JOYEUSE FIN DU MONDE de Camille Griffin (UK-2021) et EVERYTHING, EVERYWHERE, ALL AT ONCE de Dan Kwan et Daniel Scheinert (USA-2022): Trop, C'est Pas Assez !
"Avant d'emprunter les chemins de la Vengeance, il faut creuser deux tombes."
Et comme disait le Sage, quoique que tu fasses, privilégie avant toute chose, un formule qui claque. Celle-ci fera d'autant plus l'affaire qu'il ne saura jamais question dans ces lignes ni de voyage, ni de vengeance...
Au début de ce site, dans les années 70, il y avait une charte dotée de règles strictes qui définissait la seule façon, unique et universelle, de faire de la critique de cinéma. On ne reviendra pas sur l'impact qu'ont eu ces règles dans le Landerneau cinématographique (proche de zéro), mais on s'attardera plutôt sur un constat épuisant mais amusant: le temps passe, nous ne sommes plus dans les années 70, et une règle, même stricte, même juste, doit être bafouée, et dans les grandes largeurs en plus.
Pour ceux qui n'étaient pas encore nés à l'époque, je ne leur ferait pas perdre leur temps à rappeler ce corpus d'obligations (de devoirs même) qui faisait notre charte pour une critique juste, mais j'en rappellerais une: on ne prend pas de notes pendant un film -c'est mal, c'est mal, c'est mal- et on rédige peut-être pas tout de suite après la séance, mais au moins le lendemain entouré, s'il le faut, dés poltron minet, d'une tasse de café et de biscuits anglais fins au chcolat noir.[Par contre, vous éviterez leurs versions caramels, par snobisme ET par respect de vous-mêmes.]
Ceci étant posé, commençons.
J'ai mon rhumatisme qui devient gênant, et je ne m'aventure guère hors de chez moi, privilégiant de fait, et sans que ce soit réfléchi, "l'analogia" au "filmi". [Les vieux sachent.] Il est bien loin le temps des manivelles, du 35mmm qui nous niquait les doigts (et le dos), et cela fait bien longtemps qu'on a commencé une nouvelle ère.
Une télévision de grand bourgeois à la diagonale quasi-pornographique, un mug "Papa, je t'aime" rempli de café fumant, un petit plaid, un bon canapé et l'affaire est dans le sac, en mode tranquilou, "façon vieux sage" dites-vous in peto, ce qui est bien ridicule car personne ne vous regarde. Dans cette intimité chérie, tout est permis. Une pause-pipi au milieu d'une séquence cruciale, mettre sur pause pour caresser le chat endormi prés du poêle, ou même simplement pour regarder les flocons tomber, dans un ralenti bien feignasse sur la chaussée, à travers le bow window. Ca, c'est pour le visionnage.
On regardera un film, peut-être deux, mais pas plus, car on n'est plus dans l'escalade, dans la boulimie, dans le tout-voir. Au contraire, on s'ouvre à la rencontre, sans stress, en pleine détente, en pleine (dé)possession de ses moyens.
En ce qui concerne l'écriture d'une critique, on change aussi le modousse opérandaille. On écrit, on écrit pas -on écrit même parfois dans sa tête-, on fait comme on veut. Il n'y a plus d'obligation. Tout est gratuit, pour le plaisir.
Et enfin, en dérivant mollement sur cet océan apaisé et calme, on esquisse un mouvement. La babine se redresse, le museau coule un peu, on a le gosier qui ronronne, et c'est là, sans prévenir qu'on annonce la couleur et casse tout: les lignes qui vont suivre on été écrites le plus tard possible après le visionnage du film, pour assurer une critique la plus floue, la plus impressionniste possible. Et osons le dire: la plus injuste (mais sans méchanceté). Est-ce que ce monde est sérieux ?
JOYEUSE FIN DU MONDE (Silent Night) de Camille Griffin (UK-2021)
Angleterre, le 24 décembre, vers 10h30. Matthew Goode et Keira Knightley, un couple plutôt bourgeois et très bien installé, ainsi que leur trois fils, ruent dans les brancards pour finaliser le repas de Noël qui aura lieu ce midi. On dresse la table, on surveille la viande au four, on prépare les chambres (tout le monde dormira là ce soir) et on dispose harmonieusement les cadeaux au pied du sapin.
