ELMER, LE REMUE-REMINGES (BRAIN DAMAGE) de Frank Henenlotter (USA-1988): We are all lying in hell!!

[Photo: "Mon Cerveau N'est pas Disponible" par Ludo Z-Man, d'après une la pochette d'un disque des BUZZCOCKS.]
Je suis né trop tard.
J’adore le cinéma bis, mais je suis né trop tard. Trop tard pour avoir connu les salles de quartier. Trop tard pour avoir vécu pleinement l’explosion de la VHS. Le DVD, évidemment, est quelque chose de formidable. On a accès à une quantité de films et comme le disait récemment Jean-Pierre Dionnet (qui a son blog aussi maintenant), c’est une autre manière d’apprendre à connaître le cinéma, plus la peine de mettre des barrières entre Pasolini et Bava, entre Bunuel et Jess Franco. La VHS encore, j’en ai des souvenirs, dans les années 80, les vidéo-clubs avaient encore tous des rayons "porno" et pas loin les rayons "horreur" et les jaquettes était hautement suggestives. Evidemment, j’étais trop petit pour voir ces films mais les images restaient en tête et alors que je vis mes premiers films d’horreur à l’aube de mon adolescence, il me tardait de voir tous ces films dont j’avais juste aperçu les jaquettes ou gardé quelques photogrammes en mémoire. ELMER LE REMUE-MENINGES avait tout pour faire envie. Un titre français merveilleusement aberrant (rappelons que le titre original BRAIN DAMAGE est bien plus sobre). Une affiche aussi grotesque que merveilleusement dégueulasse. Et puis un jour, lors d’une discussion avec la vendeuse du vidéoclub à côté de chez moi (que je devais trouver fort mignonne), ayant vu que je tournais autour de la VHS du film, me le raconta et en particulier la fameuse scène de… fellation, enfin bref, LA scène du film, ce qui troubla le jeune homme impressionnable que j’étais. Je n’ai découvert cette scène que bien des années plus tard.
Donc, voilà, c’est encore une histoire de parasite en plastoc, mais avec moi, vous commencez à être habitués. Quand le film commence, un couple de personnes âgées s’apprête à préparer le dîner. On ne saura pas si on est un lundi mais ce qui est sur, c’est que ce ne sera pas ravioli mais bien une belle assiette de cervelle pour le petit Elmer. Manque de pot, au moment de passer à table, les vieux s’aperçoivent qu'Elmer s’est fait la malle. Elmer, en fait, n’est pas un joli bambin mais une étrange créature, une sorte de larve à peine plus sympathique que le bébé d’ERASERHEAD, bien que dotée d’un vocabulaire plus développé. En plus de son régime alimentaire un peu particulier, cette créature maintient les gens sous son emprise en leur injectant une substance bleue directement dans le cerveau. Quelques étages plus bas dans l’immeuble, Elmer va trouver sa nouvelle victime : Brian. Plutôt joli garçon, Brian vit en colocation avec son frangin et a même une petite amie. En plus, il a un poster du groupe SUICIDE dans sa chambre, donc pas de doute, c’est un type bien. Mais sa rencontre avec Elmer va le précipiter dans une véritable déchéance.
Même si ça ne veut pas dire grand chose, Frank Henenlotter est quelqu’un d’irrémédiablement sympathique. Appelez ça comme vous le voulez, il est trash, il est underground, il est punk (pour le côté DO IT YOURSELF), enfin bref, Henenlotter a fait du cinéma tout seul dans son coin pendant des années sans rendre de compte à personne. Un cinéma qui ne ressemble qu’à lui. Il en a tellement bavé qu’il a même failli raccrocher mais MATIERE FOCALE vous avait annoncé la bonne nouvelle, il y a quelques temps, Henenlotter is back et il avait toujours la forme (en effet, son tout récent BAD BIOLOGY était très réussi). On pourrait résumer le truc en disant que le cinéma d’Henenlotter est celui d’un jeune homme qui séchait les cours pour aller se promener sur la 42éme Rue à New York et errer de cinémas en cinémas en s’abreuvant de films d’horreur, de séries Z et autres bandes d’un mauvais goût très sur. Mais bizarrement, Henenlotter n’est pas un cinéaste référentiel, dans le sens où il n’est pas dans la citation, il ne cherche pas à parodier ou à se distancier du genre. Tous les films bizarres qu’il a vu ont constitué chez lui un imaginaire qui surgit très naturellement au sein d’un univers infiniment personnel. C’est ce qui rend son cinéma si intéressant et finalement si touchant.
