LES AMITIÉS MALÉFIQUES, d'Emmanuel Bourdieu (France, 2006) : Le Mal est L'Enemi du Bien (la mort de l'exception culturelle)

Publié le par Dr Devo et Mr Mort


(Photo : "Buy her some flowers ?" par Dr Devo)

Ah bah, les gars, allons-y ! Sans vergogne, si on (se) faisait un film.

Le cadavre de la Cinémort est encore froid que déjà tous se précipitent dessus, écrivirent-ils en se disant que de toute façon, la phrase est assez splendide, et même avait, dans le contexte, assez de style afin qu'ils puissent la mettre là, sans motif apparent (et bien que la Vérité soit tout autre...).

En tout cas, dans LA CHARTE DEVO DE LA CRITIQUE ET SES 69 POINTS GRANDIOSES (de mémoire), ce bon Docteur, de retour d’exil forcé dans les camps de travail (forcé également) de Sibérie, occulte un fait, ou plutôt, disons qu'il le peaufine afin de le mettre dans la prochaine mouture du texte (car ce texte évolue toujours) : une bonne critique essaie de se débarrasser au maximoume du contexte de production de l'œuvre. Par ce champ, on éviterait de chercher à tester le cursus du faiseur, ou à extrapoler sur sa place dans la Société. Si de telles remarques doivent avoir lieu, on les mettra, mais vraiment si on ne peut pas faire autrement, en annexe.

Mais alors, comment va-t-on faire pour parler de ces AMITIÉS MALÉFIQUES d’Emmanuel Bourdieu, qui sort bientôt (le 27 septembre), et auquel nous convia, avec beaucoup de gentillesse, notre cinéma Pathugmont en tant que collaborateurs à ce site merveilleux ? Sans le contexte de production, ça va être dur, non ?
Et non ! Ce serait dur pour une critique de cinéma, mais la présente Cinémort est absolument parfaite, vous allez voir.

Allez. Paris, Sorbonne (en short devant Prisu, bien entendu), fac de lettres, niveau maîtrise. Des jeunes, certes, mais qui ont de la bouteille. Parmi eux, André, grande gueule, orfèvre des réseaux, cultivé à mort (il a lu, c’est montré à l’image, des milliers de livres, rien que pendant ses études) et des intransigeances, quant il s'agit de littérature, absolument splendides et merveilleuses. Voilà qu'il prend sous son aile hautaine (il est comme ça, il casse à vue, la littérature est trop importante pour qu'on ne dénonce pas sa souillure et ses profanations), deux freshmen, deux djeunz qui viennent de débarquer. [En fait, André est assez dur à décrire, mais on peut en voir, en vrai, ici et là : par exemple ici et !] André, sûr de lui, imbu de sa personne au dernier degré et verbalement violent et manipulateur, devient un modèle pour les deux jeunôts. Et paradoxalement, aussi odieux soit-il, André les fera progresser et accéder à leur carrière, à leur vocation, autrement dit à ce qu’ils désirent le plus, dans le même mouvement qu'ils découvriront que cet André est un imposteur (sans doute) et un salaud (sûrement).

Ohlala ! Ça, c’est Paris ! Moulin-wouge ! Ameulhy Pulin ! Tür Aïffeul ! Monmat’ ! Et bien sûr, désormais et grâce à Emmanuel Bourdieu : la So’Bonne !
LES AMITIÉS MALÉFIQUES (oui, je sais…) se passe donc dans les plus hautes sphères universitaires, et pas celles des glandeurs dans les sections psycho (ou pire : filmo !), mais celles des "Lettres", de la Littérature. La noblesse. Le film tourne autour de l’idée que tout le monde écrit dans cette section de la prestigieuse fac, ne serait-ce qu’un journal intime. Et c’est vrai. Malik Zidi, qui joue un des deux jeunz que le personnage d’André prend sous sa coupe, est "fils de", d’écrivain en l’occurrence, puisque que sa mère, riche bourgeoise, est une romancière réputée et vendeuse (Dominique Blanc !). Elle est d’ailleurs attaquée en ce moment dans un pamphlet appelé CAVIAR ET LITTÉRATURE. Malik écrit en cachette, et il balance son bouquin à la poubelle, mais maman veille au grain et le livre deviendra célèbre, gagnera le Médicis. Quand au deuxième djeunz, joué par Mister Bean (quand même !), il découvrira sa vocation : acteur au Français !

Où est le personnage qui devient critique au Cahiers puis réalisateur ? Ce n’est pas très réaliste, je trouve !

