Chroniques de lAbécédaire, épisode 10, seconde partie : Les flamands roses trouvent une défense contre le règne de terreur de leur Némésis, une armée de vipères oubliées.

[Photo : "Une bonne mère est une mère morte", d'après LOS OLVIDADOS - Le Marquis]
Suite et fin de l’épisode 10 des Chroniques de l’Abécédaire, après une première partie un peu mollassonne où se distinguait surtout L’HOMME SANS PASSÉ de Kaurismaki. Mais comme je vous le disais alors, c’est dans la seconde partie de cette sélection que se trouvent les deux meilleurs titres, deux classiques d’ailleurs, bien qu’ils soient respectivement inscrits dans des genres et dans des approches diamétralement opposées. Attaquons en douceur avec un film en L comme…
LIENS SECRETS, de Michael Oblowitz (USA, 1997)
De Michael Oblowitz, j’avais vu il y a quelques temps le film THE BREED, ambitieux film fantastique surfant sur la mode du vampirisme cuir modernisé et fortement teinté de MATRIX. Quand je dis ambitieux, je ne dis pas réussi, mais THE BREED tentait un parallèle entre la situation des vampires et celle des juifs pendant la seconde guerre mondiale, tout en glissant çà et là des références pour le moins surprenantes à William Burroughs. Ceci dit, le film gardait constamment un pied bien immergé dans un plein seau de ridicule, la mise en scène d’Oblowitz flirtant perpétuellement avec le grotesque et les expérimentations toc les plus douteuses : qui sait, ça pourrait même déboucher sur quelque chose un jour, prends garde Guy Ritchie !
Ce quelque chose ne sera pas LIENS SECRETS en tout cas, même si son introduction est très prometteuse : beau générique à la Saul Bass, interrompu en son milieu par un flash-back traumatique, violent et drôle… De quoi être alléché, d’autant plus que le film, adapté de Jim Thompson, bénéficie de nombreux atouts : très belle photographie à l’atmosphère rétro typée années 50, casting solide mené par Billy Zane, Gina Gershon et la trop rare Sheryl Lee, superbe titre original (« This world, then the fireworks »). Sombre histoire de meurtres et de manipulation au sein d’un triangle amoureux formé par une fliquette (Sheryl Lee) et par un couple incestueux de frère et sœur, le film dispose en outre d’un sujet prometteur.
Malheureusement, après une première partie assez séduisante, le film s’enlise petit à petit, se prenant les pieds dans un rythme langoureux qui finit doucement par provoquer l’ennui, et surtout – Michael Oblowitz, retenez bien ce nom – dans sa mise en scène arty et, oui, spendouillette, qui fait du film un objet rococo et soigné, constamment déséquilibré par d’aberrantes fautes de goût – ralentis hideux, assortiment généreux de filtres colorés, allez, un par plan quand personne ne regarde, cadrages tortueux et tape-à-l’œil, toujours sur le fil du classieux et du vulgaire. S’il n’était pas si laborieux et, au final, aussi quelconque, LIENS SECRETS serait hautement recommandable en tant qu’œuvre malade, énigme esthétique.
M comme… MAN TROUBLE, de Bob Rafelson (USA, 1992)
Pas grand-chose à dire sur cette petite comédie aussi sympathique qu’insignifiante, vaguement remarquée à sa sortie aux USA à cause du scandale provoqué par une affiche du film montrant l’actrice principale tenue en laisse, et qui m’a surtout motivé à cause de la présence d’Ellen Barkin et de Veronica Cartwright, comédiennes que j’apprécie beaucoup et qui font d’ailleurs ici un excellent travail. Vaudeville tourné autour des relations entre une cantatrice menacée et un éleveur de chiens de garde (Jack Nicholson), le film est à la fois anodin et amusant, correctement réalisé mais totalement dénué de personnalité, si ce n’est celle de Blake Edwards que Rafelson semble vouloir singer par moments. Disons que pour l’avoir payé un euro, j’estime que c’est une bonne affaire : c’est agréable, quelques idées saugrenues font mouche (le pervers harcelant Ellen Barkin au téléphone vole ses répliques au groupe Police !), et ça ne laisse pas le moindre souvenir, juste une vague sensation plaisante et feignante à la fois, ce qui permet de ne pas s’encombrer le cerveau de choses inutiles (parce que bon, j’ai beau avoir détesté TANGUY de Chatiliez, j’ai encore l’impression que le film a laissé quelques déchets dans ma matière grise).
