WAITER de Alex Van Warmerdam (Pays-bas-2006): Day of the Dead-Living

Publié le par Dr Devo


[Photo: "Oh Blimey !" par Dr Devo]




Chers Focaliens,

 

Aujourd'hui, Pardi 13 Janvier, c'est la Saint-Dividi, alors bonne fête à tous les dividis, à l'instar de...

 

 

 

 

WAITER de Alex Van Warmerdam (Pays-bas, 2006)

 


Alex Van Wamerdam, acteur et réalisateur ici, joue le rôle d'un garçon dans un restaurant un peu étrange, quelque part dans une ville des Pays-Bas. Et le pauvre Alex n'a pas la vie facile. L'établissement marche sur trois pattes, les journées sont longues et harassantes, les clients sont souvent stupides et/ou méchants. Et quand il rentre chez lui, c'est pire: sa maîtresse ne le passionne pas, sa femme, très malade et tout le temps alitée, est un quasi-légume, et ses voisins sont des nuisibles de la pire espèce, qui même la nuit, ne lui laisse aucun instant de silence ou de répit. Une vie morne, dure, sans issue. Mais, cette vie parait surtout mal écrite, et Alex s'apprête à en changer le cours de la manière la plus absurde qui soit. Va-t-il gagner au change? Et nous, spectateurs, allons-nous gagner au change?

 

 


Et bien, c'est toujours un plaisir de retrouver les vieux amis. Van Warmerdam, réalisateur issu du pays du Gouda, avait la côte dans les années 90. On a vu beaucoup de ses films en salle, les critiques lui faisaient les yeux doux, et comme d'habitude, les critiques agissant comme des critiques de mode à MARIE-CLAIRE, la robe est repassé en-dessous du genou et bien évidement, d'un coup, tout le monde (critiques, spectateurs, distributeurs, directeurs de salle...) s'en fout de Warmerdam. Il n'empêche qu'à l'instar d'un Hal Hartley, d'un Roeg, le hollandais continue de tourner, et en juillet 2007, ouf, WAITER sort en salle, avec un nombre de copies ridicule, bien entendu, et très peu soutenu par qui que ce soit. Résultat: un joli four. Le dividi est facilement trouvable, profitons-en.




Sur un sujet plus ouvert et plus balisé que LES HABITANTS ou ABEL, notre Alex parvient néanmoins à nous en mettre plein les mirettes. Si le sujet ressemble à celui d'un film art et essai convenable (ou normal), le reste l'est un peu moins. WAITER explore de manière bêtement frontale les rapports entre réalité et fiction, mais surtout, ce qui frappe, c'est la relative linéarité du traitement. Pas de chichi, Alex semble sans naïveté mais aussi sans fioriture, et avec simplicité même, ne prendre qu'une idée et la pousser jusqu'à ce qu'elle se détruise. Et c'est ça, la force de WAITER. En poussant la narration dans un peu tous les sens, et en privilégiant la réécriture de l'histoire pendant le déroulement même de la projection, Van Warmerdam transforme son film en un film normal, c'est à dire en un film qui pourrait sortir dans votre cinéma art et essai préféré dans les années 2000. Au fur et à mesure, parce que les artistes sont faibles, qu'ils ne savent pas trop quoi faire, WAITER ou plutôt l'histoire de Alex devient de plus en plus symbolique, se gorge de péripéties romanesques de plus en plus énormes, de raccourcis métaphoriques souvent de plus en plus dégoûtants (rires), jusqu'à ce que, sans qu'on s'en rende compte, on ait franchi les limites de la décence artistique. Si WAITER parait être le dialogue entre la réalité et la fiction d'une manière un peu simple, il pose des questions passionnantes: celle de l'écriture, celle du filage des métaphores et celle des réseaux symboliques. WAITER est peut-être un des rares films qui parle du scénario, en quelque sorte. Si Alex et son créateur dialoguent, c'est plaisant. Mais en arrière plan, la partie qui se joue est plus fine et c'est souvent entre les lignes, ou plutôt mine de rien, sans appuyer, que les choses les plus belles et les plus subtiles se jouent. WAITER raconte la dégénérescence d'un film! Ni plus, ni moins. Warmerdam joue de la chose avec précision et concision, anticipant nos remarques. Une scène démarre, très souvent, et on se dit: "Oulah, c'est pas bien écrit ça!". Et pour cause! C'est le sujet du film, cette vulgarisation de l'écriture, et derrière la quête du héros pour une vie meilleure, il y a la question "à quoi ça sert?", et la demande inconsciente d'une narration qui soit originale et surtout pas anonyme. Les jeux de faux-semblants, dans ce contexte marche d'autant mieux quand ils traitent des rapports entre singularité des péripéties (par exemple, un yakuza débarque dans cette histoire, ce qui est quand même extraordinaire au sens strict) et vulgarité de ces péripéties (plus, il y en a, plus elles sont caractérisées, et plus le film devient vulgosse et mal troussé jusqu'à perdre le sens de la "réalité"). Un film avec un réseau symbolique développé est-il un bon film? [Question qui, soit dit en passant, s'adresse surtout aux critiques de cinéma, car un des cancers de ces gens-là est de confondre réseau sémantique et aboutissement d'une film!] Pour Warmerdam, non, pas du tout. Et c'est exactement ce que raconte WAITER, en poussant la logique jusqu'à la fin la plus insupportable: la symbole dit du "pot de fleur".

