Abécédaire, ép. 5, 1ère partie : Focus sur le baiser maudit de l’enfant tueur sur la chair des filles du locataire fantôme, qui font ce qui est juste dans la forêt paradisiaque des terreurs nocturnes

Publié le par Le Marquis

(Photo : MONKEY PRIDE : "I'm just a Bonobo...")

Alors que la vision de la sélection pour l’épisode 6 touche déjà à sa fin, c’est l’heure du bilan des (re)découvertes effectuée lors de la préparation de ce cinquième segment : pas de grande trouvaille pour cette fois en dehors du très étrange PROPHÉTIE de Bigas Luna, le meilleur film étant sans aucun doute LE LOCATAIRE de Polanski, suivi de près par DO THE RIGHT THING de Spike Lee, deux films que je connaissais déjà mais que je me suis fait le plaisir de revoir. Confirmation tout de même du talent du cinéaste néo-zélandais Scott Reynolds avec HEAVEN, ce qui énerve d’autant plus lorsqu’on constate que ses films ne sont quasiment pas distribués. Petite entorse à signaler dans mes habitudes, je me suis tout de même déplacé pour aller voir en salles THE SADEST MUSIC IN THE WORLD de Guy Maddin, drôle, passionnant et visuellement somptueux, ce qui me donne envie d’aller plus souvent au cinéma. Ce qui, du reste, ne saurait tarder, ma mère me harcelant pour que je l’emmène voir le SILENT HILL de Christophe Gans : pourquoi pas…

(Photo : Hogan's Eros)

Mais revenons à nos moutons, et allons nous rincer l’œil avec les frasques de Bob Crane, un film, comme il se doit, en…
 
A comme… AUTO FOCUS, de Paul Schrader (USA, 2002)
Bob Crane, ça ne vous dit rien ? Alors allez jeter un œil sur la photo en tête de mon Abécédaire précédent (épisode 1). Voilà, vous l’avez situé. Mais saviez-vous que le héros de « Papa Schultz » a quasiment ruiné sa carrière à cause de ses frasques sexuelles spectaculaires, avant de finir assassiné, on ne sait trop par qui ? Vous le savez si vous avez vu passer ce film de Paul Schrader, qui raconte son parcours, sa déchéance et sa mort, en proposant l’hypothèse la plus plausible à ce crime resté irrésolu.
La biographie est toujours un exercice périlleux, débouchant souvent sur une œuvre académique avec acteurs en plein numéro d’imitation, un exercice qui, en général, agace d’autant plus s’il est appliqué et studieux (voir l’exemple récent de TRUMAN CAPOTE, pour n’en citer qu’un). Il est rare de tomber sur un cinéaste parvenant à se livrer à cet exercice avec une réelle inventivité, qui du reste n’est pas toujours payante commercialement parlant – je pense par exemple au superbe UNE NUIT DE RÉFLEXION de Nicolas Roeg, imaginant le déroulement de la rencontre entre Marilyn Monroe et Albert Einstein. Soyons bien clairs, Paul Schrader n’égale en rien le film de Nicolas Roeg. Mais, dans une approche plus classique, il parvient néanmoins à faire du cinéma, soigné, intelligent et d’assez bonne tenue, de ce matériau qui aurait très bien pu être l’objet d’un mélodrame télévisé.
Si, aujourd’hui, on se contrefout d’apprendre que Michael Douglas a suivi une « cure de désintoxication sexuelle », il est évident qu’à l’époque de Bob Crane (correctement interprété par Greg Kinnear), la rumeur avait un poids considérablement plus prégnant. La sexualité effrénée du comédien est vécue, dans le contexte social au sein duquel le récit se développe, comme une forme de dépendance comparable à celle que peut engendrer la consommation de drogue. Paul Schrader parvient à mettre en parallèle l’évolution de cette dépendance avec celle des technologies de la vidéo, via le personnage de John Carpenter (Willem Dafoe – et non, le réalisateur de NEW YORK 1997 n’a pas organisé de partouzes pour le héros de Stalag 13, c’est un homonyme), « manager » de Bob Crane qui organise pour lui les rendez-vous, mais aussi leur filmage sur caméras ; une technologie qui fascine Bob Crane et nourrit ses obsessions au point qu’il envisagera même d’organiser le tournage d’un film pornographique.
Les temps changent peu à peu, et tandis que Bob Crane s’enferre doucement à Hollywood dans une position de paria, la mise en scène de Paul Schrader, purement fonctionnelle dans les trois premiers quarts d’heure, s’assombrit de plus en plus, gagne en richesse à développer une vision torturée et un rien complaisante de la déchéance de son personnage ; mais cette fascination voyeuriste fait intégralement partie de l’intérêt vaguement malsain porté outre-Atlantique pour les aspects « vie cachée » d’un animateur vedette de la radio doublé d’un acteur de productions familiales – et d’ailleurs, en plus d’apprendre qu’un éditeur s’apprêtait à publier une anthologie de photographies issues de la collection très privée de l’acteur, j’ai constaté qu’une recherche sur Internet de photos de l’acteur débouchait en tout premier lieu sur des photos de son cadavre, la classe. Très belle dernière partie, assez torturée, montrant Crane végéter dans les représentations d’une pièce de théâtre dont Schrader nous montrera toujours le même extrait, enlisement dans la répétition, l’idée fixe, l’amertume, souligné par la très belle musique d’Angelo Badalamenti. Un film riche, à l’image de cette figure publique déchue, sur le revers du vedettariat, la libération sexuelle, l’interdépendance, la fascination pour le fait divers, surtout lorsqu’il concerne un personnage public. Rien de très renversant, mais c’est solide et souvent émouvant.
 