N comme… NEMESIS II : NEBULA, d’Albert Pyun (USA, 1995)
Albert Pyun est de retour, et avec lui les cyborgs et les trilogies. Après le rigolo KNIGHTS à suivre (« on se retrouve à Cyborg City ! »), je découvre, dans le désordre, l’épisode 2 de la trilogie NEMESIS, mettant lui aussi en scène une musculeuse héroïne, et qui nous est aimablement proposé par Prism Leisure sous l’ancienne enseigne « Integral Home Video », qui se distingue toujours par ses jaquettes cocasses – mention ici pour ce slogan de la mort qui tue : « En l’an 2077, mourir veut dire revenir en force ! » C’est beau, mais si ça n’a aucune espèce de sens, le film se déroulant dans les années 80.
Alors voilà. Une introduction présente un petit montage digest du premier NEMESIS à l’attention de ceux, dont je fais partie, qui n’en auraient pas vu un photogramme : la planète (comprendre les Etats-Unis) est devenue le fief de cyborgs malveillants, qui se sont d’ailleurs empressés de renommer leur nation « Cyborg America ». Une femme est parvenue à s’enfuir dans le passé à l’aide d’une petite navette pratique à garer, emportant avec elle un bébé, futur sauveur de l’humanité. Malheureusement, sa capsule atterrit en Afrique en pleine guerre tribale, et la pauvre femme succombe bien vite de l’introduction sans son consentement d’une lance dans son délicat abdomen. Heureusement, le bébé, c’est une fille, 3 kilos 5, est adopté par une des deux tribus, qui l’élève en son sein. Malheureusement, les cyborgs découvrent le poteau rose (si je veux) et envoient dans le passé le redoutable Nebula, cyborg chargé de traquer et d’éliminer l’espoir des hommes fait femme – et non, ça n’a rien, mais alors rien à voir avec TERMINATOR.
Et d’ailleurs, pendant toute la première partie du film, Albert Pyun adopte un parti pris intéressant, celui de la tourner en version africaine sous-titrée anglais – en quelle langue exactement, je l’ignore, mon doctorat en langues africaines remonte un peu, mais notre éditeur Prism respecte scrupuleusement ce choix en nous laissant donc profiter pendant une petite demi-heure du film en VOST. Inutile de préciser que le basculement soudain du film en anglais, et donc pour nous en VF, qui plus est situé au beau milieu d’un dialogue, est d’autant plus brutal. Mais pour le reste, ce contexte change fort agréablement des sempiternels hangars et autres ruelles taggées auxquels le genre nous a habitués. De plus, la mise en scène d’Albert Pyun est toujours aussi sympathique dans sa volonté de réaliser le film à l’ancienne, sans trop d’ajouts en effets spéciaux, tous concentrés sur Nebula, et d’ailleurs pas fameux dans leur imitation laide et maladroite du bouclier d’invisibilité du PREDATOR. Quant au récit, après une première partie attachante et un peu efficace, il se délite dangereusement par la suite avec l’ajout soudain de deux nouveaux personnages, deux femmes otages (et probablement lesbiennes, pourquoi pas) qui viennent compliquer l’intrigue en son milieu avec une vague histoire de chasse au trésor. La conclusion, qui nous annonce un épisode 3, est totalement cheap, mais dans l’ensemble, c’est, encore une fois, de la petite série B sommaire et tout à fait admissible.
O comme… LOS OLVIDADOS, de Luis Buñuel (Mexique, 1950)
Il est toujours très agréable de revenir à un cinéaste aussi passionnant que Buñuel, dont j’ai jusqu’à présent aimé tout ce que j’ai vu (le dernier en date étant le superbe LA VIE CRIMINELLE D’ARCHIBALD DE LA CRUZ). Le grand plaisir pour moi, c’est qu’il me reste encore beaucoup d’œuvres du cinéaste à découvrir, et je prends mon temps. Cependant, LOS OLVIDADOS n’est pas une découverte, puisque je l’avais vu au collège auprès de camarades ayant tout naturellement trouvé le film nul – à quelques rares exceptions, quand un enseignant traîne ses élèves au cinéma, c’est pour voir des films chiants, les ados s’en font une question de principe. Ceci dit, la pseudo analyse effectuée par la suite en classe et en espagnol était effectivement douloureusement terne, terre-à-terre et presque exclusivement abordée sous un angle social (misère paysanne, réalisme, etc.) qui, alors que le film m’avait beaucoup plu, m’en a tout de même tenu éloigné bien longtemps après que je m’en sois procuré une copie. Le temps, en somme, que le sombre nuage de la lecture scolaire appliquée se soit correctement dissipé.
