DEER WOMAN (série MASTERS OF HORROR, saison 1, épisode 7, USA-2006) : Honkytonk Woman, Honkytonk Blue...

Publié le par Dr Devo

"Deer Wendy..." (Le Marquis)

Chers Focaliens,

La ballade des gens malheureux continue, et même, pourrait-on dire, celle des gens horrifiés, car voilà un nouvel épisode de la série MASTERS OF HORROR. La dernière fois que nous nous étions lus, c'était à l'occasion de HOMECOMING, le bel épisode de Joe Dante. On enchaîne aujourd'hui avec celui de John Landis, son vieux complice.

John Landis est peut-être célèbre pour son fameux BLUES BROTHERS, certes. Je ne suis pas un grand fan du film en ce qui me concerne, et aussi sympathique soit-il.
Ceci étant dit, il fait toujours bon, ou presque, de se ballader dans la filmographie du Monsieur. On avait déjà dit ici tout le bien qu'on pensait de son vieux AMERICAN COLLEGE. Sur un autre mode que Dante, on peut dire que Landis, grand fournisseur de films populaires lui aussi, arrive, à l'instar de Dante, à faire des films vraiment passionnants, qui ne renoncent jamais à flirter curieusement avec le social (généralement avec humour, discrétion et discrétion), et le portrait qu'ils brossent de leurs contemporains sont en général pas piqués du hanneton. C’est un univers assez noir, sans le paraître. Et le bonhomme, toujours comme son vieux complice Dante, ne renonce jamais à dépeindre l'ambiguïté de la Société, gros oppresseur d'individus, thème qui nous fait toujours plaisir ! Alors oui, bien sûr, l'opus de Landis pour cette série MASTERS OF HORROR, on l'attend de pied ferme !

DEER WOMAN se passe de nos jours aux USA. Brian Benben (acteur que je ne connaissais pas) est un inspecteur de police d'une quarantaine d'années. Malgré son professionnalisme sans faille et un souci du détail et de l'observation impressionnant, il est chargé des enquêtes concernant les animaux et les problèmes que ceux-ci peuvent entraîner ! Voilà un job bien mineur et bien singulier. Benben en effet, dans le cadre de cette mission de service public un peu spéciale, ne fait quasiment rien d'intéressant, les affaires qu'il traite se résumant en général à des querelles de voisinage entre personnes du troisième âge par animaux interposés ! Voilà qui lui laisse tout le temps pour déprimer, s'enfoncer dans le souvenir de sa femme qui, depuis bien longtemps, l'a laissé tomber. Une vie bien terne en quelque sorte. Et pleine de solitude.
Un événement imprévu survient néanmoins. Benben est appelé sur une scène de crime bien étrange. Un routier s'est fait violemment frapper et déchiqueter dans la cabine de son camion qui était garé près d'un pub à routiers, ça tombe bien. Le cadavre n'est pas beau à voir, et il reste plus de morceaux de chair informes que de choses ressemblant aux ex-membres d'un corps humain ! Les indices sont minces et contradictoires. Le routier, gentil plouc même pas beau gosse, aurait été vu, avant de sortir du pub, avec une sublimissime jeune femme indienne, laquelle serait entrée avec lui dans la cabine du camion. Personne ne l'avait jamais vue. Et il ne subsiste d'elle aucune trace. La lourde portière du camion a été défoncée d'un seul coup (de l'intérieur), puis remise en place comme si de rien n’était. De plus, quand les collègues de la victime ont découvert le corps, une dizaine de cerfs mâles traînaient autour du camion ! Bizarre. Comme il est flic de seconde zone, Benben se voit retirer l'affaire au profit de ses arrogants collègues de la police criminelle ! Mais des meurtres semblables surviennent, sans aucun lien entre eux. À chaque fois, le scénario est le même : une jeune indienne ultra-sexy disparaît avec la victime, toujours un homme, et le lendemain, on ne trouve plus de traces de la belle. Par contre, le bonhomme est toujours atrocement déchiqueté. Benben continue en loucedé son enquête. Il découvre que le corps des victimes contient des traces d'ADN de cerf ! L'enquête est donc de plus en plus absurde et incompréhensible ! C'est pas gagné !

