BE COOL de F.Gary Gray (USA-2005): sois honnête!
(photo: "Gothico YOU! (gouvernement décrit en patates écrasées)" par Dr Devo
Chers Concitoyens,
Par où on va commencer, là? Bah, restons pros! Elmore Leonard écrit des livres, plutôt pas mal si ma mémoire est bonne. Souvent, ils sont adaptés au cinéma, comme par exemple "Punch Créole" qui deviendra à l'écran JACKIE BROWN, de qui-vous-savez. Il y a cinq ou six ans, je ne sais plus très bien, j'ai la mémoire qui flanche et des baguouzes à chaque doigt, il y a dix ans en fait (le temps passe à une vitesse hallucinante, c'est le tourbillon de la vie, c'est dit, c'est fait), il y a dix ans, dis-je, Abel Ferrara voulait faire une adaptation du roman de Leonard, "Get Shorty", où un ancien prêteur sur gage, un peu minable mais malin, décide, plus ou moins malgré lui, d'investir dans le cinéma, où il fait fortune. Comme par hasard, au dernier moment, un grand studio fait monter le prix des droits d'adaptation. Ferrara ne peut plus se les offrir, et le studio en question engage un scribouilleux, des stars et l'horrible Barry Sonnenfeld, et emballez, c'est pesé : GET SHORTY devient un film. A l'époque, j'apprends l'anecdote sur Ferrara qui dit qu'il a vu le film un an plus tard dans un avion, et qu'il a été malade pendant tout le trajet, après 20 minutes de visionnage. Je lis le livre, très bien fichu, je regarde le film, et effectivement, Ferrara a raison : ils ont réussi à enlever tout la subtilité, toute la nervosité et tout l'humour du film pour en faire un polar de plus. C'est nul, et surtout c'est du gâchis. Le moindre petit réalisateur, le moins doué aurait, en suivant laborieusement le livre, fait un film acceptable. Hollywood, c'est un commando terroriste cagoulé qui débarque sur la scène d'un spectacle de danse de fillettes de 6 ans. C'est une succession de mauvais renseignements et d'erreurs diverses qui mènent à une bourde monumentale ou à un projet contre-nature, c'est n'importe quoi, mais ce n’est pas grave, on massacre toujours tout le monde à la fin, et on verra après! Des brutes, je vous dis.
Et bien nous voilà en 2005, et on remet ça. On fait une suite à GET SHORTY. Et votre Docteur Devo, ben, comme une poire, il ne remarque pas que c'est la suite de ce triste film. BE COOL, que ça dit, et non pas GET SHORTY 2, alors, il y va, pauvre de lui.
Evidemment, on reprend le personnage de Travolta, ex-prêteur sur gage très intelligent mais sans envergure qui, bon gré mal gré, atterrit dans le milieu du cinéma, y investit de l'argent et ça rapporte. Il casse la baraque. Sa double connaissance des milieux mafieux et de la psychologie humaine sont ses meilleurs atouts dans le bizness. Comme le Travolta, c'est un malin, avec énormément d'aplomb, il est comme un poisson dans l'eau. Et ça marche. BE COOL se passe quelques années après. Travolta en a marre du cinéma, qui, selon lui, brasse trop de fric, est trop contrôlé, et surtout produit n'importe quoi et nivelle tout par le bas. Le tout saupoudré par des mœurs décadentes, souvent mafieuses. Y'en a marre. Il décide alors de se lancer dans la chanson. Il va voir la femme de James Woods (qui vient de mourir assassiné), sa veuve donc, Uma Thurman, qui justement a un label. Et surtout, Travolta repère une jeune chanteuse (genre Janet Jackson), Christina Milian. Thurman est d'accord avec Travolta : cette petite, c'est de la bombe, il faut lui faire faire un disque. Malheureusement, la belle petite chanteuse est sous contrat, chez le minable Harvey Keitel, producteur ringard, et son manager Vince Vaughn, un autre minable qui parle, vit et s'habille comme un noir du Bronx, n'entend pas laisser filer la chanteuse aussi facilement. Quelques quiproquos finissent de s'emmêler les uns aux autres : tueurs à gages, dettes, rappeurs-gangsters, etc... Et Travolta se retrouve plongé dans ce qu'il voulait éviter : les histoires mafieuses!
