DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTE, de Jacques Audiard (France, 2005): un clavier trop tempéré ?

Publié le par Dr Devo

(photo: "Les Doigts Croisés" par Dr Devo)

Chers Amis,
 
Quel plaisir de vous retrouver après quelques jours passés à manger du chocolat, pour moi, et de crise de Foi, pour vous, qui étiez confrontés pendant ce temps aux diaboliques photos du film mystérieux.
 
Avant de partir pour Chocoland, j'ai eu le temps de me glisser dans une salle de cinéma et d'aller voir, dîtes-donc ma chère, encore un film français. Ça faisait longtemps que je ne n'en avais pas vu deux à la suite qui ne soient pas des comédies à 1000 copies, genre CAMERA CAFE ou IZNOGOUD. Deux films de chez nous, donc, et deux films plutôt visibles : LE COUPERET de Costa-Gavras qui ne casse pas trois pattes  à un canard, mais qui, par la petite bande, est assez angoissant, et donc DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTE de notre ami Jacques Audiard, que j'ai eu la chance de rencontrer un soir, quand j'étais petit, il y a déjà assez longtemps, genre quand j'étais au lycée, et genre quand il écrivait encore des scénarios avec Jérôme Boivin, également présent ce jour-là, et qui depuis disparaît régulièrement dans l'univers impitoyable et médiocre de la télévision... J'ai rencontré les deux en 1992 ou quelque chose comme ça, ça ne nous rajeunit pas, bon sang. Allez reprend un peu de chocolat, ça passera mieux...
 
Romain Duris (Brrrr, j'y reviens), est un petit gars assez nerveux, mais plutôt malin. C'est une sorte de Dédé l'Embrouille, version contemporaine. Duris, il est dans l'immobilier, et avec deux amis (dont l'excellent Jonathan Zaccaï), il rachète des immeubles entiers, les vide, les revend, ramasse encore plus de fric, etc... Bref, ils spéculent, le Duris et ses amis... Et quand ils ne peuvent pas faire une affaire, et bien, ils font en sorte de la faire quand même! Et que je te mets des rats dans les escaliers pour pousser le proprio à vendre, et que je te déloge les squatters sans le sou avec batte de base-ball, etc... Je vous laisse découvrir ça. Et puis, on s'arrange avec les notaires, les services municipaux, et tout le toutim. Au total, on achète, on vend, et on survend, par immeubles entiers. Petites combines, certes, mais habiles, bien soutenues par un réseau de connaissances et  de savoir-faire. Et ça rapporte un maximum, crise de l'immobilier parisien oblige. De temps en temps, faut balancer quelques coups de poings, mais bon... On n'a rien sans rien. Tout le système, Duris l'a appris auprès de son père, Niels Arestrup. Et les combines semblent s'être transmises comme un petit commerce familial. Les deux ne bossent pas ensemble, mais quand le père a besoin du fiston pour faire le coup de poing, Arestrup peut compter sur Duris. Drôle de paire ces deux-là : père-fils, mais aussi deux faux "potes"... On joue sur plusieurs registres, et les petites rancunes s'accumulent. Parmi les sujets tabous entre les deux petits arnaqueurs : la mère de Duris (ex-femme d'Arestrup donc), morte il y a quelques années et qui était pianiste virtuose, ce qui, on le devine, causa sa perte. Voilà le quotidien de Duris, qui, un jour, par hasard, rencontre son ancien professeur de piano (un célèbre impresario dans le classique) qui lui propose une audition. Duris accepte alors qu'il n'a pas touché un clavier depuis la mort de sa mère. Il se remet à l'instrument non sans mal, avec l'aide d'une chinoise virtuose qui va le faire bosser à fond. Pendant ce temps-là, Arestrup connaît de plus en plus de soucis avec ses affaires et a besoin de son fils. Duris hésite et perd pied au fur et à mesure que sa passion pour le piano rejaillit et qu'il s'éloigne malgré lui du milieu des "affaires"... Y a-t-il un deuxième acte dans la vie des (anti-) héros français ?
Si Jacques Audiard ne m'était pas relativement sympathique, sans doute ne serais-je pas allé voir ce film, et ce pour une raison très simple : j'ai un gros problème avec Romain Duris. Voilà, c'est dit, c'est fait. Malgré sa grande popularité, et malgré le fait que, pour la plupart des spectateurs, il paraît être un petit gars très sympathique, rien n'y fait, pour moi, le Duris me donne quasiment de l'urticaire. Il ne m'a rien fait personnellement, mais voilà exactement le gars qui pour moi symbolise la frime, la prétention, le systématisme, le manque d'intelligence, etc.. Vous l'aurez compris, c'est physique, je ne peux pas encadrer l'animal. Bah, ça arrive, on a tous nos têtes de turc, et peut-être l'essentiel est de s'en rendre compte, d'en être conscient. Sur le plan artistique, je ne suis pas fan, loin de là, de ses films, notamment ceux de Cedric Klapisch, et ça, à ma décharge, ça aide, ça aggrave le symptôme. Donc, sans Audiard, la perspective de passer plus de 100 minutes avec Duris m'aurait fait passer mon chemin probablement. Discutant il y a peu avec Bernard RAPP, un habitué de ce site, qui laisse souvent de très splendouillets commentaires, celui-ci (Bernard RAPP) me disait que, malgré notre aversion commune pour Romain Duris, et malgré "l'immonde bouse" (je cite de mémoire), qu'était ARSENE LUPIN, il avait apprécié Duris dans ce très mauvais film, qualifiant sa performance de "relatif état de grâce". Connaissant mon confrère RAPP assez bien maintenant, le doute se fit, et j'en déduisis que pour apprécier un tant soit peu le plus populaire des jeunes acteurs français, le Bernard, il avait dû être très surpris par quelque chose. Le film étant mauvais, il fallait sans doute trouver les raisons de ce revirement partiel dans le jeu même de l'acteur. Surprenant. Malgré tout, en voilà une de raison supplémentaire, d'aller voir DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTE. Même sans trop y croire. De toute façon, un Jacques Audiard, fut-ce avec Duris, ça vaudra toujours plus qu'un Jugnot avec Catherine Frot.
 
