DERNIER MAQUIS de Rabah Ameur-Zaïmeche (France-2008) et VINYAN de Fabrice Du Welz (Belgique-France-UK, 2008): Et hop, incident ! Et hop, l'occident !

Publié le par Mr Mort





Mon collègue de site Bill Yeleuze m'a prêté son cheval et l'on va essayer de faire de la critique à grands galops et au lasso, un peu comme si on faisait de la critique de maverick... Toi aussi, cher focalien, viens courir les grands espaces. Ta chevelure est bercée par le vent chaud des plaines sauvages...


(Mouais...)



On avait déjà parlé de Rabah Ameur-Zaïmeche (si on l'appelait RAZ ?) pour son avant-dernier film BLED NUMBER ONE à propos duquel je partageais complètement l'avis du Docteur Devo : beaucoup d'intentions, récit balisé, rythme pas assez affirmé, peu de montage signifiant, trop de mou, très social...
 


Ici, dans DERNIER MAQUIS, RAZ (encore acteur dans son propre film), raconte la vie d'une petite entreprise de réparation de palettes (et qui fait aussi garage pour camions), coincée dans une petite zone industrielle dans la banlieue de Paris, où l'essentiel des employés est issu de l'immigration, ce qui inclut le patron joué par RAZ lui-même. Et justement, ce dernier, bien conscient que tout le monde est musulman dans l'équipe, propose d'aménager une mosquée sur le site de l'entreprise. Les ouvriers sont très contents, mais un peu critiques également, car l'Imam qui travaille aussi dans la boîte, a été choisi par le patron et non pas désigné par les pratiquants ! Et effectivement, peut-être que les intentions di patron RAZ ne sont pas si philanthropiques que ça...


Vous me voyez arriver avec mes gros sabots, et vous vous dîtes : "ouhla, ça m'a l'air d'être du bon cinéma social franchouille, ce DERNIER MAQUIS... Encore un film à message !" Si on reconnaît bien les préoccupations de RAZ dans les thèmes et sa façon de faire, et bien, tenez-vous bien, je fus plutôt surpris ! La première "bonne" surprise est que DERNIER MAQUIS est, enfin, beaucoup plus rythmé que son prédécesseur. Cela se joue a peu, puisque RAZ utilise à peu près la même méthode que dans son avant-dernier film, d'une part, et d'autre part, malgré la méthode utilisée par le film qui consiste à en faire le moins possible, narrativement parlant. Pourtant, RAZ arrive à donner un tour plus ramassé à son récit. Assez loin de l'étalement mélo de BLED NUMBER ONE, de son pathos, on est ici dans une forme plus ramassée, plus sèche. Déjà. Deuxièmement, le traitement des événements est aussi plus sec : les tenants et quelquefois les aboutissants n'envahissent pas le film. Les événements arrivent sans qu'ils soient vraiment expliqués de A à Z. Du coup, RAZ ne se baigne pas dans les explications sociologiques comme un petit cochon dans la boue. Le film est assez sec, plutôt simple, et permet aux personnages de prendre une étoffe beaucoup plus subtile et moins orientée, encore une fois, que dans BLED NUMBER ONE. Bref, on entre plus vite dans le sujet et les enjeux, on les explique moins, et, enfin, grand progrès, les personnages sont plus ambigus, plus vivants, et ne sont pas là que pour pousser le film vers l'émotion ou le discours. Le montage est plutôt vif (dans le genre ! Hihi !), les séquences jouent plutôt sur l'ellipse. C'est donc mieux que BLED... On sort de la forme "pensum", et les personnages et l'histoire respirent mieux. Pas de mélodrame, pas de préchi-précha, c'est déjà ça.

 

Esthétiquement, c'est mieux également. Le jeu des palettes rouges fait son petit effet , et RAZ multiplie les angles, joue sur l'échelle de plans, joue avec les petits cadrages. C'est plutôt varié et beaucoup moins laid que la photo de BLED... Malgré l'étroitesse du décor en huis-clos, on n'a pas l'impression que les plans se répètent. Ajoutez là-dessus un tout petit peu de son, mais seulement un peu, dont un petit hommage un peu surprenant (mais pourquoi pas) à Lars Von Trier dis donc (reprise dans le générique de fin d'ailleurs) ! Bizarre ! Plus ramassé, plus sec, RAZ évite le catéchisme et le mélo annoncé, c'est bien. Esthétiquement, même si ce n'est pas du Friedkin ni du Greenaway, c'est beaucoup mieux. Pas de leçon pesante sur l'Islam, pas de moralité, pas de brûlot au service du pauv' petit prolétariat. RAZ privilégie, un tout petit peu, vraiment un chouïa en plus, les paradoxes par rapport à ses collègues cinéastes français, et ça suffit pour que tout respire mieux.

