INSTINCTS MEURTRIERS, de Philip Kaufman (USA-2002) : La Flasque et La Brume

Publié le par Dr Devo

(Photo : "La seule question qui vale" par Dr Devo).

Chers Focaliens, Chères Focaliennes,
 
La vie réserve des surprises. Je pensais vous parler aujourd'hui du film INSTINCTS MEURTRIERS de Philip Kaufman, que nous avons vu avant-hier le Marquis et moi-même, histoire d'aller faire un tour dans la série A (mais en restant sans le savoir dans le film de sewieul killah). On va quand même parler de ce film, mais assez rapidement, car en effet, hier, nous avons continué avec Kaufman en voyant son film précédent, QUILLS. Et là, les amis, il faut qu'on en parle ! [Demain !]
 
Kaufman est un réalisateur tout à fait discret et éminemment sympathique. Il commence à tourner à la fin des années 60, et tourne toujours d'ailleurs, mais il n'a réalisé que 12 films, dont le plus célèbre est sans doute son remake de L'INVASION DES PROFANATEURS DE SEPULTURES, très beau film (et rempli d'un désespoir à vous crever le cœur), dont on se souvient longtemps, et pas seulement à cause des formidables performances de Donald Sutherland et Brooke Adams !
 
INSTINCTS MEURTRIERS, quel titre anonyme et con-con (TWISTED en VO). C'est bizarre d'ailleurs, ça na pas marché en France ! Belle affiche pourtant pour ce thriller, puisqu'on y retrouve Andy Garcia, Samuel Jackson et Ashley Judd, la file qui parle 125 langues couramment, dont le français, mais qui est incroyablement sympathique malgré cela, contrairement à Jodie Foster (la femme, pas l'actrice), cette pimbêche dont je vous rappelle que je ne lui ferai des bisous que quand elle aura cessé de nous donner des cours de français avec son air de maîtresse de CP, et de dire à tout bout de champ des mots comme nonobstant. Fermons la parenthèse.
Ashley Judd, jeune inspectrice de police à San Francisco, fête dans un bar, avec ses collègues, l'arrestation d'un dangereux maniaque, arrestation qui lui vaut, dès le lendemain, une promotion, puisqu'elle devient commissaire dans la prestigieuse mais difficile police criminelle, où elle pourra donner sans doute toute l'étendue de son talent et mettre à profit l'enseignement de Samuel Jackson, inspecteur lui aussi. Jackson lui a tout appris et l'a même élevée, ma petite Ashley. En effet, le père de cette dernière, un homme tranquille, inspecteur de police (la tradition se transmet !) respecté et sans histoires,  jusqu’au jour où, dans un accès de folie, il a tué la mère d’Ashley et s'est ensuite suicidé. Ashley, orpheline, a donc été élevée par Jackson, à la fois son mentor sur le plan professionnel, et son père adoptif, en quelque sorte.
Il y a une part sombre chez Ashley, un petit noyau de noir désespoir. La tension liée à son arrivée dans ses nouvelles fonctions, sa rencontre avec son nouveau partenaire, Andy Garcia, tout cela donc la fatigue énormément, et la met sous pression, elle, la flic à la brillante carrière. Mais très vite, sa première enquête l'attend : un homme battu à mort retrouvé dans le fleuve. En arrivant sur les lieux, Ashley n'en croit pas ses yeux. Elle connaît la victime, qu'elle a dragué dans un bar il y a quelques temps, et qu'elle a ramené chez elle pour une nuit. Ça commence bien. Une deuxième corps fait surface quelques jours plus tard, battu dans les mêmes circonstances. Ashley commence à sombrer quand elle s'aperçoit que la victime est également un type qu'elle a dragouillé pour passer la nuit, quelques semaines auparavant. Ashley s'enfonce, petit à petit, dans le doute...
 
Philip Kaufman est un sacré loulou. Dès l’introduction (une présentation d’un San Francisco fantomatique plongé dans le fog, qui s’achève sur un vol de corbeaux reflété dans l’œil d’Ashley Judd, qui a un couteau sous la gorge !), INSTINCTS MEURTRIERS montre un gros effort de stylisation, ce qui n’est pas forcément l’option la plus rassurante de ce genre de thriller, genre dans lequel, depuis SEVEN, on cherche absolument à surcharger le trait à coups d’effets de plus ou moins bon goût, et de symboles grossiers. Heureusement, la scène qui suit est plutôt sèche. Ensuite, au fur et à mesure, on s’enfonce dans une histoire qui gagnera en quotidienneté, en banalité, et dans le même mouvement, également en fantastique ! Etrange, étrange, ce déploiement d’intrigues, à la fois film de sewial-killeuh et giallo amerloque un peu feignasse... Je dis cela pour vous faire comprendre l’ambiance et le faux-rythme que semble prendre le film. On ne s’ennuie pas du tout, mais on se demande, pendant cette grosse première bobine, sur quel pied le gars Kaufman va nous faire danser. Le découpage, la direction artistique, le travail des acteurs et la photographie sont très rigoureux, ce qui permet à cette introduction de passer, par un charme étrange, au-dessus des clichetons du genre. On attend un peu avant de s'avancer sur la piste, et on regarde la gueule de l’orchestre pour voir à quelle sauce on va être mangé, et surtout sur quelle musique on va danser en quelque sorte (ça, c’est de la métaphore, coco !).
 