Bon, ben voilà. Get Shorty 2, quoi! C'est assez marrant quand même de constater que Hollywood a réussi à engager pour cette suite un réalisateur encore plus nul que Barry Sonnenfeld, ancien opérateur des frères Cohen, mais aussi réalisateur d'un des plus mauvais film de l'histoire : WILD WILD WEST! C'est clair, un étudiant en première année de n'importe quelle école de cinéma du monde aurait eu honte de rendre une telle copie. C'est minable! Axes contrariés, échelle de plans absurde et absolument interchangeable, photo hallucinante de médiocrité, etc. Un festival de ce qu’il ne faut pas faire au cinéma. Les simples champs/contrechamps font mal aux yeux. Coté montage, c'est absolument sans rythme, et on a l'impression de voir un premier montage, une copie de travail pas encore dégrossie, avec des tunnels de plusieurs minutes pour des petites scènes de rien du tout, et des scènes plus importantes envoyées en cinq secondes. Rien qu'en remontant un peu le film, on aurait pu avoir plus de rythme et un ton un peu plus alerte. Bref, de ce côté là, c'est le vide cosmique, et comme c'est une comédie, le film ne vise même pas l'esbroufe (débile, c'est sûr, mais esbroufe quand même) d'un ELEKTRA ou de tout autre grosse production américaine. Une horreur, ou bien, comme le disait Ferrara, un film pour endormir les passagers un peu nerveux d'un avion! Oui, c'est peut-être ça, un film pour avion! On passe.
Côté acteurs, c'est mieux mais c'est aussi le gros malaise. Que faire, même avec de bons acteurs bien motivés, dans un film nullosse, sans réalisateur et sans scénario valable ? Ben, rien ou presque! Et pourtant, il y a du monde. Travolta est plutôt sobre, c'est-à-dire mieux, sauf sur un plan (quand il suit le type de l'agence de voitures, ses mains le trahissent! Si si! Je vous assure! J'aurais fait un chouette producteur, non ?). Malheureusement, le Travolta, il a regrossi. Du coup, sur toute la longueur du film, il n'a qu'un plan moyen qui ne soit pas de face (quand il entre pour la première fois dans la boutique des russes), et il est énorme. De fait, le réalisateur s’attache à faire le plus de gros plans possibles ou de le filmer de face le plus possible. Première hypothèse. Ou alors, deuxième hypothèse, le réalisateur n'a même pas remarqué qu'il était gros du bide, et le filme n'importe comment, naturellement, sans se forcer! Je vous laisse choisir la bonne solution. En tout cas, ça nous donne une des scènes de danse les moins sexy et les plus minables de toute l'histoire du cinéma. Cette scène arrête le film pendant trois bonnes minutes, en essayant de refaire une scène culte entre Thurman et Travolta! Involontairement, c'est une des scènes les plus drôles du film : on ne sait pas du tout quelle est la chorégraphie! C'est tellement mal cadré et monté que je vous mets au défi d'essayer de deviner la chorégraphie de cette scène! C'est drôle (si ce n'était pas triste), et je sens qu'un jour on arrivera à réaliser mon fantasme ultime de cinéma : faire une comédie musicale sans musique!!! En tout cas, moi, tant qu'à faire, j'aurais coupé la bande-son pendant cette scène! Bien sûr, le pompage de PULP FICTION est honteusement visible. Sinon, Thurman est plutôt bien en début de film, toute en rides naturelles, un peu vieillie, un peu touchante. Très vite, elle s'avère être complètement perdue et à côté de la plaque, chose qu'on ne saurait lui reprocher. Son rôle est fade, fade, fade. Apportez-moi la tête du scénariste sur un plateau! Vince Vaughn met beaucoup d'entrain à jouer son rôle de "nègre-blanc" stupide. J'aime bien cet acteur, à mon avis sous-estimé. Revoir DODGEBALL, par exemple, pour s'en rendre compte. Malheureusement, il est massacré par la VF, et le montage lui donne des scènes très longues et qui, à force, fatiguent. Il semble être très bien, mais si vous voyez le film en VO, c'est vous qui pourrez confirmer. En tout cas, Vince Vaughn, avec ce film, entre dans le clan fermé des imitateurs de Christopher Walken (ce qu'il fait avec plus de discrétion que Johnny Depp!). C'est rigolo. The Rock a sans doute un joli rôle, ou plutôt on devine le joli rôle si le bouquin était un peu respecté. Le personnage a tellement de contradictions dans le film (c'est-à-dire, il est tellement mal écrit) que là aussi, la performance est dure à juger. En tout cas, Harvey Keitel est minable et vient ici payer ses impôts, et James Wood n'a qu'une scène et demie. Je passe. Cedric The Entertainer, en PDG de groupe de rap mafieux, est plutôt pas mal, et là aussi en filigrane, on devine les intentions de Leonard, notamment lors de sa tirade dans le bureau de Harvey Keitel, hymne à la tolérance, pourtant presque raciste, et, en tout cas, très ambigüe. Ça doit être quelque chose... dans le bouquin. Quant à Christina Milian, la petite cendrillon de la pop, que dire, sans être grossier ? Une petite chanteuse à deux balles de plus? Une petite gamine arriviste de plus ? Une petite bourgeoise de Beverly Hills dans le show-biz de plus ?