 Alors, bien sûr, ce n'est pas du tout ma tasse de thé. C'est encore un peu sage. Mais en évitant la leçon de morale ou le discours bien pensant, et en donnant un tout petit peu d'ampleur à un décor mouvant, RAZ fait mieux que les autres et mieux, beaucoup mieux que ses autres films ! On a nettement l'impression de quelqu'un qui a bossé, c'est quand même pas mal. Ceci dit, encore une fois, ce cinéma du réel, même mis en scène, ce n'est vraiment pas mon truc ! Mais si ça ressemble un peu à du cinéma, même modeste (le film n'est ni sidérant, ni fulgurant...), on ne va pas cracher dans la soupe. À mes yeux, DERNIER MAQUIS n'est pas indispensable, mais dans le genre, certains pourraient en prendre de la graine (un peu), même si au final c'est un "petit film" qui ne révolutionne rien. 




Ha, Fabrice Du Welz ! Le Docteur, là aussi, nous avait déjà parlé de lui à l'époque de CALVAIRE, son premier film, et FDW nous avait à l'époque envoyé un mail furibard, mais sincère! C'est par contre le seul réalisateur, avec Diane Bertrand (pour son film L'ANNULAIRE, et son mail était superbe d'ailleurs), à nous écrire, ce qui est quand même courageux. Bon, le ton s'est calmé après un autre échange de mails, mais c'est vrai que ça avait chauffé ! Bah, c'est le jeu, et c'était intéressant quand même !

 

J'étais carrément d'accord avec le Docteur, et même plus sévère que lui, concernant CALVAIRE. Je n'attendais rien donc de VINYAN, sinon quelque chose d'encore provocateur et de pas mal opportuniste ! (Fabrice, si vous nous lisez, vous savez maintenant que tout cela, c'est du bisou barbu ! Et je vous salue !).

 

Emmanuelle Béart et Rufus Sewell (ça faisait longtemps !) ont perdu leur fils lors du Tsunami en Thaïlande. Ayant du mal à faire leur deuil, ils sont restés dans le pays, attentif aux rumeurs, vraies ou fausses, d'enfants blancs enlevés pour trafic. Ils tombent par hasard sur une vidéo tournée par une association humanitaire où Béart reconnaît formellement son fils ! Elle est en effet certaine que les quelques dizaines de pixels qui composent la silhouette vidéo très floue dans ce film sur les orphelins du tsunami en Birmanie, est bien l'image son enfant ! Malgré les premières réticences de Sewell, le couple décide de jouer sa dernière chance et d'aller en Birmanie. Ils font alors appel à un étrange thaïlandais (trafiquant ? mafieux ?) qui pourra les guider dans la jungle birmane. Le parcours, étrangement, la fatigue et la douleur aidant, devient étrangement initiatique...



FDW le belge, aidé par le succès et la popularité de CALVAIRE, film très bien défendu par la presse et ses fans, a décidé pour son deuxième film de jouer à l'extérieur, en quelque sorte, avec un budget plus conséquent, des acteurs très connus, et un tournage en langue anglaise. Si certains étaient perplexes de le voir, car  comme pouvait le laisser supposer le film-annonce, de quitter l'ambiance trash de CALVAIRE pour quelque chose s'inscrivant plus dans le film de genre et lorgner vers le thriller, VINYAN prend plutôt le public à rebours, car les choses sont plus complexes. Après un générique s'inspirant du lettrisme de Caspar Noé mais aussi assez joliment abstrait (avec une très belle montée de son, très bien mixée sur fond de bulle), on découvre une histoire assez langoureuse, plutôt subjective, et baignée dans une tonalité triste et étrange. Du Welz réalise son film sous forme de dialogue créatif avec Benoît Debie, le génial photographe français. Ces deux-là se sont trouvés, c'est évident. Globalement, le film ne suit pas du tout le rythme du cinéma fantastique contemporain. On serait plus proche d'un certain cinéma de genre des années 70/80. Personnellement, je préfère, d'autant plus que la chose est assez frontalement annoncée, quelquefois de manière franche et "naïve" comme dans ce plan baigné de rouge d'une séquence onirique sur Béart en début de métrage (dans la boîte). La dernière partie (l'errance dans la jungle), confirme tout cela également, notamment dans les toutes dernières minutes du film. Faire un film sur un rythme langoureux, plutôt adagio, voilà qui change un peu. Bien sûr, on pense à Argento, à Noé, et à d'autres.


