En marge de VISU : le Questionnaire des Michel

Publié le par Invisible


L’entretien qui suit a été publié une première fois en Novembre 2006 dans le Hors-Série Cinéma Français de La Revue du Cinéma. Nous le reproduisons ici à quelques heures de la diffusion de « Visu, le magazine de toutes les visions » sur France 2 dans la nuit de mardi à mercredi à 01h40 (prévoir une cassette assez longue la chaîne étant rarement à l'heure pour ce programme), émission dont nous vous parlions en détail hier et dans laquelle l’animateur Michel Moisan recevra Benoît Forgeard et l’opticien Phil, tout en diffusant quatre films de l’auteur : STEVE ANDRÉ, LA COURSE NUE et LAÏKAPARK épisode zéro et deux.


[Photo de la comédienne et chanteuse Rachel Stevens]

Michel Moisan est né à Metz en 1959. Cet écrivain critique, touche-à-tout de génie, se définissant comme "orphelin au cœur du monde visible", aime les clichés, mais aussi les coïncidences et les listes. Professeur de lettres au cœur de la prude Alsace mais opposé à toutes les transcendances, ce Cancer ascendant Taureau s'est exilé au Canada en 1999. Quasi inconnu dans son propre pays, chacun a pourtant fredonné un jour du Moisan puisque ce polyglotte est l'auteur des paroles de l'hymne officiel de La Ligue des Champions UEFA (Ce sont les meilleures équipes / Sie sind die allerbesten Mannschaften /The main event / Die Meister, Die Besten, Les Grandes Équipes, The Champions / Une grande réunion / Eine grosse sportliche Veranstaltung...) Critique dans la revue Bobines, auteur de livres non traduits en français hélas sur David Cronenberg entre autres, animateur de télévision, amoureux du regard, Michel Moisan est surtout l’inventeur du Questionnaire des Michel. Questionnaire qui gagne à être lu car, comme le confiait lui-même Michel Moisan dans un entretien donné en 1999 au magazine Subversion(s), "lire un papier de Moisan demeure toujours une aventure hautement risquée, celle de la littérature."
 


Benoît Forgeard n'est pas né à Metz en 1959. Jeune d'allure, il porte néanmoins la moustache depuis l'âge de onze ans. Sa filmographie aligne les hits, néanmoins l'homme ne connaît pas encore les affres du succès flonflonnant, ce qui fait en quelque sorte de lui l'équivalent cinématographique de la chanteuse inconnue Rachel Stevens (cf. notre document photographique). Mi-expérimental, mi-raisin, le cinéma de Forgeard (PARRAINER UN JEUNE, STEVE ANDRÉ, la série LAÏKAPARK, LA COURSE NUE) prouve qu'on peut tout à fait avoir des exigences littéraires et s'exprimer cinématographiquement. Magnifiques et déceptifs films de Forgeard, éthérés et la boue pleine de bottes, amis de tous les copier-coller, lire un papier de Moisan demeure toujours, effectivement, une aventure hautement risquée.

Nous avons demandé au critique Moisan de soumettre le cinéaste Forgeard à son fameux Questionnaire des Michel (auquel ont répondu des sommités comme Cronenberg ou Atom Egoyan), en l'adaptant à un créateur français, et avons pour cela organisé un rendez-vous au bar Chez Michel, dans le huitième arrondissement parisien.
Quand ils sont arrivés au café, ensemble, ils étaient déjà hilares, ils venaient en effet de se croiser chez le marchand de journaux à côté de Chez Michel. Après s'être serré la main en constatant que chacun avait rendez-vous avec l'autre, les deux hommes échangèrent leurs Télérama, dont ils venaient de faire l'acquisition. Sur cette étrangeté, nous nous sommes levés de table et avons laissé nos grands hommes discuter, tailler le bout de Muse, nous contentant, l'instant précédent, de déclencher la fonction REC de notre Toshiba T-135. Benoît Forgeard, homme d'exigence, a probablement su reconnaître en Michel Moisan un universitaire à sa hauteur. Lors de cette première interview qu'il donnait à un journaliste, l'auteur aborde les rouages secrets de son cinéma comme jamais il ne l'avait fait au cours d'un entretien.