LOS OLVIDADOS marque en tout cas une étape très importante dans la carrière de Buñuel, dans la mesure où le film marque le retour et la renaissance d’un cinéaste quasiment oublié depuis le scandale du CHIEN ANDALOU (1928) et de L’ÂGE D’OR (1930). Exilé au Mexique depuis 1946, Buñuel n’aura entre temps réalisé qu’un documentaire (LAS HURDES, alias « Terre sans pain », proposé en complément de programme) et deux films méconnus (GRAN CASINO et EL GRAN CALAVERA), avant de revenir sur le devant de la scène avec ce film saisissant qui allait relancer une nouvelle carrière riche et enthousiasmante. Hué au Mexique où on lui reproche de donner du pays une image sordide, LOS OLVIDADOS est un film sec, sombre et enragé qui s’ouvre certes sur une atmosphère presque documentaire (avec son carton ancrant le film dans des « faits réels » et sa voix-off très didactique, qui disparaît totalement par la suite), mais il développe vite une atmosphère singulière et une esthétique loin d’être aussi réaliste qu’on veut parfois nous le faire croire – les nombreuses séquences nocturnes, magnifiques, sont au contraire visuellement très stylisées et superbement photographiées.
L’intérêt du film ne tient pas tant dans sa peinture misérabiliste des dérives des enfants des rues, que dans son approche étonnante de la narration (où les nombreux personnages forment autant de petits parcours individuels disséminés dans le récit – et d’une redoutable cruauté) et dans ses expérimentations formelles d’une indescriptible beauté sombre et vénéneuse : on retient souvent, bien sûr, une sensationnelle séquence onirique, mais l’étrangeté plane en permanence sur un univers faussement réaliste qui développe peu à peu des idées profondément originales qui viennent régulièrement parasiter les allures démonstratives de son sujet – voir l’image récurrente et assez glaçante qui se dégage de la présence dans le plan de simples poules, effet impressionnant qui met en valeur la rigueur du cadre tout en apportant souvent à des séquences réalistes une conclusion irrationnelle et inquiétante. Le récit torturé, somme tragi-comique d’injustices, de violences dont la plus redoutable est celle qui reste sous-jacente ou suggérée, trouve dans ces tonalités mystérieuses flirtant constamment avec le fantastique une réelle modernité : c’est tout sauf l’ancêtre de Ken Loach, comme j’ai pu le lire ici ou là – si Ken Loach avait de tels talents de metteur en scène, ça se saurait. Très grand film.
P comme… PINK FLAMINGOS, de John Waters (USA, 1972)
Et on enchaîne illico presto avec l’autre très grand film de cet épisode 10 de l’Abécédaire, sur un tout autre registre – mais si les deux films ont au moins une chose en commun : les poules connaissent devant les caméras un bien funeste destin.
Alors que je suis extrêmement attaché au cinéma de John Waters depuis la découverte de POLYESTER à la fin des années 80, j’avoue que les premières années de l’œuvre de Waters me sont longtemps restées étrangères, et pour cause : impossible pendant des années de mettre la main sur ses premiers films. On salue donc ici, et chaleureusement s’il vous plaît, l’initiative de Metropolitan, qui décide enfin de déterrer les films en question, en fanfare et dans de très belles copies qui plus est. Inutile de préciser que j’ai sorti le portefeuille sans regarder à la dépense (pas de DVD à 3 euros dans de telles circonstances, il faut toujours soutenir d’aussi louables initiatives, en espérant très fort que cela encourage l’éditeur à pousser le bouchon jusqu’à nous proposer des titres plus confidentiels du cinéaste, toujours inédits pour le moment, comme MONDO TRASHO).
Il va m’être difficile de vous faire part de mon enthousiasme à la vision, pour la toute-toute première fois comme dirait la poète, de cet objet unique et impossible qu’est PINK FLAMINGOS, sans y consacrer quarante pages. Pour rester concis, je vais déjà éviter d’énumérer les outrages rencontrés au cours de ce métrage fou-furieux, dédié aux compagnes de Charles Manson, et dont John Waters disait : « En le réalisant, je ne voulais pas faire un film, je voulais commettre un crime. » Et on pourrait en écrire des tonnes sur les déviances rencontrées (scatologie, zoophilie…), sur les scènes qui m’ont violemment interloqué, comme je ne l’avais pas été depuis un bon moment, stupéfait, en balance entre l’hilarité et la répulsion, car oui, je vous le dis avec un vrai bonheur, le film est parvenu à me choquer. Je vais donc n’en aborder que quelques aspects spécifiques et subjectifs, non sans préciser que j’ai rarement déploré à ce point d’avoir découvert un tel film seul et chez moi.
