CATFISH de Henry Joost et Ariel Schulman (USA 2010) : Le web, c’est l’amour pour les autres.

Publié le par Norman Bates

 

 

 

 

 

 

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[Photo: "Venus 2.0" d'après le film CATFISH]

 

 





 

 

 

 

Le soleil rasant du midi hivernal éclaire une scène de désolation post-festive a travers les persiennes d’un appartement du XVIeme arrondissement, découpant l'atmosphère chargée en strates horizontales fumeuses laissant apercevoir là un sein, là une jambe, là un ami de la veille à demi nu ou des bouteilles de champagnes à demi consommées. Vous venez d’ouvrir les yeux, la moustache encore pleine de cocaïne, vous vous remémorez la soirée passée, vainement, vous vous remémorez l’année passée, vainement. Alors que dans votre délirium corda des images vous reviennent, des sons et des couleurs vous rappellent Blier ou les frères Cohen, Wes Anderson ou Araki, et finalement tout n’a pas été si vain : pas de doute vous êtes un lecteur de Matiere Focale.





Alors sans doute plusieurs heures après, tout est toujours comme avant. Même sensiblement encore plus similaire à l’année passée : vous comprenez que non seulement les années se ressemblent, mais en plus elles se normalisent. Les années 2000 sont un peu plus toutes les mêmes chaque année : toute votre existence semble vouée à trouver ce qui vit, derrière de plus en plus de réseaux ou d’interfaces pour comprendre votre vie. Combien d’amis, combien de “like” combien de statuts, pour dire quoi ? Tout est dans les réseaux, traces de vie à lire pour l’éternité...





CATFISH c’est votre histoire. C’est comment vous avez trouvé la photo d’une meuf copine d’un pote sur facebook qui vous paraissait jolie et intelligente, dont vous avez épié les faits et gestes, méticuleusement compilé les informations croisées sur MySpace, Youtube, Senscritique, g-Talk, MSN, twitter ou overblog, c’est comme ça que vous avez écouté sa musique, lu les articles sur son blog ou elle explique ses attentes et ses déceptions a propos du monde, vu les photos d’elle ou un sourire vous faisait craquer, apprécié sa compilation de musique sur les années 70, et au milieu de tant d’informations digitales vous avez craqué, vous avez voulu franchir le pas et tout fébrile vous avez cliqué sur “ajouter comme ami”. Une histoire a commencé...





Et comme 1000 informations ne résument pas une personne, dans ce wikileaks de passions et de photos de chats mignons, vous avez associé à des sourires des idées, fantasmé des dialogues, imaginé des postures, que sans le savoir vous aurez piqués à des femmes que vous avez aimés, des actrices que vous admirez, des gens que vous connaissez, et de tout ça vous aurez crée une statue, un modèle pour vos fantasmes, une fille que vous pourriez aimer, avec qui vous espérez un jour vous chamailler sous la couette une dimanche matin pluvieux, ceux dont les bruits ambiants monotones brisent tout les élans sauf ceux du coeur...





Dans un an de tergiversations et de fantasmes vous découvrirez finalement un tableau bien différent. De votre montagne de fantasme érigée par votre frustration et votre misère sentimentale vous tomberez d’un seul coup après un “tweet” laconique : elle n’aimait pas vraiment les chocapics, pire encore, sa nouvelle couleur de cheveux est atroce ! Les désillusions s'enchaînent, de murs en murs la statue se fissure, la femme de rêve n’était qu’un miroir de vous et qu’un fantasme d’elle même... La liberté du virtuel, dans sa rapidité et sa simplicité, mais surtout dans son immensité, à fait du fantasme et de la mise en scène une nouvelle cour des miracles ou chacun doit être mieux ou plus que l’autre. Toujours attiré l’attention quand l’esprit est sollicité par milles tentations, dans un maelström publicitaire et consumériste qui compile les informations sans jamais approcher la conscience. Toutes les données ne formeront pas un pays, un homme, une vie. La vérité n’est pas dans les châteaux de sables 2.0 toujours plus beaux qui comblent l’ennui d’une vie banale, ou la vérité est tellement facile à gonfler.




En fin de compte votre romance 2.0 est glaçante et froide. Vous émergez au coeur de la plus glauque des maisons, peuplées d’handicapés sociaux, de mythomanes compulsifs, de paranoïaques aigris, d’égocentriques sans talents que la télé, les portables, internet ou les magazines ont coupés d’une réalité tangible, à fleur de peau, faite de rencontres et d’imprévu, de risque et de chutes. CATFISH est une descente glauque en forme de documentaire au coeur de la folie, de cette folie du XXIeme siècle, sorte de voyage au bout de la nuit réalisé avec trois euros et une connexion internet, montage de sites, d’écrans, de cartes, de coup de fil et de SMS témoignant de la misère des petits. Car comme toujours, dans toute cette merde, c’est la “france d’en bas” qui en prends plein la gueule. Celle qui par manque de moyen s’est tourné vers les paradis artificiels du siècle, les plus cheaps. Facebook est gratuit, mais leurs patrons sont milliardaires, riches de la haine et du mensonge quotidiens des petites gens dont Céline à si bien fait le portrait.




Quand le mensonge devient une raison de vivre, le film bascule dans l’horreur. Véritables visions de démences exacerbées par une mise en scène totalement absente, comme si l’édifice érigé avec soin était trop complexe pour être seulement interrogé, CATFISH présente la vérité. Pas comme une enquête de journalistes TV, comme un récit autobiographique de quelqu’un qui chute, touché en plein coeur. Alors certes on pourrait reprocher une certaine tendance à faire dans les bons sentiments, a s'appesantir longuement sur la fin et a sombrer dans le narcissisme. Mais c’est cela aussi qui rend le projet troublant, humain et terrifiant. La vraie horreur ne vient peut être pas des illusions paumées de rednecks misérables, c’est le paternalisme d’une société Web 2.0 riche et futile qui est capable de tomber amoureuse sur internet qui est glauquissime. CATFISH c’est une sorte de MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE filmé comme BLAIR WITCH. L’ultime conclusion viendra d’ailleurs du redneck un peu con résigné mais heureux, seule personne sensé dans cette galerie de fous :




“Les morues sont maintenues en vie par des poissons chats, pour les transporter vivantes avant l’abattoir.” Ou comment la violence nous maintient en vie.







Bonne année à tous.







Norman Bates.









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Publié dans Corpus Filmi

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J
<br /> <br /> De quoi commencer avec cyber-joie une nouvelle année virtuelle.<br /> <br /> <br /> <br />
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