Le Zédécédaire de Bill Yeleuze : la critique qui a des moeurs de cow-boy...

Publié le par Bill Yeleuze


(Photo : "On peut rêver..." par Dr Devo)



Hello les Cow-Boys, Hello les Squaws,
Lors de ma récente et courte visite dans le Far-West, j'ai eu l'occasion, comme vous le savez, de visiter le joli ranch du Marquis, ranch disposant de tout le confort moderne, et notamment un écran télé et un lecteur DVD, ce qui nous a permis de voir moult petites choses assez gouleyantes que, faute de temps, j'ai dû passer sous silence. C'est pourquoi il a fallu créer ce nouvel article, ce Zédécédaire, afin de vous donner un aperçu très bref de ces visionnages hautement intéressants. Vous allez voir, ce n'est pas triste. J'ai donc mis mon costume de super-héros (un ensemble de garçon vacher), me suis drapé dans mon identité secrète, mon nom d'alias dans Hollywood désert (Bill Yeleuze, donc), et m'apprête à vous livrer mon petit compte-rendu. Je traiterai ici des films vus à cette occasion, non pas dans l'ordre de visionnage mais dans l'ordre alphabétique inverse des titres !
 
On commence par VOUS AIMEZ HITCHCOCK ? de Dario Argento (Italie, 2006), réalisé pour la télé italienne, et dont le Marquis avait déjà parlé (ici). Il serait assez malhonnête de dire que je n’attendais pas de voir ce film, le père Argento étant très en forme (si tant est qu’il ait eu des baisses de régime, ce qui est loin d’être prouvé !), même dans les commandes, ce qui est ici le cas. Le film narre les aventures d’un étudiant en cinéma qui, de sa fenêtre, a une vue plongeante sur l’appartement sublime de ses voisines, à savoir une mère et sa fille. Cette dernière, une espèce de mannequin des plus "canon", n’est pas farouche pour un sou, et le soir venu notre héros, un peu grand dadais, peut observer la plastique enfin dévoilée de la fille en question. Fille qu’il croise en compagnie d’une autre dans le vidéoclub où il a ses habitudes. Elles louent toutes les deux L’INCONNU DU NORD-EXPRESS de Hitchcock. Et quand la mère de la voisine se fait assassiner, notre héros ne va pas chercher midi à 14 heures, et voit dans l’événement une reprise du principe de "double meurtre réciproque" du film d’Hitchcock. L’enquête démarre à fond les pédales sur le petit vélo de notre étudiant en cinéma…
Très curieusement, il faut bien le dire, voilà un Argento, et c’est un fait exceptionnel, dans lequel je ne suis pas vraiment rentré. Le film prend logiquement sa place dans la partie récente de la filmographie de notre ami italien. Comme d’habitude, et même s’il y a enquête, Argento semble déployer toute son énergie, ce qui est toujours délicieux, à explorer les à-côtés et à désamorcer la progression que devrait lui imposer le genre. Il lui fait un doigt, au genre, comme d’habitude ou presque, et développe jusqu’à plus soif, presque jusqu’à saouler, les moments parallèles : disputes avec la petite amie, mise en place rigoureuse du personnage de la mère du héros (mère poule en quelque sorte, dont la présence me fera échafauder pendant le film des hypothèses stupides et délicieuses), rencontre et surveillance anodine et presque stupide de la voisine et de son étrange amie, etc. C’est assez délicieux. On ne sait pas vraiment où on va, comme les prémices d’une toile logique dont la géométrie complète nous serait cachée. Ça redonde dans tous les sens, et Argento s’en donne à cœur joie en ne plaçant dans son film QUE des acteurs qui essaient de décrocher l’improbable palme d’interprétation splendouillette ! C’est un des aspects les plus aguichants du film : Argento peut travailler avec la crème des acteurs, mais il aime aussi les plus improbables. Et sur ce dernier point, on est largement servi, c’est délicieux. Notamment le personnage de la mère, ou la fabuleuse trouvaille de l’acteur qui joue son nouveau fiancé ! Le plus étonnant sur ce point est que ce choix de casting n’est pas juste une façon de dire que les acteurs n’ont aucune importance (ce qui est absolument vrai, du reste), c’est aussi un élément de mise en scène, et finalement de trouble. Ils font partie de la direction artistique, tous ces gens improbables.
Malgré tout, je reste à la porte du film et, chose quasiment inédite dans mon rapport avec Argento, j’ai l’impression de voir un séduisant projet… sur papier pour ainsi dire ! On voit le maillage, on voit la construction (miam !), mais en ce qui me concerne, je vois également le projet se dessiner devant moi, tout seul. C’est très frustrant, surtout pour moi qui rentre dans les projets les plus improbables d’Argento comme dans du beurre ! Je vois le projet, mais je l’observe du dehors, non sans intérêt d'ailleurs. Mais à aucun moment le trouble ne me saisit. Je crois notamment avoir été piégé par un rythme en faux plat, plus pentu que prévu. Le montage m’a paru correct sans plus, le cadrage ne m’a jamais ému, et la photo, très correcte, ne m’a pas ébloui (la scène sous la pluie est très bien éclairée notamment). Malgré tout, en écrivant ces lignes, j’ai une furieuse envie de le revoir. C’est grave, lecteur ?
[La poursuite en scooter, qui n’en est pas une, est un moment très délicieux et résume assez le modus operandi (OUI !) de l’ami Dario !]
 