On connaît, quand on est un familier de l’univers de Waters, l’un des éléments qui contribuent à lui donner tant de personnalité : derrière Divine, acteur/actrice fétiche du cinéaste, c’est une foultitude d’acteurs et de techniciens qui le suivent depuis ses débuts, et si nous reconnaissons toujours dans les rangs les figures plus ou moins connues, de Mink Stole à Patricia Hearst en passant pas Ricki Lake ou Alan J. Wendl, sans oublier l’hallucinante « Egg Lady » de PINK FLAMINGOS, Edith Massey, on réalise quand on épluche les génériques que l’expression inventée par le cinéaste, les « Dreamlanders », n’a rien de décoratif et qu’elle recouvre en réalité une famille fidèle composée autour du cinéaste qui explique d’autant mieux son attachement à Baltimore, cité plus intimement attachée à son œuvre que ne peut même l’être New York pour Woody Allen. Expérience étonnante donc que celle qui consiste à découvrir les premiers pas de ceux dont je suis déjà familier, côtoyant un autre pan de l’entourage du cinéaste qui n’a cessé de le suivre que pour cause de décès prématurés.
À la vision du premier long-métrage véritablement distribué et remarqué de John Waters, la cohérence de son univers et de ses constantes formelles prend d’autant plus de sens qu’elle met en perspective la suite de sa carrière, jusqu’à ses films les plus récents (A DIRTY SHAME). On a souvent dit ou écrit de John Waters qu’il s’était totalement assagi, que sa carrière a périclité dès la fin des années 80, et j’avoue ne pas très bien comprendre la tiédeur avec laquelle ses films peuvent aujourd’hui être accueillis. À l’exception peut-être de CRY-BABY, premier film réalisé après la mort de Divine et métrage sympathique mais qui ne décolle pas vraiment, John Waters a su s’adapter au système, et fait passer dans son œuvre autant d’humour et de personnalité, toujours avec une réelle intelligence d’écriture. PINK FLAMINGOS est un film profondément ancré dans son époque : à quoi ressemblerait-il aujourd’hui ? Serait-il seulement distribué ? (Je vous le souffle, la réponse est non). John Waters existerait-il encore, artistiquement parlant, s’il avait persisté dans un cinéma aussi extrémiste et radical ? Les temps changent : Waters n’a ni l’intérêt ni les raisons de « commettre un crime » lorsqu’il réalise un film aujourd’hui, mais il est resté foutrement délinquant sur les bords, et son œil de cinéaste pétille d’une vivacité et d’une finesse remarquables. Si PINK FLAMINGOS fonctionne aussi bien, c’est aussi parce qu’il n’est pas truqué, parce qu’il carbure à l’authenticité, à l’image de ce travelling filmé en caméra cachée, montrant Divine arpenter crânement les rues sous les regards médusés de passants qui ne sont pas des figurants. Le projet n’est pas inscrit dans une volonté de mise en scène, ici foncièrement approximative, presque réduite à une captation non raffinée, et le film va à mes yeux se jouer sur un tout autre registre.
Pour ce qui est de Divine, PINK FLAMINGOS est l’œuvre cruciale, probablement celle qui a fait de son personnage une forme d’icône cinématographique sans équivalent. Son jeu s’est très certainement affiné par la suite – et je tiens Divine pour un comédien extraordinaire (vous l’avez vu dans TROUBLE IN MIND ?), mais avec ces flamands roses, l’acteur a franchi le pas, sur un registre brut et punk avant l’heure, pour le meilleur et pour le pire – le film l’a sans doute rendu célèbre, mais il lui a aussi coûté très cher. Le film repose entièrement sur ses larges épaules, et prend, avec le recul, une signifiance indescriptible dans ce que ce rôle implique d’investissement personnel jusqu’au-boutiste. De ce point de vue, le film relève là encore de l’expérience unique, du diamant brut : je n’ai pas le souvenir d’avoir à ce point ressenti à l’écran l’implication d’un comédien, sa relation artistique avec son metteur en scène. Divine travaille ici sans filets, à l’aveugle, en confiance, interprétant quasiment son propre rôle dans une rage et un abandon soufflants, allant jusqu’à mentionner son vrai nom (Glen Milstead) au détour d’un dialogue dans une scène coupée au montage. À ma très grande surprise, et c’est peut-être lié au fait que j’ai vu le film en solitaire, la célèbre séquence montrant Divine manger une crotte de chien, isolée du récit, placée en épilogue (ce qui est d’une remarquable justesse), a suscité chez moi une réaction pour le moins inattendue. Je n’ai pas ri. Je n’ai pas eu la nausée. J’ai été profondément ému. Après plus d’une heure de provocations répugnantes, de dérives extrémistes (dont certaines amènent encore les spectateurs à s’entredéchirer sur divers forums, certains d’entre eux rêvant encore de lyncher Waters et une bonne partie de son casting, c’est hallucinant), d’éclats de rire aussi puissants qu’inconfortables (séquence montrant Divine et son fils lançant une « malédiction » sur la maison de leurs ennemis), de malaise, ce dernier baroud à base de déjection canine m’a saisi en plein vol : Divine s’exécute docilement, peinant à masquer son propre dégoût mais dévisageant la caméra avec une étrange fierté, assumant un acte qui allait lui faire un nom régulièrement traîné dans la boue par la suite, un acte qui allait véritablement lancer la carrière de son réalisateur et ami, un acte irrévocable dont je ne m’attendais pas à percevoir la beauté de façon aussi intense et, vous en penserez ce que vous voulez, aussi poignante.
