BLOOD FREAK de Brad F. Grinter et Steve Hawkes (USA-1972): Turkey Delights!

Publié le par Dr Devo








[Photo: "Mais où est Charlie?" par Dr Devo.]






Bientôt, les semi-vacances de Matière Focale seront terminées. Et les articles repartiront à la cadence habituelle. Il n’empêche, ça bouge en coulisses. Pour une raison qu’il est encore trop tôt pour dévoiler, il se trouve, qu’en ce moment, je dois me plonger dans l’univers du cinéma bis, underground, et même franchement Z parfois. Un job que beaucoup trouveront ingrat, mais qui devrait très bientôt profiter à quelques focaliens de manière concrète. Bref, Matière Focale prépare un "gros coup" dont je vous parlerai très bientôt. Et pour préparer ce hold-up affectif en direction des cinéphiles passionnés, donc, me voilà à arpenter les chemins les plus obscurs de la galaxie cinéma. Alors, accrochez-vous, ça va secouer.

 

 

 

Chez nous aux USA, quelque part sur une autoroute à l’Ouest du Pays. Un motard double une voiture décapotable conduite par une jolie fille. Ils se regardent, se dépassent, se redépassent, se font des signes et se rejoignent finalement à la prochaine station service, où la fille propose au biker de venir faire un tour dans l’appartement de sa sœur qui reçoit des amis. Et effectivement, il y a du monde chez la sœur : en gros, beaucoup de babas cools. Ils boivent tranquillement, ils discutent à n’en plus finir, ils rient, et bien sûr ils mangent des cachets rigolos et fument des cigarettes roulées aux effluves orientales. Le biker est plutôt réservé : s’il ne refuse jamais une conversation absurde sur les djembés ou le sens de la vie, il rejette les substances qui circulent, et n’a pas l’air d’être très porté sur l’amour libre ! Qu’importe… Il finit par suivre la sœur de la fille à la décapotable, une fille assez libérée et qui aime bien les produits marocains. Et là, tout s’enchaîne. Le père de la sœur (et qui est donc aussi le père de la fille à la décapotable, suivez un peu) propose au biker un boulot dans son entreprise… d’élevage de dindons. Aussitôt dit, aussitôt fait…

C’est en discutant avec des gars du labo dudit élevage, que le biker accepte - pour gagner plus, d'en manger plus, des dindons - c'est-à-dire d’être cobaye pour en boulotter, de ces animaux... Ben, ils ont reçu des produits chimiques pour les faire mieux grandir. Oui, je sais, vous vous dites, à quoi ça sert de nous raconter tout ça… Nous, on veut de l’action… Si on veut du dindon, on regarde 60 MILLIONS D’AMIS, etc.

Entre deux gorgées de vin, alors que je m’apprêtais à aller aux toilettes, car une demi-heure de film sur le sens de la vie (avec des gens drogués) et d’élevage de dindons, c’est diurétique, à ce moment-là, donc, les évènements prennent un tour horriblement dramatique, et même s’accélèrent dangereusement. Le biker finit par coucher avec la sœur délurée, il mange toujours plus de dindons, ils fument des oinjs gros comme des barreaux de chaises, il remange du dindon, et… LE DRAME !! Il finit par muter sous le triple effet du sexe, des produits chimiques contenus dans le corps des dindons et de l’herbe ! Il se transforme alors en horrible Homme-Dindon assoiffé de sang… Et par n'importe lequel, puisqu'il se nourrit uniquement du sang des drogués !

 

Pour apprécier la performance qui consiste à faire un article sur un tel film, il faut préciser, pour plus d’équité et de justice que je vis la chose en divx, lui-même tiré d’un affreux rip VHS d’époque. Yummy yummy ! Quel beau métier, se disent les fans ! Vous avez mille fois raison, et pour vous dégoûter une fois pour toutes, je vous précise même que cette copie était en VF ! Pour 1,58% du lectorat de Matière Focale (selon un sondage SOUFFRANCE, effectué sur un échantillon représentatif de trois millions de personnes), cette expérience représente exactement ce qui se passe quand vous arrivez au Paradis et que vous posez votre superbe fessier à la droite du Christ Notre Sauveur, au plus près de la Félicité Eternelle promise par la Révélation du Livre Sacré. Pour tous les autres, BLOOD FREAK est sans doute le film que l’on vous passe lors de la longue descente qui vous conduit aux Enfers…

 

 

