WAITRESS, d'Adrienne Shelly (USA-2006) : Femme-Tarte Vs Homme-Concombre
[Photo : "La Presse Unanime" par Dr Devo]
NB: notre hebergeur Over-Blog semble avopir quelques problèmes avec l'interface de gestion des sites. Des phrases se sont mélangées et les liens vers les articles concernant les films déjà traités sur le site se sont transformés en gros pavé de phrases entières. Nous n'arrivons pas à l'heure qu'il est à réparer la chose. Vous aurez compris que normalement ce ne sont que les titres de ces films qui devraient apparaître en lien, et nous nous excusons de la gêne occasionnée pendant la lecture de cet article.
Adrienne Shelly, c'est un peu le fantasme de la "sexy librarian type" comme disent les héros de la série FREAKS AND GEEKS, c'est-à-dire une fille à lunettes qui sait lire un livre, ne rentre dans aucun archétype justement, et elle a enchanté nos visions Hartleysienne notamment dans TRUST ME et THE INVISIBLE TRUTH. Grande actrice, très précise. La voilà qui revient d'entre les morts à travers WAITRESS, son troisième film. Car, vous le saviez peut-être, en novembre dernier l'actrice décédait malgré son jeune âge (!), d'un suicide semble-t-il. Quelques jours plus tard, on apprenait qu'il s'agissait d'un meurtre ! Shelly rejoint Gérard de Suresnes dans la galerie des jeunes gloires de notre jeunesse qui nous ont quitté trop tôt et qui laissent un fauteuil vide que personne ne reprendra, tant il était hors-normes.
Bon. Malgré un film-annonce un peu désespérant et qui sent un peu trop fort le film indépendant en mode Sundance et la guimauve trop sucrée, WAITRESS essaie de faire son petit bonhomme de chemin un peu original, et cherche à raconter son histoire (pas antipathique, malgré le résumé que je viens de faire) de manière assez personnelle. Shelly, élevée au biberon Hartley, n'essaie pas de reproduire la voix de son maître, mais plutôt de raconter cette histoire simple de manière décalée et personnelle. De fait, WAITRESS distille son petit ton avec facilité. C'est une comédie, plutôt sentimentale, sur une femme trentenaire qui a raté sa vie et son mariage, mais racontée sur un ton plutôt drôle qui met au même niveau, et c'est la qualité principale du film, une loufoquerie quotidienne et une gravité certaine qui est traitée sur un mode décalé, drôle et assez loin du pathos attendu. Ainsi, le portrait assez fin du mari (plutôt bien joué par Sisto) passe très bien : on comprend tout de suite la bêtise et le danger du mec, mais sans que le film devienne un pamphlet. Au contraire, la cocasserie générale du film ne s'arrête pas dans les antichambres plus dramatiques de l'histoire. Que le mari soit violent ou manipulateur, le film continue de distiller ce parfum étrange et distant qui fait que tout reste gentiment loufoque même à ces moments-là. C'est bien joué, car, de fait, les nuances passent allégrement, et pas par le dialogue uniquement. Les acteurs ont de la place pour approfondir de manière originale leurs personnages, alors même que ceux-ci sont assez carrés sur le papier. Le ton est donc à la fois très fabriqué mais aussi terre à terre. Impossible de faire la comparaison avec Hartley, bien sûr (ça n'a rien à voir, et on est largement en-dessous bien sûr), mais on sent un étrange cousinage peut-être. Ce lien se ressent aussi, mais toujours par analogie, et donc toujours sans comparer, dans l'avancée du récit, plutôt direct, qui privilégie une narration qui va à l'essentiel, plutôt ramassée donc, et qui se permet même, de trop rares fois, des petites coupures brusques ou des inserts plus absurdes (le premier plan sur le mari qui vient interrompre le champ/contrechamp d'une scène déjà commencée !).