B comme… LE BAISER DU DIABLE, de Georges Gigo (France/Espagne/Andorre, 1975)
Et sans transition, nous voilà face à un opus assez obscur de la firme Eurociné, entité s’étant consacrée à la production de films de genre fauchés, et dont les titres de gloire oscillent entre le relativement estimable (certains Jess Franco) et le Z le plus redoutable (certains Jess Franco, mais aussi le désopilant LAC DES MORTS-VIVANTS commis sous pseudonyme par Jean Rollin). LE BAISER DU DIABLE, dont je n’avais jamais entendu parler avant que le DVD ne me saute entre les mains, est ici présenté dans une copie assez belle, avec une version française post-synchronisée franchement cocasse, co-production oblige. Aucune voix ne semble coller à son interprète, et les dialogues plats et doucement ridicules se débitent en gros et à emporter. Le film débute par une soirée organisée par un châtelain, qui s’ouvre dans sa cave par un défilé de mode tendance pattes d’éléphant psychédéliques très spectaculaire, avant d’enchaîner prestement par une séance de spiritisme organisée par une comtesse déchue, laquelle parvient, au terme de sa séance s’étant conclue par l’évanouissement d’une des potiches du défilé de mode, à convaincre son hôte de l’accueillir avec son assistant, scientifique et télépathe, dans son château, en finançant leurs expérimentations. Très branché tables tournantes et soucieux d’entrer en contact avec son frère décédé, le digne monsieur accepte, et il a bien tort, car la comtesse souhaite en réalité se venger de la mort de monsieur son mari, et la teneur des expériences menées dans la cave est soigneusement dissimulée au mécène.
Georges Gigo semble un peu trop s’appuyer sur une atmosphère voulue lourde, mystérieuse et angoissante. Mais le décor, si joli soit-il, ne suffit pas à combler les manques d’un montage atrocement lent et dénué de rythme, appesanti encore davantage par une musique insupportable, de même que le cadavre zombifié par les efforts conjoints de la médium et du scientifique prête plus à rire qu’il ne suscite l’effroi. La désuétude de ces éléments, qui n’entache pas la puissance, par exemple, du FRANKENSTEIN de James Whale aujourd’hui encore très impressionnant, est dans LE BAISER DU DIABLE réduite à sa plus piètre expression : mise en scène illustrative et pesante (on tente pourtant de rendre les déambulations incessantes du zombie palpitantes en comptant le nombre des marches de l’escalier qu’il monte pas à pas, lentement, non, plus lentement encore, et en entier s’il vous plaît). Les enjeux prêtent à sourire, ceci dit : que la comtesse embauche un nain sauvage (?) trouvé dans la forêt pour leur prêter main forte (en portant des cercueils grands comme lui) passe encore… Mais quand le spectateur médusé réalise que près d’une heure d’expérimentations pour donner la vie à un mort-vivant ne visent qu’à lui ordonner de monter dans la chambre du châtelain pour l’étrangler a de quoi laisser perplexe : avaient-ils donc besoin de l’aide de Satan et de la présence d’un non-mort pour exercer leur vengeance d’une façon aussi quelconque ? Non mais franchement, vous en pensez quoi, vous, elle n’aurait pas pu l’étrangler elle-même, la comtesse ? Ça nous aurait évité ces séquences interminables d’efforts pour plonger le zombie dans une « catalepsie inhibitoire » et de messes basses au château !!! En cherchant à s’aligner sur une veine « classique », en rupture avec la vulgarité assez racoleuse des productions Eurociné, GG ne parvient qu’à livrer une œuvre laborieuse, expérience de la durée pure comme dirait l’autre, et il vous faudra vous armer de tout votre amour pour la ringardise et les artefacts d’une VF calamiteuse pour venir à bout de ce nanar soporifique.
 
C comme… CURSED, de Wes Craven (USA/Allemagne, 2005)
Tout comme son récent RED EYE, ce film de Wes Craven n’aura connu qu’une exploitation bien discrète, précédée d’une réputation désastreuse et accueillie fraîchement, notamment par la critique spécialisée – qui n’a pas été aussi bégueule quand il a fallu aborder le dernier UNDERWORLD. Si CURSED n’est pas formidable, on est tout de même très loin du navet annoncé. Mais il est de bon ton, depuis le succès de la série des SCREAM, de régulièrement incendier Wes Craven, jugé coupable d’avoir introduit un humour distancié dans le genre fantastique, et parfois même d’être responsable d’une supposée déréliction du genre par une approche parodique – sentences bien hypocrites au sortir des années 90, après une décennie de fantastique tout public, formaté et engoncé dans un second degré asséchant.
Avec CURSED, Wes Craven renoue justement avec le scénariste Kevin Williamson, pour un récit agréablement classique : Christina Ricci et son jeune frère sont agressés par un loup-garou suite à un accident de voiture sur Mulholland Drive. Touchés par la malédiction, ils vont tenter de percer l’identité du lycanthrope afin de le détruire et, ainsi, de se délivrer de cette malédiction. En pleine vague de créatures « modernisées » par le port de combinaisons en cuir et la maîtrise des arts martiaux accommodés à la sauce MATRIX, il est extrêmement plaisant de se retrouver en terrain connu avec un film qui s’ouvre d’ailleurs, via la rencontre de deux adolescentes avec une gitane diseuse de bonne aventure, par une référence au LOUP-GAROU de 1941. Argent, pentacle apparaissant dans la paume de la main, pleine lune, c’est tout l’arsenal classique qui s’invite dans une transposition fidèle du genre dans un contexte contemporain, une approche comparable au très bon VAMPIRE, VOUS AVEZ DIT VAMPIRE ? de Tom Holland (1985).
Située à Hollywood, l’action permet au cinéaste d’insérer de belles références aux classiques du genre, et lui permet de construire deux conclusions successives assez opposées. La première se déroule dans une boîte de nuit à thèmes, et s’avère assez distanciée et ironique : décors invraisemblables, effets de mise en scène d’une vulgarité tapageuse, et mise à mort d’un premier loup-garou dans une scène ouvertement comique. La seconde conclusion, suite à un retournement de situation attendu, opte pour un ton et pour un style plus classiques. Se déroulant dans un décor unique et plus terre-à-terre, elle évacue la distanciation formelle de la première et se montre plus sérieuse, plus tenue. Une synthèse certes un peu légère, mais qui ne me semble pas cynique pour un sou, contrairement à ce que j’ai pu lire ailleurs.
Les effets spéciaux oscillent entre le très bon et le bien moins convaincant : si la créature impressionne quand elle est interprétée par un acteur en costume (très belle séquence du parking souterrain), elle s’avère beaucoup moins intéressante lorsque les images de synthèse prennent le relais – non pas que l’on soit confronté à des loups-garous ridicules et hideux proches de ceux du piètre LOUP-GAROU DE PARIS, mais, comme c’est trop souvent le cas, les animations en montrent beaucoup trop, et laissent la place à des acrobaties un peu vaines, qui annihilent les efforts de découpage et de montage de séquences par ailleurs admirablement bien mises en scènes, parasitées par ces plans relevant plus du dessin animé. Même remarque pour le chien de famille contaminé, une excellente idée maladroitement portée à l’écran par des effets un peu trop cartoonesques.
Reste à dire que le film est dans l’ensemble plutôt réussi et attachant, jouant avec une certaine finesse des codes narratifs du genre : voir la ré-apparition du personnage de la jeune fille découvert dans la séquence d’ouverture, introduite frontalement par son surgissement dans le cadre et par une réplique savoureuse - « Salut, vous me reconnaissez ? ». CURSED n’est sans doute pas un sommet dans la carrière inégale de Wes Craven, mais vaut tout de même le détour, le cinéaste sauvant adroitement les meubles suite à un tournage catastrophique marqué par de constantes ré-écritures et par d’onéreuses retouches qui auront entraîné le départ d’une bonne partie du casting initial. Un film vif, bancal et séduisant, qui me donnerait presque l’envie de me passer un bon disque de Hairy Connick Jr.
 