Car ce soir, le couple accueille famille et amis. On sera une petite douzaine. Et comme dans toutes les familles, il y a, parmi les convives, quelques caractères bien trempés, quelques différences de point de vue, pas mal d'antagonisme qui vont faire de cette journée un événement assez mouvementé. Mais, c'est promis, on va essayer de faire des efforts. Et ce d'autant plus que ce n'est pas un Noël comme les autres...
Franchement, ça fait (pas) plaisir. On part en vadrouille pendant 15/20 ans sans donner de nouvelles (la dernière critique remonte à 7 ans, quasiment jour pour jour), et quand on revient sur ce site, on est obligé de redire ce qu'on a beaucoup dit sur Matière Focale:"hey, les distributeurs français, C'EST QUOI VOTRE PROBLEME ?"
Parent trop protecteurs ? Ou carrément absents? Excès de confiance en soi? Ou estime de soi dans les chaussettes ?
On ne le saura sans doute jamais, mais saluons ici l'incroyable imbécilité du titre français, bien nullosse, qui repose sur l'affiche (audacieux pour un film qui ne verra pas la salle) et en plus qui spoile le spectateur innoncent que nous devons tous être. [Sur l'affiche le titre JOYEUSES FÊTES est biffé, amputé du mot fête et on a rajouté au crayon "fin du monde"). Clap clap clap! Bravo les gars, c'est un sans faute.
SILENT NIGHT (en V.O, donc) commence de manière joliment troussée. C'est une comédie comme savent bien le faire les anglais. Les bisbilles de famille s'étalent progressivement. Il y a pas mal de presonnages, mais la décantation se fait bien et on apprend à connaître tout le monde. Les acteurs sont tous chouettes et les vacheries fusent. Alors, on ne se bidonne pas comme dans un film de Christian Clavier (et ouais!), certes, mais tous ces portraits sont bien sentis. Rien de révolutionnaire, mais ca fonctionne très agérablement, peut-être parce que, pour ma part, j'ai pas reconnu tout de suite Kiera Knightley (vraiment très bien), ici dans un rôle un peu différent de l'habitude, et aussi parce que j'ai bien accroché aux personnages de la mère à l'ouest et de la soeur lesbienne (Annabelle Wallis et Lucy Punch).
Côté mise en scène, c'est soigné. Alors évidemment, vous ne serez ébahi et poussé dans des extases abyssales. Ce n'est pas du Ken Russel ou du Greenway. Mais entre Greenaway et Max Pécas, il y a de la place. Camille Griffin, mine de rien, découpe gentiment, éclaire correctement, et a eu le nez de choisir un très beau décor (la maison; on est en quasi huis-clos). En bref, on n'est jamais dans le téléfilm. Vous le sentez ? On commence à être bien dans ce film. On sent déjà qu'il a son petit caractère. Circuit court, soin de l'animal, élevé au bon grain, c'est du bel ouvrage.
Une mise en scène très correcte, des acteurs chouettosses, une bonne petite bouille, tout les ingrédients sont là.
Le reste va venir du scénario. SILENT NIGHT est fort bien écrit. Je ne vais vous spolier le plaisir de découvrir le film de la façon la plus vierge possible. [Pour ma part, comme je suis à moitié détraqué, comme vous le savez, bien qu'ayant lu le pitch et vu l'affiche, je n'avais pas du tout compris de quoi aller vraiment parler le film, et croyez-moi, mon idiotie a été salvatrice, un merveilleux cadeau.]
Emporté par la foule des personnages, essayant de rattraper les wagons pendant la première bobine et comprendre de quoi il en retourne, on se rend pas tout de suite complétement compte de ce qui est en train de se passer (ce qui a beaucoup de charme, croyez-moi). Une remarque innocente ici, un changement de ton là, une petite contradiction apparente… Tout est là pourtant, sous nos yeux. Le film a l'élégance de dérouler son plan de jeu sans nous mettre au jus tout de suite, ce qui a deux avantages: tout d'abord, c'est un sacré ressort comique, vraiment élégant. On n'est pas pris pour des cons. Deuxio, ça participe sacrément, et là aussi, sans grand effet de manche, sans frimer, juste par petites touches, ça participe disais-je, à bien faire monter la tension, tout doucement. C'est classe. Bravo.