Ce qui frappe d’abord dans la copie du film que j’ai vue, c’est l’hallucinante photographie : sombre, peu de contraste, artefacts de la bande VHS. Puis, vient le second effet Watch Uncool : le souffle. Ce joli petit souffle, ce souffle omniprésent, incessant comme la respiration insupportable du jeune baba qui souffle dans son didjéridoo dans le parc en face de chez vous le dimanche matin à 4h33 du matin. Dès la séquence d’ouverture, sur l’autoroute, scène qui occurait pourtant une volonté tout à fait appréciable d’entrer dans le vif du sujet tout de suite, chose contredite très vite au profit d’une lenteur narrative d’une maîtrise totale, dès cette séquence d’ouverture donc, on sait que le cadrage va être tout bonnement sensationnel : du tremblé, de l’approximatif, du plat, des panotages incessants pour éviter de faire deux plans, une volonté d’entrer dans les espaces les plus neutres du Cosmos. Un beau talent de cadre qui, allié à l’image ignoble et au son complètement industriel, fait de BLOOD FREAK une expérience hors du commun. Le clou sera la version française qui, elle, pour le coup est complètement formidable. Je la soupçonne d’être assez postérieure, en terme chronologique, au film lui-même. Loin d’être doublée à la truelle par des acteurs désintéressés qui lisent Télé 7 Jours en enregistrant leurs voix pour le film, ou qui comptent mentalement le nombre d’heures qui leur manquent pour avoir le statut d’intermittent, la VF sort des canons du doublage pourtant déjà très marqués dans notre beau pays la France. On n’essaie pas, en effet, d’imiter le style de diction américain et emphatique qui est d’usage, comme dans une série télé tel STARSKY ET HUTCH par exemple. Non, ici, les acteurs ont décidé de prendre la chose au sérieux, enfin tant que possible, et surtout hors de tout préformatage artistique. BLOOD FREAK est donc doublé de manière vraiment originale, et pour une fois, je ne fais pas d’ironie. Voire un film sur un biker prude confronté à la communauté baba-hippie se transformer ensuite en dindon-mutant, voilà qui se suffit largement à lui-même. Mais si vous rajoutez là-dessus que c’est doublé comme si on post-synchronisait un film de Rohmer, vous comprendrez alors que, curieusement, l’expérience catastrophique qu’aurait du être le visionnage de ce film s’est transformée en quelque chose de tout-à-fait inconvenant et assez délicieux.

 

 

Pour appuyer ce dispositif déjà puissant, les deux réalisateurs… Oui, je sais, ils sont deux en plus pour réaliser ça ! Les deux réalisateurs, disais-je, ont mis le paquet. Si la narration est atrocement linéaire et d’une lenteur tout à fait remarquable, nos deux compères ont un sens de la coupe et du montage encore pire, ou supérieur, je ne sais pas. Certaines scènes peuvent durer des plombes, alors que certaines liaisons ou transitions sont d’une brusquerie violentissime. Premier point. Rajoutez par là-dessus des dialogues hallucinants de connerie, et vous imaginez bien que vous avez dans BLOOD FREAK, une perle rare, une espèce de record du monde, un truc de compèt’ !  Il y a bien sûr l’incroyable introduction à la Vincent Price par un des co-réalisateurs (l’autre jouera l’homme-dindon). Il nous explique grosso modo, que le Monde change constamment et qu’à chaque seconde d’autres changements interviennent modifiant l’ordre du Monde qui change en conséquence dans un mouvement mutation qui le rend encore différent et le change en retour et réciproquement. Et nos actions changent le monde ! Et un catholique est une personne qui fait des actions, et vos pouvez rencontrer un catholique ou rencontrer une personne qui connaît un catholique de sa connaissance à lui. Et un catholique c’est quoi ? Un homme qui agit et déclenche des changements ! Et oui, c’est le jeu, ma pauvre Lucette…

Alors, des tirades comme ça, il y en a en pagaille. La sœur apprend qu’elle est enceinte. Alors que le biker qui est le père du potentiel enfant  souffre la mort, avec son nouveau corps de dindon humanoïde, et qu’il est quand même pris d’une incroyable force qui le pousse à tuer tout ce qui bouge, la femme s’inquiète : « Que vont dire les enfants si leur père a une tête pareille ? Et s’ils ont un tête qui ressemble à leur père ? »