VA TE FAIRE FOUTRE FREDDY, de Tom Green (USA-2001)
Tom Green est fou. Réalisateur, acteur principal et scénariste du film, Green est connu au Etats-Unis pour son show TV iconoclaste. Le type ne fait pas dans la dentelle. D’un physique très différent de Jim Carrey (il ressemble plus à Monsieur Tout-le-monde), Green cultive une espèce d’outrance similaire, mais attention, une outrance qui ne cherche jamais à faire classe ni punchy : une outrance toute pourrie, bien plus intéressante. [La comparaison avec Carrey, fut-elle explicative, est désastreuse, je m’en rends bien compte !] Le bonhomme est très sympathique pour plusieurs raisons. D’un humour plus proche des exagérations à la AMERICAN PIE (en beaucoup plus absurde et surréaliste), Green est quand même l’homme qui a été marié à Drew Barrymore (qui fait ici une apparition),  et qui a embrassé sur la bouche (et je parie en essayant de lui fourrer la langue) Pierce Brosnan lors d’une conférence de presse ! En 2000, il annonce publiquement qu’il a un cancer des testicules ! Joli gag ! Sauf que c’est vrai, et il en fera même une émission de télé (le TOM GREEN CANCER SPECIAL !). Encore mieux, c’est une des trois seules personnes à avoir été chercher son Razzie, célébrissime cérémonie des anti-oscars où il a été nominé pour le Pire Film de l’Année en 2001 ! [Je trouve ce geste sublime ! Et même si je n’avais pas énormément de sympathie pour eux, je dois dire que les autres vedettes à être allé chercher leur Razzie ont nettement remontées dans mon estime ; on va les citer, parce que rien que pour ça, ils ne peuvent pas être totalement mauvais : Paul Verhoeven (pire film avec SHOWGIRLS) et Halle Berry (la sœur de Marylou Berry, merci, de rien, je vous en prie, élue pire actrice pour CATWOMAN !)]
Le distributeur français de VA TE FAIRE FOUTRE FREDDY a très mal traduit le titre, et pour une fois, comme l’a justement fait remarquer le Marquis, il aurait fallu écrire littéralement FREDDY S’EST FAIT DOIGTER, car c’est effectivement l’événement principal du film, et pas le moins courageux du reste.
Le film suit les pérégrinations de Tom Green (qui ne joue pas Freddy mais son frère), trentenaire azimuté vivant toujours chez ses parents (Rip Torn, ici absolument fabuleux et réduisant sans doute à néant sa longue carrière hollywoodienne, et Julie Hagerty), au grand désespoir de ceux-ci. Freddy dessine des cartoons débiles, c’est sa passion. Ses parents l’envoient tenter sa chance à Los Angeles (on les comprend !). Malheureusement, l’expérience est désastreuse et Tom Green doit revenir squatter chez eux, ce qui lui vaut l’incompréhension de Freddy, son frère (fabuleux Eddie Kay Thomas, le célébrissime Shit-Break de AMERICAN PIE ; grand, grand acteur, et je pèse mes mots), qui lui a quitté depuis longtemps le cocon familial, travaille dans une banque et gagne sa vie tout seul ! Freddy rencontre quand même une fille complètement bizarre et très mignonne, Marisa Coughlan (que je ne connaissais pas, mais qu’il va falloir surveiller), dont il s’apercevra après lui avoir filé un rencard qu’elle est en fauteuil roulant, et que ces mœurs sexuelles sont… étonnantes ! Mais les rapports entre Tom et son père sont de plus en plus tendus, et il continue de glander en griffonnant, n’arrivant même pas à faire de ses dessins un projet cohérent et un vrai travail… Le conflit est tel que Tom finit par accuser son père devant les services sociaux pour attouchements sexuels et viols sur sa personne et celle de Freddy, son frère… Jolie ambiance. Évidemment, comme le sujet peut peut-être le laisser supposer, VA TE FAIRE FOUTRE FREDDY est une sorte de comédie noire, franchement loufoque, qui pourrait passer pour une espèce d’AMERICAN PIE 10 ANS APRÈS, où les héros seraient trentenaires et perdus. Ce qui marque dans le projet de Tom Green, c’est l’aspect profondément non-sensique de son film, très libre, et qui vire même par instants au plus grand des "n’importe quoi". Lors du voyage à L.A, Tom arrête sa voiture près d’une ferme où l’on est en train de préparer un étalon à la saillie. Il arrive près de l’animal, le masturbe en regardant la caméra et en disant : "Regarde Papa, regarde le cheval !". Évidemment, cette scène n’a aucun intérêt, le père n’est pas présent et n’en saura rien, et voilà qui ne sera plus du tout évoqué dans le film.
En tout cas, le film devient à force d’incongruités un objet assez bizarre, et surtout surprenant et très libre. On entend parfois un lointain écho des frères Farrelly. Ici aussi, le casting est absolument parfait et permet au métrage de dépasser la farce pour révéler des racines sans doute plus noires. Il y a là un vrai pessimisme, allié à un humour visuel et presque slapstick, tendant vers l’Idiotie Totale qui en fait un grand capharnaüm. En tout cas, on se demande comment Tom Green a pu réussir à faire passer un tel film devant des producteurs. Malgré une mise en scène anonyme, VA TE FAIRE FOUTRE FREDDY est un vrai film extra-terrestre et ultra-libre qu’on regarde avec un plaisir fou. Évidemment, à sa sortie, le film a été descendu par tous ! En tout cas, ne serait-ce que pour les scènes avec Marisa Coughlan, il faut avoir vu ce film. Green écrit en ce moment un docu-fiction-comédie-thriller-film-d’horreur sur lui-même, film où il joue son propre rôle. J’ai hâte de voir ça.
 