Et on comprend de plus en plus l'attention que la réalisatrice porte aux détails: la soeur pas invitée (et donc pas dans le film) parce qu'on a juste oublié de le faire, la plaisanterie sur l'épicerie au début du film (qui n'en est pas une, du coup), ces choses cruciales qui deviennent futiles, ces petites choses qui deviennent importantes (à l'image du sketch avec le coca-cola à la fin du film: quelle belle idée !),etc. Des choses comme ça, exprimées frontalement ou en loucedé, l'air de rien, il y en a tout tout le temps. [Tiens, pour faire un parallèle avec un autre film: il y avait aussi un peu de ça dans LE FILS DE L'HOMME. La différence étant qu'ici, c'est fondamental, c'est l'ossature du film.]
Moi, vous le savez, je suis, au fond, et malgré mon air impitoyable, une bonne pâte, et en plus de ça, très bon public. Je peux revoir pour la cinquième fois un film de Argento sans être sûr de savoir qui est le coupable. Je ne sais jamais qui est Keyser Söze. Et en plus, j'ai un petit coeur sensible, et la Camille Griffin elle m'a travaillée par petites touches, avec son petit marteau: elle m'a attendri la viande.
Et une fois qu'on sait de quoi il en retourne, moi, le petit poète, le petit gavroche un peu perdu, je suis déjà cueilli. En un mot comme en cent, et puisqu'il faut le dire, je vous l'avoue très fort: ce genre de sujet marche très très bien sur moi, et peut-être encore plus l'âge venant. Je fonce, je m'y prends tout de suite, ça me touche. Et là, j'ai d'autant mieux marché que les personnages peuvent être assez cons ou pas mal idiots. [Tiens, sur ce dernier point: c'est pour ça aussi que la scène des canettes de coca est très belle.]
Cette belle thématique, ce déploiement du scénario bien fichue, ce soin général font de SILENT NGHT, un film vraiment chouette qui distille très bien son petit poison.
Il ne va pas vous retourner l'âme comme THE REFLECTING SKIN (de Philip Ridley… Vous l'avez vu?). Il ne boxe pas en surclassé, il reste à sa place. Mais il n'empêche qu'il a ce p'tit ton, une trogne bien à lui. Et pour les petits naïfs, comme moi, ça fait de l'effet, ça fait son bonhomme de chemin.
Moralité: ça aurait très bien pu sortir en salle. Hélas. Une fois de plus. Et ça me rend tooouuuuut triste.
[Oh yes, PS: Lily Rose-Depp que je connais mal et qui pourtant n'éveille aucune forme de sympathie en moi, est vraiment très bien.]
EVERYTHING, EVERYWHERE, ALL AT ONCE de Dan Kwan et Daniel Scheinert (USA-2022)
Chez nous, aux USA. Michelle Yeoh, femme d'origine asiatique donc, en a ras la casquette ! Propriétaire avec son mari d'une grande laverie ce qui l'accapare déjà énormément, elle doit en plus s'occuper, dans son appartement au-dessus du magasin, de préparer la fête qui aura lieu le soir même. Pour couronner le tout, elle doit finir ses papiers car elle a rendez-vous dans l'après-midi avec le fisc local à qui elle doit sans doute de l'argent. Là voilà jonglant avec les clients, les factures, les reçus, son mari complétement déconnecté de la réalité, son père qui ne parle que chinois et pas anglais, et sa fille qui vient, à l'occasion de la fête, présenter à la famille sa petite amie.. Michelle Yeoh est fatiguée, elle n'en peut plus, elle courre partout, elle est au bord du neurvousse bréquedonne. Mais les choses vont empirer quand l'avatar de son mari débarque sans crier gare. Il lui annonce qu'il vient d'un univers parallèle et qu'il a besoin de son aide pour sauver tous les mondes du mutliverse… Ce n'est pas gagné...
Comme disent les jeunes, "on va pas se mentir", dés les premières (belles) minutes de EVERYTHING EVERYWHERE…, on a le léger présentiment que l'ambiance générale va sans doute être plus proche d'un film de Don Coscarelli récent que d'un documentaire sur les dogons par Jean Rouch. Précédé d'une réputation flatteuse, le film qui était sorti en salles aux States, a finalement, au grands soulagements des cinéphiles français, pu sortir au cinéma chez nous aussi. C'est qu'on l'attendait ce EVERYTHING… avec sa belle petite trogne délirante au parfum de culte !