Personnellement, mon dialogue préféré est une jolie coupe de montage, où, à la fin d’un repas le papa éleveur avoue au biker : « Oui, tu as raison. J’aime ton regard sur la vie, et j’ai plein de questions à te poser…». Silence. Rien. Encore rien. Silence. Puis : « Si tu cherches du travail, j’ai un élevage de dindons au nord de la ville… »

 

 

Mais ne vous faites pas d’idées : BLOOD FREAK n’est pas qu’un film sur un homme à la tête de dindon qui tue des babas-cools en faisant glou-glou (ha oui, j’ai oublié de vous dire qu’il fait glou-glou), hou la non, loin de là même. C’est aussi une évocation puissante de l’évolution d’un monde en pleine mutation où la morale chrétienne est très malmenée par les abus de la Société en matière de drogues (et de sexe libre). A travers la métaphore animale, le réalisateur arrive de manière sensuelle à recentrer le débat : la rédemption est possible (la preuve : le biker sera sauvé et perdra sa tête de dindon, et c’est tout, générique, bonsoir madame), la rédemption par la nette conviction que la foi en la vie est plus forte que les dealers d’extasy, que le couple permet de passer toutes les épreuves du monde moderne tel que les OGM, les manques de fiabilité de l’industrie agro-alimentaire, les radiations nucléaires, les joueurs de djembé, la drogue. 

 

 

 

Je sais pas ce que vous en pensez, vous… Mais pour ma part, je dirais que ce n’est pas chez Ken Loach ou Clint Eastwood que vous aurez des réflexions pareilles. [Quoique, chez Eastwood…. Mais sans les dindons alors !]

 

 

En tout cas, cette série Z qu’est BLOOD FREAK est comme un patchwork de mauvaises décisions et de goûts artistiques désastreux, le tout saupoudré d’un bon bla-bla christocentré. Ce n’est pas grand'chose, me direz-vous. Certes. Mais plus important, c’est le délicieux équilibre de tous ces éléments débiles qui fait de BLOOD FREAK une espèce de concentré, un film qui fait des actions et enclenche des changements. Un film qui connaît une personne catholique. La belle concentration de ces éléments, leur combinaison dans un melting-pot absurde font, qu’au final, l’expérience est assez mémorable, très très drôle, et de manière presque ininterrompue. Ce n’est pas parce que les choix des deux réalisateurs sont calamiteux que le film est agréable, c’est que la concentration de choses à ne pas faire, leur répartition scientifique à tous les postes créatifs, réussissent à rendre la chose assez remarquable. Mais vous êtes prévenus, c’est du lourd. Et pour certains, ce sera une épreuve sans nom… Quelque part dans le Cosmos et le Temps, sans doute, Jésus vous conseille de voir la chose…

 

 

Dr Devo.






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Publié dans Corpus Analogia

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P
<br /> Ha oui, ok ok.<br /> par contre c'est intéressant parce que sur le montage US que j'ai à ma disposition, on voit le même co-réalisateur conclure d'une morale en fin de métrage. Pendant son speech, il s'allume une clope<br /> pour se donner une contenance puis se prend une quinte de toux cataclysmique qu'il essaye tant bien que mal de réprimer.<br /> <br /> <br />
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D
<br /> Ha bah, je vous assure qu'avec le doublage français, et lea mdiocrité de l'ensemble, on peut prendre du plaisir à ce BLOOD FREAK.<br /> <br /> Sinon Popman, mais si, je parle de l'introduction apr le narrateur qui est aussi le co-réalisateur, c'est le speach sur les changements. D'ailleurs on le voit qu'au début.<br /> <br /> Minary, mon petit bonhomme, ta chanson réaliste elle ma foutu direk' l'envie de chial tellement c'est beau... T'as de l'avenir, toi... Allez, va jouer mon petit Mozart!<br /> <br /> <br /> Dr Devo.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Mon père m'a donné un joli prénom:couille de dindon,ah quel joli nom! chanson hyper connue des soirées branchées oinjs et bibines.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Je me demande si le Dr Devo n'a pas oublié de parler d'un certain speaker clopant et donnant la leçon en début et fin de film.<br /> A moins que la VF l'ait fait sauter...<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Quelle prose! Très agréable à lire votre article!<br /> Je le soupçonne d'être mieux que le film d'après ce que vous dites.<br /> Pour votre extrait de dialogue, il m'en rappelle un autre que j'aimais bien, dans Prophecy 3,  je crois:<br /> "Il vient d'on ne sait où... Il enlève les gens et les emmène on ne sait où"<br /> <br /> Bien à vous!<br /> <br /> <br />
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