La mise en scène, c'est assez clair dès le début, ne promet rien de révolutionnaire. La lumière, signée Matthew Irving (je ne connais pas), essaie de créer une atmosphère adéquate entre le réel et le fabriqué, privilégiant souvent les teintes orangées-jaunâtres. Bah, c'est vraiment pas mon truc, et je trouve que, dans le même genre, la photo de SPLENDOR de Greg Arraki (qui essayait de faire un peu la même chose : une lumière directe, assez simple, entre naturalisme et construction) était bien meilleure. Sinon, le cadre, à une ou deux exceptions près (la première scène où les deux futurs amants s’assoient sur le banc) est soit correct, soit sans intérêt particulier. Si on excepte les quelques télescopages en forme d'inserts prévus par le scénario, il n'y a dans cette réalisation rien de vraiment exceptionnel. Le film doit son ton surtout à l'écriture, et à un travail assez appuyé des acteurs parmi lesquels brillent particulièrement Nathan Fillion (décidément très bon et qu'on avait vu récemment dans HORRIBILIS) et Cheryl Hines (la collègue plus âgée de Keri Russell). Adrienne Shelly est bien, et Russell, sans faire d'étincelle, est relativement correcte. En bref, c'est plutôt un départ sympathique, ça nous change un peu des grands pathos art et essai, mais on sent bien que ce n'est pas la beauté de l'objet qui va nous couper le souffle...
Toujours est-il qu'on arrive péniblement au paroxysme du film, soit l'accouchement, qui bizarrement (et ça, la première partie ne le faisait pas), est très attendu, et fait largement atterrir le film sur le plancher des vaches. Exit le joli ton décalé, dramatique et drôle du début du film. Bonjour les conclusions classiques et usées par la convention. Là où WAITRESS arrivait à surprendre les mains dans les poches en quelque sorte, sans en avoir l'air, le film paraît absolument sur rails dans cette dernière partie, très pontifiante : à chacun sa chacune, évacuation par séquence musicale du mari (geste presque antipathique : un moment il faut s'arrêter de rire ou de vouloir être drôle, semble nous dire Shelly), évacuation qui semblait impossible pendant la demi-heure précédente, et qui se débloque comme par enchantement devant la beauté du geste de l'accouchement qui résout tous les problèmes et permet à la Femme de retrouver son identité ! C'est beau l'utopie, je n'ai rien contre, mais en même temps voilà qui ressemble fort à un coup de baguette magique. La conclusion est à la fois un happy-end et une fin douce-amère (la vie quoi... !), l'art et essai indépendant quoi ! On s’extasie de longues minutes sur le retour à l'ordre (...du mérite ! L'héroïne sera récompensée bizarrement, mais était-ce le sujet du film ? Est-ce une nécessité et/ou une obligation ?). La renonciation de l'héroïne (qui met bien mal à l'aise par rapport au personnage de la femme du gynécologue qui n'est, du coup, qu'une marionnette : où est l'ambiguïté originelle du film ?) est consciencieusement mise en parallèle avec l'aboutissement de la vie de ses collègues ! Une sorte de sacrifice ? J'exagère. En tout cas, elle a fait un bébé toute seule, elle est épanouie, s'est sacrifié pour sa communauté et Shelly peut s'extasier devant la bouille mignonne toute-pleine de la petite fille. Tout le sel, l'ambiguïté, le décalage et les étranges paradoxes du film ont disparu, tout est rentré dans l'ordre, et le spectateur sort avec un goût de guimauve trop sucré dans la bouche, se demandant bien où est le rapport avec le début du film, et où est passée la réalisatrice entre temps. La pauvre Adrienne Shelly serait-elle morte assez tôt durant le montage ? Tout cela donne l'impression en tout cas d'un retour à la banalité cinématographique dans un film qui se voulait un peu personnel, et résonne comme autant de deus ex-scénario bien maladroits, épuisant le film dans un rythme monotone et dévoilant sous un jour un peu cruel les faiblesses d'une mise en scène bien trop convenue.