Mais vous le savez, en tant que vieux routier dans le biznesse, en tant qu'homme à la retraite quasiment retiré des affaires, je suis un peu déconnecté. Les sorties, les films prometteurs, les rumeurs flatteuses que s'échangent les cinéphiles mieux informés dans le couloir des multiplexes, j'en suis bien loin. Par contre, vous me connaissez là aussi sur ce point, je suis pas le dernier pour la poilade, et je ne suis pas le dernier pour voir un film qui "bouscule le game" (comme disent les jeunes), pour voir un film qui éclate les cadres de la narration traditionnelle ou qui fait une proposition un peu hors-normes. Je fus donc fort dèsapointé de n'avoir pas pu voir le film en salle (surtout que les films chouettosses qui sortent en salle ne sont pas légion) et à l'heure de cette séance, j'étais dans un position particulière: d'excellente humeur et ne m'attendant à rien. Ceux qui parmi vous cherchent encore l'amour le savent, c'est la meilleure des dispositions pour faire une belle rencontre: ne s'attendre à rien, être ouvert à tout...
Comme je le disais ci-avant, le film s'ouvre sur une très sympathique (et longue) séquence d'introduction qui donnent joliment le la. Fauché ou nanti -je n'en sais rien-, le film parait de fort belle facture, avec son beau décor, ses lumières sympas et une présentation en bonne et due forme du contexte stressant dans lequel se débat la pauvre Michelle Yeoh. On virevolte, on passe du coq à l'âne, on régle trois problèmes en même temps. Une belle tranche de vie, comme diraient les plus poètes d'entre-nous. Les comédiens sont biens, ça a du rythme, ça a de la confusion (le jeu sur le chinois et l'anglais, par exemple, qui sera d'ailleurs un des points les plus élégants du film) et une chose est clair et rend tout le monde heureux: Michelle Yeoh (la comédienne) profite de chaque instant avec jubilation. Elle est très heureuse d'être là, et ça transpire tout le long du film.
Au terme de cette exposition, nous arrivons dans les bureaux du fisc où toute la famille sera réunie devant le bureau de l'inspectrice des impôts, joué par une Jamie Lee Curtis visiblement en forme et surtout très très grimée en vieille mégère frustrée. C'est dans cette scène que le film démarre véritablement et que le "multiverse" débarque à 100 à l'heure, comme un bombe atomique dans un jeu de quille pour tout faire péter dans tous les sens. Je vous laisse découvrir de quoi il en retourne par vous-même. Le film a franchi une frontière et ne reviendra jamais en arrière. Le projet de EVERYTHING… c'est le mélange constant, parfois brutal, de la réalité de notre univers avec celle des univers parallèles qui viennent le contaminer. Quiproquos identitaires, confusion à tous les étages, et scènes d'actions incessantes sont au programme (avec son lot de combat "art martiaux").
Comédie, action, kung-foufou, réalité contaminée, comédiens sympas, comédienne principale exaltée, réalisateurs qui n'nt pas peur de lâcher les chiens et de faire la mise en scène. On n'est pas bien là ?
En tout cas, on est dans la position idéale pour faire un film impressionniste, lyrique et émouvant où la logique poétique de la réalisation viendrait casser la simple narration d'un tout-scénario, hélas, classique.
Et rappelez vous, je suis moi-même assez foufou -tiens là en rédigeant ses lignes aux premières heures du jour, je suis en train de manger un balisto-, et comme je le disais plus haut, je suis de fort bonne humeur !
Alors oui, la critique va être vite faite. EVERYTHING… et moi, on était bien content d'aller boire une bière ensemble. On était ravi d'aller manger aux restos en rigolant comme des gosses, et lui et moi, sans nous vanter, on avait de l'allure, de l'entrain, et il faut bien le dire, un sacré dose de sex-appeal. Mais la vie est parfois une plage, et pour tout vous dire entre lui et moi, ça n'a pas matché. Mais alors, pas du tout.
Je suis bien embêté du coup. Il y a deux règles fondamentales qu'on est un spectateur digne et sympa, et encore plus quand on veut faire de la critique -et on ne le dit presque jamais d'ailleurs-, prenez des notes sur votre carnet Rhodia noir qui trône sur votre bureau: on doit prendre un film pour ce qu'il est, et bien plus important encore, on ne doit jamais reprocher au film ce qu'il n'est pas.
[Si vous n'avez pas de carnet de note Rhodia noir sur votre bureau, je n'aurais qu'un mot: "réveillez-vous !" On est au XXIéme siècle et il faut savoir un minimum vivre avec son temps. Si vous souhaitez vous en convaincre et si vous avez du temps à perdre, allez faire un tour par là.]
