LE VOLEUR DE BICYCLETTE, de Vittorio De Sica (Italie-1948) : Tu Respecteras tes Pères (le syndrome Lagrange, 2ème partie)

Publié le par Dr Devo

(Photo : "Fermage de la Charentaise" par Dr Devo)

Chères lectrices de Sherbrooke (Canada), Chers Lecteur de Miettula (Finlande),
 
Oh lalala, ça, c'est Paris, je ne sais pas si vous avez vu, mais le dernier article de Mr Mort sur GARDEN STATE (dont d'ailleurs Tournevis avait publié sa propre critique : c'est ici) a été drôlement commenté : plus de 70 commentaires en quelques jours, c'est déjà plus qu'un de nos articles best-sellers, STAR WARS III, qui bien sûr déclencha l'ire de pas mal de fans hardcore (dont un commentaire très drôle il y a quelques jours !). Et on n’est déjà pas loin de notre plus "populaire" article, celui qui nous valut la gloire à travers tous les océans du globe et par delà les frontières (mais curieusement, depuis que c'est sorti en DVD, on n’a pas vraiment de nouveaux commentaires...) : MILLION DOLLAR BABY ! Là, amis finlandais et canadiens, c'est un festival !
Ceci dit, ce n'est pas au kilomètre qu'on mesure la pertinence de bons commentaires en l'occurrence, et ceux de ce récent article sur GARDEN STATE sont passionnants, et couvrent un pan entier de la culture, de Bach à Bézu, et ce n'est pas peu dire. En allant voir ces commentaires, vous trouverez, et là je ne plaisante absolument pas, des réflexions sur la valeur intrinsèque du cinéma, sur la question "Techniques Cinématographiques : limites émotionnelles du film ou éléments fondateurs ?". Il y a aussi un colloque sur le cinéma érotique de Bénazéraf, un symposium sur "BACH et MOZART : deux stratégies pour une même musique ?". Une conférence intitulée : "Mozart, musique vulgaire ?". On parle également des grands réalisateurs, notamment avec la célèbre dispute : "Renoir, un auteur moderne ou une vieille chouette ?", ancienne conférence qui provoqua le renvoi de Bernard RAPP de la Sorbonne où il enseignait à l'époque, alors que le cours s'appelait "Renoir a-t-il une chance si Franju, Duvivier, Dreyer et Bergman lui tombent dessus pour lui casser la gueule ?".
Bref, que des questions existentielles et des nouvelles pas toujours gaies, mais c'est la vie de nos amis Bézu, Blèze et Pompon, dont j'ai mis ici la photo. La photo se regarde en allumant le juke-box focalien (radio.blog), en haut dans la colonne de droite, et en mettant la belle chanson de Gérard Manset, comme un hommage.
Incroyable travail collectif, cette série de commentaires aurait pu être un chouette article. Allez jeter un œil : c'est ici.
 
Tout cela complète en plus, c'est merveilleux, les réflexions que nous nous faisions hier sur le Naturalisme et le cinéma dit "du réel". Continuons un peu sur ce chemin, voulez-vous ?
 
Il n'est jamais trop tard pour revoir ses classiques, et quand vous avez loupé ou évité l'incontournable, il est important, un jour ou l'autre, de passer à la caisse et de payer, je suppose, ce qui est dû. Là, ce fut Madame Devo qui décida du sort des choses, en choisissant la galette, sans conviction non plus, mais comme un défi, et avec le courage d'une Cosette, quoi ! Le sens du devoir (scolaire) en quelque sorte. En même temps, je ne me décharge pas sur autrui (bon, ça va, on arrête de rire dans le fond), mais les faits sont là : je pense que si j'avais choisi un film, ça aurait été autre chose, sans doute un John Landis ou un Woody Allen (ou le fabuleux... non, je vous dis pas... Suspense).
Nous voilà donc, avant-hier, devant LE VOLEUR DE BICYCLETTE, découvrant, je crois pour la première fois, en ce qui me concerne, Vittorio De Sica.
Il faut bien sûr être honnête, nous n'avons pas poussé de grands soupirs de soulagement en se disant que ça y est, dans une heure et demie, on en serait débarrassé pour toute la vie, etc. Ceci dit, une fois la décision prise, pourquoi pas ? C'est comme un défi, un peu mutin, un peu chafouin, une sorte de jeu. L'avantage de cet état d'esprit, c'est qu'au bout de trois minutes de film, j'étais complètement détendu. La hachette est vraiment restée au vestiaire. [Toutes ces précautions sont surtout destinées à mes proches, chers habitants des provinces de Québec et de Oulu, qui savent mes réticences et me connaissent comme ma poche.]
 
