ELSA FRÄULEIN SS de Patrice Rhomm (France-1977): Il était une fois... dans une France occupée par les nazis.
[Photo: "THE KILLING JOKE" par Ludo Z-Man d'après une couverture de la bande dessinée SHATANE éditée chez ELVIFRANCE]
Pendant que tout le monde discute sur l’évocation fantaisiste faite par l’ami Quentin de l’Occupation Nazie (bon, difficile de ne pas glisser ici mon avis, c’est un film magnifique, INGLOURIOUS BASTERDS … voilà !), je tombais en fouillant dans mes cartons sur une de ces aberrations que seul le cinéma d’exploitation a pu engendrer : ELSA FRAULEIN S.S., qui appartient à ce sous-genre pour le moins controversé que fut le nazisploitation, films érotico-fétichistes jouant sur la période et l’imagerie du Troisiéme Reich. Un genre fort douteux, il faut en convenir, et qui trouve pourtant d’une certaine manière ses sources dans un cinéma d’auteur qui se frotta au sujet dans les années 70, quitte à déranger. Pourtant, si aujourd’hui PORTIER DE NUIT de Liliana Cavani ou le SALO de Pasolini sont devenus des classiques, ces séries Z dont les jaquettes racoleuses ornaient les étagères les plus inaccessibles des vidéo-clubs, semblent toujours devoir se regarder avec précaution. Oui, mais bon, le Z-Man, il en a vu d’autres… Voyons ce que ça donne.
Il était une fois donc… en 1943. Les Nazis n’ont pas la niaque. L’enthousiasme n’y est plus, mais surtout les traîtres et les complots se multiplient. Le Major Muller a alors une chouette idée : envoyer aux soldats un train dont les hôtesses triées sur le volet permettront de remonter le moral des troupes. Hitler, prenant connaissance de l’opération, décide de faire une pierre deux coups : le train sera pour lui un outil afin de débusquer les éventuels dissidents et de faire le ménage. Pour diriger la mission, il nomme une certaine Elsa Ackermann, assuré qu’elle y mettra beaucoup de dévouement. Mais alors que le train va rentrer en France, il devient la cible de la résistance : en effet, l’une des prostituées du train est en fait une espionne infiltrée.
En 1976, Marius Lesoeur, patron de l’inénarrable firme française EUROCINE (LA seule vraie maison de production française spécialisée dans le cinéma d’exploitation) décide de surfer sur la vague du nazisploitation. Sans aucun scrupule, Lesoeur pioche dans les deux films qui ont réellement lancé le genre : le très controversé ILSA, LA LOUVE DES S.S (on avait parlé sur ce site de sa suite: ici), produit par ce vieux filou de David Friedman qui avait eu la riche idée de tourner un film érotico-gore dans les décors de la série télévisée PAPA SCHULTZ (!!!) et SALON KITTY de Tinto Brass qui remettait Helmut Berger et Ingrid Thulin dans l’ambiance des DAMNES de Visconti. De ILSA, Lesoeur retenait la figure de la tortionnaire sadique à la sexualité particulièrement agressive pour ne pas dire perverse : ILSA devient ELSA et c’est la blonde Malisa Longo qui endosse le rôle avec conviction. Entre autres exploits, elle ira jusqu’à prendre le soin de dépuceler un jeune soldat déserteur avant de le faire abattre froidement par ses soldats. De SALON KITTY, il retient le cadre du bordel utilisé pour rétablir la discipline chez les soldats allemands en les espionnant, sauf que c’est un train qui tient ici lieu de bordel ambulant (sur la copie du DVD, le film arbore même fièrement le titre de FRAULEIN KITTY !). Un luxe que s’offrait ici Marius Lesoeur, au point qu’il décida de rentabiliser le décor du train en tournant un autre film en même temps, TRAIN SPECIAL POUR HITLER (dont les dialogues auraient été écrits par l’ami Jean-Pierre Bouyxou) dirigé par Alain Payet. ELSA FRAULEIN S.S., c’est un autre réalisateur spécialisé dans l’érotisme qui s’en occupe, Patrice Rohmm.
Comme tous les réalisateurs ayant bossé pour la firme, on peine à imaginer le nombre de difficultés auquel fut sans doute confronter le bonhomme pour donner forme à un film tourné avec un budget aussi limité : pourtant malgré ses quelques soldats nazis pas très convaincus qui défilent en début de métrage, l’habitué des productions EUROCINE pourra se dire que ça pourrait être bien pire et que même cette fois-ci, l’ami Marius avait mis les petits plats dans les grands. Peine perdue : c’est à un véritable festival de splendouilletterie auquel nous assisterons par la suite. Post-synchronisation approximative, faux raccords, spatialisation complètement aberrante en plein champ-contrechamp, plans utilisés plusieurs fois à l’identique (le plan sur les bottes en cuir de Elsa), sans l’oublier l’indispensable montage de stock-shots lors de la séquence flash-back, bref, c’est la cata. Enumérer tous les détails ridicules qui entachent la crédibilité du film serait peine perdue, en tous cas, ce serait vous gâcher le plaisir. Vu l’ampleur de la débâcle (et c’est le cas de le dire) difficile de déceler ici l’ombre d’une fulgurance, fut-elle involontaire de la part du cinéaste.
Le film, tout entier, se déroule alors dans ce rythme un brin léthargique qui caractérisent en général les productions de la firme. Pourtant, bien que Lesoeur avait pour réputation de pouvoir lancer un tournage sans même se soucier de savoir si un quelconque scénario était écrit, ici, ça pourrait presque se tenir : à la figure outrancièrement sadique de Elsa, Rohmm oppose le personnage pivot de son amant, un général S.S. qui a sombré dans l’alcoolisme et se rend compte progressivement de la monstruosité du nazisme. L’ambiguïté du personnage est gérée avec une telle naïveté qu’il y a presque quelque chose de touchant dans le versant mélodramatique du film : l’histoire d’amour tragique entre le Nazi désabusé et la résistante infiltrée dans le train. Les dialogues ampoulés et sursignifiants, l’indigence de la mise en scène ne cessent alors d’aplanir ces enjeux, de les réduire à des motifs de roman-photo ringard. On rit tout d’abord gentiment avant de finir par s’y ennuyer poliment, regrettant presque alors de se retrouver devant un film à ce point inoffensif, malgré son appartenance à un genre réputé forcément sulfureux. En effet, on pourra aussi s’étonner que voulant donner un équivalent franchouillard à la série des ILSA, Lesoeur ait au final produit une œuvre aussi prude et timide : les scènes d’orgie dans le train sont vraiment gentillettes et ce n’est pas la participation de l’actrice porno Claudine Beccarie qui vient y changer quelque chose. Quant à la violence, la maladresse de l’ensemble lui ôte toute complaisance, comme lors de la très propre scène du suicide (à croire qu’il fallait éviter de salir les décors).
ELSA FRAULEIN S.S., c’est donc un peu le "nazisploitation expliqué à Tata Jeanette", un film qui, somme toute, ne choquera pas grand monde et qui frustrera ceux qui s’attendaient à de grands moments de mauvais goût. Et je vous jure que le Z-Man n’est pas encore complètement blasé, mais là, c’est vraiment MARTINE CONTRE LE TROISIEME REICH. Je suis donc un peu déçu.
Ludo Z-Man