HORROR BEACH PARTY de Del Tenney (USA-1964): C'est l'Amour à la Plage, et mes Yeux dans tes Yeux...

Publié le par Ludo Z-Man


[Photo: "ERROR OF PARTY BITCH" par Ludo Z-Man d'après une image du roman-photo HORROR OF PARTY BEACH]



C'est rigolo de penser que le cinéma d'horreur s'est intéressé très tôt au public des adolescents et c'est une évidence : les films d'épouvante sont des films qui parlent essentiellement de la transgression. Bien avant les slashers où des psychopathes masqués s'amusent à trucider des teenagers dans des camps de vacances, la jeunesse des années 60 allait déjà se faire peur dans ces véritables lieux mythiques de la pop-culture américaine qu'étaient les drive-in. Le cocktail "film d'horreur + drive-in" peut être vu comme l'expérience ultime du divertissement cinématographique à l'Américaine. D'abord fréquenté par les familles entières dans les années 40 et 50, le drive-in devient un lieu de sortie privilégié pour les enfants de la génération d'après-guerre issus de la middle class. Ils viennent s'encanailler, flirter et plus si affinités et forcément, le spectacle doit s'adresser à leur génération et avoir aussi un petit goût d'interdit. C'est le producteur Samuel Z. Arkoff qui flaire le filon en premier, inventant même un genre à part entière, le "Beach Movie" qui consacre ses propres vedettes, le minet Frankie Avalon et la fringante Annette Funicello. Alors détachez vos ceintures et mettez-vous à l'aise, aujourd'hui, c'est ambiance drive-in !



"They told me he was bad 
But I knew he was sad 
That's why I fell for the leader of the pack"

The Shangri La's, Leader of the Pack, 1964



Vitesse et musique dés le générique. Sur fond de bande son groovy, une course poursuite effrénée entre un jeune couple dans son roadster MG, Hank et Tina, et une horde de motards. Les roues crissent, les moteurs grondent et le cœur de la jeune fille dans la voiture fait des bonds. Entre le petit copain lisse et fade, promu à une brillante carrière de scientifique et le bad boy sur sa Harley, son cœur balance.  Sur la plage, Hank fait une scène de jalousie à Tina mais celle-ci est déjà attirée par l'ambiance festive de la plage. Les Del-Aires (un groupe de rock) déboulent et leur musique fait danser tout le monde. Tina entame alors une danse torride avec le leader du gang des bikers. Hank arrive pour lui régler son compte et essayer de raisonner Tina. Une bagarre éclate. Tina, humiliée et rejetée, part noyer sa tristesse dans la mer. Tandis que tout le monde s'amuse en twistant sur le sable chaud, un monstre aquatique et caoutchouteux surgit au large sur les rochers. Tina apparaît comme la victime désignée et se fait sauvagement massacrer. En effet, de pauvres types, qui avaient sans doute oublié d'aller voir UNE VERITE QUI DERANGE lors de son passage au drive-in du coin, décident sans aucun scrupule de jeter des bidons de déchets radioactifs dans la mer. Résultat : une horde de créatures aquatiques mutantes déferle sur la ville.

 


"You don't own me, I'm not just one of your many toys
You don't own me, don't say I can't go with other boys (...)
I'm young and I love to be young
I'm free and I love to be free
To live my life the way I want
To say and do whatever I please"

Lesley Gore, You don't own me, 1964



Ca, si c'est pas du pitch, mes amis ! Disons-le tout de go, ces vingt premières minutes de film sont extraordinaires. Je ne sais pas si vous pouvez vous imaginer le truc, mais qu'on soit familier ou pas des séries B ou Z américaines des années 60, l'ouverture de HORROR OF PARTY BEACH est fortement euphorisante. En effet, dés les premières minutes, c'est un improbable croisement entre le teen-movie, le film de monstre, le soap-opéra, le film gore et la comédie musicale rock qui défile devant nos yeux ébahis. Le résultat est tellement aberrant (mais dans le bon sens du terme) qu'on en croit à peine ses yeux. On se dit alors qu'on a déjà un peu vu ça, réalisé dix ou vingt ans plus tard, ca aurait été le ROCKY HORROR PICTURE SHOW ou encore un truc digne d'un film de John Waters (époque HAIRSPRAY), sauf que là point de parodie, d'ironie ou de ricanement, le premier degré est de mise. Le génie à l'origine de ce chef d'œuvre hystériquement suranné, c'est le réalisateur-producteur Del Tenney dont la carrière fut assez brève puisqu'elle se limite à peine à trois films. De par son opportunisme évident, Del Tenney capture au fond tout l'esprit du cinéma d'exploitation de l'époque. HORROR OF PARTY BEACH n'est que la première partie d'un double programme spécialement conçu pour les drive-in. En 1963, Del Tenney tourne deux films d'affilée avec la même équipe en deux semaines pour un budget total de 120,000 dollars. Véritable cinéaste indépendant digne de ce nom, Tenney aidé par son compère Alan Iselin, propriétaire d'un circuit de salles dans l'état de New York, organise la promotion et édite même un roman-photo basé sur le film conçu par l'immense Wallace Wood, prolifique dessinateur issu de l'écurie EC Comics de la grande époque des WEIRD SCIENCE, des TALES FROM THE CRYPT et du mythique magazine MAD, le genre d'objet collector qui ferait fantasmer plus d'un collectionneur.       