On peut disserter des heures sur l’outrecuidance de faire un film avec un tel propos, toujours édifiant, surtout quand on a le parcours de ce réalisateur. Bon. On peut aussi discuter pendant des heures de son sens de l’analyse d’un milieu qu’il connaît bien. Portez des couleurs bigarrées. Ou habillez-vous exclusivement en noir. C’est la même chose. Toujours est-il que, pour un film qui parle de la clairvoyance de l’Élite Littéraire, quelle déception de voir que Bourdieu, si passionné quand il s’agit de valoriser le style, le style et le style dans son film, si revendicateur lorsqu’il s’agit, pour ses personnages, de dénoncer le niveau pitoyable des écrivants et des lisants, de fustiger le niveau qui baisse et la mise en berne des lettres de noblesse de cet Art, bref Bourdieu, l’esthète et l’hyper-cultivé, celui qui a fait carrière dans le cinéma, quelle déception, disons-nous, de voir que d’un point cinématographique, ton film est complètement nul !
À savoir : photo désastreuse (lumière grisouille, plans de nuit hideux, grains ignobles mais pas partout avec la même densité, point pas fait ou tirage flou, un sans faute !), pas de cadre (par exemple : le passage où André rentre chez lui précipitamment : comment peut-on faire ça après Von Trier ou Cassavetes ? Est-ce trop demander que ce soit beau ?), son illustratif, souvent nu ou couvert par une ambiance trouvée dans une banque de son sur Internet, aucun montage (sinon scénaristique, aucun point de montage pertinent quoi !), etc. Évidemment, dans ces conditions, inutile de parler d’axe ou d’échelle de plans qui, de toute façon, vous le savez maintenant, sont dans ce cas des éléments inopérants. Ajoutons là-dessus un jeu théâtral immonde de la part des jeunes acteurs, qui fera ravaler leur casquette à ceux qui ont critiqué le jeu des acteurs dans le Brisseau ! Ben oui, le cinéma c’est quand même un peu le théâtre et beaucoup la littérature !

DEHORS ! DEHORS LES CLOWNS ! FAITES DES MAUVAIS LIVRES ! Mais par pitié, barrez-vous ! OUT ! Bourdieu et consorts, avez-vous vraiment besoin de tout salir ? Allez vous sortir un CD de musique classique ensuite ?

Outre l’incroyable condescendance du film sur le plan social, et son angélisme, et son conservatisme aussi, paradoxalement (en gros, on est à la place qu’on mérite), Bourdieu réalise un film :
1) moins bien réalisé, et je le dis sans rire, qu’un épisode de PJ ou AVOCATS ET ASSOCIÉS…
2) qui, sans parler de goûts esthétiques, ce qui serait bien impossible en parlant de ce film, n’utilise aucun élément de la grammaire cinématographique…
3) … et qui donc, par conséquent, n’est que du dialogue filmé !
4) Si ce film était de la littérature, ce serait du Harlequin ou du roman jeunesse (genre ignoble)… Et pour le CD de classique, je suggère du Rondo Veneziano, ou mieux, pour prouver son pluralisme, un disque de Hype-Hope.

Un peu fort, pour un film qui parle de style.

Rappelons-nous : un film qui sort, c’est dix qui ne sortent pas. Ne vous demandez pas pourquoi ce film dont on vous a rebattu les oreilles ne sort pas. Vous avez ici la réponse. Que le cinéma français aille à sa perte, après tout, si c’est la seule politique possible, comme disait Duras. On voit ici les limites du système de protection et de financement du cinéma en France (CNC, taxes sur le ticket, donc payées par le spectateur, avances sur recette, aide à l’écriture, etc.) : il ne sert qu’à faire des films comme celui de Bourdieu. Ou du Claude Sautet. Ou du Tavernier. Si c’est ça, autant arrêter les frais et investir dans des domaines qui ont urgemment besoin de crédits : revalorisation des salaires, éducation nationale, réduction de la dette, petits fours, etc.

En tout cas, dehors les voleurs !

La prochaine fois on parle de cinéma !

Article co-écrit (pour la première fois) par Dr Devo et Mr Mort.
 
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Publié dans Cinémort

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I
Faut vraiment avoir une drôle conception de la vie pour imaginer qu'on puisse être jaloux du fils Bourdieu.
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N
Je ne comprends pas cette violence inutile. Le film n'est peut-être pas mémorable, mais pourquoi tant de haine ? Y a-t-il un petit ressentiment personnel de votre part à l'encontre des agrégés de philo ? Ce film est intéressant, subtil, et moins prétentieux et bâclé que vous le prétendez. Je ne vois là qu'une réaction passionnelle médiocre, dont émanent des relans clairs de jalousie...
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D
Je suis bien entendu d'accord avec vous Verasouto!Mais ceci dit, je trouve les cadres non seulement repetitifs mais tous très laid. pas un joli plan pendant tous le film (la scène en amphi est de ce point de vue une catastrophe !).Salutations.Dr Devo
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V
Je me suis donc obstinée à voir l'objet : un scénario timoré où on n'ose rien, la fin méritait au moins qu'André passe sous une voiture... Je passe sur le fait qu'il n'aurait jamais dû revenir car la seule bonne idée, c'est son départ pour nulle part... C'est le même sujet qu'"Une étange affaire", version édulcorée et Sorbonisée, d'ailleurs le dit André a un peu la tête de JM Roberts à l'époque... Tous ces gens sont totalement anachroniques, ça en devient provocateur!  Pour l'image,  j'ai remarqué la catastrophe pour les scènes de nuit mais aussi une façon de cadrer toujours identique quasiment tout le long du film avec des portraits allant de la tête (rabotée, coupée la plupart du temps) des "jeunes" à la taille, jamais plus bas : pour démontrer la desexualisation totale du film? Bref, de maléfique, il y a cette imposture... Franchement, Je m'attendais quand même à mieux, vous sachant ne pas pêcher par indulgence... A+
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I
Oui, c'est couru d'avance, c'est le circuit cuit ! D'après les rumeurs que j'ai pu collecter, le réalisateur de ce film ne serait pas Emmanuel Bourdieu qui se serait contenté de prêter son nom. En fait, il s'agirait du premier film au monde à avoir été réalisé par... un ficus !
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