UN WEEK-END EN ENFER (S.I.C.K, ou GRIM WEEK-END) de Bob Willems (USA-2003)
Ah oui, si vous devez voir UN WEEK-END EN ENFER ou S.I.C.K. (pour SERIAL INSANE CLOWN KILLER), c’est vraiment aujourd’hui le jour de la remise des prix à Cannes ! Bob Willems est le réalisateur de cette chose splendouillette et directement tournée pour et en vidéo. Et la vidéo, il connaît, car il travailla sur AMERICAN BOUNTY HUNTERS, l’émission de télé qui suit en direct les repris de justice et les fuyards en tout genres aux U.S.A (unsane serial anarchist ?).
Bidule est cadre dans une boîte qui fabrique des choses. Il organise un week-end dans une maison que sa famille possède à la campagne. Il invite donc Josh ou John, ou Jo, son collègue de bureau, lui aussi cadre. Josh invite sa copine Ashley.  Bidule en profite même pour enfin inviter la petite Alistair, une collègue aussi, avec qui il n’a jamais osé conclure. Arrivés sur place, tout se passe très bien jusqu’au barbecue ! Après, ça se gâte : Alistair ou Larkin ou Channing, ou je ne sais plus qui, a disparu ! Les voilà bien embêtés, surtout que, comme l’affiche américaine le rappelle dans un hurlement, la maison est vraiment coupée du monde car elle se trouve à 15 km de toute civilisation ! Tout le monde part chercher Kelly dans la forêt, où de temps en temps on entend un étrange borborygme ! C’est le CLOWN ! SAUVE QUI PEUT !
Vous ne trouverez pas ce DVD à la Fnuc, mais bien dans les meilleurs bacs de soldes de votre trocante, au prix imbattable de 1 euro, et c’est une affaire. Commençons par ce qu’il y a de bien dans le film. La lumière est tout à fait fonctionnelle… Et absolument sans intérêt. Mais c’est le seul signe distinctif qui vous permettra de ne pas confonde ce film avec un film amateur. Qu’on me comprenne bien : ce n’est pas un film amateur, mais un vrai film produit. Cependant, même dans le cadre d’une production destinée au direct-to-video, on peut se poser des questions sur ce qui pousse des gens à mettre de l’argent, du temps et de l’énergie dans un machin aussi improbable. Néanmoins, on prend un plaisir non négligeable à la vision de la chose. Filmé dans le plus strict des formats 4/3, c’est un festival. Casting à brushing pour les messieurs, profils sexuellement actifs et à peine sexy pour les dames, les interprètes ont facilement dix ans de plus que leur rôle, et on se demande pourquoi ils n’ont pas fait une carrière dans le soap-opera où ils feraient pourtant merveille. La mise en scène est anonymissime, plate et illustrative, suivant un scénario éculé de slasher à la lettre. Et malgré tout, on regarde le tout sans déplaisir. Le film va à trois à l’heure, et il faut bien l’avouer, c’est à cause de sa construction pourtant bien classique. Car tout cela pourrait durer une demi-heure. Mais les personnages ont un problème : le scénario. L’essentiel du film consiste en effet à chercher les personnes disparues dans la forêt qui entoure la maison. Malheureusement, ou heureusement d’ailleurs, la recherche de Ashley, première victime du clown psychopathe de la forêt (moi, j’aurais appelé le film comme ça, C.P.D.L.F) durent quasiment une heure ! Soixante minutes ! Non pas que cette recherche soit remplie de rebondissements incessants, mais… Comment dire… Il faut aux personnages dix minutes de dialogues pour savoir qui part en exploration dans la forêt, puis ils partent et se baladent pendant cinq minutes, puis un des personnages dit : "Il faut mieux prendre de l’eau avec nous" et va chercher une gourde. Cinq minutes de perdues. Puis, alors