Puis, avant que l’enquête ne se déclenche, c’est le choc, ou plutôt c’est la fissure, amenée avec tact et puissance par Ashley Judd, avec son jeu de grosse frappe toujours ostensible, massif, mais qui aussi, sans qu’on ne s’en rende compte complètement, taille dans le vif et sans fioritures cette fois, avec la précision du chirurgien au scalpel bien aiguisé (et de deux, coco !). Il s’agit de la scène de drague, au contexte temporel ambigu déjà, et encore plus ensuite, où Judd, après avoir fêté sa promotion dans un bar, déserte et va plutôt en bar de nuit populeux et bondé pour lever le premier petit jeune à tête de cow-boy aux yeux d’ange venu. Suit une scène de sexe singulière, faite de trois fois rien et d’ivresse, faite des deux jeans sexy, d’un soutien-gorge même pas enlevé, d’une mèche de cow-boy qu’on remise sur le front d’un coup de main Marlboro, une scène d’amour sans un baiser presque, mais drôlement troublante et presque violente, DANS SA QUOTIDIENNETE. Brrr.... On frissonne. Ashley rentre à la maison, regarde les rapports et photos de police concernant la mort de son père, et boit un verre de trop avant de s’effondrer comme une merde, comme dirait l’autre, et de ne se réveiller qu’au matin, et par sonnerie de téléphone rageuse encore, qui l’appelle pour la première scène de crime. La gueule de bois dans le matin calme.
 
Le ton est donné. Ce ne sera pas SEVEN, ce ne sera pas RESURRECTION (de Russell Mulcahy, splendouillette sevenrie avec Christophe Lambert, et dont un des méchants méchante aussi dans ce film !). Un scénario de base classique et gentiment pourri, qui aurait pu plaire à une Angelina Jolie, toujours prête à incarner les menthes vénéneuses (tendance pimousse, petit, pie-mousse), du moment que ce soit "sexy", dit-elle, c’est-à-dire vulgaire comme une playmate californienne (playmobylette : plastique dedans, rigidité de l’attitude au dehors, attributs stupides de limitations). Jolie, hahaha, "à entendre son nom, je cherche déjà le jeu de mots" (dixit V.Hugo), aurait pu donc  en être, pour le plaisir de tous sauf de moi, mais alors dans ce cas, INSTINCTS MEURTRIERS aurait été un bidule de plus, et sans Kaufman, qui n’aurait, sans doute pas supporté la prise d’otage de la mannequin-GI de Beverly Hills. Pas de ça ici, donc, exit les ego, retour à  la banalité parasitée par un scénario trop... trop... kkkkkkKKkkkkk.... vu et revu. Le mélange fonctionne, de par la rigueur de chacun des participants, et encore plus par la rupture de cette fameuse scène de sexe étrange et alcoolique (et –isée), la rupture étant la spécialité de Kaufman, on le verra. Cette scène a eu lieu, et rien n’est plus pareil. Le crayon n’est pas un fusain, mais un gros marqueur (le gros marqueur de 10 mètres de long dont parlait Coppola), ce qui a l’avantage de mettre un peu de fantaisie (SEVEN et RESURRECTION ne sont pas du tout fantaisistes), et surtout de garder les jeux ouverts de manière quasiment caricaturale, what you see is what you get. Contrepoint des acteurs et techniciens, rigoristes, et des scènes banales, fissurant vers le fantastique. Y’a bon...
 
