de la saison 1, je crois, à l'exception de IMPRINT de Takashi Miike, que j'ai trouvé plutôt pas mal, mais que je n'ai pas chroniqué tout de suite, à chaud ! Quelle erreur ! Afin que le panorama soit complet, je demande humblement, ici, en public, au Marquis de chroniquer l'épisode le jour où il le verra, fût-ce dans deux ans !
Pendant ce temps-là, deux ans quand même, voilà qui devrait me laisser assez de loisirs pour chroniquer la saison deux, que je vais regarder dans le désordre. On prend pas tout à fait les mêmes et on recommence. Je me suis bien abstenu de lire quoi que ce soit sur cette deuxième saison. J'arrive donc complètement vierge, à peine effleuré par la bise d'une rumeur que je choisis d'ignorer, telle la blanche colombe. SOUNDS LIKE est donc le quatrième épisode de cette deuxième saison, et je découvre avec des ronronnements de plaisirs que c'est Brad Anderson qui a réalisé la chose. On avait déjà parlé de lui ici à l’occasion de son magnifique THE MACHINIST. J’ai depuis vu HAPPY ACCIDENTS, classique des bacs à soldes plutôt sympathique, bien que pas mal de coudées en dessous du film précité ! Donc, me disais-je, en découvrant le nom du bonhomme au générique, "ça commence bien" !
Chris Bauer est un homme d'une petite quarantaine d'années qui surveille le call-center (le centre de la hotline quoi !) d'une grande entreprise d'informatique. Pour être précis, il surveille les conversations de ses collègues qui accueillent les client en détresse avec leur ordinateur, et veille à ce que les dits appels suivent le protocole d'aide pré-établi, se passent dans des conditions de stress minimum pour le client, et dans un temps le plus court possible. Bauer est rigoureux, carré, attentif. Son travail c'est sa vie, surtout depuis la mort tragique de son fils, victime d'une anomalie cardiaque génétique. Notre héros a un handicap, ou un talent, beaucoup plus étonnant. Il fait de l'hyperacousie. En un mot, il a une ouïe d'une finesse extraordinaire. Une oreille trop pointue même, qui lui fait entendre chaque détail du paysage sonore avec un volume semblable à celui d'un Boeing en plein décollage !
La vie n'est donc pas facile pour Bauer qui, en plus, vit encore avec sa femme, grande dépressive, obsédée par l'idée de retomber une nouvelle fois enceinte et d’effacer le deuil. Une chose incompréhensible et impossible pour Bauer... Peu à peu, son handicap grandit, et ses facultés auditives augmentent encore, jusqu'à ce que sa vie bascule lentement...
La vie n'est donc pas facile pour Bauer qui, en plus, vit encore avec sa femme, grande dépressive, obsédée par l'idée de retomber une nouvelle fois enceinte et d’effacer le deuil. Une chose incompréhensible et impossible pour Bauer... Peu à peu, son handicap grandit, et ses facultés auditives augmentent encore, jusqu'à ce que sa vie bascule lentement...
Et bien ce n’est pas souvent que ça arrive, mais malgré les quelques heures qui me séparent de la vision du film de Brad Anderson, je suis assez embêté pour vous en parler. C’est un réel paradoxe, pas épatant du tout, là où d’habitude, et vous vous en êtes déjà rendus compte, ma mémoire récente d’un film vu, aussi moyen soit-il, provoque chez moi des articles conséquents avec moult détails et emberlificotures baroquissimes. Voilà ce que je peux dire, néanmoins…
Le sujet du film, s’il respecte complètement le cahier des charges (principe de base loufoque, flash-back incessants et lourd passé) de plus en plus voyant dans la série, soit dit en passant, est très intéressant et assez original. Le fait de faire porter le fantastique sur le son est quelque chose d’assez attirant. Le contexte du call-center, en plus, avec ses petits pointes sociales (pression libérale au travail, cruauté du management en ressources humaines, le travail comme lieu du moule et du formatage, harcèlement, etc.) est également un atout. On retrouve également un bon soin général, ce qui était déjà le cas avec la saison 1. Il y a un peu de moyens, et en général c’est quand même éclairé assez luxueusement. Même si ici, hormis les derniers plans, rien de fabuleusement et d'incontournablement beau n’ait lieu dans la photo ! C’est du travail correct.