L'histoire est très simple. Antonio (joué par Lamberto Maggiorani, acteur non professionnel, comme tous les autres, mais ça ne se voit absolument pas ; il a dû être sévèrement coaché) est très embêté. Chômeur depuis deux ans dans l'Italie pré-fasciste et fauchée comme les blés, c'est quasiment la misère. On vit sur les allocs, très maigres, et le fiston de sept ou huit ans est même obligé de travailler. Antonio est embêté, car la Mairie de son quartier de Rome vient de lui trouver un boulot : colleur d'affiches. Pour cela, il doit avoir un vélo. Or, pour pouvoir manger, il a mis le vélo en gage chez Ma Tante. Maria, sa femme, décide de vendre les draps pour racheter le béclou (comme on disait par chez moi). Le lendemain, c'est la fête, car ce job signifie qu'ils sont sans doute tous les trois sortis de la misère totale.
Antonio débute donc le lendemain, à bicyclette, aux quatre coins de Rome. Malheureusement, il se fait voler son vélo ! C’est la catastrophe, c'est la vie décente qui s'en va en un seul geste ! Antonio porte plainte à la Police, sans que ça change quoi que ce soit. Après-demain, lundi, il doit absolument avoir retrouvé son vélo. Avec l'aide de quelques amis et de son fils, il consacre son dimanche à faire les marchés d'objets de seconde main pour retrouver le précieux, et parcourt la ville à l'affût du moindre indice...
 
Alors, comme de bien entendu, comme disait le poète, c'est du mélodrame, bien sûr, et ce n'est pas un scoop, vu que le film est une des pierres fondatrices du néoréalisme italien, souvent évité pour des raisons que vous devinez par mon auguste personne. C'est pourquoi il était diablement intéressant, même si le film n'a pas été choisi dans ce but, de voir le métrage au moment de l'écriture de l'article d'hier sur LE PETIT LIEUTENANT de Xavier Beauvois. On est bien sûr en plein cinéma du réel, LE VOLEUR DE BICYCLETTE étant l’un des grands-pères de ce fameux cinéma contemporain européen.
Deux choses frappent d'entrée de jeu. Mes remarques préambulesques dans l'article sur Beauvois sont complètement justes. Le naturalisme contient bien sûr sa part documentaire, et c'est du cinéma de "notre temps" (sans jeu de mots), comme on dit. Et dans le même mouvement, bicéphale donc, c'est complètement une chevauchée, presque fantastique, une construction complète et artificielle. L’un ne va pas sans l'autre, et je disais hier la fatigue éprouvée par le cinéphile quand il voit les petits-enfants modernes du cinéma néoréaliste : les réalisateurs, de nos jours, maximisent complètement le documentaire, minimisent la construction et l'artifice, accouchant de films bancals, dont généralement l'absurdité factice leur explose à la figure comme une grenade qu'ils auraient eux-mêmes dégoupillée. C’est comme ça qu'on accouche d'un psychologisme en feedback, en boomerang, comme dans LE PETIT LIEUTENANT donc, où le personnage de Baye devient tellement symbolique qu'il engendre dans son sillon un flot incommensurable de clichetons lourds comme des enclumes, et bébêtes comme des réflexions de cours primaires. Ce genre de films modernes et "réels" sont donc complètement déséquilibrés, et cachent, retenez bien ça, un abandon complet de la mise en scène, que les réalisateur essaient de transfigurer dans un habillage qu'ils empruntent sans vergogne, et sans réfléchir, au film documentaire (caméra à l'épaule, photo non travaillée, naïveté du son, etc.). C'est un fantasme évidemment très naïf que de croire à cette "vérité des moyens dépouillés", comme si l'artifice, indispensable quand on fait une fiction de cinéma (et peut-être aussi dans le documentaire d'ailleurs, comme on le verra dans la troisième partie de cette enquête) était vecteur de mensonges, et comme si la mise en scène était l'apanage de manipulateurs considérés dès lors comme d’odieux propagandistes ! Un cinéaste comme Beauvois semble dire : "Nous, cinéastes du réel, dépouilleront le cinéma de ses oripeaux artificiels pour permettre aux spectateurs de voir la vérité nue". C'est vraiment comique comme attitude, c'est complètement adolescent, sinon enfantin, et quelque part beaucoup plus manipulateur que les cinéastes qu'elle dénonce. Car au final, on se retrouve avec des conclusions et des clichés dignes de soap-opéra, comme par exemple l'idée conductrice que ce petit lieutenant du film de Beauvois, c'est un peu comme son fils, à Nathalie Baye ! Mon dieu !  C’est effectivement, ouhlalalah, trèèèèèès réééaliste, très proche de la vie de la rue, très complexe, comme la réalité !
 