La suite est superbe. Ashley s’accroche et rend crédible son personnage jusqu’à ses coiffures – complètement schizophrènes, les coiffures. Joli, le son, mais qui y va à donf comme dirait le petit jeune qui n’est pas assis à côté de moi pendant la séance. Le palimpseste noir, qu’on trouve en libre air, et bien on est en plein dedans. [On verra la pertinence de la référence au Palimpseste Noir, demain...] Pendant trois quarts d’heure, le film s’arrête, et la bobine et Ashley brûlent de l’intérieur. Succession de la même scène pendant 40 minutes. Je débouche, je bois, je m’évanouis, je débouche, je bois, je m’évanouis, je débouche... La plus grande cuite, et pas la moins poignante de l’histoire du cinéma moderne, le film s’envole, comme le vélo s’emballe dans la tête de la fliquette. C’est quand même assez beau, me dis-je, c’est pas du Ronsard, mais c’est beau. Formidable tunnel éthylique que ce couloir de 45/50 minutes, et véritable raison de faire le film pour Kaufman le sage. Bien joué.
L’éthylisme s’arrête, et le film menace de s’arrêter avec lui, mais non. Il y aura un dénouement et une conclusion en roue libre, ou plutôt en descente, sans avoir à pédaler et en attendant que ça se finisse gentiment.
 
Que reste-t-il de ces faux amours ? Que reste-il de l’affaire ? Une belle intro, une chouette rupture matricielle et kaufmanienne, et un après qui m’a fait mal ("le mal est fait !", comme dirait le poète), qui fait mal à tout le monde, sur son lit de cabernet à l’hectolitre, et dont la migraine est palpable sur les tempes de Judd (de la même manière que l’odeur du tabac froid est palpable chez Garcia, malgré son impeccable cuir !). Beau défi de cinéma, bel essai cinématographique, tout en rigueur. Il faut dire que le Kaufman a quand même de la bouteille (ahahaha !). On passe un excellent moment, bien au-dessus de la production thriller de cette année au ciné par exemple (un peu comme Friedkin nous avait donné une leçon de ténèbres et de rigueur avec TRAQUÉ, où le pauv’ gars se traînait quand même le pire acteur de sa division : Tommy Lee Jones).
Grâces maintenant ! Garcia, direct, taciturne et drôlement bon. Créditable à 100%. Grosse classe pour une fois (simplement parce qu’il n’est pas mon genre, a exteriori, si j’ose dire...).  Jackson, idem, pareil, semblable aux bons films qu’il fait de temps à autres (et de plus en plus souvent), comme DÉRAPAGES INCONTROLÉS qui était un superbe thriller moral. Judd, la brute qui fait le coffrage, est nerveuse et assure drôlement. Madame est une très grande, n’en déplaise à sa modestie de polyglotte étymologiste. Ça assure dans la structure, avec une autre classe que la Jodie sus-nommée (en même temps, ça risque pas, ahahaha) qui, elle, fait mumuse avec le vocabulaire. On choisira, malgré la sympathie éventuelle (et coupable donc !) pour la deuxième, la première sans hésiter. On sera pote, Ashley et Nous, et l’amitié sera virile. Pourquoi pas ? Ça n’empêche pas le sentiment, hein ?
 
Bon film, bon goût.
 
Dr Devo. 
 
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Publié dans Corpus Analogia

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I
Le dernier champ/contrechamps de ce film sur le thème musical de Mark Isham est magnifique... Tous les films de Kaufman parlent de la liberté et du libre arbitre, et ce thriller basé sur un trés beau personnage ne déroge pas à la règle. J'aime beaucoup aussi ces plans sur la vieille voisine asiatique d'en face comme le troisième oeuil onirique entre deux verres d'Ashley.
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L
C'est un recueil de deux nouvelles plongeant JP Bouyxou dans l'univers de Jean Rollin, et c'est publié aux éditions Films ABC & Rafael de Surtis.
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P
Même pas!! quel éditeur? quelle année?<br /> Je sais juste que Bouyxou a joué quelques seconds rôles chez Rollin, qu'il a été son scénariste ("les raisins de la mort") et son assistant.
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L
Tu connais sans doute le roman de Jean Rollin, "Vies et aventures de Jean-Pierre Bouyxou" ?
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P
Cher Marquis, mes sources viennent de la revue "Fascination"(N°20, 2ème trimestre 1983) qui consacre un long article au film de Gilling.<br /> Créé par Jean-Pierre Bouyxou (dont je ne cesse de parler)et menée par lui-même sous un nombre incalculable de pseudos, cette revue s'intéressait à "l'érotisme" dans tous les arts (littérature "bis", peinture, BD, ciné...) et particulièrement à l'érotisme à la Belle Epoque.<br /> Les articles sur le cinéma étaient toujours splendides et originaux (que ce soit un dossier complet sur les actrices de Terence Fisher ou les débuts du cinéma nudiste en passant par l'historique de films pornos clandestins des années 20 ou des nanars mythiques comme "on a trouvé une femme nue" de Léo Joannon). <br /> Etant trop jeune pour acheter ces revues à l'époque, je profite de ce commentaire pour demander aux aimables internautes qui passent par ici de ne pas hésiter à m'envoyer un mail (via mon blog) s'ils désirent vendre ou se débarasser de leur collection...
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