Sommes-Nous des Bêtes à Manger du Son ? (Courrier des lecteurs, ep. 9)

Publié le par Dr Devo






[Photo: "Souriez, Vous êtes Bazinien!" par Dr Devo, d'après une photo de l'homme de télévison Marcel Beliveau.]




Chers Focaliens,

Ce n'est pas souvent que nous utilisons la rubrique Courrier des Lecteurs, c'est même exceptionnel.  En ce beau dimanche pluvieux, Je reçois sur la page Facebook de Matière Focale, la question suivante de Dom T., lecteur assidu du site... Il met le doigt sur une question simple mais intéressante qui guide énormément notre vie de spectateur au quotidien. Il nous  a paru, à lui comme à moi, de publier sa question et ma réponse... Et qui sait, au fil du temps, d'autres questions amèneront ainsi d'autres articles... La rubrique Courrier des Lecteurs en tout cas vous est ouverte, et n'hésitez pas à nous contacter, soit par la page facebook du site, soit en envoyant un mail à la rédaction (colonne de droite, cliquez sur la pin-up au biniou!).

Dr Devo. 

 

 

Allez, je me permets de vous envoyer ce petit message...


D'abord pour féliciter l'équipe pour l'implication dans les avis publiés sur tel ou tel film, pour les choix rédactionnels (qui abordent à peu près tout, du blockbuster au film super confidentiels diffusés sur 4 bobines à travers le pays) et pour la bonne dose de baffes théoriques infligés à ceux qui ignorent que le cinéma ça n'est pas uniquement un amoncellement d'acteurs le long des pages d'un scénario.

Maintenant, j'ai une question. J'ai cru comprendre que certains d'entre vous (Dr. Devo?) avaient travaillé dans des salles de ciné. Du coup, et c'est assez salutaire pour ma santé mentale...et surtout auditive, j'ai vraiment besoin de savoir si des gens ont déjà planché sur la question du volume des films dans les salles (je pense en majeure partie aux UGC, Gaumont et consorts mais pas que) : c'est horriblement fort et assourdissant. A tel point que j'ai l'impression de me faire violer auditivement à chaque film. Dernier en date : "OSS 117 : Rio ne répond plus", l'horreur. C'était franchement impossible par moments... D'autant que monter le son ne favorise pas vraiment l'immersion, c'est même plutôt le contraire, en ce qui me concerne.

Et je suis loin de la prothèse auditive, pourtant. J'ai 24 ans, mes oreilles sont en bonne santé, je pratique régulièrement les salles de concerts avec boules quiès (où le problème est très souvent le même d'ailleurs).Va-t-on devoir généraliser les boules quiès dans les salles de cinéma ? Qui contrôle ces histoires de décibels pour la diffusion de films ? Existe-t-il un complot mondial visant à rendre les spectateurs sourds pour leur vendre des prothèses auditives à l'entrée des salles ?

Parce que bon, sentir jusque dans l'estomac lorsque Brandon latte la gueule du Méchant à coups de poings, perso je m'en tape un peu. Doit-on se résigner à cette course technologique dans le son avec effets sonores qui perforent les tympans ? C'et le pendant auditif du tuning visuel à base d'images de synthèses réalisés sur des gros Macs, quelque part. Je ne sais pas s'il s'agit d'un problème qui a toujours existé mais j'ai l'impression de davantage discerner ça depuis quelques années.

Si vous avez des infos sur ces questions, je suis preneur.
Merci bien.

 

Dom T.

 

 

 

 

 

Salut Dom, et merci...

C'est un problème intéressant que tu soulèves là... Je vais essayer de répondre à la fois en tant que critique, et donc en spectateur lambda (car si on suit la Charte Critique Devo, article que tu connais peut-être, le critique est avant tout un spectateur lambda), mais aussi en tant que projectionniste, car j'ai cette formation.


D'un point de vue pratique, le dernier garant - en bout de chaîne - du volume en salle, c'est le projectionniste qui vérifie le volume du film, en principe, pour chaque copie et pour chaque salle. [Une copie de tel film n'a pas le même volume global que la copie d'un autre film. Et une salle ne donne pas la même impression de volume, ce qui veut dire que si BATMAN 12, LA REVANCHE DU DEFI passe en salle 1 et en salle 2, le curseur de volume, même sur une chaîne audio similaire ne sera pas forcément réglé de la même manière. (CF. taille de la salle, qualité du réglage de la chaîne sonore, équilibrage, nombre de spectateurs potentiels...)]


Le responsable de l'accueil d'un gros multiplexe, type Pathugmont, peut exiger du projectionniste de baisser ou monter le son selon son impression personnelle ou selon les remarques des spectateurs. Mais en principe, le projectionniste, au début de chaque semaine, fait le tour des salles et pousse le volume sur le niveau qu'il juge adéquat...