À l'heure du bilan, que dire ? On ne passe pas vraiment un mauvais moment. C'est du classique, tout ça, mais ça a un peu de gueule, on ne peut pas le nier. Romain Duris, désolé les gens, n'est, selon mon point de vue, pas "en état de grâce". Ça joue relativement, mais pour moi, ça pue encore bien la frime et le rouleau compresseur. Oune poquito attendu, la performance. Je crois qu'un journaliste de Libération a osé dire que sa performance est proche de celle, mythique, qui marque un acteur, et qu'on pouvait comparer le Duris d'ici au Robert De Niro de TAXI DRIVER! Oh No! Faut quand même pas déconner. On sait que je ne porte plus beaucoup De Niro dans mon cœur (encore que le film sur la carte AMERICAN EXPRESS... Jetez un œil sur MON BEAU-PERE, MES PARENTS ET MOI vous comprendrez), mais là je dis halte au sketch, ou si vous préférez, il faut savoir raison garder.  Je pense que si on ressortait à ce journaliste sa critique dans cinq ans, il aurait très honte! Je passe. Donc, le Duris se supporte tant bien que mal, rien d'infamant (à part la scène du téléphone: "I fucking kill you!", qui, là, de fait, ressemble à du De Niro mal compris et hors-sujet... L'idée de ce journaliste n'était même pas vraiment originale... La classe!), et surtout rien d'extraordinaire non plus. Pas mal, je suppose, mais dans mon cas (voir ci-dessus), c'est dur à juger. On supporte, disons. Côté second rôle, ça assure drôlement à certains endroits. Arestrup est vraiment formidable, et, HALLELUYAH !, est capable de dire un texte sans réciter, avec une facilité et une absence de calculs hyper-rare en France (même chez les bons acteurs). Ça fait du bien. Rien que pour lui, on peut se déplacer. C'est quand même autre chose que les Podalydes ou les Torreton. La grande classe. Jonathan Zaccaï me paraît très honnête, comme dit plus haut. Lin Dan Pham est bien. Mélanie Laurent, que je ne connais pas, a une superbe scène (dans les vestiaires de l’hôtel, avec un son très joliment utilisé).
 