D comme… DO THE RIGHT THING, de Spike Lee (USA, 1989)
Sans doute à cause de son image d’auteur engagé et polémiste, on a trop souvent tendance à oublier que Spike Lee est aussi et surtout un cinéaste de talent. Et s’il est vrai que certains de ses films s’enlisent parfois, en général dans leur dernière partie, dans une veine démonstrative un peu trop appuyée (voir THE VERY BLACK SHOW, par ailleurs passionnant, vif, foisonnant et drôle), l’énergie de sa mise en scène fait de lui un réalisateur hautement recommandable, ne serait-ce que pour des questions purement esthétiques. Ceci dit, Spike Lee est bien moins sentencieux et donneur de leçon qu’on a souvent pu le dire, dans la mesure où, comme c’est le cas dans ce superbe DO THE RIGHT THING, il se poste surtout dans une position d’observateur, attentif, sensible.
Le film se déroule sur une journée de canicule dans un quartier de Brooklyn, au terme de laquelle les conflits, qui ne sont pas seulement raciaux mais opposent aussi les sexes, les générations, les communautés ou, surtout, les positionnements individuels, vont déboucher sur une explosion de violence. Ne partez pas ! Car il serait vraiment dommage de passer à côté de cette petite merveille par peur de se retrouver face à un film à message ancré dans le social réaliste tendance petit documentaire fiction à la française, avec message de paix, d’amour et de bisous en fin de course. Après un générique électrisant (chorégraphie de l’actrice Rosie Perez), amorçant avec une énergie assez stupéfiante l’esthétique radicale du métrage (contrastes violents, couleurs saturées, plans basculés, angles et contre-plongées extrêmement expressifs – superbe travail du directeur de la photographie, Ernest Dickerson, plus tard réalisateur de l’intéressant BONES), générique qui introduit une chanson qui sera un élément maître de l’intrigue, DO THE RIGHT THING s’ouvre sur la voix-off de l’animateur d’une radio de quartier, présence neutre et bienveillante du seul personnage qui restera simple observateur de la flambée de violence), nous accompagnant, doucement mais fermement, dans la découverte d’un lieu en circuit fermé, un baril de poudre que la moindre étincelle peut embraser. Spike Lee va faire monter la pression avec subtilité, lentement, dans un climat étouffant renforcé par la chaleur accablante dont le poids est constamment révélé, tant par les séquences isolées (la bouche d’incendie) que par le travail sur la photographie.
Mais la grande intelligence de Spike Lee est précisément de ne pas enfermer son film dans un déroulé monochrome, et il parvient dans le même mouvement à introduire, sur la base de cette même atmosphère de tension et d’apathie, des plages d’apaisement, des instants d’une originalité soufflante – superbe séquence érotique des glaçons. Le film est, dans son ensemble, un plaisir de mise en scène, un dispositif où, par un simple changement d’axe, le point de vue de la caméra devient point de vue subjectif, un regard sans concession où une séquence célèbre du film LA NUIT DU CHASSEUR trouve un écho moderne aussi iconoclaste qu’il est pertinent. Et le récit bascule avec la même finesse, sur la base d’une broutille dérisoire sur le point de dégénérer, révélant des tensions plus sourdes, plus profondes, dans la dernière partie du film. Des tensions que Spike Lee aura su mettre à jour par la seule force de sa mise en scène, appuyé par une galerie de personnages impressionnante soutenue par de remarquables interprètes.
 