Je suis bien embêté, dis-je. EVERYTHING… est un film franc du collier, peut-être même naïf, qui donne tout et ne retient rien. C'est une comédie (aussi) et ce n'est pas qu'un film d'action. Plus encore, les Daniel (apparemment les deux réalisateurs veulent qu'on les appelle comme ça), donne le ton dés l'introduction du film passée. EVERYTHING… sera délirant, c'est certain, mais aura aussi un dimension potache totalement assumée. On n'est pas non plus dans du John Waters, mais force est de constater que les réalisateurs font ce qu'ils veulent prècisment et se moquent (presque) du bon goût ou du quand-dira-t-on.
Cette fois-ci, nous y sommes, mon vieux Milou. Au risque de passer pour un pisse-froid, je n'ai donc pas du tout était emporté par l'incroyable vortex déliro-potache du film…[..qui d'ailleurs ne se réduit pas à ça car le film se veut également, il faut être honnête, très émouvant.] Pour moi, le moment-clé a été l'apparition de l'univers parallèle des "doigts-saucisses" que je ne décrirai pas ici pour ne pas gâcher votre plaisir éventuel. Sur le papier, cette histoire doigts-saucisses, je dis oui, oui, oui, oui. Formidouble, je plussoie avec entrain. Dans cet univers parallèle précis, on est au coeur du réacteur de ma vison du film. C'est là que j'ai su que EVREYTHING.. et moi, on ne ferait pas notre vie ensemble. Dans les doigts-saucisses, il y a tout. Le lâcher de chiens complètement "hystéros" est complet. C'est improbable, on y revient très souvent et c'est même -fait rare et c'est un compliment dans ma bouche- un peu gênant, un peu inconfortable. Cet univers rassemble à la fois le côté le plus "ambitieux" du film et son côté le plus râté. Sur la papier, l'idée est magnifique (et parfois l'est en l'état) mais ça ne fonctionne pas, à l'image de cette scène, où un des personnages joue de la musique sur un piano avec ses doigts de pieds (ou la caresse avec l'orteil aussi). [La musique avec les doigts de pieds, c'étaint pourtant une belle idée.]
Le soucis, c'est que cette "séquence" s'est transformée, pour moi, en épiphanie triste. Ce n'est pas le pire moment du film à mes yeux, mais c'est le plus révélateur. Là où je suivais bon gré mal gré le film, je compris alors. Je vis tout ce qui n'allait pas. Toute la poussière que je poussais sous le tapis du film -parce que j'avais envie de l'aimer, ce projet-, je l'ai reçue en plein visage. Et je suis franchement désolé, mais je vais devoir faire ci-après une liste des choses que je n'aime pas, à la Prévert. Car ce n'est pas l'ensemble du film qui m'a dérangé, mais une touche par ci, un touche par là.
Car des défauts, il y en a. Il y a des petits détails d'abord, comme les espèces d'effets d'obturation pendant les combats (surtout dans les premières j'ai l'impression). Ou encore les inserts (les flashes) mis à la queue-leu-leu pour signifier que les différents univers s'agglutinent et se détruise les uns les autres. La très étrange direction artistique des séquences autour du donut, avec ses costumes kitscho-borkiens très laids. Il y a l'outrance de certains personnages (totalement voulues par les réalisateurs) notamment ceux de Jamie Lee Curtis et Stéphanie Hsu (qui joue la fille de Yeoh). L'idée semble bonne au départ (pour Curtis au moins) mais finit par enfermer complétement ces personnages qui deviennent des idées de scénario, des vases vides ce qui dessert l'émotion, d'une part, mais aussi le propos du film qui va devenir tout fade. [Stéphanie HSu d'ailleurs est toute à fait bien quand elle joue "la fille de Michelle Yeoh" et tout à fait kitsch et prévisible quand elle incarne son côté obscur). Il y a aussi les "tics de saut" (pour sauter d'un univers à l'autre, les personnages douivent effectuer des actions parfois stupides -bonne idée sur le papier encore une fois-) qui reviennent tout le temps et ne sont presque jamais drôles ou surprenants. [Et pourtant les réalisateurs s'en donnent à coeur joie; cf. les godemichets.] Un autre exemple: la parodie de Wong Kar-Wai dans un des univers (émouvants) du film. Avait-on besoin de ça ? Surtout que cette scéne revient énormément, ce qui m'améne à la deuxième partie...