Invisible



[Même pendant les méagnétos, ça discute ferme sur le plateau de VISU...: ici Michel Moisan, l'opticien Phil, et Benoit Forgeard]


Michel Moisan : Benoît, je suis ravi de vous rencontrer, laissez-moi vous soumettre une batterie de questions, issues de mon questionnaire "L'heure Michel". Puis-je ?

 

 


Benoît Forgeard : Je vous en prie.

MM : Avant toute chose, je voudrais avertir mon lecteur. Les initiales de mon nom vont disparaître de cette entrevue pour être remplacées par la suite numérique en procession décroissante. L'homme désordonné que je suis va ainsi s'effacer pour laisser place à un ordre, qui est en même temps un mouvement par rapport à un "MM" supposé immuable ... lui-même disparaissant dans un ordre supérieur, celui donné par le jeu de mes questions et de vos réponses.

BF : Procédez.
 
14 : Répondez de façon spontanée, mon cher Benoît Forgeard... Quel est votre Michel préféré ? Comme ça, là, à brûle-pourpoint.

BF (après un temps de réflexion) : Comme Joséphine Baker, j'ai deux Michel. Mon Platini et Berger.

13. Laissez-vous aller. Je sens que vous avez pensé votre Michel. Allez, entre nous, sans honte... Votre Michel du cœur ?

BF : C'est une Michèle, c'est Torr.

12. Je vous propose à présent d'entrer dans le vif du sujet, sans tabous, d'oser simplement répondre à ma question... Vous n'êtes pas sans connaître les problèmes père/fils qu'a pu connaître par exemple un Michel Poniatowski. En tant que cinéaste dans une lignée de cinéastes venus et à venir, vous considérez-vous comme un père ou comme un fils ?

BF : Je suis à la fois le père et le fils. Si j'ai envie de sortir le soir, je me demande la permission, et quand je rentre, je mets mes chaussons pour ne pas me réveiller.

11. Le come-back de Michel Polnareff est organisé en grandes pompes, alors que chacun se souciait de lui comme de son dernier morceau de quatre-quarts. Vos personnages ont-ils tendance eux aussi à déployer des efforts grandiloquents pour échapper au néant ?

BF : En effet, les petits plats m'adorent, car avec moi, ils ont toujours la garantie d'être mis dans les grands.

10. J'aime beaucoup la réponse que vous venez de produire, mon cher Forgeard, mais néanmoins elle ne répond pas du tout à la question qui suit : si vous étiez un Michel, inconnu ou célèbre, réel ou fictif, lequel seriez-vous ?

BF : Je serais le Michel universel. Un savant mélange de Michel Blanc et de Michel Noir. Je serais à l'amitié ce que Monsieur Propre est à la blancheur des sols.

9. Vous n'êtes pas sans savoir que Michel Houellebecq dans « Les Particules Élémentaires » confessait son amour de la déambulation dans les rayons des Monoprix. Ce qui me souffle une question en forme de trident : faites-vous vos courses vous-même ? Dans quel type de magasins ? Y trouvez-vous matière à inspiration ?

BF : Je vais au Champion, Michel... Je vais au Champion pour le sel... Je vais au Champion, je vais au Champion, acheter du thon, du gel douche, du mouton et des couches.

8. De grands critiques de cinéma et d'habiles interviewers ont pour prénom Michel, Michel Ciment pour n'en citer qu'un, mais il y en a d'autres... Et très peu de grands cinéastes somme toute. Ne regrettez-vous pas de ne point vous appeler Michel Forgeard ? Vous comprenez le sens de ma question, êtes-vous un cinéaste d'avant-garde, Michel Forgeard ?