R comme… REIGN IN DARKNESS, de David W. Allen & Kel Dolen (Australie, 2002)
Et encore une série B s’efforçant de surfer sur la vague des MATRIX et autres UNDERWORLD ! Après la baffe reçue avec PINK FLAMINGOS, le contraste fait très mal et ne joue en aucun cas en faveur de cette soupe indigeste et prétentieuse, qui n’effleure jamais les belles qualités du fantastique australien (voir par exemple LA DERNIÈRE VAGUE), et pour cause !
Les deux jeunes réalisateurs, qui disposent manifestement du budget apte à livrer une solide série B, n’ont malheureusement qu’une idée en tête : aligner les effets de manche en cherchant à concurrencer les blockbusters dans la forme. Le résultat est sans appel : à vouloir en faire trop avec trop peu, et trop peu de talent notamment, le film finit par développer tant un aspect cheap déplaisant qu’un penchant prononcé pour le ridicule achevé. Le plus consternant face à un film pareil, c’est qu’on devine aisément le labeur, l’énergie et le temps consacrés à singer consciencieusement les films à la mode (sans jamais interroger leur style ou leur approche), à livrer un film de genre dans son acceptation la plus formatée. S’ils en avaient eu l’envergure, ils seraient juste parvenu à un alignement propret de poncifs usés jusqu’à la corde. Mais cette envergure leur fait cruellement défaut, et c’est bien sur ce point que le film glisse de la médiocrité imitative à la franche nullité.
Parce qu’au lieu de vouloir nous en mettre plein la vue et de signer une carte de visite aussi naïvement arriviste, les deux réalisateurs auraient bien mieux fait d’élaborer un récit un tant soit peu imaginatif (au lieu de vouloir accoupler BLADE à MATRIX sans oser la moindre initiative personnelle), et surtout de travailler un minimum leur montage, lamentable de A à Z, qui ne fait par sa constante maladresse que mettre à jour l’amateurisme des chorégraphies lors de grotesques scènes d’action. Mais non, rien à faire, le montage suit le mouvement général et se concentre sur des ralentis stupides en laissant passer d’énormes fautes de raccord.
La photographie est au diapason, hideuse, avec ses travellings circulaires et son panel de filtres pour faire joli, elle ne parvient pas même à dissimuler les câbles lors des cascades, et la volonté de courir après le style de l’australien Russell Mulcahy, déjà présente dans la mise en scène, trouve un nouvel écho dans la conclusion du film, un fort original duel entre deux immortels dans un parking souterrain.
D’une lenteur poseuse et appliquée, focalisée sur l’épate-con (le film est parfois sonorisé comme un épisode de BOB L’ÉPONGE), REIGN IN DARKNESS enchaîne les gunfights et les poursuites, mais ne raconte strictement rien, ce qui n’empêche pas la voix-off du héros vampire d’être intarissable – et extraordinairement pénible.
Vous l’aurez compris, le film est d’une nullité antipathique, mais si cette note est si longue, c’est bien parce qu’il illustre de façon limpide le gros problème d’une grande partie des nouveaux cinéastes du fantastique : si ces jeunes coqs consacraient ne serait-ce que le quart de leur investissement à s’efforcer de pondre une œuvre personnelle et originale, on ferait vite le tri, et le film de genre ne s’en porterait pas plus mal. Au lieu de quoi, à l’image de trop nombreux films comme COLD AND DARK, c’est en l’état une pure perte de temps, d’argent et d’énergie. À dégager.