…à savoir, les problèmes structurels du film. Oui, le film a un univers délirant, plein de possibilités les plus farfelues. Oui, il y a des doigts-saucisses, des godemichets téléporteurs, des donuts destructeurs d'univers, du kung-foufou en veux-tu en voilà. On peut aller partout, faire tout ce qu'on veut, mêler le Cosmique à l'émotion du quotidien. Mais au final, que tout cela est… sage, prévisible, balisé et sans tant de surprise. le film ne me semble pas marcher car il ressemble à un gros montage alterné (oh noooooon, pas le montage alterné, pas ici, pas dans ce film!) de deux heures vingt. Ce qui est un peu injuste ou exagéré de ma part peut-être, mais est véridique dans l'hallucinante dernière séquence qui dure, dure, dure. Combien de temps d'ailleurs duret-elle cette dernière séquence en forme de climax ? 30 minutes? 45 minutes? Une heure? je suis incapable de le dire.
Et là, on catherine aborde le principal problème du film: le rythme. On peut ne pas être d'accord avec moi quand je dis que le montage alterné, c'est le diable. Mais ce rythme m'a paru bizarrement très tranquille, très mou, et c'est bien le plus grand paradoxe de ce film qui va vite, qui est gorgé de moment de débrayages (bonne idée ça pourtant), mais qui au final est ressenti comme un fleuve tout calme. Oui, il se passe dix trucs à la fois à l'écran, oui ça combat et ça pleure dans tous les sens, oui il y a des doigts-saucisses, oui on peut changer d'univers en un clic. Mais ça, c'est que vous raconte le film. Mon moi-spectateur, par contre, a eu l'impression, parfois bousculée certes, de voir un film au rythme monotone ou plutôt pépère.
La folie est là, dans la déclaration de foi, dans le scénario aussi sans aucun doute. Mais, elle ne s'incarne jamais dans rythme. Le montage est assez illustratif finalement. La mise en scène marche par effets. Et l'émotion fane, hélas, trois fois hélas. Le spectateur voyage au trot. le projet est là, on le voit, mais il n'emporte que très rarement. Je dois mêmes dire que j'étais rincé dans la dernière heure. Cette prévisibilité ferme des portes, prive le film de sa liberté et rend bien fadasse ce qui aurait du être naïf, peut-être, mais bouleversant. Et la grande question arrive: à défaut d'être touché, est-on vraiment surpris par ce film ?
Il y aurait énormément de choses à dire dans ce sens (l'utilisation ultra-narrative de la musique par exemple). Malgré son envie et sa passion, indéniables, EVERYTHING…, au lieu d'être un abysse de poésie, reste tout bêtement narratif et suiviste au possible. Point de poésie, peu de ruptures (ce qui est un comble avec un sujet pareil), jamais d'accident, et je dirais même plus, jamais de folie ou d'imprévu. Le film reste sur rail. [Je vois bien qu'il est difficile d'expliquer ce que je ressens mais voici un exemple: y-a-t-il dans le film quelque chose qui soit vraiment gratuit ? Ou troublant? Ou abstrait? Non.]
J'aurais aimé que les deux réalisateurs enlèvent brutalement le tapis sous mes pieds et que je me rende compte que sous ce tapis, ce n'est pas le plancher mais le vide du cosmos. J'aurais aimé sentir cet infini vertige. On parlait de Don Coscarelli au début. Et bien vous savez quoi, ce film aurait pu être l'enfant sublime et bâtard de JOHN DIES AT THE END (de Coscarelli donc, un des films récents très importants à mes yeux) et de THE FALL de Tarsem Singh. Oui, Tarsem Singh ! Voilà ce que je cherchais à dire: la liberté narratice, l'émotion, le lyrisme à fleur de peau, la mise en scène qui vous fait chialer de bonheur en trois plans fulgurants… Au contraire, et je le dis en toute amitié, EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE est juste un film prévisible que ce soit pour les personnages, pour l'univers décrit, pour la narration, pour la mise en scène. Pour l'émotion.
Mais. Mais. Mais. Mais, il y a une règle important en matière de cinéma: on ne reproche pas à un film d'être ce qu'il n'est pas. On dira alors que c'était lui, que c'était moi. La bière n'était pas tiède. Le repas n'était pas mauvais. On était juste pas fait pour être ensemble. Est-ce si grave au final?
La bise.
Dr Devo.
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