La première remarque sera relative aux défauts des qualités de ce SOUNDS LIKE. Le film repose sur un handicap et sur une obsession. De fait, la "maladie" du héros, présentée assez franco de port dès le début du film, délimite assez sérieusement le terrain autour d’une vraie répétition. Où que Bauer aille, c’est la même chose. Dans la mise en scène, ça suit : on entend un bruit étrange, et Bauer tourne la tête, tandis que Brad Anderson change le point de la caméra pour mettre au net l’objet incriminé, soit décadre pour montrer cet objet. C’est très systématique, et au bout de 10/15 minutes, on se dit que la chose n’est ni stressante ni effrayante. Sans plus en tout cas. Au bout de 30 minutes, on se demande vraiment si tout cela, ce systématisme, je veux dire, ne va pas être insupportable à la longue, d’autant plus que cette histoire de deuil (du moins en apparence) est assez identifiable et se base sur un socle assez simple qui devrait permettre de faire passer le traitement en avant. Ici et là, il y a bien quelques bonnes trouvailles scénaristiques, comme le flash-back sur la découverte de la maladie du fils, point névralgique de l’histoire, source de tout. On attend l’arrêt de la vie comme révélateur, mais non, c’est justement le début de la maladie qui "sonne" le glas. Pas mal. D’autant plus que du coup, ce décalage (le père retient encore plus le fait d’avoir entendu la maladie du fils, plus que la mort du fils) place le père dans une logique quasiment de fiction. Et comme ce qui sous-tend le film, ce sont quand même les relations sociales, et donc les relations familiales et leurs non-dits, la construction par les personnages d’un univers possiblement fictionnel (et dont peut-être la réalité ne peut être vue objectivement) fonctionnent mais à rebours, par la bande pour ainsi dire. Car du côté de la mise en scène, c’est quand même la répétition la plus extrême qui l’emporte. Pour une fois, on se dit que le scénario a heureusement une longueur d’avance sur la réalisation ! Bien.
L’ennui pointe quand même son nez. On est déçu, assez inconsciemment, par le fait qu’un sujet aussi sensuel soit aussi peu impliquant à la voyure ! Nous voilà bien extérieurs au film. Et c’est peut-être tout bêtement parce que, malgré le propos, justement, Anderson a choisi un traitement d’apparence classique, très classique même, froid en quelque sorte. On n’est loin par exemple d’une ambiance de cauchemar sans fin comme le furent les épisodes de John Carpenter ou Dario Argento, l’année dernière. Ici, curieusement donc, le spectateur que je suis est plus mis à distance.
Un deuxième facteur vient semer le trouble. Globalement, la mise en scène est quand même beaucoup plus anonyme que celle de THE MACHINIST, le long-métrage par lequel j’avais découvert Anderson. Sur certains points même, je la trouve vraiment moyenne. L’échelle de plans fait beaucoup trop appel aux plans rapprochés et aux gros plans, d’une part, et ces derniers très souvent sont assez mal cadrés ! Ça et l’impression diffuse d’ennui, voilà qui donne à SOUNDS LIKE un côté un peu amer. On est assez loin de l’originalité qu'on pouvait attendre de Brad Anderson.
Malgré tout, le scénario, s’il continue de suivre un développement classique, avec sa chute lente et inéluctable, s’ouvre petit à petit, et l’aspect social justement, remonte cruellement à la surface. Les relations avec le jeune collègue de Bauer, l’amplification progressive du volume du mixage, et la fatigue de la répétition de l’effet allié à des détournements inédits de l’effet (enfin !), commencent à faire leur travail de sape. De plus en plus de bonnes idées sur le papier arrivent, comme le fait de répéter une image plusieurs fois en changeant sa connotation (le mobile sur la boîte à lettres, d’abord ironique puis morbide). Cette image du mobile (un bûcheron qui scie du bois) sert de repère : c’est la répétition qui est insupportable, et elle nous enferme dans un éternel présent. Grâce à elle, on s’aperçoit que les thématiques sociales du film n’étaient pas si grossières que ça, et là aussi montrées de façon tellement franco de port, tellement "dans le cahier des charges", que l’effet escompté était peut-être le contraire : tisser une toile socialement violente mais que l’on percevra comme banale. Puis, au moment où le film s’enfonce dans l’horreur, très classique donc, le jeu est de faire ressortir, par son absence, une fois qu’elle a laissé la place à l’horreur justement, cette pression sociale insupportable. On retient finalement que c’est le grain de sable, ici un simple handicap auditif, qui fait basculer la vie, plus que le deuil impossible lui-même. Et ce petit grain de sable va détruire tout ce qui nous attache à la réalité. La fiction morbide construite par Bauer lui-même n’est pas loin. L’horreur se révèle donc, et on est pris à rebrousse-poil, de manière assez intellectuelle.
Peut-être également que Anderson nous a surpris aussi par la mise en scène en envisageant un dispositif moins ouvertement original que son dernier long métrage. Les trois plans marquants de la fin sont très caractérisés, mais finalement paraissent quasiment gonflés. Le contrechamp final est même assez osé. On se dit que finalement, Anderson n’a pas totalement respecté, et heureusement, le devis : le film est froid, assez lent, pas sympathique pour un sous, l’imagerie "imaginaire" est assez lourdingue et donc pas agréable non plus, l’humour est présent mais glacé (il concerne tout le social encore une fois), et le film est loin de se clore sur un retournement et encore moins sur une chute. On note que le film n’est quasiment pas gore non plus, ce qui est assez étonnant. L’interprétation est très correcte et le sujet intéressant. Il est donc difficile de dire, en ce qui me concerne, la part de déception et la part étrange de ce film qui se construit sur sa non-amabilité. Je vous laisse juges. Mais en tout cas, même si le dispositif n’est pas utilisé n’importe comment, c’est encore peut-être sur la moyenne des petites fautes esthétiques ou des petits plans sans conséquence que SOUNDS LIKE laisse quand même une impression de trop peu. Le débat est ouvert.
Vôtrement Vôtre,
Dr Devo.
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