Surfant donc sur la renaissance du film de monstre initié la décennie précédente par les films de Jack Arnold (L'ETRANGE CREATURE DU LAC NOIR) ou de Roger Corman (L'ATTAQUE DES CRABES GEANTS, LA CREATURE DE LA MER HANTEE), Del Tenney y incorpore des éléments de teen-movie : marivaudage amoureux sur la plage, bluette romantique, pyjama parties entre filles, le tout rythmé par de nombreux intermèdes musicaux, l'ambiance sonore étant donc assurée par les Del-Aires, un obscur groupe pop originaire du New Jersey. Comme on peut le constater, ce qui différencie HORROR OF PARTY BEACH d'un "beach movie" traditionnel, c'est que c'est un film de la Côte Est et non un film californien, les plages de Malibu étant habituellement le lieu de tournage de ce type de production. Filmé dans le Connecticut, le film dégage une curieuse impression de temps couvert pour ne pas dire maussade (d'où peut-être le choix de le tourner en noir et blanc) qui en accentue l'étrangeté. Poussant l'authenticité jusqu'au bout, Tenney engage les "Charter Oaks", un gang de Hell's Angels locaux qui apparaissent au tout début du film. Dans la forme, HORROR OF PARTY BEACH est évidemment cheap au possible (par exemple, on note les raccords lumière très approximatifs dans la scène finale). Pourtant Tenney se permet quelques splendouillets passages involontairement expérimentaux comme la séquence de la mutation du monstre au début, rythmée par une musique bruitiste du plus bel effet et filmé à travers un aquarium avec les reflets des poissons au premier plan. 


Si le film abandonne dans sa seconde moitié l'ambiance festive de la plage pour suivre les sentiers plus balisés du film de monstre, il conserve jusqu'au bout cette célérité dans la conduite du récit qui lui confère son charme hypnotique. La succession métronomique des attaques de monstre et leur multiplication exponentielle jusqu'à la scène stroboscopique de destruction des créatures n'a pas le temps d'ennuyer. Car cette improbable succession de poncifs, de clichés énormes, de personnages ultra-archétypaux, de dialogues aberrants et d'idées complètement grotesques confine ici à une certaine forme d'épure. Même si Del Tenney injectait de l'horreur dans l'insouciance colorée des "Beach Movies", arrosant de sang les jolies pepées qui paradent en bikini en bord de mer, massacrant les lycéennes aux pyjamas d'une blancheur virginale qui s'adonnaient innocemment aux batailles de pelochon dans leur dortoir, faisant s'adonner la bonne à tout faire aux pouvoirs du vaudou, cet univers désuet, paroxistiquement archétypal et dénué de toute profondeur (même la profondeur de l'océan s'y apparente à une surface comme la vitre de l'aquarium à travers laquelle on filme la mutation du monstre) semble entièrement voué à une forme d'insouciance et de désinvolture qui nous charme et nous fascine étrangement. On peut alors s'interroger sur la réception d'une œuvre, surtout quand celle-ci semble tant appeler un plaisir que d'aucuns insisterait à qualifier de "pop" ou de "kitsch" avec le capital de sympathie que ces termes connotent. Ces films nous paraissant aujourd'hui bien sages, car le monstre y est encore "l'autre" et pas encore nous-mêmes (comme les morts-vivants de Romero) ou en nous (comme chez Polanski) et ou les hurlements des victimes y sont aussi peu terrifiants qu'une onomatopée sur une toile de Roy Lichtenstein, affichent pour seule étrangeté leurs défauts de fabrication (un monstre en plastoc par-ci, un faux raccord par-là) comme un univers de convention dont on verrait les ficelles, dont les poutres seraient apparentes pour reprendre la formule du taulier. Au-delà de son programme forcément un peu régressif, HORROR OF PARTY BEACH ne semble demander, pour succomber à son charme, qu'un peu de candeur, que diable !



Ludo Z-Man 





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Publié dans Corpus Analogia

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