 



Question mise en scène, c'est d'une beauté subjuguante. Warmerdam, loin de nos yeux, n'a rien perdu de sa compétence. Le cadre est sublissime, les axes et les jeux d'échelle sont coupés au cordeau, et les repérages sont époustouflants. Formellement, le film est à mille coudées au-dessus de la production européenne art et essai. C'est toujours sublime. La photographie est variée et tout simplement superbe, et ce n'est pas tous les jours dimanche, ne se contente pas d'être bêtement illustrative. Le montage suit, souvent aidé par le son d'ailleurs, et la mécanique se déroule de manière précise. Les bonnes idées et les idées vulgaires se jouent sur le fil du rasoir ce qui rend WAITER très jubilatoire et troublant pour le spectateur: la mise  en scène de Warmerdam, la dégradation du tissu scénaristique, la soumission de la mise en scène de Warmerdam aux mauvais traitement du scénariste sont autant de niveau de lecture et de niveaux de sensation esthétique qu'on décode  et apprécie avec subtilité et auxquelles il faut se frotter. On se retrouve alors un peu dans la position du héros: on doit des fois mettre les mains dans le caca  narratif pour savoir si c'est de l'ard ou du cochon de batterie... Que c'est étonnant!

 

 

Un seul plan (toutes les premières séquences dans le restaurant par exemple) de WAITER nous fait comprendre l'excellence du travail de Warmerdam qui est, de très loin un de nos meilleurs réalisateurs vivants. C'est d'une précision et d'une intuition exquise, et le néerlandais fou semble appartenir à un territoire oscillant entre deux autres repères, quoique son style soit vraiment encore différent. Je m'explique. Ces repères, ce sont Bertrand Blier et Julio Medem, autre oublié des cinéphiles. On retrouve ici non pas des logiques soeurs, mais des styles et des modousses opérandailles communs, dans cette volonté de faire d'un film un espace non-figé et sans cesse mouvant, sans cesse travaillé (y compris pendant la projection) et mêlant les frontières du "réalisme" et du fantastique. D'autre part, on retrouve aussi ce goût pour les lectures et les visionnages mouvants, paradoxaux, incertains, mais très émouvants qui font que, sans cesse, les symboles muent, changent de signification et tracent une toile d'araignée spectaculaire, presque infinie, de sensations. Jamais un symbole ou une intention n'est utilisé pour rassembler spectateurs et réalisateur dans le sens du plus grand dénominateur commun, mais bien au contraire, chaque élément narratif ou de mise en scène travaille dans le sens d'une singularité nouvelle et surprenante. WAITER est un grand film, et il est temps de réhabiliter Van Warmerdam, et de montrer tous les films qu'on a loupé depuis que sa gloire éphémère des années 90 s'est fanée. AVW est un très grand réalisateur.

 

 

Vôtrement Vôtre,

 

 

Dr Devo.

 







Publié dans Corpus Filmi

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S
j'avais adoré 'les habitants', content de savoir que le réalisateur est toujours actif.
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