E comme… L’ENFANT DU DIABLE, de Peter Medak (Canada, 1980)
Titre idiot et totalement hors-sujet pour THE CHANGELLING de Peter Medak, dont il avait été question précédemment pour son très bon ROMEO IS BLEEDING. L’ENFANT DU DIABLE n’est donc pas le bébé de Rosemary, mais un enfant noyé hantant une demeure dans laquelle s’installe un musicien (George C.Scott) après le décès accidentel de sa femme et de sa fille. Celui-ci, confronté aux manifestations de plus en plus pressantes du fantôme de « l’enfant échangé » du titre original, va tenter de percer le mystère de sa disparition.
Alors que se déroule cette enquête de forme classique, aux implications de plus en plus clairement sociales et politiques, le film progresse dans une forme extrêmement soignée, se manifestant notamment par l’omniprésence de reflets au sol – lacs, asphalte humide… – suggérant très tôt la nature souterraine et le destin de la présence planant autour de George C.Scott. Très beau travail sur le cadre et sur le montage sonore (avec entre autres ce son martelé au sens propre du terme) pour un joli film conçu « à l’ancienne », très peu porté sur le spectaculaire et les effets spéciaux. Le revers de cette approche, outre une photographie un peu terne, c’est sans doute précisément son classicisme un peu trop convenu, académique et un rien désuet, pour un film qui succède à des œuvres esthétiquement et narrativement plus ambitieuses et plus abouties comme TRAUMA de Dan Curtis, ou le plus récent CERCLE INFERNAL de Richard Loncraine (magnifique film, récemment édité dans une copie atrocement recadrée, quelle déception !), auquel le film de Peter Medak ressemble sur plus d’un aspect, sans jamais parvenir à l’égaler. Une œuvre estimable mais datée.
 
F comme… FLESH, de Paul Morrissey (USA, 1968)
Si je connaissais déjà du trio Andy Warhol / Paul Morrissey / Joe Dallessandro le film DU SANG POUR DRACULA (je n’ai pas vu CHAIR POUR FRANKENSTEIN, et l’absence de VO sur les DVD de René Château ne m’encourage guère à sortir le portefeuille !), je n’avais jamais eu l’occasion de goûter à la trilogie FLESH / TRASH / HEAT. C’est chose faire avec ce FLESH observant la journée d’un jeune prostitué (Joe D.) marié avec enfant à une lesbienne, et très honnêtement, ça me fait une belle jambe !
Je ne suis pourtant pas hermétique au travail d’Andy Warhol, d’après ce que le (très) peu que j’ai vu de lui me donne à penser, mais je dois bien l’avouer, je ne suis absolument pas entré dans ce film, dans son esthétique minimaliste, principalement caractérisée par un montage cut (avec décrochements sonores parfaitement audibles) assez intéressant à vrai dire, mais qui est effectué constamment et sur toute la durée du métrage… J’avoue que le sale gosse qui sommeille en moi a fini par faire un parallèle entre ces coupes brusques saucissonnant chaque plan séquence et un épisode particulièrement réussi de FUTURAMA où les personnages sont confrontés à un dérèglement temporel générant des micro-bonds en avant dans le temps. Plans séquences, donc, exclusivement des plans fixes avec zoom avant / arrière, mais sans aucun soucis de cadrage, ce qui est ostensiblement assumé : les acteurs jouent devant ou autour de la caméra, semblant n’avoir que faire de la présence de la caméra, qui ne saisit de l’action que ce qui se présente accidentellement devant l’objectif. Et ça aussi, d’un certain point de vue, c’est intéressant, mais sur 90 minutes, j’avoue humblement que j’ai fini par développer une vraie lassitude. Le film se construit au fil des rencontres et des passes de Joe D., dans la plus totale vacuité : Joe pose nu pour un vieillard libidineux qui l’entretient des statues grecques et du culte du corps. Il échange quelques conseils avec de jeunes prostitués inexpérimentés, en se la jouant pro blasé et sûr de lui. Il passe un moment avec des amis travestis plongés dans la lecture de vieilles revues de cinéma, qui finissent par parler de statues grecques et du culte du corps – ce qui, finalement, tombe plutôt bien, car Joe joue nu dans une grande partie de ses scènes. L’ironie de la démarche ne m’échappe pas, mais elle ne m’en paraît pas moins creuse.
Il est évident qu’un tel film ait pu avoir un certain impact à la fin des années 60, autant parce qu’il aborde son sujet en l’ancrant dans la banalité d’un quotidien plutôt tranquille et insouciant (rien à voir avec la descente aux enfers de MACADAM COWBOY), et surtout parce qu’il le traite par le biais d’une mise en scène bien plus provocante dans sa forme que dans son propos. Problème, et ça n’engage que moi, mais en 2006, FLESH ne me paraît plus provoquer autre chose qu’un ennui profond.
 
G comme… GHOST WORLD, de Terry Zwigoff (USA/Angleterre/Allemagne, 2001)
Pour une fois, avec l’adaptation cinématographique d’une bande dessinée, je ne pars pas totalement ignare, puisqu’elle m’a été offerte il y a quelques années, et que je l’ai même lue et assez appréciée. De ce strict point de vue, le film de Terry Zwigoff, à qui l’on doit également l’intéressant BAD SANTA, est une bonne adaptation, qui parvient à restituer l’atmosphère, l’ironie et le désenchantement de l’œuvre adaptée, que le film prolonge de quelques sous-intrigues s’intégrant assez harmonieusement au projet d’ensemble (la classe d’arts plastiques animée par Illeana Douglas – sujet : Fraternité et Communauté : l’art comme dialogue, avec une hilarante parodie de cinéma expérimental), un projet qui pourrait être une version high school d’AMERICAN SPLENDOR.
S’ouvrant sur un générique rythmé par un clip de Bollywood, le film démarre donc très bien, car, je vous le rappelle, j’ai un faible prononcé pour ce cinéma-fleuve. Les vacances d’été démarrent elles aussi, un grand soulagement pour les deux héroïnes, adolescentes cyniques évoquant irrésistiblement l’univers de DARIA (en croisant deux camarades de classe, elles lâchent cette réflexion qui m’a bien fait rire : « Il devrait faire gaffe, il va attraper le sida en la violant ! »), heureuses de laisser le lycée derrière elles, une bonne fois pour toutes. Elles ont donc devant elles tout un été pour zoner et penser à leurs projets communs. Mais une mauvaise blague faite à un pauvre type un peu paumé (excellent Steve Buscemi) va venir bouleverser chez elles les certitudes et le cynisme un peu puéril, sentiment de toute puissance ironique qui se craquèle et s’ouvre sur un retour à la réalité, à l’amertume et aux désillusions. Terry Zwigoff porte presque exclusivement son attention sur des personnages en marge, tour à tour amusants et pathétiques, dans un petit microcosme réjouissant, soutenu par un beau sens du détail. Rien de très renversant pour un film bien écrit et correctement mis en scène, mais, à l’exception de la séquence finale, ratée et totalement inutile, GHOST WORLD distille un charme sombre assez séduisant.
 
