DOMINO, de Tony Scott (USA-2005) : L'Âne Toto, Roi du Porno
(Photo : "Hommage à Maître Cappelo" par Dr Devo.)
Chers Focaliens,
Et bien, ça n'aura pas mis longtemps à se gâter, cette petite semaine cinématographique. Malgré une grosse envie d'aller manger du film, il n'y a pas grand chose à se mettre sous la dent. On y va donc, en provoquant le hasard. Mon ciné Pathugmont étant avare en ce moment de films fantastique (pas de RED EYE, le film de Wes Craven, pas de DOOM, probablement débilissime mais qui m'aurait bien convenu ces jours-ci). Bon, allez, faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Donne au cinéma sa chance.
On commence par DOMINO, le nouveau Tony Scott, frère de l'autre criminel au mauvais goût totalement sûr. On avait parlé ici de l'épouvantable KINGDOM OF HEAVEN, gros machin inutile et terne, au scénario tragique à cause de la connerie ou du masochisme d'un de ses personnages. [Dans ce film, le personnage d'Orlando Bloom a tout pour être heureux, mais, trop bête, il ne comprend pas que toutes les cartes sont dans ses mains, préfère déclencher une guerre thermonucléaire mondiale, et tout perdre. Quelqu'un peut m'expliquer ?] Malgré l'oppression marketing, on ne peut recommander que de ne pas acheter le DVD à Tata Jeannette pour Noël. Passons. Je ne suis pas fan de Tony, comme je ne suis pas fan de Ridley. J'aime assez BLADE RUNNER, ça a du charme, même si c'est une adaptation assez ratée de Philip K. Dick. En ce qui concerne Tony, j'ai un très bon souvenir du très stylisé LES PREDATEURS, vu à la télé il y a deux ou trois ans. Sinon, le reste, même TRUE ROMANCE, vraiment, je n’aime pas.
DOMINO raconte l'histoire de Domino Harvey (Keira Knightley, l'actrice de THE JACKET), personnage réel, petite fille rebelle, fille d'acteur, ancien mannequin, junkie (pas dans le film !), chasseuse de prime, et décédée en juin dernier d'une overdose alcool / tranquillisants.
On suit l'histoire de Domino alors qu'elle intègre un groupe de chasseur de primes mené par Mickey Rourke. Ces chasseurs de prime doivent retrouver des gens en liberté conditionnelle et en attente de procès, à qui Delroy Lindo (second rôle récurrent) a payé la caution en attendant le procès (métier que Robert Forster faisait dans JACKIE BROWN). Quand les libérés sous caution se font la malle pour éviter le procès à venir, Delroy Lindo fait appel à Mickey Rourke et à son équipe pour retrouver le fugitif. Domino, punkette qui n'a pas froid aux yeux, reine du Nunchaku (véridique !), armophile distinguée, s'intègre avec succès dans l'équipe de Rourke. Quand la femme de Delroy veut faire soigner son petit Juju de fils atteint d'une maladie incurable, elle fait un coup monté désastreux, qui va mettre toute l'équipe en péril. Le film est le récit que fait Domino à Lucy Liu, agent du FBI.
Une chose est sûre. Tony Scott a plusieurs idées précises dans la tête. Il veut faire un film iconoclaste, un polar déjanté et sur-compliqué (en fait non, pas du tout), ouvertement inspiré du personnage réel, et complètement romancé dans le même mouvement, le vrai se mêlant au faux. Et il n'y va pas de main morte, le Tony. Le film est très ostensiblement mis en scène. Lumière sur-étalonnée en teintes vertes-jaunes ultra-contrastées (rappelant un peu, si vous voulez, certaines scènes du TRAFFIC de Soderbergh), pellicule gros grain, etc. Tout est retravaillé, délavé et repeint en post-prod, notamment par des rajouts de contrastes et de lumières (cf. le plan de profil sur Kiera Knightley et Lucy Liu devant les casiers pendant l'interrogatoire). Gros travail sans doute, très branchouille, mais pas discret du tout !
Le son se multiplie et se démultiplie dans la Dolby Digital, la voix-off dominesque se déployant sur plusieurs équalisations, on, off, façon video killed the radio star. Générique supra-branchouille. Bon. C’est la grosse bouillabaisse californienne, avec un net effort plastique marchant sur les traces de MTV, appliqué ici au 35mm et au format 2.35 (scope). Why not ?
Ben, à vrai dire, parce qu'il y a deux ou trois problèmes. D'abord, et avant tout, le montage. Comme dirait les djeunz, cible visée, c'est du n'importe nainwak, du raccourci, du court sur patte dans la droite ligne de Jean-Marie Poiret époque LES VISITEURS. Pas un plan ne durant plus de 1,5 secondes, gros plans, plans larges tous mélangés, changements d'axes brutaux et sans justification, jeu de flou, focales à la mord moi le truc, c’est absolument n'importe quoi, absolument n'importe quoi. Pendant ce temps, pendant que Scott éjacule son montage sur notre face (ce qui est, vous en conviendrez, un peu discourtois), le son, travaillé, remixé, se baladant sur toutes les enceintes, s'assure en voix-off que nous comprenions bien tout, et sur-narratise tout ce qu'il peut, alors qu’au final, c'est assez bête comme chou, cette historiette. Mais bon, il y a effet de brouille, car le visuel est tellement surchargé et épileptique qu'on a l'impression que ça hystérise de partout. Il en faut évidemment plus pour effrayer un focalien.
