HADEWIJCH de Bruno Dumont (France-2009): Hadewijch I could fly !

Publié le par Norman Bates

 







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[Photo: "Mister President" par Dr Devo.]





Chers Focaliens,

Nous fêtons aujourdhui les cinq ans de Matière Focale. Lecteurs occasionniels ou récents ou de longues dates, du fond du coeur, merci!

Pour fêter ça, un article de Norman Bates sur le dernier Bruno Dumont !

Dr Devo.











Alors que dans les rares rayons du soleil automnal, votre serviteur arpentait les rues doucement éclairées de Montmartre, sur les sonorités d’un accordéon suintant de nostalgie Vieille France allant jusqu'à rendre les pavés glissants, alors que dans les premières tirades de l’hiver un relent nauséabond vient titiller les racines de la morale assaillies par des hordes toujours plus nombreuses de clochards quasi-agonisants, alors que yonnie agonise à l’autre bout du monde, il existe un monde où les gens s’aiment et sont heureux, un endroit ou l’on diffuse encore chaque semaine le ROCKY HORROR PICTURE SHOW, et dans ce monde microcosmique il passe ce dimanche matin un film au nom imprononçable qui place le critique dans une situation étrange puisque se déroulant en grande partie à l’endroit géographique où il est projeté. Comme si il fallait entrer dans un cinéma pour découvrir ce qu’il y a autour et téléramaaaaaaaaa (je ne savais pas comment finir cette phrase, désolé).


En effet le film se passe beaucoup à Paris, et j’en vois qui se lèvent déjà, un film français se passant à Paris il y a de quoi prendre ses jambes à son coup, surtout si en plus c’est réalisé par un ch'ti, n’en jetez plus la coupe est pleine. Pourtant il s’agit quand même de Bruno Dumont, grand réalisateur qui a eu le courage de réaliser des films dans des régions sinistrées comme le Nord-Pas-de-Calais ou les Flandres (je ne sais même pas où c’est), films qui en plus se payaient le luxe d’être magnifiques et à mille lieux du cinéma français universitaire bobo style Moiret ou Klapisch. Paris donc où vit Céline, jeune héroïne pieuse amoureuse du Christ (c’est elle qui le dit), du moins quand elle ne squatte pas dans un couvent des Flandres (décidemment), chez des sœurs. Entre la fac et le couvent, entre les salons d’un appartement de ministre de l’île Saint-Louis et la "téci", entre l’Islam et le Catholicisme, Céline est bousculée entre Foi véritable et branle-crucifix mais surtout se prend des gros murs dans la gueule quand elle se frotte à la réalité.



En préambule, il faut quand même reconnaitre que Dumont à le courage de faire un film pareil en 2009, scénario un peu improbable plus ou moins inspiré d’une illuminée du XIIIe comme la religion catholique en propose à la pelle depuis 2000 ans, illuminée dis-je qui voyait Le Christ dans le moindre coup de vent et écrivait des textes aussi poétiques que chastes à la gloire du créateur et de son fiston hippie. Chez Dumont le traitement est un poil plus hardcore : il filme le choc entre Céline et le monde d’aujourd’hui, et Dieu sait si déterminer comment l’amour du Christ véritable et la chasteté peut tenir le coup chez la génération qui a connue le 11 septembre et la fin de la carrière de Clara Morgane n’est pas une partie de plaisir tout le temps (même si TWILIGHT à été écrit par une mormone). Céline est complètement dans le trip bonne sœur, c'est-à-dire qu’elle veut rester vierge toute sa vie même si les grands barbus chevelus avec des piercings cloutés ne la laissent pas indifférent quand même, surtout hors du couvent. C’est cette confrontation avec l’invisible qui est le thème porteur du film, et en bon prof de philo Dumont en fait parfois un peu trop sur les concepts théologiques, mais malgré tout cette idée scénaristique est plutôt intéressante. Malheureusement le traitement scénaristique, s’il est plutôt beau au début, tombe beaucoup trop dans la pleurnicherie existentialiste à mon gout, et les passages larmoyants sur la difficulté d’aimer Jésus m’ont rapidement ennuyé. Le fait aussi que l’Islam soit représenté par des jeunes de banlieue roulant en scooter volé m’ennuie aussi beaucoup, même si on est loin des gros clichés jeanclaudenarcique sur la religion dans les cités et tutti quanti. Quel besoin d’associer la lutte religieuse armée avec l’islam, je n’ai pas trop compris, c’est certes un exemple comme un autre mais il m’a semblé être bien plus anecdotique que le combat métaphysique mené par des femmes à la recherche de Dieu. Peut être un symbolisme masculin (les musulmans sont tous des hommes), mais la encore c’est un peu balourd. De toute manière je ne suis pas sur qu’il faille s’attarder sur ces points exclusivement scénaristiques, Dumont a surtout été un excellent chantre de la sensualité au cinéma, et dire que la religion est le thème du film est bien trop réducteur, ce serait comme dire que le thème de FLANDRES est la guerre en Irak.