Bon, ce dernier point serait plutôt un bémol, mais il n'empêche, globalement, le film est plutôt de belle facture. Si FDW connaît ses classiques, sans aucun doute, il connaît aussi, par conséquent, ses fondamentaux. Ca cadre très bien (avec Debie, tu m'étonnes ! C'est plutôt loigique !), ça découpe. Il y a pas mal de plans rapprochés, mais plutôt bien amenés et construits. On n'est pas du tout, et c'est logique (même si c'était le cas, et c'est d'ailleurs l'impression que donnait un peu CALVAIRE),  dans un découpage de story-boarder. Le rythme fonctionne gentiment, pas forcément de façon homogène d'ailleurs ce qui est louable. Le son est superbement mixé. Côté acteur, j'ai trouvé Sewell très bien, et Béart qui n'est pas du tout ma tasse de thé, et même si elle ne me fait pas rêver du tout (en tant qu'actrice, gros dégoûtants), ne me paraît pas si mauvaise qu'on a bien voulu le dire. Les deux ont un rôle carré, donc pas évident, et s'en sortent bien. Béart me paraît plus faiblarde ou pas très troublante sur certains plans, mais globalement elle passe largement la barre, surtout en première partie, et même si, pour les dernières séquences, je la trouve en dessous du film et de son partenaire. (Bon casting en ce qui concerne Petch Osathanugrah dont c'est le premier film et que je trouve précis avec un rôle également très carré !). Bref, ça passe, question casting, pas de problème !


Par contre, là où le film me paraît plus franc que CALVAIRE et aussi plus personnel, malgré les emprunts et le reste, c'est dans l'étrange dialogue que FDW établit avec la photographie. Ce n'est pas tous les jours dimanche, et ici, c'est relativement étonnant : le facteur de mise en scène principal (mais pas unique), c'est la photo ! Et elle joue, plus étonnant, non pas un rôle organisateur, mais au contraire, amène du chaos. On est pas du tout dans la perspective d'une photo homogène, mais au contraire, elle chercherait plus la rupture, de manière quasiment incessante. Ainsi, c'est elle qui guide les personnages, apporte les nuances, et qui dévoilent les sentiments. Le tout sur un mode assez organique. Debie et Du Welz y vont à fond. Inserts, changement de ton, exploitation du grain, filtre ou pas, utilisation du flou, etc... Debie est mis au fourneau de façon violente et plutôt rigolote, et confirme ce que disais avec sagesse le Docteur depuis quelques plans magnifiques de THE CARD PALYER d'Argento: sa palette est  beaucoup plus étendue que pourrait ne le laisser supposer son (magnificent) travail pour Noé. Ainsi, c'est la photo qui mène le jeu, ce qui n'est pas si fréquent que ça. La mettre autant en avant à ce point est même assez rare, et c'est plutôt une bonne nouvelle. (C'est tellement plus iconoclaste et beau que la photo du récent BLINDNESS par exemple...) Après ce déluge de ruptures lumineuses, la dernière partie, plus homogène redonne la main à Du Welz et au film. En tout cas, face à l'exercice du style, le réalisateur semble savoir où il va et sans rien dire, il arrive à faire monter la sauce et faire dévier son film vers un affrontement ou un duel entre ses personnages assez bien amené, là aussi dans un esprit assez proche du cinéma européen de genre des années 70. Dans la dernière ligne droite, Du Welz ne lâche pas vraiment la rampe. Il reste laconique, ne quitte pas le bain relativement asbtrait (et très simple) dans lequel il plonge progressivement son film. Les spectateurs et les fans râlent, mais ce n'est pas grave, et c'est même mieux comme ça. Du Welz ne lâche pas et assume plutôt ses influences, se faisant.