qu’il remplit la gourde, il entend un cri, revient vers ses amis, puis il explique qu’il a entendu un cri, puis un dit que c’est pas prudent, alors on ferait mieux d’appeler la police, puis ils reviennent à la maison, puis ils s’aperçoivent que le téléphone est coupé, puis ils décident de repartir en forêt mais sans les filles, c’est trop dangereux. Puis un des mecs dit : "OK, je vais chercher ma lampe torche dans ma chambre, car la nuit va bientôt tomber", et là, dans la chambre, il trouve une poupée ensanglantée, et là il dit aux autres : "venez voir", etc. L’action se déroule à trois à l’heure, et en plus, pour encore ralentir la chose, les dialogues font dix ou quinze pages à la moindre occasion, les personnages résumant à chaque fois la situation dans une espèce de synthèse sans fin. Ainsi, au lieu de dire "J’ai trouvé cette poupée ensanglantée dans mon lit", on dira plutôt : "Mais que fait cette poupée dans mon lit, que j’ai découverte alors que je cherchais ma lampe torche qui devait permettre à moi et Steve d’explorer la forêt pour retrouver Ashley, forêt d’où nous avons entendu un cri étrange qui pourrait bien être celui d’Ashley, ou peut-être pas, vite dépêchons-nous avant qu’il ne soit trop tard, c’est toi Brenda qui a mis cette poupée dans mon lit alors que le téléphone est mystérieusement coupé ?". Alors, oui évidemment, le film prend un temps complètement dingue, ce qui devient à la longue assez délicieux, car la VF est d’une splendeur galactique, effectuée en deux secondes par des intermittents qui en même temps devaient remplir leur feuille d’impôt ou faire du sudoku ! Les pervers cinéphiles de la pire espèce devraient donc largement apprécier ce film, qui est le premier, je crois, dont la narration n’avance pas mais semble au contraire reculer. Le temps et l’espace sont abolis, et ça pourrait durer trois heures de plus, ou trois jours, ou trois semaines… C’est fabuleux de connerie, c’est fait avec les pieds, et surtout la récompense est au bout du chemin : le Clown Tueur de la Forêt est désopilant et aussi crédible que le Panda du Harcèlement Sexuel que les amateurs de SOUTH PARK connaissent bien. Quant au twist final, c’est du débilissime pur jus, c’est du splendouillet total. Pour un euro, on n’est pas volé, le film semblant durant huit heures ! Au poids, donc, ça vaut le coup. Si on est un pervers cinémaniaque, bien sûr. Les autres peuvent passer leur chemin. À regarder au moins à deux, sinon je pense que c’est la pendaison avant le générique ! [Oh, j’ai survécu – voir ici – et c’était donc la deuxième fois que je le voyais, ce qui devrait me valoir une médaille je pense. NdC]
Ben voilà, on va s’arrêter là…. Je pensais faire plus court, en fait. Il y a encore des choses à dire, et mon zédécédaire vous réserve plein de surprises. Mais pour aujourd’hui, ça suffit. Vous avez déjà assez dans cet article pour patienter jusqu’à la remise des prix du festival (on va bien rire, je le sens !).
Bisous et Bon Dimanche !
Bill Yeleuze.
 

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Publié dans Corpus Analogia

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L
Bravo, Bill Yeuleuze (!), de mentioner le fabuleux Freddy Got Fingered (d'ailleurs quand il est diffusé à la télé il est retitré trés pudiquement Va te faire voir Freddy !) sorte d'auto-fiction cathartique absolument phénoménale et d'une audace sans limite. Un grand film con sur le passage à l'adulte, d'une drolerie mais aussi d'une violence étonnante.
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