Et c'est là qu'intervient mon deuxième point. Ma connaissance du néoréalisme est très loin d'être exhaustive, mais dans le cas du classique de De Sica, deux choses me frappent.
Tout d'abord, le film est très mis en scène. Et pas de la façon naïve, lisse et à trois balles-six sous que j'imaginais a priori. Le film a de réelles qualités plastiques. Evidemment, ce n'est pas la magnificence d'un Dreyer ou la sur-précision d'un Greenaway. C’est plus simple et simpliste (sans connotation péjorative) que ça. La photographie est très correcte, avec des moments ultra-travaillés et très artificiels, mais par petites touches courtes ici et là : comme ce plan où le fils et le père rentrent à la maison, à la fin de la première journée, en marchant près d'un chemin de halage. Ce plan est très marrant et assez beau. En fait, tous les petits plans sur-léchouillés (il n'y en pas tellement que ça au final, mais bon...) m'ont fait penser à des affiches de propagande ouvrière assez troublantes. Ça fonctionne.
Le reste est donc plutôt cadré. Il y a un réel travail de repérages et de choix de décors. Le tout étant filmé dans une Rome très réelle, elle, in vivo pour ainsi dire (à quelques séquences près, les intérieurs), mais paradoxalement aussi décrite comme une sorte de pieuvre labyrinthique (et donc fantasmagorique, un peu). Il y a par conséquent, ici et pas chez nous de nos jours (suivez mon regard), une vraie volonté de faire un film plastiquement joli ou beau, volonté complètement abandonnée et même repoussée 50-60 ans plus tard ! Bien.
 
Ceci dit, quittons le terrain théorique ou synthétique, et livrons nos conclusions sur le film.
Ben oui, malgré une facture qui m'a vraiment surpris (un peu) dans le bon sens, il faut bien se rendre à l'évidence : tout ça, c'est pas trop mon truc.
Formellement, je trouve tout d'abord que le début du film est plus réussi esthétiquement que la suite. On arrive même à certaines scènes quasiment anonymes. [C'est drôle d'ailleurs, c'est notamment le cas de la scène célébrissime du restaurant : les champs / contrechamps sont tout petits, presque piteux, tout bébêtes, et le discours du scénario devient tout d'un coup très marqué, avec de gros sabots de fer rouge ! Ça devient très lourd en quelques secondes.] On retrouve un peu de punch esthétique dans la dernière séquence, mais il y a un ventre mou formel certain dans le corps du film.
Le son est l'aspect le moins intéressant, bien que quelques ambiances soient gentiment amenées. Notamment à cause d'une musique difficile à supporter, en forme de scie musicale kidesque tendance Chaplin du plus désastreux effet. La première partie du film pâtit d'ailleurs un peu, outre ce thème, du sur-lignage du pathétique et du difficile par des motifs musicaux de transition discrets peut-être, mais qui ont un effet de dramatisation tractopellique là où le film n'en a pas vraiment besoin.
 
Le montage, c'est du classique, mais c'est déjà plus soigné, avec là aussi une nette préférence pour le début. Ceci dit, pas de quoi se rouler par terre et crier au génie. C’est du classique, mais ça et là, notamment dans l'échelle de plans (au propre comme au figuré, dans la séquence des draps, par exemple), il y a de la pensée. Bien, bien.
Une chose frappe. On peut, je pense, légitimement et sans que ce soit une critique, rapprocher paradoxalement LE VOLEUR DE BICYCLETTE du cinéma hollywoodien de l'époque ! Etonnant, non ? Evidemment, on est en plein loumpen, dans la misère et les cosetteries en tout genre, évidemment, on le verra, on est dans un film très politique d'une certaine manière, mais la facture et le statut du film, sans renier son néoréalisme, c'est clairement du mélo hollywoodien. Et ici, je parle aussi, mais pas seulement, de mise en scène ! Il ne faut surtout pas imaginer un cinéma pauvre, froid et dardennesque. Pas du tout. Ça ressemble assez, hormis le sujet bien sûr, à un vrai film de studio américain ! Et là, le petit porcinet iconoclaste qui sommeille en moi aurait tendance à dire : "dans ta face, Beauvois and Co !", mais vraiment, c'est pas mon genre, et je sais me tenir.
Une mise en scène proprette donc, avec quelques moments efficaces. Par contre, le montage manque incroyablement de rythme, pas vraiment dans sa globalité, mais à l'intérieur des scènes elles-mêmes. Il y a énormément de répétitions (scènes du restaurant ou du bordel, par exemple), de circonvolutions qui souvent plombent des scènes qui auraient gagné à être plus épurées et plus directes. Parce que là, on a quand même une impression de grand léchant mou, très appuyée même. Le film s'ankylose assez vite. De Sica en joue même, répétant les effets de piétinement représentant l'indécision, ou plutôt l'impuissance de son personnage. Si le film a du mal à fonctionner, c'est d'abord par le rythme.
 