S comme… STITCHES, de Neal Marshall Stevens (USA, 2000)
Après un titre aussi nul que prétentieux, il est d’autant plus agréable de revenir à la vraie série B, celle par exemple de la firme Full Moon de Charles Band, que ce STITCHES s’avère, malgré ses nombreux défauts, être une de ses plus intéressantes productions de ces dernières années, disposant d’un scénario excellent et relativement original qui en rend la vision particulièrement agréable. Une vieille dame s’installe dans une pension dont on découvre les différents locataires, leurs travers, leurs faiblesses, leurs secrets (infidélité, orgueil, homosexualité, avarice, illettrisme…). La grand-mère en question est un démon qui prend apparence humaine en tricotant la chair humaine, et, pour gagner un pari, capture l’âme des membres de la pension qu’elle emprisonne dans d’étranges silhouettes de papier.
Tournant habilement au vaudeville fantastique teinté d’une noire ironie, le film parvient à fasciner par l’habileté de son écriture et par de très nombreuses idées étonnantes – la feuille de sumac collée à la porte pour empêcher les hurlements de se faire entendre, la machine à coudre, ou cette très belle scène dans laquelle la sorcière fait tomber des gouttes d’eau sur son miroir de poche dont le son se fait entendre dans une autre pièce de la demeure pour amener son occupant à se réveiller.
Il est d’autant plus dommage, comme je le disais en parlant de BLOOD DOLLS, que la mise en scène des productions de Charles Band ne soit pas à la hauteur : le scénario, riche et intriguant, convenablement interprété, est un peu gâché par une mise en scène très plate (malgré quelques tentatives étranges dans le montage). Les limites budgétaires imposent en outre une musique médiocre et de trop nombreux effets visuels, franchement pas beaux (et ce dès le générique d’ouverture, assez laid), même si les poupées de papier sont d’une conception vraiment originale, qui fonctionne correctement. Mais Neal Marshall Stevens (qui fut aussi le scénariste du consternant 13 FANTÔMES de William Malone) manque vraiment d’ambition dans sa réalisation. On rêve de ce qu’un Brian Yuzna, un David Schmoeller ou un Anthony Hickox auraient pu faire de ce STITCHES qui reste pourtant, mais c’est surtout dû à son sujet et à l’humour de son développement – très pessimiste – un film vraiment intéressant et attachant. Contrairement au film précédent, STITCHES assume en tout cas son statut et ses limites, parvient à sortir du lot sans faire passer des vessies pour des lanternes : c’est un bon film.
T comme… LA TERREUR DE L'ARMÉE, de Hal Walker (USA, 1950)
Également connu en France sous le titre LE SOLDAT RÉCALCITRANT, LA TERREUR DE L’ARMÉE se distingue surtout par le fait qu’il offre pour la première fois au cinéma le duo comique formé par Dean Martin et Jerry Lewis. C’est à peu près tout ce qu’il y a à en dire, et j’ai souvent vu les deux acteurs faire beaucoup mieux ailleurs.
Le film de Hal Walker est en effet irrémédiablement daté et poussiéreux. Sa mise en scène est désespérément plate : c’est du théâtre filmé, caractérisé par un enchaînement interminable de séquences tournées en plan fixe et frontal dans divers bureaux, où entrent et sortent divers personnages s’activant mollement autour d’enjeux ternes : lequel d’entre eux va partir au front (qu’on ne verra jamais) ? Jerry Lewis va-t-il enfin obtenir sa permission ? Dean Martin va-t-il pouvoir échapper à son ex-petite amie ? Vous l’avez deviné, l’action pourrait aussi se dérouler dans un hôpital, un garage, un hôtel, une compagnie d’assurances, sans que cela change quoi que ce soit au propos, l’armée en question n’étant présente que dans les costumes et dans l’existence d’une hiérarchie. Problème, dans ce récit à dormir debout, les acteurs ne sont pas fameux, et la comédie patine dans une désolante absence de drôlerie – le comble de l’humour dans le film est de montrer Jerry Lewis en travesti, pas vraiment de quoi se taper sur la cuisse. Je m’y suis ennuyé mortellement, ça ne m’a pas même fait sourire et je n’en garde pas le moindre souvenir si ce n’est celui d’avoir perdu mon temps : je ne saurais donc vous le conseiller.