Oui donc l’important c’est la mise en scène. Le voyage émotionnel de Céline dans 2000 ans de culpabilité cosmique porté par la sensibilité exacerbée de l’humanité face aux étoiles n’est pas tellement retranscriptible dans un scénario ou dans des dialogues, aussi documentés ou théologique qu’ils fussent. Le vrai enjeu à mon avis est de replacer les souffrances engendrées par le carcan métaphysique, et donc inapprochable par l’homme, dans un contexte commun, compréhensible par le spectateur. Il s’agit donc comme dans toute création artistique de ramener nos craintes inexprimables à un niveau plus bas, ici d’en produire les sensations sur pellicule. Est-ce réussi ? Je ne crois pas, en tout cas pas tout le temps. Filmer la foi est un exercice bien difficile, surtout quand on utilise comme Dumont un procédé un peu "naturaliste" dans le sens ou le fantastique est totalement absent et l’ensemble des procédés de mise en scène ne permet pas d’échappatoire divin : il faut donc supporter nous aussi de croire à l’invisible pour que le film tourne à peu prés. Or, à très peu de moment j’ai vu dans les moments de transports de Céline une extase sacrée, j’ai très peu vu d’espaces dans le montage qui laisse présager que le plus beau ne soit pas dans le champ. A mon avis ,les durées des plans sont très mal maitrisées, et souvent c’est l’ennui profond qui surgit de la contemplation béate d’humains prêt à s’élever. C’est que je disais plus haut, l’impression qui m’a le plus envahi c’est de voir des pleurnicheries un peu vaines sur le fait de porter sa croix tout au long de sa vie. Il y a des passages réussis, c’est indéniable, par exemple une des premières scènes du film avec la grue, très très belle idée que cette ascension de plusieurs tonnes de planche vers la chambre où on prie, puis plus haut encore lorsque les yeux s’ouvrent à nouveau, mais dans la suite du métrage on ne retrouve plus cette malice et ces idées dans l’image. Il y a bien ça et là des séquences assez marrantes reprenant des images saintes, comme la renaissance dans l’eau ou la descente au tombeau (qui revient deux fois d’ailleurs, et là c’est assez malin car on ne sait plus si c’est un flash back ou juste un jeu sur la résurrection), mais j’ai eu l’impression qu’à mesure le film se rattachait plus à son scénario qu’a une véritable exploration des sens, la faute sans doute à des cadrages trop monotones (Dumont a laissé tomber le scope, c’est peut être ca qui m’a gêné) et à ces longueurs qui n’évoquent pas grand-chose. J’ai aussi trouvé l’interprétation pas terrible du tout, l’héroïne est quand même assez tarte et les acteurs musulmans pas vraiment convaincants. Certes c’est le style de Dumont que de prendre des acteurs non professionnels et de faire trainer les plans plus que de rigueur, mais là ou ca fonctionnait pleinement dans FLANDRES, ici ca me semble trainer plus que de rigueur et surtout pour pas grand-chose. Alors, il y a bien dès fois quelques jeux de lumières, quelques saillies intéressantes utilisant ce rythme un peu lancinant, mais malheureusement dans l’ensemble je suis resté assez étranger à ce qu’il se passait devant moi. C’est bien dommage, car Dieu sait que j’aurais aimé voir cet ange immaculé qui semble avoir atterri par erreur dans le XXIe siècle se débattre avec le coran en latin et la bible en verlan ou entre langages SMS et société de consommation, voir un choix philosophique profond dans le fait de rester vierge toute sa vie dans une société qui place la consommation sexuelle comme enjeux de réussite sociale et surtout placer dans la main virginale d’une fille de ministre le bâton du terrorisme de masse. HADEWIJCH est une bonne idée, mais pas encore très aboutie à mon humble avis…

 

Norman Bates.

 

Publié dans Corpus Filmi

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