Bien sûr, il y a pas mal de chose qui ne me plaisent pas trop, notamment les errances en ville, assez belles ceci dit (à l'exception du dialogue dans le taxi, superbe de cadrage et de lumières), et deux trois machins ici et là qui font qu'on a l'impression que Du Welz ne s'est pas complètement affranchi et qu'il pourrait se lâcher encore plus vers une forme plus personnelle encore. Mais, le fait d'avoir refusé une fin plus aimable (notamment vis-à-vis de ses fans ou des attentes placées en lui), et surtout de construire son film sur la photo, de manière chaotique en plus, est plutôt une bonne idée de cinéma, et Du Welz s'y tient. On n'a  pas du tout l'impression, enfin pas complètement qu'il utilise Debie pour avoir le ton Debie. C'est plus libre de ce point de vue que CALVAIRE, et la photo est vraiment intégrée à la personnalité du film lui-même, contrairement à son prédécesseur. Mon intuition (totalement subjective) est que cela est encore un peu respectueux et timide, en quelque sorte, mais il n'y a aucun doute : ça bosse, il y a beaucoup de très belles choses. Malheureusement, le film semble se planter, au box-office. Ce n'est pas vraiment juste, d'autant plus que le film me paraît plus ambitieux (et ce très largement) que le premier du réalisateur. En tout cas, on souhaite que Du Welz continue dans cette voie, notamment en choisissant un prochain projet encore très différent, comme il l'a fait ici. On est en tout cas à pas mal de coudées au-dessus de CALVAIRE. Et ça, c'est une bonne nouvelle ! On ira voir le prochain avec curiosité. Et si tu passes par là, Monsieur Du Welz, n'hésite pas à nous envoyer un petit mail, ça nous fera plaisir !



Mr Mort.





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Publié dans Corpus Filmi

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M
Chers Leskro,J'utilise lettrisme peut-être de manière désinvolte mais volontairement. Ceci dit, ce que vous dîtes est très juste on trouvait ça chez Godard. ici, on est plus proche de ce qu'en fait Noé, je trouve, et la comparaison de VINYAN avec Noé s'arrête là. Je compare pas Du Welz avec Noé, vous le noterez.Evidement je ne suis pas d'accord avec vous sur le film. Je trouve qu'il ya quand même du montage et une tentativer même brouillone. C'est quand même mieux que du Moretti!Je suis pas si fan que ça du DERNIER MAQUIS, mais la demarche me semble complétement opposé à celle d'un Cantet!Sur votre conclusion, je comprends ce que vous voulez dire mais, balladez vous sur le site et vous verrez qu'on parle aussi des Straub, aussi ed Duras, etc... On essaie de voir ce qu'on peut. Et ici, un Godard est traité à la même enseigne qu'un Charles Band ou qu'AU PAYS DE LA MAGIE NOIRE.Mr Mort
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L
on ne dit pas lettrisme mais lettrage (sauf si on parle d'un Maurice Lemaître mais je crois avec notre belge on n'ets pas vraiment dans ce registre) et surtout, si on rapproche monsieur du Welz de Noé (à cause de la branlette filmée en boite thai ? à cause de Benoit debie ? à cause des pulsation d'image ?) il ne faut pas oublier que ce truc de mettre de très groses lettres au générique, ben au départ c'ets godard (tout de suite, le grand titrage "a film by FARBICE DU WELZ" devient extrêmement drôle).Et honnêtement le trip je redécouvre la forêt d'Emmeraude grâce à des surimpressions et des gamins tous nus qui gueulent dans de stemples en carton pâte, je trouve ça au mieux raté. Certes, Benoit Debie oblige, certains plans sont originaux au sens de nouveau mais n'ont absolument rien de pertinent (ha si peut être l'espèce de plan séquence très flouté dans la rue passante au début) ce qui suffirait à Gilles D (in da house) pour dire que cette chose n'a rien d'artistique ; on notera en revanche que c'est encore François Eudes chanfraux (pas envie de vérifier l'orthographe sur imdb) qui signe la musique originale et qu'il nous livre encore une pure merveille que vous ne pourrez apprécier que dans un nombre très restreint de salles (il joue sur des fréquences et des dynamiques un peu extrêmes).Sinon Le maquis c'est plutôt très bien, formellement très tenu (en image, en montage, en son) mais ce qui m'énnerve un peu dans ce genre de films à leçon (même si tout le truc c'ets de ne pas laisser apparaître que l'on délivre un discours) c'est lorsque ça dérape : les noirs abrutis chez RAZ, l'absence de tarducteurs education nationnale ou des réseaux d'avocats associatifs chez Bégaudeau (ha non pardon, Cantet...) : on a de bonnes intentions, on fait du cinéma moderne, le sens échappe, l'objectivité maximum ets requise et puis hop, d'un coup on se met, sur le même plan (et c'ets ça qui est fâcheux) à montrer tout et n'importe quoi et le cinéma se vautre pour devenir un truc pire que non pertinent : un peu idiot.Vaut mieux se casser le cul à aller voir le Bela Tarr, le guy Maddin ou le Garrel avant que ça ne disparaisse (vous trouverez Vinyan en DVD et blue Ray sous blister chez votre marchand de journaux dans 6 mois, vous vous rattrapperez si vous en avez réellement envie).
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