BF : En toute discipline, il y a des aspirants Michel. En toutes choses, Michel est le grade ultime. Je démarre ceinture blanche, je ne suis encore qu'un modeste Benoît, mais je garde espoir de vous entendre un jour m'appeler "Mon p'tit Michel".

7. Alors, mon petit Michel... Ah, très bien, Benoît... (rires gênés) où en étais-je ? Ah, oui. Question sept. Michel de Montaigne a publié un ouvrage fascinant, les « Essais », disponible pour quatre euros chez Gibert ! Oui, mais c'est en poche, me direz-vous, et bien justement... Pensez-vous que votre œuvre est la même selon qu'on la diffuse en salles ou qu'elle est vue sur petit écran ?

BF : Non. Mais elle n'est non plus jamais la même d'une salle à l'autre. D'un écran à l'autre. Il existe au sud de Bondy un pavillon sans charme habité par un couple de retraités. Ils disposent depuis peu d'un petit plasma. Et bien, c'est ici que mes films prennent tout leur sel. Pourquoi ? Sauriez-vous me le dire, Michel ?

6. Je n'ai aucune idée du nombre de femmes peintes par Michel-Ange. Mais vous même, vous plaisez vous à filmer les femmes ?

BF : J'ai longtemps collectionné les femmes. Les pin's de femmes plus précisément. Cette collection de pin's de femmes m'a permis de mieux les connaître, de saisir leur nature profonde. Désormais, lorsque je rencontre une femme, je peux lui parler d'elle pendant des heures. Cette attitude étonne, et pousse parfois même à la fuite.

5. Michel Sardou chantait qu'il en avait marre qu'on l'appelle France. Votre art est-il éminemment français ?

BF : Oui. Mes films ont les seins de Sophie Marceau et le visage de Zidane.

4. J'aime beaucoup le bar où nous sommes, chez Michel. On reprend un truc, non ? Oui, allez, la même chose. Mais qu'avez-vous pris ?

BF : Le strict nécessaire : un Tropicano bien frappé au susucre Michel.

3. Michel Serres raconte dans "Le génie se couche à midi et se lève au crépuscule des temps" qu'avant de prendre l'avion, pour donner une conférence à Berkeley par exemple, il met toujours un pépin dans sa valise car il déteste être surpris par le mauvais temps. Dans la réalisation de vos films, les impératifs (de tout ordre, humeur des techniciens, spécificité des lieux, propositions des acteurs) sont-ils un avantage ou un inconvénient ?

BF : J'ai eu pas mal de souci avec Serres. Dans "Perds pas la boule", je voulais lui faire tourner une scène légère, d'amour cru par un beau soleil d'août, lorsqu'il a sorti son parapluie. Patatras ! Foutu ! ai-je pensé. Et  bien non, c'était une idée formidable. Nous avons ri pendant des heures.

2. Allons... Ce que vous venez de répondre n'est-il pas une vue de l'esprit, très cher Benoît ? Je pense notamment à Michel Serres, qui raconte en privé qu'il a tous les soucis du monde pour faire rentrer un pépin dans une valise.

BF : Rétrogradons Michel Serres au rang de Jérôme Serres, voulez-vous ?

1. Souvenez-vous. Alors député, Michel Barnier avait pour manie de systématiquement remanier les rapports établis par ses collaborateurs qu'il devait signer de son nom, quitte à les contredire. Le montage est-il un élément décisif dans la fabrication du film ?

BF : On m'a souvent comparé à Barnier. C'est vrai, j'adore sa façon de remanier ses rapports. C'est d'ailleurs un autre Michel qui fera le montage de mon prochain film, "Belle île en mer". Ricard. (Forgeard appelle le serveur par un geste de la main). Garçon ! Un Rocard !

0. Laissez, je prends, non, non, c'est pour moi, j'insiste. Garçon, mettez tout au nom de Moisan. Oui, comme le poète. Benoît, à présent qu'on a bien fait le tour, je crois, quel est votre Michel préféré ?

BF : C'est une Michèle. C'est Torr.

Benoît Forgeard, merci.

Publié dans Lucarnus Magica

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