Sacré Loulou, l'ami John ! Mon résumé garde le suspense (à peine), alors que DEER WOMAN, le film, ne fait aucun effort pour dissimuler son principe. La séquence d'introduction ne laisse aucun suspense quant au fin mot de l'histoire. C'est du rapide, c'est du classique, et ça rentre dans le vif du sujet en quelques secondes, ce qui est toujours fort agréable. Donc, l'énigme est réduite à son expression la plus attendue. En un mot, on sait qui a fait le coup et pourquoi. On est donc bien loin de l'introduction chaotique et éclatée de DANCE OF THE DEAD, l'épisode réalisé par Tobe Hopper. Ceci dit, entre le splendouillisme über alles et quand même assez vain de l'opus du réalisateur de MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE (tu la sens, la périphrase qui monte ?), et ce DEER WOMAN, c'est l'opposition quasi-complète justement. Le récit est ici dépouillé, avance en terrain connu en utilisant pour la énième fois un thème classique du cinéma fantastique. Bon. Ceci dit, Landis réussit haut la main à livrer une copie complètement délicieuse, et malgré le sujet et certains développements ouvertement burlesques, l'ami John nous touche beaucoup plus que l'ami
Tobe, sans conteste.

Tout d'abord, on est de suite emporté par une réalisation vraiment très soignée, et la mise en scène se permet de jolies gourmandises qui là, par contre, surprennent dans une série où le cahier des charges doit être assez serré malgré la carte blanche, et qui étonnent aussi parce que, justement, le récit est classique mais du coup, la réalisation, elle, est largement surprenante. Le flacon-récit est classique, mais pas la mise en scène. La spatialisation des décors, tous très bien choisis malgré leur relative banalité, est dynamique, que ce soit dans les scènes du quotidien ou dans les scènes d'action. On soulignera le fait que ces dernières utilisent les effets numériques avec parcimonie mais aussi avec un flair certain dans l'échelle de plans qui donne un réel effet de réalisme et de suspense à des actions qui auraient dû paraître kitsch et ridicules. Le générique de début est tout aussi simple mais inquiétant, en deux coups de cuillère à fondue ! Bravo. Rien à dire non plus sur la photo, doucement élégante, et qui, comme c'est souvent le cas dans les bons épisodes de la série, donne un aspect luxueux et soigné à la chose. Landis prouve, à la fois à travers l'action et dans le découpage narratif, assez vif vu le sujet, qu'il sait monter, et ça les cocos, ça fait toute la différence. [On note entre autres une conscience du rythme et du cadre tout à fait malicieuse, comme ce plan vide sur le camion, dont on se dit qu'il est génial qu'il dure aussi longtemps, et on se met à râler quand Landis fait son travelling, qu'il interrompt avec violence : on s'est fait avoir ! On est passé du : "oh la belle idée que d'arrêter le film" à "c'est quoi ce travelling, c'est vulgaire et ça gâche tout !" pour finir sur un "tu m'as bien eu, John !"]

Et puis il y a les enjeux. Le personnage principal du policier, archétype dont on nous a déjà rebattu mille fois les oreilles, est complètement bouleversant, sans pathos (cf. comment Landis envoie tranquillement le récit de sa déchéance autour d'un sandwich, sans s'attarder). Il faut bien le dire, Benben est excellentissime dans le rôle. Mais ce n'est pas tout. On comprend, à travers le personnage et à travers les béances grosses ou discrètes de la narration, qu'il y a un autre enjeu derrière les poncifs. Ce qui fait que ce film marche et touche autant son spectateur, c'est justement cette manière de parler en sous-marin d'autre chose (sans que ce soit symbolisant, ni que ce soit contradictoire avec le récit principal). Le film est autant construit sur sa base en béton Bouygues que dans ses interstices, et là, bonjour l'humour et bonjour tristesse !

