LES SALOPES VONT EN ENFER de Lucio Fulci (Italie, 1971) : Lézard sur un titre de film...
[Photo: "Ne Commencez Pas!" par Dr Devo]
Florinda Bolkan fait des rêves récurrents, et assez étranges : elle se trouve dans un immense couloir blanc, rempli de gens s'adonnant à une grandiose orgie . Elle essaie de s'échapper, de s'en sortir, mais finit par tomber dans un trou sans fin, au fond duquel se trouve une jeune femme blonde et sculpturale, avec qui elle fait l'amour sur un grand lit de soie rouge. Déconcertée par ces rêves, Florinda voit un psy, à qui elle raconte ses aventures nocturnes, et les cache à son père, à son mari et à sa belle-fille. Une nuit, elle rêve qu'elle tue cette jeune femme blonde (qui s'avère être sa voisine, et qui organise, dans son appartement, de véritables soirées orgiaques), et raconte tout lors de sa séance de psychanalyse. Ce n'est que plus tard qu'elle découvrira que sa voisine est morte, et de la même façon que dans le rêve de Florinda ! Des inspecteurs s'emparent de l'affaire et si de nombreux indices désignent Florinda comme étant coupable, les inspecteurs et la famille de la jeune femme doutent et, les éléments contradictoires s'accumulant, tous cherchent le véritable meurtrier...
Profitons du fait de parler de ce film pour rendre un vibrant hommage aux traductions de titres, qui nous gratifient régulièrement de bien jolies choses, comme ici, avec ce superbe LES SALOPES VONT EN ENFER, phrase bien provocatrice qui ne représente que peu ce qu'est le film (enfin, un peu, mais pas totalement en fait, en tout cas pas de manière très élégante) ! D'autant que ce métrage, dont le titre original est UNA LUCERTOLA CON LA PELLE DI DONNA (à prononcer avec l'accent) a été traduit de plusieurs façons, notamment en France où, en plus de l'appellation utilisée ici, il a aussi été appelé CAROLE (du nom de l'héroïne, ce qui est bien générique et finalement assez peu attractif sur la tranche des VHS – on comprend qu'ils l'aient changé) ; dans les pays anglo-saxons, le titre a été traduit par SCHIZOID et par LIZARD IN A WOMAN'S SKIN (qui est la traduction littérale du titre original, qui est, quand on y pense, plutôt beau et proche de ce qu'est le film au final). Tout ça pour dire que l'imagination des éditeurs de VHS et DVD est toujours source de rigolade et d'inventivité, et un casse-tête pas possible pour trouver un sombre film de Lucio Fulci !
L'oeuvre maintenant. LES SALOPES VONT EN ENFER est un film particulièrement étrange. Dès le départ, Fulci balance du fantastique, mais à couvert ; pendant les cinq premières minutes, on ne sait pas trop où on est ni ce qui se passe, et ce n'est qu'après ces quelques instants que l'on comprend que nous sommes finalement dans une séquence fantasmagorique (mais exécutée de manière bizarre, j'y reviens). Le fait qu'il démarre en balançant plus ou moins tout ce qu'il a est très déroutant, et on se demande à quelle sauce on va être mangé ; s'il commence par du fantastique exacerbé, jusqu'où peut-il aller ? Et bien pas très loin, ou plutôt pas du tout où on le croyait. On se rend rapidement compte, au fur et à mesure que le film avance, que nous sommes dans un film complètement réaliste, où le grotesque n'a que peu sa place, tout est plutôt sage, posé. Le métrage est une banale enquête policière ! L'introduction fantastique semble alors être un trompe-l'oeil, un écran de fumée derrière lequel Fulci se cache pour que le spectateur attende une autre séquence un peu baroque et soit dans un état de vigilance pendant toute la durée du film. Et ça fonctionne, on attend assez désespérément quelque chose d'un peu plus onirique, qui finit par arriver, mais par petites touches, disons que ce sont de petites choses qui retiennent l'attention (deux-trois plans de coupe, des cadres un peu mieux composés ou l'envolée bizarre de la musique d'Ennio Morricone, mais rien de véritablement ostentatoire). Citons aussi une vraiment belle et plutôt longue séquence dans l'hôpital, où Fulci lâche les chiens un peu plus franchement (et ce n'est pas qu'une image !). Pour revenir à ce que je disais plus haut, le film est plutôt laborieux et l'enquête, malgré ses nombreux rebondissements et son mystère pour une fois véritable (on doute vraiment de l'identité du meurtrier jusqu'à la fin), ne passionne pas vraiment, et ce pour une raison très simple : ce n'est que du scénario. Les twists et les coups de théâtre ne viennent que de l'écriture pure et simple, et même si la mise en scène est assez grossière (j'y reviens), rien n'accroche vraiment l'oeil, et c'est l'esprit un peu distrait que l'on suit la résolution de cette histoire. C'est un peu dommage, le film n'est pas trop mal écrit, mais vu que c'est le scénario qui dicte tout le reste du dispositif technique, ce n'est finalement pas vraiment intéressant.
Du côté de la mise en scène, c'est assez brouillon et plutôt vulgosse. La caméra bouge absolument tout le temps, zoome et dézoome constamment, que ce soit sur les visages ou sur les objets, ce qui est quand même assez maladroit quand on veut mettre l'accent sur un élément en particulier. Disons que c'est un peu trop systématique pour que ça fasse véritablement de l'effet, et c'est même plutôt comique au final. Autant dire que les cadres ne sont que très peu composés et semblent surtout pris dans l'urgence, à la va-vite, ce qui n'est pas automatiquement moche mais qui, là, l'est quand même un peu. Par contre, son jeu sur les axes et les angles de caméra est assez impressionnant, et il n'hésite pas à élargir son cadre très souvent pour donner de l'air à l'ensemble, ou justement isoler le personnage dans la fatalité du sort qui l'attend (c'est très flagrant dans la séquence dans l'espèce d'immense église, où Fulci profite de la majesté de ses décors – d'ailleurs, soit dit en passant, les repérages sont fabuleux, et les lieux trouvés pour le tournage sont assez éblouissants). Le montage est donc en conséquence, très heurté et suffocant, avec beaucoup de saillies, mais qui malheureusement tombent souvent à plat tant les cadres sont plutôt anonymes. C'est au niveau de la photographie que ce film est le plus étonnant. Ca commence de manière un fantastique, mais juste au niveau du scénario : la lumière est elle tout à fait réaliste ! Et ce sera le cas pendant tout le film, même dans les rares séquences un peu baroques, tout sera éclairé comme dans votre salon (j'exagère à peine) ! Certes, il surexpose certains plans (ce qui est plutôt joli), mais même lorsque l'héroïne est coincée dans des catacombes, tout ce que l'on voit c'est la lumière du soleil. La photographie ancre le film dans une certaine monotonie, et le fait qu'elle n'exacerbe rien du tout rend le tout assez laborieux, et le faible intérêt vient en grande partie de la généralité de la lumière. C'est assez décevant parce que le film aurait pu être passionnant, si Fulci nous donnait quelque chose à nous mettre sous la dent. C'est trop peu le cas.
LJ Ghost.