Bon, après, il y a le scénario. C'est quasiment du SANS FAMILLE microcosmé ! C'est sans surprise, très mélo hollywoodien là aussi, avec un discours très de son temps, très terre à terre. Les sabots sont gros, c'est du lourd, c'est du panzer lesté, mais plutôt sincère. Ça joue énormément sur la surcharge, et sur la volonté d'émouvoir à tout prix. Sur ce point précis, le film aurait également gagné en misant sur l'épure et la retenue. On est presque en plein film de Shirley Temple ! [J'en reparlerai lors d'un prochain article où j'évoquerai les théories bressoniennes des époux Straub]. Et pas loin du Rémy japo-dessiné, tiens ! Maintenant que j'y pense ! Je ne dis pas ça par grande volonté de moquerie, mais sincèrement.  C'est du lourd. La Spirale de la Fatalité entraîne les innocents dans la Tornade du destin, et le loumpem est avalé par la crise et la violence comme des fétus de paille, par le feu dévastateur et meurtrier. Tout est inscrit, tout est prévisible, y compris, et c'est plus gênant, la dernière séquence. En fait, c'est un genre. C'est du discours et c'est du chargé. Et les acteurs, dont l'infernal Juju dans le rôle du fils, n'y vont pas de main morte, pour le meilleur et pour le pire. Au moins, c'est clair, c'est affiché, et cela fait partie de la nette et franche stratégie d'inscrire le film, non pas dans un réalisme documentaire, mais dans le mélo avoué !
C’est là que se synthétisent bien sûr tous les défauts du film, et aussi ses qualités. Le discours s'adresse clairement au peuple, ce qui devait être assez étonnant à l'époque. Alors on charge la mule, et c'est intéressant, on emprunte la forme la plus appréciée de ce peuple : le mélo. On sent De Sica clairement impliqué dans son propos, dans justement cette pugnacité à prendre le film à bras le corps, et à chausser les sabots les plus lourds, avec une réelle envie. C'est un choix. On est très loin de la condescendance des cinéastes du réel d'aujourd'hui, dont on devine, à chaque intention, l'incroyable petit-bourgeoisisme (qui est un état d'esprit disséminé dans toutes les couches de la population), la putasserie grandissante et ourdie, et cette incroyable condescendance. À moins que ce ne soit de la prétention mal placée (c'est-à-dire hors mise en scène, héhé !).
De Sica, même si je n'aime pas énormément ce film, c'est carrément autre chose, comme disait le poète. Il met les mains dans le cambouis, il dit ce qu'il fait, il présente la chose brute de décoffrage, et surtout, il montre clairement qu'il fait du cinéma, et jamais il n'a peur de l'artifice. Il a un plan, le Vittorio, naïf sans doute, mais il a un projet qui est un PROJET DE CINEMA : avec du montage, etc.
 