Souvent le problème est ailleurs ! C'est le mixage ! Le projectionniste est garant du bon fonctionnement et du bon réglage des projecteurs. Du coup, c'est lui qui équilibre la chaîne sonore. Ce réglage se fait avec des bandes-son standardisées qui diffusent des "bruits roses". Il vérifie en passant cette bande sonore étalon que la répartition du signal en dolby SR ou en dolby numérique de la chaîne sonore (amplis) est équilibrée... Mais le projectionniste ne fait pas de réglage d'équalisation et ne peut pas modifier le mixage, c'est-à-dire le réglage créatif des volumes des différentes voix entre elles, et de leur timbre respectif ! Or, dans ce cas, le mixage étant dans les mains - fort heureusement - des techniciens et des producteurs du film, le projectionniste ne peut rien faire. Ce dernier se porte garant de deux choses : ma chaîne sonore fonctionne bien, et j'essaie de régler au mieux le volume. Garde ça, cher Dom, à l'esprit pour la suite!



Si les responsables du film (techniciens, producteurs...) veulent que les explosions pètent un max dans le dernier Bruce Willis, bah c'est eux qui décident. Et je te l'accorde, les films sont mixés avec des réflexes de bourrins. [C'est - parenthèse - un effet secondaire d'un problème de mise en scène plus vaste: les réalisateurs, hors effets, utilisent très peu le son, de manière famélique même, comme élément de mise en scène et préfèrent voir cette partie de leur travail comme étant illustrative ou narrative!]. On assiste alors à une surenchère des effets ou des comportements bourrinistes! Tu l'as bien souligné toi-même en reliant les problèmes de son que tu expérimentes en salle avec la surenchère des effets.


En tant que projectionniste ma règle est la suivante: le dialogue parlé (pas hurlé ou murmuré) doit s'entendre sans effort, et ne doit pas agresser le tympan du spectateur. Je fais donc mon réglage de volume en respectant cette règle. Maintenant, si l'explosion de l'avion est surmixé, ou s'il y a dans un moment de silence, un effet pachydermique quand Willis allume sa cigarette avec son zippo avant de repartir à l'assaut, bah là, désolé les gars, le film est mixé avec des gants de boxe, de la même manière que la photographie peut être vulgaire ou pourrie! [Dans mon cas, si en faisant ce réglage, le son des effets est insupportable, je baisse encore, au détriment des dialogues! Là aussi, tant pis pour les réalisateurs et les gens responsables du film. C'est de leur faute, le son du film est mal mixé!]



Voici donc mon conseil pour savoir, grosso modo, s'il faut pendre le projectionniste ou pas après la séance : la séance t'a pourri les oreilles, mais les dialogues te paraissaient, dans les moments relativement calmes, audibles sans effort et pas agressifs, alors dans ce cas, torture la poupée vaudou du réalisateur ou du producteur. Si les dialogues normaux te paraissaient déjà très forts, va fesser le projectionniste...


Ceci dit, il faut que la chaîne Dolby soit bien réglée, ce qui est assez dur pour les oreilles des spectateurs, quelquefois... Mais, en suivant ces remarques, tu pourras te faire une idée... Et huit fois sur dix, tu verras que le projectionniste n'est pas en cause, et que oui, oui, et oui, les mixages sont souvent bourrins... Contre-exemple : le récent ANTICHRIST de Lars Von Trier est plutôt calme niveau son, mais très travaillé. De plus, sur certains passages on a l'impression d'entendre des bruits vraiment forts. Mais tout cela est mixé avec goût et délicatesse, ce qui permet de mettre le son en relief, avec beaucoup d'hétérogénéité d'amplitude et de timbre, sans faire exploser les tympans des spectateurs. Et quand il monte la pression, je t'assure que ce son est pourtant ample et impressionnant... Et même fort... On appelle ça le talent, et aussi le métier!


Un appel personnel maintenant: le Colonel Moutarde qui a une très bonne formation technique dans le domaine et qui est lecteur de Matière Focale, peut, s'il le veut, donner son avis dans les commentaires de cet article.

 Dr Devo.





Publié dans Courrier des Lecteurs

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D
Excellent billet. ;)Dr. Devo, la prochaine fois, une étude sur les fauteuils et la taille des accoudoirs au pro rata de la largeur des marches de la salle de cinéma et proportionnellement inverse à la longueur de la file d'attente pour la séance choisie?J'ajoute que les Focaliens sont des gens très courtois et dévoués.D'autant qu'ils m'ont empêché d'aller pourrir le pauvre projectionniste la prochaine fois qu'un murmure dans une oreille me perce un tympan.Merci Matière Focale. :)
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A
Bonjour,Merci pour cet article , et pour votre site ...L'important , c'est toujours le message : Le mots , les photos , ce que nous avons à communiquer ...                           çA Phot ' Aux Yeux ...!A+ de vous relire , sincère Salutations ... A.S
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T
bravo! encore! encore!la prochaine fois on tentera de comprendre pourquoi il est impossible d'avoir le point sur la très grande majorité des films français.
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