U comme… UNE DÉFENSE CANON, de Willard Huyck (USA, 1984)
S’il a rencontré un certain succès en tant que scénariste (il a notamment co-écrit LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE), Willard Huyck a par contre vraiment joué de malchance en tant que metteur en scène, et a d’ailleurs jeté l’éponge après quatre tentatives accueillies dans l’indifférence dans le meilleur des cas. Huyck débute sa carrière avec MESSIAH OF EVIL (ou DEAD PEOPLE), film d’épouvante du début des années 70 dont la réputation très flatteuse n’a pas suffi à faire un classique puisque le film est aujourd’hui totalement oublié ; je suis heureux de pouvoir vous dire que nous reviendrons très bientôt sur ce film qui m’intrigue et m’attire énormément, puisqu’il fait partie du coffret de 50 raretés du fantastique dont je vous avais parlé en juillet. S’ensuit une comédie romantique qui semble plaire aux douze personnes qui s’en souviennent encore, un certain FRENCH POSTCARDS entre autres interprété par Anémone et Véronique Jannot : pas vu, pas pris. Après UNE DÉFENSE CANON, Willard Huyck va connaître un énorme revers de carrière – qui m’a toujours paru vraiment injuste – en réalisant le film HOWARD THE DUCK, film comme seules les années 80 pouvaient en pondre, bide commercial fracassant et excellente comédie presque unanimement conspuée comme le pire des navets.
Avec UNE DÉFENSE CANON, Willard Huyck souhaitait réaliser une comédie sur le thème de l’espionnage industriel, ici situé dans les milieux de l’armement militaire – on n’en sort peut-être pas tout à fait, mais le film est bien plus drôle que LA TERREUR DE L’ARMÉE. Le film, interprété par Dudley Moore et Kate Capshaw, est tourné, bouclé et présenté comme il se doit (ou comme il ne se devrait pas, mais pour ce que j’en dis…) aux sempiternels screen-tests des studios, qui s’avèrent totalement catastrophiques. Les producteurs paniqués imposent alors une ré-écriture du film et l’adjonction d’un nouveau personnage interprété par Eddie Murphy, histoire de sauver les meubles. Sauver les meubles, c’est aussi la volonté du réalisateur, qui parvient à obtenir d’assurer lui-même la ré-écriture de son film – et créditera d’ailleurs Eddy Murphy au générique en tant que « strategic guest star » !
Si le film n’est au final pas fameux, son chamboulement contrôlé lui apporte curieusement quelques atouts surprenants. Plutôt que d’insérer artificiellement un nouveau personnage encombrant dans une intrigue déjà structurée, Huyck choisit de lui offrir un second film dans le film, en confiant à Eddie Murphy le rôle d’un soldat pilotant le char d’assaut conçu deux ans auparavant par les personnages du film initial, lors d’un conflit imaginant, six ans avant qu’elle se réalise « pour de vrai », l’invasion du Koweït par l’Iraq ! Le film tel quel fonctionne dès lors et sur toute sa durée dans un montage parallèle entre deux actions, deux lieux et deux temps drastiquement opposés – entre les intrigues autour de la conception foireuse d’un char pourtant homologué et le désastre à venir de sa mise en service. Objet très bizarre à l’arrivée.
Mais si le film ne décolle pas vraiment, il se suit agréablement, et sans faire d’étincelles, son humour décalé atteint parfois sa cible (petite préférence pour un standard tarte, « Close to you », interprété au cours du film dans plein de langues différentes), il est correctement réalisé (pour l’époque, la séquence de suspense finale plongeant jusqu’au cœur des circuits du tank est assez étonnante), c’est une petite comédie vive et sympathique qui marche sur quelques béquilles, c’est aussi un film malade à rajouter à une liste qui pourrait faire l’objet d’une programmation curieuse – le festival du film rafistolé, pourquoi pas…
V comme… LA VIPÈRE DU KARATÉ, réalisé par un cinéaste asiatique il y a plus de vingt ans.
Et bien oui, la collection « L’Odyssée du Kung-Fu » de Bac Films, qui nous propose des copies restaurées (hem) de classiques (?) du Kung-Fu (ce que n’est pas du tout l’un des meilleurs titres de la collection, l’hilarant AU PAYS DE LA MAGIE NOIRE), balance des copies d’exploitation de l’époque et en l’état, en VF, dans des copies atroces que leur pseudo-restauration change rarement pour le meilleur, et les crédits de ces films, en français ou plus souvent en anglais, ne sont pas d’une très grande fiabilité. Et comme la plupart des films édités sont assez obscurs, ils ne sont pas répertoriés sur le site ImdB, pourtant très complet.