Landis décrit un paquet de personnages fabuleusement seuls, ou mis sur la touche, ou au placard, avec un joli sens de la pudeur, un joli sens de la sécheresse bien loin par exemple de l'hollywoodisme d'un MILLION DOLLAR BABY (ah ! Ça faisait longtemps), par exemple. Pas de romantisme ici, à peine une phrase par ci par là, la solitude est rêche, fatigante, usante, ralentissante. On a donc ici une belle palette de vaincus ou de ringardosses : infirmier collant et pathétique (séquence très drôle de méprise sur le dialogue, finement jouée, et hop ! dix francs de le nourrin), agent de police noir qui ne fera jamais que mettre des PV aux voitures mal garées, jolie femme coroner au comportement un peu trop foufou pour faire partie des personnages principaux, policier asiatique de base, préposé au comptoir d'accueil du commissariat et à la "figuration intelligente" (comme on dit dans le bizenesse), et surtout les victime de la Chose : un ou deux arrogants, certes, et ça fait plaisir, mais surtout de gros ploucs solitaires. Un des moments à fendre le cœur de DEER WOMAN est cette réflexion du policier noir, ce "Ah merde !" dit au téléphone, tout simplement bouleversant par sa simplicité et surtout par sa vitesse : et oui, c'est évident, il s'est mené par le bout de sa solitude. Une petite réplique, mais assez violente dans toute sa simplicité. Tout ces personnages sont des zéros, des has-been dans le meilleur des cas, des never-rien le plus souvent. Solitude = misère sociale et misère affective ! Bonjour le calcul intégral.

Ceci dit, ce n'est pas non plus pour ça qu'il faut mettre son bonnet de nuit. Ce sont des foutus, mais ce sont des passionnés, et qui se battent. Et ces héros ratés sont bien à l'image du film, malins et dynamiques. Car le véritable péché serait de faire un portrait de ce DEER WOMAN comme étant seulement noir ! Que nenni, les amis. On rigole, et à tire-larigot encore, et même à qui mieux-mieux si j'ose dire. Les personnages sont souvent assez cocasses et incisifs pour ça. Landis glisse une franche ironie quasiment partout, et propulse ses acteurs avec panache. Ces derniers semblent avoir compris les indications du maître, et ne se contentent pas de jouer dans le genre, mais bien au contraire de faire montre de précision. Certains des passages les plus burlesques sont joués sur le fil avec une belle maîtrise, à l'instar de la première scène de séduction de l'indienne sexy, ici véritable Barbie option Pocahontas, mâtinée de mannequin greluche. Il en faudrait peu pour que l'on tombe dans la potacherie la plus satisfaite, mais non. Landis se permet tout ou presque (cf. la scène de réflexion fantasmée, qui soit dit au passage est sublimissime : superbe intro, malpolitesse de faire ce qui devrait être rédhibitoire (la marionnette du daim) et qui devrait fâcher tout le monde ; et encore une fois, grand tempo qui nous fait presque croire que, pour la deuxième fois, le film va s'arrêter là). Dans chaque détail comique, il y a toujours la sensibilité du propos sous-jacent, et cette souffrance de la marge. J'en profite pour dire, puisque je pense à cet acteur formidable qui joue le gérant indien du casino, que tous sont très bons, y compris les plus petits seconds rôles. Avec un tel dispositif, Landis peut se permettre les plus fines nuances et le luxe de "mettre le doigt" sur les choses et les sentiments les plus fugaces. La trame lourde du genre et les interstices sous-jacents s'interpénètrent avec beauté et s'enrichissent mutuellement.

La conclusion sera poétique et superbe (ce n'était que ça, ben oui, pas de surenchère, l'essence fantastique et incongrue uniquement). À l'aune de cette fin et de la fameuse scène de la marionnette-daim, il est évident que Landis dresse un solide et émouvant autoportrait. Et l'hommage qu'il rend à ces seconds couteaux et au genre dans son expression la plus simple et la plus forte est beau, simplement. Landis se met dans le clan des has-been, sans conteste, et montre qu'il est encore prêt à combattre. Une belle résistance et un acte que les cinéastes de genre (action ou fantastique) feraient bien de méditer. Ainsi qu'une partie du public. Et pour ceux à qui ça ne plait pas, UNDERWORLD II sort la semaine prochaine. Choisis ton camp !

Passionnément Vôtre,

Dr Devo.

Retrouvez d'autres articles sur la série MASTERS OF HORROR en cliquant ici !

Retrouvez d'autres articles sur d'autres films, en accédant à l'Index des Films Abordés : cliquez ici !

Publié dans Lucarnus Magica

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Juste un petit mot en passant pour dire que Brian Benben était l'acteur principal de DREAM ON, série produite par John Landis et qui date du début des années 90. Elle fit les beaux jours de Canal Jimmy...
Répondre