H comme… HEAVEN, de Scott Reynolds (Nouvelle-Zélande/USA, 1998)
Cinéaste très prometteur, Scott Reynolds risque pourtant de sombrer dans les limbes s’il continue à être aussi mal et peu distribué. Son étonnant UGLY n’a connu qu’une diffusion très confidentielle en France, HEAVEN est sorti directement en vidéo, se voyant au passage privé de VOST (et bon sang, que la VF est mauvaise !), et son dernier film reste à ce jour invisible.
Martin Donovan, acteur découvert chez Hal Hartley, interprète ici un architecte sur le déclin, plongé dans un divorce houleux, sa femme ne supportant plus sa dépendance aux jeux d’argent. Dans le night-club au cœur duquel il joue au poker, il fait la connaissance de Heaven, travesti et médium, étrange personnage capable de voir le futur, non pas ce qui pourrait arriver (il ne peut pas changer le cours des événements), mais bien ce qui va se passer, ce qu’il essaie « d’obscurcir », mais pas « d’occulter » comme il le précise. Exploité, manipulé tant pour sa nature que pour ses dons de divination, Heaven est au centre d’un récit complexe, le personnage vers lequel converge chaque parcours, tissant des liens d’amitié avec Martin Donovan pour le remercier du geste qu’il fera un jour. Le récit est noir, torturé, constamment déstructuré, Scott Reynolds rendant particulièrement difficile la tâche de différencier le souvenir, l’image mentale ou la prémonition. Moins ouvertement abstrait et fantastique que UGLY, souvent bêtement pris pour un film de serial-killer dérivé du SILENCE DES AGNEAUX, HEAVEN, lui-même assimilé à une variation de CRYING GAME, ce qu’il n’est pas, développe dans son intrigue un élément surnaturel passionnant, car totalement lié au travail de montage et de narration. Et de ce point de vue, le film sert avec un véritable talent ses objectifs, la mise en scène de Reynolds étant parfois impressionnante dans ses dispositifs, superposant notamment deux conversations ayant eu lieu à deux temps différents dans le même décor d’un restaurant, ou par le même mode (téléphone, dictaphone), les propos rapportés et parfois déformés déviant peu à peu, avec une subtilité étonnante, vers une conversation exclusivement induite et dirigée par le montage. Dans sa dernière partie, ce très bel exercice de style dévoile un projet singulier : c’est un film noir à la narration disloquée, ce que l’on a déjà pu observer ailleurs, mais la déstructuration est ici littérale et personnifiée par le superbe personnage d’Heaven, trans humain, calculateur et manipulé, extraverti et opaque, inquiétant et émouvant.
 
I comme… IN THE WOODS, de Lynn Drzick (USA, 1999)
“Dans les bois, nous annonce la jaquette, les cris ne peuvent rien changer!”. Très juste. Surtout quand l’action se déroule presque exclusivement en ville. Après le succès considérable du PROJET BLAIR WITCH (à mes yeux, un concept malin et original pour un résultat décevant), la forêt est soudain devenue un incontournable sujet d’inspiration, dont j’avais découvert une variation filandreuse avec le suédois THE UNKNOWN. En voici un autre succédané un peu fauché, qui s’adonne cependant bien plus au classique film de monstre, et ressemble en fait à un remake Z de RAZORBACK.
Ambiance trouble dans une petite ville américaine : un insaisissable homme sauvage assassine, les hamsters de l’animalerie du coin se mangent entre eux, et comme les maisons brûlent en cas d’incendie, la vie est décidément bien dure pour notre héros, pompier de son état. Partie chasser avec un collègue pour oublier les problèmes du quotidien (à commencer par sa femme, dont je me demande si l’intention était bien de la rendre aussi antipathique, ou si Lynn Drzick, également scénariste, considère vraiment qu’il est normal d’accueillir son conjoint à coups de baffes s’il a le malheur d’avoir bu une bière pour se changer les idées après avoir vu une jeune fille périr brûlée vive), notre pompier découvre dans les bois une tombe, et comme il se demande si, des fois, ce ne serait pas une victime du tueur qui rôde, il décide de creuser, pour voir. Et bien non ! Il déterre en fait les restes d’une créature, qui retrouve alors la vie et se met à faire ses propres victimes dans son coin, rapportant les restes humains à notre héros comme le ferait un chat fier de ses exactions.
Dans le genre inepte, laid, passionnant comme un rat mort et hautement incohérent, IN THE WOODS pourrait être exemplaire. Si j’ai bien suivi, la créature en question ne serait qu’un chien, mais attention : un chien tué par un autre monstre, si, si, un monstre créé il y a plusieurs siècles par des sorciers pour être utilisé lors de batailles opposant des royaumes en guerre (superbe flash-back où deux figurants vaguement costumés et n’ayant visiblement jamais tenu une épée entre les mains font semblant de se battre dans la forêt, une information précieuse transmise par télépathie à notre héros par le monstre n°2). Problème(s) : déterré par le pompier, le chien-monstre le prend pour son maître, tandis que le monstre-monstre veut re-tuer le chien (« j’ai dit couché !!! »), la solution pour mettre un terme à cette terrible histoire (et à ce métrage épouvantable) est donc toute trouvée : il faut ré-enterrer Médor. Ils auraient pu trouver plus con encore, mais il aurait fallu trouver les financements pour soutenir l’écriture, et avec l’homme sauvage, fausse piste mollement suivie qui ralentit considérablement une intrigue qui n’en avait surtout pas besoin, c’est déjà suffisamment dense comme ça, merci.
 