Mais d’après le générique – et si un spécialiste passe par là, qu’il n’hésite pas à nous faire profiter de ses lumières, le film serait l’œuvre d’un certain Huoy King et d’un tout aussi certain Tyrone Hsu, les noms au générique semblant indiquer que le film est hong-kongais ou chinois a priori. D’ailleurs, vous connaissez l’une des actrices principales du film, puisqu’il s’agit de la petite Dyna, « l’enfant star mondialement connue » affirme le générique d’ouverture. Je vous avoue m’être pour ma part senti assez bête de ne jamais avoir entendu parler d’elle…
Le film lui-même est plutôt une bonne affaire, dans un registre très Z appuyé par une VF d’une ineffable légèreté (un personnage chantonne « Nuit de Chine » dès la séquence d’introduction). L’histoire ? Disons que c’est une sorte de mélange entre L’ENFANT SAUVAGE, SPLASH et TARZAN : une femme sauvage est capturée et emmenée en ville, suscitant vite toutes les convoitises, car elle a la particularité d’avoir des serpents à la place des cheveux. Au début, elle s’amuse beaucoup, et elle tombe même amoureuse d’un de ses hôtes, mais bientôt, les méchants se montrent par trop méchants, voulant l’enfermer en cage et lançant à ses trousses un sorcier drag-queen hystérique dont la tête peut se détacher du corps et flotter dans les airs. Au bout d’un moment, ça commence à bien faire, et une petite fille sauvage, elle aussi avec des serpents à la place des cheveux, vient la sauver, et elles retournent bien gentiment à la vie sauvage.
Le film est bien plus axé sur la comédie et le film d’aventures que sur le film d’action. Le croisement entre l’humour chinois et celui des irresponsables chargés de traduire et d’interpréter les dialogues français forme un mélange curieux et pas spécialement digeste, qui développe malgré tout une forme assez plaisante de bizarrerie. Le film est atrocement mal réalisé (merveilleuses substitutions entre l’actrice et sa doublure, qui évoquent involontairement les trucages à la Méliès), écrit et monté à peu près n’importe comment (avec flash-back nous rappelant le contenu d’une séquence absente du métrage) ; et l’humour se manifeste parfois sur un versant pour le moins saugrenu : la petite fille sauvage se bagarre avec les méchants tout en exécutant une danse du ventre (peut-être était-ce la spécialité de Dyna ?), la « vipère du karaté » donne à boire à ses serpents capillaires dans une pissotière. Mon passage préféré reste tout de même cette scène où Dyna sauve une femme d’un viol, mais la femme est à ce point terrifiée par la petite fille aux serpents qu’elle se pisse dessus face caméra, c’est très léger et d’un goût sans faille. À voir en groupe, ça peut ponctuer fort joliment une excellente soirée.
C’en est fait de cet opus 10, qui comporte peut-être peu de très bons films – mais quels films ! On n’échappe jamais totalement à la banalité et aux vieilles recettes mille fois réchauffées, mais c’est sans doute ce contraste violent qui fait le prix des œuvres sortant des sentiers battus. Le menu est varié en tout cas, et l’appétit n’est qu’à peine entamé : j’enchaîne, j’alterne, et je me fais parfois quelques blagues malicieuses en amont dans la programmation, histoire de ne pas me cantonner à ce vers quoi mes affinités me portent ou vers ce que je connais déjà… et je vois parfois se profiler à l’horizon des titres redoutés, mais la règle est la règle : interdiction formelle de modifier une sélection établie. C’est le jeu, et c’est aussi pour ça que ça me plaît ! Nous allons prochainement prendre le train 11, d’ici là je vous souhaite bons visionnages.
Le Marquis
[Photo : "Les premières obscénités d'une jeune reine", d'après PINK FLAMINGOS - Le Marquis]

PINK FLAMINGOS
LOS OLVIDADOS
L’HOMME SANS PASSÉ
LES CHRONIQUES DE RIDDICK
THE KILLER
STITCHES
MAN TROUBLE
DANS LES TÉNÈBRES
L’ARGENT
EUGÉNIE DE SADE
BLOOD DOLLS
UNE DÉFENSE CANON
LIENS SECRETS
ICE GIRL
GOLDEN CHILD
NEMESIS II
LA VIPÈRE DU KARATE
LA TERREUR DE L’ARMÉE
JUDGE DREDD
FLIGHT OF THE NAVIGATOR
REIGN IN DARKNESS
Bande-annonce de l’épisode 11 : odyssée d’une chanteuse ratée, visite au village du Père Noël, Loïs Lane trucidée par un clown, triolisme sympathique, la casserole de Sylvester, un avion détourné par des abeilles tueuses, Virginia Woolf et conséquences, invasion extraterrestre de pure routine, la vérité sur le Mystery Van, la vengeance d’un tatoué câblé, les méfaits d’une momie, des kangourous en guerre contre une folle tordue, un nez qui s’allonge, deux jumelles et une grosse mite, une grosse brute de cour de récré, une chasse à l’homme, le retour de l’Oncle Sam, les dernières heures d’un futur taulard, une lune de miel qui dégénère.
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[Photo : Tendresse pour la Faucheuse, d'après LOS OLVIDADOS - Le Marquis]