Plus ou moins volontairement, Henenlotter tourne dans les mêmes conditions que ceux qui faisaient des films d’exploitation sur la côte Est dans les années 60/70, comme les époux Findlay qui tournaient eux aussi leurs atrocités à New York, le cinéma d’Henenlotter étant indissociable de New York, on peut même comparer ce lien avec celui qui unit John Waters à sa ville natale, Baltimore. On peut dire que Henenlotter s’amuse à projeter ses visions aberrantes dans le New York glauque des bas-fonds : rues crades, casses abandonnées (un décor qu’il réutilise dans BAD BIOLOGY d’ailleurs), boites de nuit craignos, hôtel sordide, métro désert… Même l’appartement habité par le héros ne respire pas la joie de vivre, en plus, c’est pas possible d’éclairer une baraque comme ça : ah, cette lumière nocturne et bleutée qui baigne constamment la chambre de Brian ! Pour un peu, on s’attendrait à voir au coin de la rue surgir Joe Spinell, le MANIAC de chez William Lustig. Pourtant, c’est bien à une créature animée image par image à laquelle nous aurons à faire. Du coup, le ton du film comme du cinéma d’Henenlotter en général est assez difficile à définir. Le film est souvent drôle : il y a d’abord l’aspect grand-guignolesque qui dispense un rire potache immédiat et très efficace. Puis, il y a la malice avec laquelle Henenlotter joue avec son sujet : et là, évidemment, on se dit, ben oui, c’est une métaphore sur l’addiction, et ELMER... peut-être vu comme un pastiche des films de drugsploitation, ces films censés montrer les effets de la drogue et dénoncer leurs dangers, tout en satisfaisant le spectateur désirant s’encanailler. Et là, Henenlotter joue à fond sur la symbolique sexuelle, c’est constamment énorme, d’un goût exquis, ça occasionne la fameuse scène à laquelle je faisais allusion au début de cet article et c’est vraiment hilarant.
A ce petit jeu de la métaphore, Henenlotter ira assez loin jusqu’à l’apothéose finale qui réjouira les spectateurs qui adorent sortir d’un film en se demandant : "Mais, qu’est ce que viens de voir exactement ???". Mais en dehors de son aspect de comédie noire à l’humour assez barré, l’une des plus belles réussites, c’est justement cette étrange collision entre le cadre du film et son univers. Le scénario du film est suffisamment déjanté pour que Henenlotter se foute d’y introduire une quelconque ambiguïté ou du second degré et encore moins un message. Et c’est parce que Henenlotter va au bout de son délire, sans le moindre complexe ni peur du ridicule, que surgissent de belles ruptures : par exemple, après la scène du dîner de Brian avec sa petite amie qui est à la fois écœurante et drôle, on a ce long travelling qui suit le personnage dans les rues et ce beau plan où Brian surgit au second plan derrière un clochard qui noie sa tristesse dans l’alcool. Et ce plan très bref suffit à faire exister de manière assez émouvante ce que la fantaisie du film (son côté série Z) met hors-champ mais qui existe indirectement dans le récit. Du coup, la farce grince souvent, ce qui accentue encore plus l’étrangeté et la drôlerie du film.
Pour conclure, signalons que bizarrement le film est toujours inédit chez nous en DVD alors qu’on le voit régulièrement passer sur les chaînes du satellite et que BASKET CASE, FRANKENHOOKER et SEX ADDICT (titre v.o de BAD BIOLOGY), les autres attentats de Henenlotter sont tous trouvables en zone 2. Pourtant, ça mérite de figurer en bonne place dans vos DVDthéques.
Ludo Z-Man.
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