K comme… KILLER, JOURNAL D’UN ASSASSIN, de Tim Metcalfe (USA, 1996)
Réalisé par le scénariste de l’intéressant KALIFORNIA et produit par Oliver Stone, KILLER nous est vendu comme un énième film de serial killer qui trouve sa supposée originalité dans sa base historique (le film est un récit de l’incarcération de l’assassin Carl Panzram) et dans sa réflexion sur le bien fondé de la peine de mort.
En réalité, le film est en retard d’une guerre, ou de plusieurs, ne serait-ce que par son scénario, très proche du roman « De Sang Froid » de Truman Capote, l’académisme en plus. Après une introduction faussement documentaire, le film s’enlise vite dans une mise en scène plate et, via le personnage de ce jeune juif idéaliste, fraîchement embauché comme gardien de prison, et qui va découvrir que Carl n’est pas un monstre mais un être humain qui souffre, le projet s’enferme prestement dans une écriture trop évidente : on voit très vite, et trop bien, vers quoi ce petit film soigné mais insignifiant nous mène. Film à costumes, film de prison, reconstitution historique et discours humaniste louable certes, mais affreusement terne et démonstratif. Les efforts de mise en scène du réalisateur semblent assez vains, s’appuyant trop exclusivement sur un scénario appliqué qui s’efforce timidement de bousculer la narration par le biais de flash-back (symbolisés par un passage au noir et blanc lors des transitions) et le recours à des images d’archives sur fond de voix-off dont on use et abuse jusqu’à la rendre parfois insupportable. Aucun risque ici de se perdre, et les efforts de Metcalfe tendent surtout à maintenir dans cette alternance du passé et du présent les pieds du spectateur solidement collés au plancher des vaches. Au bout du compte, KILLER ressemble surtout à du téléfilm de luxe, soucieux de paraître sérieux, méprisant la volonté de choquer, mais également incapable de déranger ou de questionner son spectateur. Pas très intéressant.
 
L comme… LE LOCATAIRE, de Roman Polanski (France/USA, 1976)
S’il serait sans doute un peu injuste de dire de Polanski qu’il est artistiquement mort, force est de constater qu’il ne se met plus en danger depuis un bon moment, voguant sur les plages tranquilles du cinéma consensuel – LE PIANISTE, OLIVER TWIST), ses dernières œuvres « sulfureuses » (LA NEUVIÈME PORTE, ou LUNES DE FIEL que je viens de revoir) étant de très bons films, pourtant à cent coudées en dessous du cinéma intense et halluciné des années 60/70.
Il est donc toujours bon de revisiter les débuts de carrière du cinéaste, d’une puissance restée inégalée, comme c’est le cas pour ce LOCATAIRE cauchemardesque, film qui semble clore ce que l’on pourrait considérer comme une forme de trilogie, ouverte en 1965 avec RÉPULSION et prolongée en 1968 avec ROSEMARY’S BABY : trois peintures brillantes empreintes de folie, d’angoisse et de paranoïa dépressive, poisseuse, hautement inconfortable, trois films se déroulant dans trois métropoles (Londres pour RÉPULSION, New York pour ROSEMARY’S BABY et Paris pour LE LOCATAIRE) perçues chacune par le prisme déformant du regard subjectif de personnages sombrant peu à peu dans un délire aux contours abstraits, frôlant de façon presque impalpable avec le fantastique. De tons et de formes assez différentes, ces trois œuvres, qui comptent parmi ce que Polanski a produit de plus remarquable, illustrent dans des approches surprenantes une vision dérangeante de la psychose, vécue, douloureusement, de l’intérieur : psychose meurtrière de Catherine Deneuve dans le huis clos d’un appartement se dégradant en parfaite harmonie avec des fêlures mentales données à voir de façon spectaculaire et terrifiante ; impressionnante plongée dans la paranoïa d’une femme enceinte, Mia Farrow, persuadée d’être l’objet d’un complot sataniste peut-être avéré.
L’occasion m’est fournie par la redécouverte du film en DVD de le voir en version originale, jamais diffusée en France pour la simple et bonne raison que le film, co-production entre la France et les Etats-Unis, a été post-synchronisé dans les deux versions – à vue de nez, un tiers du film a été tourné en français, le reste étant en anglais. La version française est très bien conçue, et les voix anglaises peuvent être un peu déstabilisantes quand interviennent certains acteurs comme Gérard Jugnot, Claude Piéplu, Josiane Balasko ou Michel Blanc, mais voir le film en anglais s’avère très intéressant, pour les belles prestations de Shelley Winters ou Melvyn Douglas, mais aussi pour le décalage dans la perception du film lorsque, comme c’est mon cas, on l’a déjà vu à plusieurs reprises. C’est par le biais d’un stupéfiant plan séquence, d’une complexité préfigurant une séquence célèbre du TÉNÈBRES de Dario Argento, que s’ouvre ce film étrange, un générique troublant, porté par le très beau thème composé par Philippe Sarde, à la fois paisible et lugubre, et qui introduit d’emblée, par de discrets effets visuels, les éléments fondateurs de l’enfer que nous nous apprêtons à découvrir – schizophrénie, ubiquité. Adapté de Roland Topor, LE LOCATAIRE développe un élément absent de RÉPULSION et de ROSEMARY’S BABY, à savoir un humour noir prononcé et très porté sur l’absurde, un humour désespéré en tout cas, qui ne vient jamais, bien au contraire, désamorcer la tension grimpante et galopante d’un récit s’achevant sur un paradoxe effarant, souligné par un hurlement indescriptible et définitif.
Roman Polanski interprète le rôle principal, celui de Trelkovsky, petit employé de bureau timide et maladroit, qui s’installe dans un appartement libéré suite au suicide de son locataire précédent, Simone Schoule, hospitalisée dans un état désespéré après s’être défenestrée. Trelkovsky se retrouve vite pris dans les tirs croisés de querelles de voisinage, féroce lutte de pouvoir où les forts, tyranniques, écrasent et humilient les faibles, martyrisés. Une atmosphère caustique et très sociale, qui s’émaille peu à peu de touches d’étrangeté de plus en plus inquiétantes et illogiques, alors que Trelkovsky se persuade de la malveillance de son entourage, et de sa volonté de le voir remplacer Simone Schoule, corps et âme. Voyeurisme, paranoïa, humiliation, travestissement, accès inquiétants de violence (qui, naturellement, se tourne alors vers les plus faibles, comme dans cette hallucinante séquence du parc, montrant Polanski administrer, brutalement et sans raison, une gifle spectaculaire à un enfant en larmes), le film se fait de plus en plus inconfortable, avant de basculer dans sa dernière partie, traversée d’hallucinations glaçantes, sur un registre totalement cauchemardesque. Un parcours exprimant une terreur et un mal-être intenses, un film qui vous fera souffrir et à côté duquel vous ne devez donc surtout pas passer.
 