C'est bien là qu'est le problème. Ce film parle d'abord de la fabrication d'un album, de la découverte d'un nouveau talent, et des mœurs dans les métiers de la production. Le personnage de Travolta en a marre de produire des films débiles et décide de se lancer dans la musique, en produisant celle qui lui tient à cœur. Et il flashe sur quelle artiste ? Une Janet Jackson No 22, un clone, et chanteuse dans la vraie vie bien sûr, bien qu'ici elle soit déguisée en Cendrillon pourrie de talent! De qui se moque-t-on ? Ce film, très friqué, incarne exactement ce qu'il dénonce : un projet mercantile débile de plus, fait par des incapables et des incultes qui pourrissent tout ce qu'ils touchent. Et tout ça pour quoi? Pour nous vendre Christina Milian!!!! Un énième clone de Mariah Jackson Huston Madonna Lopez! Au secours! La belle n'a sûrement jamais connu le Bronx, comme cela nous est montré dans le film (cliché à mon sens raciste, du talent caché dans cette école de rap de banlieue ; ces noirs, ils sont tellement doués pour le hip hop, le jazz et le basket!). La belle n'a aucun talent, et évitons de parler de son travail d'actrice. A quoi sert le film ? A vendre de la soupe, et c'est tout. Le contraire de ce que dit le scénario. Et que dire de l'utilisation du groupe Aerosmith dans le film ? Qu'elle confirme que pour les producteurs de BE COOL, c'est le nec plus ultra, le vrai rock, quoi! De l'émotion vraie. Au secours!
Bref, vous l'aurez compris, un film bourgeoisiste, dont la seule destinée est de vous piquer votre fric deux fois (ciné+musique), en détruisant une histoire intéressante et arty, en la transformant en un WILD WILD WEST 2. Et surtout un film qui fait preuve, avec force, de ce qu'il dénonce : les professionnels de la production, ciné+musique, sont de gros incultes qui ne connaissent à peu près rien à leur métier, comme l'avait bien compris le personnage principal du bouquin. Mais, pire que tout, c'est ce sentiment d'être pris pour un connard (pauvre) de dernière zone qui est désagréable, et devant tant de trahison, à la vie comme à l'écran, on a envie de dire aux responsables de ce film : soyez honnêtes!
Honnêtes, c'est déjà ça, c'est déjà ça, comme disait le poète...
En attendant, dénonçons le scandale de ce film qui nous crache à la gueule, en encaissant notre argent, et qui exige, en plus, qu'on dise merci!
Furieusement Vôtre,
Dr Devo
PS: on est quand même très triste pour Vince Vaughn! A signaler aussi dans le film, les apparitions de deux plus ou moins inconnus (vus quelque part mais je sais plus où!): Robert Pastorelli (le tueur à gage) et Debi Mazar, tout deux très biens. D'ailleurs, j'apprends en préparant cet article que Debi Mazar sera à l'affiche du prochain film de Stuart Gordon (REANIMATOR, FROM BEYOND), film scénarisé par David Mamet!!!! Un peu comme si Alain Corneau écrivait le prochain David Lynch! Voilà un mélange improbable, très excitant et qu'on a hâte de voir!