Alors évidemment, il faut un peu se farcir un discours politique ou poétique. C’est lourd, et ça handicape quelquefois des scènes qui auraient pu beaucoup mieux fonctionner (encore le restaurant par exemple). Tout est vraiment au premier degré, et c'est ça qu'il faut supporter. C’est là que je décroche, malgré quelques belles idées sur le papier. À la décharge du film, on sent très bien que l'Italie de ces années pré-musso, c'est un gigantesque vacarme où tout le monde essaie de parler plus fort que les autres. C’est la misère certes, mais le peuple, ou plutôt le groupe, est montré sans concession : corporatiste, magouilleur, très agressif et sans aucune pitié pour les plus faibles. C'est un monde ultra-libéral, où le droit du plus fort et du moins pauvre règne en maître, sans aucune pitié. Les petits sont écrasés sans ménagement. Certes, le peuple souffre de la misère, mais De Sica n'épargne personne (là aussi quelquefois avec lourdeur quand il parle des dames patronnesses ou des intellectuels, dont il fait sûrement partie, remarque...). Il n'excuse rien et montre une ville déchirée, atomisée par les groupes et les individus, où l’on sort de la loi à la moindre occasion (notamment dans le quartier où Antonio retrouve le jeune et se fait presque lyncher !), ou au contraire, on la convoque selon les circonstances, et sans aucun sens de l'éthique ou du principe. Rome est un monstre chaotique (les gens en masse dans le trafic routier et le trafic d'objets, hey Télérama, t'aurais pas une place pour moi ?), et également apathique, comme drogué. On vient aux meetings comme on vient au match de foot : en masse moutonneuse et livide, comme un gamin qui vient de passer 20 heures devant la télé. Ça casse. De Sica décrit la misère, maladroitement, mais il dénonce également toutes les incohérences, c'est-à-dire la société dans son entier : car on sait très bien que c'est foutu, cette société est déjà morte. Cette chose, on la sent  vraiment, sans que ce soit verbalisé. Le réalisateur montre in fine que le geste (d'un figurant) le moins chargé, le plus simple, est sans doute le seul qui contienne un peu d'humanité (et encore, c'est plus de la pitié, et dégoûtée en plus, que de la bonté !). Faible happy-end, quand même bien vérolé, loin de l'angélisme (même noir) d'un Chaplin, par exemple.
 
Il manque une chose essentielle pourtant à ce film sincère mais lourdaud, balourd mais pas sans quelques nuances (peu nombreuses, mais extrêmement pertinentes). Le film manque singulièrement de régularité dans sa mise en scène. C'est parfois inconstant, peut-être parce qu'il est débordé par le scénario, les idées sur papier en quelque sorte. Dommage, en équilibrant techniquement le métrage, notamment sur le plan du montage et du rythme général du film, De Sica aurait pu contenir les assauts de son ennemi intérieur bicéphale : le scénario et la volonté de tout dire. Du coup, il manque aussi un poil d'ouverture de début de second degré, un zeste d'humour, ou plutôt un léger bouquet d'ironie mordante hors mélodrame. C'est vraiment dommage. Le film n'est finalement que le résultat de son époque, et il a un peu le nez dans le guidon. Le mélo plus aéré et plus aérien, avec les mêmes idées, parait possible pourtant, mais De Sica ne fait que l'effleurer, et s'enferme lui-même. Mais lorsqu'on le compare à nos cinéastes d’aujourd’hui, on est loin de la même naïveté bête et crasse, et on n'est jamais dans le renoncement à faire de la mise en scène, ou dans le renoncement tout court. Parce que finalement, il est là, le problème.
 
À suivre...
 
Dr Devo.
 
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Publié dans Corpus Analogia

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L
Je suis en partie d'accord avec toi - en partie seulement, Chaplin m'a toujours paru extrêmement surestimé - ne serait-ce que parce que l'expression cinématographique a fait trois pas en arrière avec l'apparition du parlant. Ceci dit, le problème concerne moins l'abondance ou pas de dialogues, mais bien la fainéantise du montage et des autres modes de narration propres au cinéma (cadre, son, photographie), largement sous-exploités par une avalanche de films s'appuyant grassement et exclusivement sur le scénario (bien plus que sur les dialogues), et donc sur le mot. Mon conseil : plonge-toi jusqu'au cou dans le cinéma de genre, c'est très souvent dans ces fils snobés que des cinéastes ont véritablement cherché à expérimenter le langage cinématographique.
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A
Il me semble que l'art cinématographique gagne à être le moins bavard possible. L'image vaut dix mille mots. Le summum selon moi : Charlie Chaplin et Carl Dreyer. Le bavardage existentiel d'aujourd'hui fausse la donne. Les plus grands films, toujours selon moi, des dernières décennies : La Strada et Mort à Venise qui frappent par leur économie de mots et donnent à voir et à penser. Difficile de faire mieux. Alors il faut faire autrement. Visiblement le cinéma actuel se cherche sans s'être encore trouvé.   ABH
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B
Ainsi donc vous plaisantiez Jean-Philippe... Quel pince sans rire ! Vive les trains !
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J
Farpaitement.
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B
Porter au pinacle les frères Lumière (rien avant, rien après...), c'est un peu considérer que la quintessence du scénario c'est le manuel d'utilisation de mon camescope. En même temps, l'idée est séduisante...
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