M comme… MACISTE ET LES FILLES DE LA VALLÉE, de Tanio Boccia (Italie, 1964)
Bon, on a eu quand même très peur, et on se sent très mal maintenant, c’est malin – mais après tout, n’est-ce pas précisément ce que l’on vient chercher, et ce que l’on ne trouve presque jamais, dans le registre de l’épouvante ? Quoi qu’il en soit, cette aventure de Maciste va faire une pause et nous permettre de souffler un peu.
Va pour Maciste et les filles de la vallée (« salut Maciste ! Tunique ? »), petit péplum des familles comme il s’en produisait à la chaîne à l’époque en Italie, un genre comparable au film de cape et d’épée français dans sa gestion du cahier des charges, n’esquivant aucun poncif, mais souvent préférable à sa ré-appropriation hollywoodienne d’un académisme ronflant. On est tout de même ici dans le dessous de panier. Le résumé annoncé par la jaquette n’a bien sûr strictement rien à voir avec le récit à l’écran – oui, mais bon, vous n’imaginez tout de même pas qu’on va le regarder avant de la rédiger, non plus, hein, nous, on veut bien le vendre, mais c’est vraiment tout. Pas de Maciste vivant des jours paisibles entouré de filles dans une vallée avant d’accepter à contre-cœur d’aller jouer les redresseurs de torts, donc, mais à la place, nous avons droit au récit des exactions de la perfide princesse Fedora (Tarina ? Tarama ? Fadira ? J’ai oublié.), laquelle convoite, dans son désir sans fin de conquête, la Vallée des Verts Pâturages, site idyllique inaccessible car protégé des dieux par l’infranchissable Vallée des Échos Tonnants. Seul le clan des Gamali, peuple d’au moins douze personnes en exode, errant à la recherche des Verts Pâturages, peut accéder à ce paradis terrestre. Aussi, la princesse Trucmuche décide de s’attaquer à eux pour obtenir, d’une façon ou d’une autre, l’accès au site convoité. Ça va mal ! Alors un prêtre va dans une caverne faire une prière ou deux, et pouf ! Dans un éclair de fumée, les dieux emplis de mansuétude leurs envoient le fier Maciste, qui apparaît dans la grotte frais, dispos et huilé. Et c’est parti pour un tunnel, assez laborieux pour tout dire, de lancer de rochers, de combats, de trahisons, de manipulations, de musique pompière, de décors et de costumes mille fois recyclés, et rassurez-vous : les Gamali iront paître dans les Verts Pâturages, et les méchants seront punis.
Pas exactement du cinéma qui m’excite en somme. Je me suis tout de même un peu réveillé à deux reprises. D’abord lors d’une séquence où Maciste monte un cheval qui n’a pas l’air très content de faire du cinéma et semble fort gêné par son mors, ce qui a pour conséquence de le voir la gueule constamment grande ouverte quand elle ne tente pas de surpasser le musculeux Kirk Morris dans l’art difficile de la post-synchronisation : largement de quoi vous faire sourire, je pense. Ensuite lors de la visite du cœur caverneux de la Vallée des Échos Tonnants, seul passage du film présentant quelques petites qualités plastiques (belle photographie) et un peu de fantaisie. Pour le reste, à moins d’être un inconditionnel forcené du genre, le film ne présente pas l’ombre d’un intérêt.
 