Le résultat est là : c'est gavant. La trame narrative essaie de nous refaire le coup de SNATCH et consorts, matinée de honteuse resucée de TRUE ROMANCE (les séquences de la fin et celle du Jerry Springer Show), du cinéma de petits malins en mal de cartes de visites branchouilles. On a déjà vu ça mille fois, mais le "design" est effectivement particulier, et tellement jusqu'au-boutiste dans son aspect VISITEURS que ça peut marcher, pour les cerveaux lents. Mouvement ne veut pas dire construction. Ça pogotte de partout, mais ça ne va nulle part, ça ne raconte rien, sinon une histoire de petit fifille qui n'a pas dit je t'aime à sa maman (Mon dieu... C'est véridique et moins "macho" que le film le voudrait, non ?) et qui essaie du coup d'en sauver une autre, de petite fille, en se "rebellant" contre le Sys-Tem comme disent nos amis rappeurs. Pillant honteusement le beau TUEURS-NÉS d’Oliver Stone, notamment dans sa vison burlesque et dans son montage musical, Scott salit tout, ne retient que la croûte, et n'intègre rien. LA BO est infecte et opportuniste (pollution nocturne, là aussi, de nos oreilles, puis il vient nettoyer son gros liquide dégueulasse avec le coton classe et ouaté de Tom Waits, aussi acteur ici) : c'est dégueulasse !), et, erreur encore plus impardonnable, elle n'est absolument pas variée, cette BO, contrairement à son modèle, celle du film de Oliver Stone. Scott n'a rien compris dans le travail de son collègue, mais lui pique tout. La preuve : le couteau dans le pare-brise, réminiscence de la hache dans la vitrine (plan sublimissime de TUEURS-NÉS, que je ne raconte pas ici pour que vous le découvriez vous-même), sauf que... ici, c'est sans l'utilisation de la musique, et sans cadre, et sans montage. Pourquoi le faire alors ? Ben, pour le faire comme Oliver Stone, pour avoir ce "ton Oliver Stone" comme disait Michael Lerner dans BARTON FINK. Bonjour le niveau.
[Je passe sur la scène du lavomatic, directement inspiré de la pub Lee Cooper. La sexualité du film est vraiment adolescente.]
Ah bah oui, il y a de l'acteur, Knightley en tête, Jacqueline Bisset (au secours...) en supra-bitch, Walken en producteur de télé-réalité, deux acteurs de la série BEVERLY HILLS (qu'on critique ouvertement pendant le film), etc. N'importe quoi, la roue libre, vaguement inspirée des romans de Chuck Palahniuk, l'écrivain à l'origine de FIGHT CLUB. Bouillabaisse qui salit tout le monde, même les participants. La cuisine est faite devant nous, mais quand il faut goûter le plat, ça ne donne pas envie, surtout quand on voit de la nourriture sur le plafond et les murs de la cuisine. Seul îlot de classe dans le désastre : Mena Suvari (ex-allumeuse de AMERICAN BEAUTY) sublime, perdue, triste. [Elle est à l'écran comme à la ville d'ailleurs : elle porte les bagages très lourds du reste du casting qui, pendant qu'elle fait la groom, cachetonne honteusement en se la jouant cool, seul plan documentaire du film, qui trahit toutes les intentions. Dès qu'il y a une Conchita en perdition dans le star-system, on peut mater tranquillement la nouvelle coqueluche d'Hollywood faire son peep-show dégoûtant.] Pour le reste, jetez tout. C'est lamentable.
Passer de la peinture sur une carrosserie rouillée de partout n'est jamais une bonne technique. Le flacon sans l'ivresse. C'est triste. Évidemment, c'est d'une monotonie empiriquement extraordinaire. C'est cynique, c'est laid, et ça n'a aucune passion, même vulgaire, comme je l'avais apprécié dans REVOLVER de Guy Ritchie récemment. Ritchie, avec SNATCH, avait déjà donné dans le même genre que DOMINO. Mais il y avait une construction passionnée et un peu soignée dans REVOLVER, un jeu baroque sur la vulgarité de la mise en scène. Ici, dans DOMINO, il n'y a rien, sinon l'effroi glacé et pornographique des films qui "balancent tout", avec cynisme et calcul, un parfum synthétique et stérile qui serait drôle comme une série Z si la chose n'était pas si globalement prétentieuse, et ne nous prenait pas ouvertement pour des imbéciles de race inférieure. DOMINO, c’est comme ces gros mecs supra-musclés et fringués en DIESEL, empruntant la jagu' à Papa, et que vous observez le samedi soir sur le dance-floor, moulinant ostensiblement des mouvements de danse stériles, mais qui prennent beaucoup de place sur la piste, obligeant tout le monde à se serrer sur les bords. Du cinéma de K-K (en français et en anglais), avec caleçon Calvin Klein ostentatoire, qui finit toujours par attirer deux ou trois idiotes, mais qui est bien loin de pouvoir fournir le moindre grand frisson. On évitera, dès lors, de se salir. Dis lui merde au dealer. Scott, tu sors !
Kamikazement Vôtre,
Dr Devo.
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