Là où je serais plus frileux, curieusement, c'est plutôt sur la mise en scène. Le parti pris de montage est très marqué. Caméra à l'épaule, impression de prise sur le vif, montage chahuté et très cut, temporalité flottante, etc... Pendant ce temps, le scénario louche sur une histoire en deux teintes, thriller quotidien mais noir d'un côté, et redécouverte de la musique de l'autre. De ce point de vue, l'ignoble bande-annonce en dit beaucoup trop, privilégiant le côté film noir, alors que, je suppose, découvrir le film sans avoir vu ce piteux montage commercial doit être quelque chose de bien plus troublant, parce que, justement, on ne sait pas de quel côté le film va basculer, et parce que, justement, le film n'est que progressivement émaillé de tâches noires sur la musique. Dans ces conditions, mon innocence de spectateur cesse de battre, elle aussi.
 
Et puis, au final, votre bon docteur est un peu gêné. Beaucoup de gros plans, encore une fois, nourris au sein naïf de cette idée reçue qui veut que plus ton plan est serré, plus tu es proche de l'émotion des acteurs. Le cadre n'est pas gourmand une seconde, ce qui alourdit sans doute pas mal le montage. Le scénario sent bon la rédemption à 1000 lieues à la ronde, et pourquoi pas au fond ? On ressort relativement déçu quand même. Le film reste vraiment trop sage, loin de l'esthétisme travaillé auquel on s'attendait. Comme un joli morceau, gentiment triste, mais  dont on devine plusieurs minutes à l'avance sur quel accord et de quelle manière il va se résoudre. On baille donc gentiment. Le tout n'est pas assez iconoclaste (à l'intérieur même du film), trop proche du scénario, et sans doute pas assez dans l'errance que ce type de dispositif aurait pu rendre si créative au montage. [Un petit mot sur le son très feignant, je trouve, et perturbé par une musique electro abominable.] Et d'ailleurs servons nous de cette parenthèse. Et si, à la place du piano, il s'était s'agit d'un tubiste virtuose ? Et si, à la place de l'electro, on avait mis de la musique industrielle des années 80 ? Il exagère le docteur ? Pas vraiment, il est juste un peu taquin. Car curieusement, dans ce film, c'est l'impression de préciosité et de bon goût qui bouffe un peu le reste, au détriment du rythme même du film et de son "ambition" esthétique. Audiard n'est pas le premier à sombrer dans une espèce de fétichisme du PI-A-NO et du VI-O-LON (prononcez avec l'accent de Fanny Ardant). C'est sûr, c'est plus classe que le trombone. Mais la musique indus, combinée au tuba, n'aurait aucunement empêché de montrer longuement le Duris torse-poil en train de répéter.
 
Il s'en est fallu de peu, mais c'est dommage, on reste dans une ambiance feutrée et charmante, bien comme il faut, et finalement sans la folie et le déboussolage qui nourrissent le scénario. Dans le même processus de filmage et de montage, on pourra comparer le film de Audiard à VENDREDI SOIR de Claire Denis qui, dans la même veine de mise en scène, était bien plus gourmand et bien plus abouti. Là, au moins, la mise en scène, elle avait une autre gueule. 
 
Gentiment Vôtre,
Dr Devo
 
PS : en fait, deux jours après, je lis ça et je suis d'accord!
 
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Publié dans Corpus Filmi

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F
Vous êtes franchement très indulgents pour ce navet fini, heureusement bien racheté depuis par Le Prophète, seul film qu'il ait réussi depuis le très conventionnel Un héros très discret. L'histoire est invraisemblable, le film mal joué, il pue la prétention acnéique mal digérée, bref, on eût pu croire qu'il se fût agi d'un film de Desplechins, soit le fond du fond du cinéma français (avec l'oeuvre entier d'Assayas, il est vrai).
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U
C'est sûr, c'est bien. Mais pas autant que Matrix.
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