N comme… NIGHT TERRORS, de Tobe Hooper (Canada/Egypte/USA, 1993)
Après le médiocre SPONTANEOUS COMBUSTION et avant LE CROCODILE DE LA MORT, je continue d’explorer les fonds de tiroir et les petites raretés de la carrière inégale et déclinante de Tobe Hooper avec ce NIGHT TERRORS (ou NIGHTMARE) produit en catastrophe par la firme Cannon, elle-même en pleine débâcle. Bombardé sur le projet quelques jours avant le début du tournage d’un film sans scénario (comme le pauvre Jean Rollin à l’époque du désopilant LAC DES MORTS-VIVANTS) après le désistement du réalisateur Gerry O’Hara (auteur de FANNY HILL, qui n’est pas la fille de Benny, lequel ira se consoler en mettant en boîte un MUMMY LIVES interprété par Tony Curtis, film à la réputation désastreuse), Tobe Hooper fait ce qu’il peut pour sauver les meubles. Avec enthousiasme, car il considère tout de même que ce NIGHT TERRORS a marqué le début d’un retour aux affaires, à vrai dire peu concluant malgré la réussite relative du correct THE MANGLER. On jugera sur pièce avec son intriguant MORTUARY, le cinéaste n’ayant pas connu de distribution en salles depuis des lustres.
Retour aux affaires, c’est un peu vite dit au vu de ce film incohérent qui, après une introduction nous présentant le Marquis de Sade (Robert Englund) emprisonné mais toujours aussi maléfique, qui incite un prisonnier à se crever les yeux juste en lui parlant, nous balance dans l’époque contemporaine, sur les pas de Genie, qui débarque en Égypte pour retrouver son archéologue de papa (William Finley, toujours aussi improbable, célèbre pour son rôle dans PHANTOM OF THE PARADISE). Elle est bientôt menacée par l’emprise de Paul Chevalier (Robert Englund itou), probable réincarnation de Sade, qui convoite son innocence et sa jeunesse. Difficile à avaler tout de même, Genie étant interprétée par l’actrice Zoe Trilling, dont on a pu admirer l’absence de talent dans THE BORROWER de John McNaughton, DEMON HOUSE II ou encore HELLBOUND avec Chuck Norris (disponible en DVD chez Prism Leisure sous le titre grotesque « FLIC OU ENFER »). Une comédienne qui irradie une vulgarité hallucinante mais que l’on essaie de nous vendre ici comme une pure et douce créature, ce qui risque fort d’en faire ricaner certains.
Au fil d’une intrigue totalement décousue, on apprécie tout de même un assez beau travail sur la photographie qui parvient à rendre le métrage agréable, surtout par comparaison avec le terne et laid SPONTANEOUS COMBUSTION. Bien sûr, le Marquis de Sade nous est ici vendu comme un monstre de machiavélisme, Tobe Hooper poussant le bouchon jusqu’à nous envoyer dans les pattes des séquences oniriques « à la Freddy Krueger », un personnage de série Z qui n’a donc strictement rien à voir avec Sade – et je ne rate pas l’occasion pour vous orienter au passage vers le magnifique QUILLS de Philip Kaufman. Tobe Hooper avoue puiser son inspiration dans l’œuvre de Ken Russell, dont il parvient certes à restituer le goût pour la vulgarité tapageuse (voir cette séquence érotique sous une tente baignée dans une violente couleur rose bonbon), mais dont il n’égale pas, loin s’en faut, la puissance visuelle, les séquences oniriques évoquant bien davantage un GOTHIC de prisunic qu’autre chose. Il en découle un penchant marqué pour le ridicule, assez divertissant avec un peu d’indulgence, mais trop creux, improvisé et cousu de fil blanc (à aucun moment les flash-back sur le Marquis de Sade ne viennent enrichir le récit ou simplement trouver une justification narrative ou esthétique). Un puzzle assemblé à coups de poing, grotesque, vulgaire, décadent ? J’aurais été nettement plus intéressé si ça avait été le cas, mais la nullité vertigineuse de l’interprétation et l’accumulation molle de scènes foncièrement inutiles privent le film de cet état de grâce.
 
Bref, sur ce je vous abandonne dans l’attente de la seconde partie, car on ne vide pas la mer avec une petite cuillère, ni avec une louche d’ailleurs, et je vais de ce pas plonger dans la suite de la sélection.
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L
Soyons justes, la fin de GHOST WORLD n'est pas infâmante non plus, je trouve juste qu'elle tape un peu en dessous par rapport à ce qui précédait : c'est vrai que c'est un assez beau film.<br /> Sinon, je crois que tout le monde a eu une période de ras-le-bol de Spike Lee, moi inclus, ce qui est un peu injuste, la plupart de ses films étant quand même bougrement intéressants. Si tu ne les a pas vus, je te recommande vivement SUMMER OF SAM, CLOCKERS ou THE VERY BLACK SHOW.
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D
D'accord avec toi pour "Do the right thing", très bon film de Spike Lee. Je viens de découvrir "Inside man" alors que je n'allais plus voir ses films depuis longtemps. J'ai été très agréablement surpris par ce film de genre qui se donne les moyens d'être aussi brillant qu'intelligent. Je te le conseille.<br /> J'avais aussi bien accroché à "Ghost world", joli film sensible mais, à mon grand damn, je ne parviens pas à me souvenir de la fin...<br />  Content en tout cas de retrouver cet abécédaire toujours aussi passionnant...
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L
Je ne suis pas trop d'accord concernant CURSED : je trouve au contraire la créature très belle et fort adroitement montrée (quand la synthèse ne prend pas trop le relais). Parler d'indigence me semble quand même un peu rude, le film me paraissant vraiment bien mis en scène - et sur ce plan, nettement au-dessus de la moyenne de ce qu'on nous balance parfois dans les pattes (je viens de voir SAW, et ça, c'est vraiment indigent). Pour ce qui est de la niaiserie infantile, je ne vois pas non plus, si ce n'est que Wes Craven retrouve ici un ton ironique empreint de références au conte, comme dans bon nombre de ses films précédents. CURSED n'est pas son film le plus abouti, loin de là, mais vaut mieux que L'AMIE MORTELLE, LA COLLINE A DES YEUX II ou L'ETE DE LA PEUR, pour le coup vraiment très mauvais. J'ai toujours considéré Wes Craven comme un réalisateur très inégal, ce n'est donc pas du copinage aveugle : CURSED comporte quelques défauts, mais je le trouve sincèrement estimable.<br /> Pour GHOST WORLD, j'apprécie beaucoup la conclusion, du moins celle que tu évoques. Ce qui m'a beaucoup déplu, c'est cette scène inutile et ratée montrant Steve Buscemi accompagné par sa mère chez le psy, scène pas drôle et peu justifiable à mes yeux, ainsi que le plan final (le départ effectif) qui m'a semblé assez mal réalisé, surtout au vu du reste du film : je l'aurais personnellement bouclé deux ou trois minutes plus tôt.
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L
Plusieurs choses :<br /> d'abord "betement" approuver ce que tu dis sur le film de Polanski, personnellement mon préféré dans sa filmo. Tu fais bien d'en souligner la terreur et la causticité : le mélange des deux est ici porté à un paroxysme incroyable. On rit et on souffre beaucoup. C'est trés traumatisant. <br />  <br /> Je comprends que tu sois indulgeant avec Cursed qui en vidéo doit passer pour une sympathique aberration (avec son loup garou trés Z), mais quand même quelle niaiserie infantile, quelle indigence. Et ma Christina transparente et assexuée comme jamais, un comble vu le role. Quand même quel gachis !<br />  <br /> Ah enfin Ghost World, sur la fin. Ok, la fin de la BD était trés belle ("You've grown into a beautiful young woman.") mais cette fin avec le bus est quand même assez sublime, absurde, amére, mélancolique (trés belle musique de David Kitay), grincante : l'une des rares qui m'ait tiré les larmes.
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